La lettre juridique n°719 du 16 novembre 2017 : Discrimination et harcèlement

[Jurisprudence] Taille minimale exigée ! Sur l'apparence physique et la discrimination

Réf. : CJUE, 18 octobre 2017, aff. C-409/16 (N° Lexbase : A0212WWR)

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N1166BXH

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par Patrice Adam, Professeur à l'Université de Lorraine

le 16 Novembre 2017

Peut-on faire d'une taille physique minimale une condition d'accès à une école de police ? C'est, en substance, la question posée à la Cour de justice de l'Union européenne par le Conseil d'Etat grec dans le cadre d'un renvoi préjudiciel. Dans cette affaire, la candidature de la plaignante au concours d'entrée de l'école de police avait fait l'objet d'un rejet immédiat, au seul motif que mesurant 1m68, elle n'atteignait pas la taille minimale requise (1m70, non chaussé) par la réglementation nationale (un décret présidentiel) pour ce type de concours. Trop petite pour intégrer les forces de police, mais assez grande pour agir en justice, la candidate malheureuse saisit le juge grec d'une demande d'annulation de l'acte administratif de refus. La cour administrative d'appel d'Athènes lui donne raison en jugeant que la disposition litigieuse est contraire au principe constitutionnel de l'égalité des sexes. Appel est alors formé par deux ministres devant le Conseil d'Etat. Ce dernier pose au juge de Luxembourg une question préjudicielle portant sur l'interprétation de diverses directives relatives à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances ou/et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (1). De cette question, il convient ici de livrer exacte reproduction : la disposition du décret présidentiel "qui prévoit que les candidats civils au concours d'entrée aux écoles des officiers et agents de l'académie de police doivent, parmi d'autres exigences, mesurer (hommes et femmes) au minimum 1,70 m, est-il conforme aux dispositions des Directives 76/207 (N° Lexbase : L9232AUH), 2002/73 (N° Lexbase : L9630A4G) et 2006/54 (N° Lexbase : L4210HK7), qui interdisent toute discrimination indirecte fondée sur le sexe en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail dans le secteur public [à moins que la différence de traitement qui en résulte ainsi en fait se justifie par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'elle ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but poursuivi par la mesure] ?". La réponse du juge de l'Union, le 18 octobre 2017, apparaît de structure fort classique, en ce qu'elle s'articule autour de deux "temps". Le premier : la règle nationale n'est, en principe, pas conforme au droit de l'Union dès lors qu'elle désavantage un nombre beaucoup plus élevé de personnes de sexe féminin par rapport à des personnes de sexe masculin (I). Mais pareille règlementation peut cependant se voir délivrer "certificat de conformité unioniste" si elle est propre ou nécessaire à la réalisation de l'objectif légitime qu'elle poursuit (II).
Résumé

La Directive 76/207 du 9 février 1976 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une règlementation d'un Etat membre subordonnant l'admission des candidats à un concours administratif, à une exigence de taille physique minimale, dès lors que cette règlementation désavantage un nombre beaucoup plus élevé de personnes de sexe féminin par rapport à des personnes de sexe masculin et que ladite règlementation n'apparaît ni propre ni nécessaire à la réalisation de l'objectif légitime qu'elle poursuit, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Commentaire

I - Du caractère discriminatoire de la "taille"

Nul ne l'ignore : l'égalité entre les hommes et les femmes est, de longue date (depuis les origines) (2), une préoccupation "communautaire" (3). Préoccupation qui s'est muée en principe fondamental du droit de l'Union européenne (4). Les articles 21 et 23 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en livrent désormais hiératique expression. Il incombe ainsi à l'Union de promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes (TUE, art. 3 N° Lexbase : L2130IPL ; TFUE, art. 8 N° Lexbase : L2731IPT) et de "combattre toute discrimination fondée sur le sexe" (TFUE, art. 10 N° Lexbase : L2396IPG) (5). Et de fait, l'exigence d'égalité entre les femmes et les hommes a donné lieu à une soutenue activité normative de l'Union (6).

C'est l'interprétation de la Directive 76/207 du 9 février 1976 qui est l'objet de l'arrêt de la CJUE ici rapporté. En effet, comme le relève le juge de Luxembourg, les actes administratifs contestés par la candidate évincée ont été adoptés au cours de l'année 2007. Or, le délai de transposition de l'importante Directive "refonte" 2006-54 (7) expirant seulement le 15 août 2008 (art. 33, al. 1er), les dispositions de ce texte n'étaient pas applicables au présent litige. Par ailleurs, le même texte prévoit que la Directive 76/207 est abrogée avec effet au 15 août 2009. Il en résulte donc bien que les dispositions applicables au litige sont celles de la Directive de 1976. Reste que la solution n'aurait pas été différente, les données normatives pertinents étant similaires, si la Directive "refonte" avait été applicable.

La question préjudicielle posée par le juge grec met en discussion la "conformité unioniste" de la législation hellénique au regard de la notion de "discrimination indirecte" (A). Mais il n'est pas inimaginable qu'un employeur privé souhaite également faire de la "taille du salarié" un critère de sélection des candidats à l'emploi. Le droit français du travail permet d'aborder le problème sous l'angle, cette fois, de la discrimination directe (B).

A - La caractérisation de la discrimination indirecte

L'article 2), 1 de la Directive 76/207 dispose que "le principe de l'égalité de traitement [...] implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial". Et l'article 2), 2 de définir la discrimination indirecte comme "la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d'un sexe par rapport à des personnes de l'autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires". Son article 3 confère un champ d'application fort large au dispositif européen anti-discrimination puisqu'il vise "les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics" en ce qui concerne, entre autres les conditions d'accès à l'emploi, "y compris les critères de sélection et les conditions de recrutement, quelle que soit la branche d'activité et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle" (8).

Il ne faisait donc aucun doute, en contemplation de ce dernier texte, que les règles attachées au concours administratif en cause dans l'affaire grecque (celui de l'entrée à l'école de police) étaient bel et bien soumises à l'empire/l'emprise de la Directive de 1976. D'abord parce que le secteur public ne lui échappe point. Ensuite, parce que la règle contestée concerne, sans aucun doute, une "condition d'accès à l'emploi" puisqu'elle permet d'écarter le dossier de candidature de ceux qui ne remplissent pas la condition de taille minimum qu'elle pose (9).

Il était tout aussi incontestable que la règlementation grecque ne constituait pas une discrimination directe (au sens de la Directive de 1976). La condition de taille minimale s'imposait aux femmes comme aux hommes, sans distinction. Pour le dire comme la Cour, "cette règlementation traite de manière identique, quel que soit leur sexe, les personnes présentant leur candidature au concours d'entrée à l'école de police" (point 28). Quid de la discrimination indirecte ? Pareille discrimination est caractérisée lorsque "l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes" (10). Il convient de prendre mesure exacte, dans l'affaire qui nous occupe, de la formule ainsi ciselée.

Ce n'est pas parce que les femmes sont, en moyenne, plus petites que les hommes que la discrimination indirecte peut être retenue. En effet, constater que la taille moyenne des hommes est supérieure à celle des femmes n'implique pas en soi, logiquement, que le nombre de femmes dont la taille est inférieure à 1m70 est significativement plus important que celui des hommes n'atteignant pas cette barre. La différence de distribution des courbes de tailles (entre les hommes et les femmes) peut apparaître uniquement au-delà de cette taille minimale. Pour caractériser une discrimination indirecte, il est indispensable d'établir qu'un "nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes" (11) ont une taille inférieure à la taille utilisée comme référence par la norme contestée. C'est bien dans cette perspective que s'inscrit l'arrêt commenté. On y lit en effet qu'il est établi -ce qu'a constaté la juridiction de renvoi elle-même- "qu'un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes ont une taille inférieure à 1,70 m, de telle sorte que, en application de cette règlementation, celles-ci seraient très nettement désavantagées par rapport à ces derniers en ce qui concerne l'admission au concours d'entrée aux écoles des officiers et agents de la police hellénique" (point 32). Ce faisant, la qualification de discrimination indirecte s'impose.

B - Du côté du droit français du travail

1 - What is beautiful is good !

La solution adoptée par la CJUE trouve évidemment à s'appliquer dans le secteur public comme dans le secteur privé. Une question : la notion de discrimination directe ne pourrait-elle pas être retenue par le juge du contrat de travail sur le fondement de l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0682H97), lorsque l'employeur a motivé telle ou telle de ses décisions (principalement d'embauche) par la taille du candidat à l'emploi (ou du salarié) (12) ? L'article L. 1132-1 vise explicitement "l'apparence physique" au titre des motifs prohibés de décision. La taille du candidat à l'emploi n'est-elle pas partie intégrante de cette "apparence physique" ?

L'apparence désigne l'aspect sous laquelle un individu apparaît à la vue d'autrui (Larousse.fr). "L'apparence physique" renvoie ainsi à l'image du "corps" (par opposition au psychique), à ses caractères (caractéristiques) visibles ou perceptibles. De cette notion, il semble cependant possible d'avoir une acception plus ou moins large. Au sens strict, "l'apparence physique" désigne l'apparence corporelle de l'individu, ses caractéristiques (traits) naturelles (la couleur des yeux, la forme du nez (13)...). Dans une acception plus large, elle englobe également les éléments artificiels (maquillage, vêtements, bijoux...) qui donnent du corps une certaine représentation. Et l'on sait tout le poids de l'apparence physique (au sens large) dans le jeu social et principalement dans les relations de travail (et d'embauche). "Les premières analyses des avantages que peut procurer dans le milieu professionnel une apparence physique séduisante sont le fait de chercheurs anglo-saxons et remontent aux années 1970" (14). Tout cela est aujourd'hui bien documenté en psychosociologie et en économie. "Les mécanismes d'attribution et d'attente conduisent à porter un jugement globalement positif et indulgent sur la personnalité et les comportements des individus beaux, ce qui confère à ces individus un statut social particulier. Ils sont jugés comme détenteurs de plus de qualités sociales, relationnelles (charisme, capacités de communication, force de persuasion...), mais aussi intellectuelles que les autres : c'est l'association d'attributs de personnalité favorables à la beauté qui fonde ce stéréotype énoncé par K. Dion dans les années 1970 : Ce qui est beau est bon'" (15). Etre recruté suppose souvent d'avoir le "physique de l'emploi" ! (16) Comme l'a souligné le Défenseur des droits, dans son rapport annuel d'activé 2016 (p. 97), "quinze ans après son introduction dans la loi et alors que la jurisprudence est encore rare, le critère de l'apparence physique apparaît bien comme un critère qui a pleinement sa place parmi les motifs de discrimination juridiquement prohibés".

2 - What is small is bad

La taille de l'individu est, il est difficile de le nier, un élément relevant de l'apparence physique de l'individu, puisqu'elle n'est rien d'autre que la dimension en hauteur du corps humain. Elle en est un élément naturel. Tout corps humain, même nu, privé de tout artifice social, à une taille. Taille dont il apparaît qu'elle est souvent corrélée avec les destins professionnels. "Deux chercheurs, Timothy Judge, professeur de gestion à l'université de Notre-Dame (Indiana), et Daniel Cable, professeur à l'université de Caroline du Nord, enfoncent le clou : en moyenne, une personne qui mesure 30 cm de plus qu'une autre, du même sexe, gagne environ 600 euros de plus par an !" (17). En droit français du travail, le verdict parait sans appel : faire de la taille du candidat à l'emploi (ou du salarié) un critère de décision tombe sous le coup de l'interdiction des discriminations (directes) en raison de l'apparence physique.

II - La justification de la discrimination

Dans l'affaire grecque, la discrimination indirecte est caractérisée (cf. supra). Pour autant, la règlementation nationale en cause peut ne pas constituer une discrimination (indirecte) interdite par la Directive de 1976 si elle est objectivement justifiée par un but légitime et si les moyens pour parvenir à ce but sont appropriés et nécessaires (article 2, paragraphe 2). On retrouve ici la classique faculté de justification des discriminations indirectes. Justification dont il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si elle existe ou non. Reste que le juge unioniste ne s'en reconnaît pas moins, traditionnellement (18), compétence pour donner des indications de nature à permettre à cette juridiction de statuer. Dans son arrêt du 18 octobre 2017, la CJUE ne s'écarte pas de cette "doctrine" (point n° 34) (A). En droit français du travail, la question de l'éventuelle justification de la "discrimination directe" emprunte évidemment un autre chemin (B).

A - De la justification de la discrimination indirecte

Pour faire échapper la discrimination indirecte préalablement caractérisée au "statut" de discrimination prohibée par le droit de l'Union, la justification mise en avant par le gouvernement hellénique doit donc passer un double point de contrôle. Le premier porte sur la légitimité de l'objectif poursuivi, à travers sa réglementation, par l'Etat membre (1) ; le second, sur la proportionnalité des moyens utilisés pour atteindre cet objectif (2).

1 - Objectif légitime

En l'espèce, le gouvernement grec arguait que la règlementation contestée avait "pour but de permettre l'accomplissement effectif de la mission de la police hellénique et que la possession de certaines aptitudes physiques particulières, telles qu'une taille physique minimale, constituait une condition nécessaire et appropriée pour atteindre ce but" (point n° 35).

Premier point de contrôle, la légitimité du but poursuivi. On peut être, croyons-nous, sur ce point, relativement bref. Il a déjà été jugé, comme le rappelle la Cour (point n° 36), que le souci d'assurer le caractère opérationnel et le bon fonctionnement des services de police constitue un objectif légitime. Rendu sur le fondement d'une autre Directive (Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4), la solution parait pleinement transposable dans le champ couvert par la Directive 76/207 du 9 février 1976. La chose est entendue ; on n'y insistera pas.

2 - Contrôle de proportionnalité

Second point de contrôle, plus délicat, l'adéquation des moyens mis en oeuvre pour atteindre le but visé. Immédiatement vient à l'esprit, et le juge de Luxembourg le souligne fort-à-propos, que "s'il est vrai que l'exercice de fonctions de police concernant la protection des personnes et des biens, l'arrestation et la surveillance des auteurs de faits délictueux ainsi que les patrouilles préventives peut exiger l'utilisation de la force physique et impliquer une aptitude physique particulière, il n'en demeure pas moins que certaines fonctions de police, telles que l'assistance aux citoyens ou la régulation de la circulation, ne nécessitent apparemment pas un engagement physique important" (point n° 38). Toutes les fonctions de police ne supposent pas les mêmes capacités ! Reste, en tout état de cause, que l'argument du gouvernement grec repose sur un très contestable présupposé : les aptitudes physiques (force, endurance...) d'un individu seraient liées à sa taille. En dessous d'une certaine taille, il n'aurait ainsi pas les aptitudes suffisantes pour exercer le métier de policier. Présupposé qui laisse tout de même fort septique. Sur quelle(s) "base(s)" (scientifique(s)) déterminer cette fameuse taille minimum à partir de laquelle les aptitudes du candidat deviendraient trop faibles ? On les cherchera en vain. Et d'ailleurs, la plaignante se plaisait à souligner, montrant l'incohérence des seuils retenus, "que, s'agissant des forces armées, de la police portuaire et de la garde côtière grecques, des tailles minimales différentes sont exigées pour les hommes et pour les femmes et que, en ce qui concerne ces dernières, la taille minimale est de 1,60 m'apparaissent également pertinentes" (point n° 41).

Mais se poser cette question c'est déjà, en réalité, supposer qu'il existe un lien entre les capacités physiques d'un individu et sa taille. Supposition plus que douteuse... Dire que les personnes d'1m68 sont moins "fortes", moins "résistantes" (physiquement ou mentalement), moins rapides, moins agiles, que celles d'1m72, est proprement ridicule. La Cour ne dit pas autre chose lorsqu'elle remarque, qu'il "n'apparaît pas qu'une telle aptitude soit nécessairement liée à la possession d'une taille physique minimale et que les personnes d'une taille inférieure en soient naturellement dépourvues". A tout le moins, faudrait-il que ce lien puisse être étayé par des recherches scientifiques dont on suppute très fortement que le gouvernement grec ne trouvera pas trace ! Du caractère et des compétences des femmes et des hommes, la taille ne dit rien. "Tu n'es pas seulement un lâche, tu es un traître, comme ta petite taille le laissait deviner". La formule de l'espion français Hubert Bonisseur de la Bath est seulement une drôle réplique de cinéma (19).

Par ailleurs, sur le terrain du contrôle de nécessité de la mesure nationale contestée, la Cour souligne, avec force, que "l'objectif poursuivi par la règlementation en cause au principal pourrait être atteint par des mesures moins désavantageuses pour les personnes de sexe féminin, telles qu'une présélection des candidats au concours d'entrée aux écoles des officiers et agents de police fondée sur des épreuves spécifiques permettant de vérifier leurs capacités physiques" (point n° 42).

Et le juge de l'Union, finalement, de conclure que "les dispositions de la Directive 76/207/CEE [...] doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une règlementation d'un Etat membre, telle que celle en cause au principal, subordonnant l'admission des candidats au concours d'entrée à l'école de police de cet Etat membre, quel que soit leur sexe, à une exigence de taille physique minimale de 1,70 m, dès lors que cette réglementation désavantage un nombre beaucoup plus élevé de personnes de sexe féminin par rapport à des personnes de sexe masculin et que ladite règlementation n'apparaît pas propre ni nécessaire à la réalisation de l'objectif légitime qu'elle poursuit, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier".

B - De la justification de la discrimination directe

Opérons un bref retour, pour conclure, sur les terres du droit du travail français. La décision patronale fondée sur la taille du candidat à l'emploi ou du salarié relève, nous l'avons dit (cf. supra), de la catégorie "discrimination directe" (cf. supra). Or, "l'article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée" (C. trav., art. L. 1133-1) (20). Dans son arrêt "liberté religieuse" du 14 mars 2017 (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15 N° Lexbase : A4830T3B), la CJUE a réaffirmé que la notion d'"exigence professionnelle essentielle et déterminante", "renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause". C'est dire qu'en matière de prise en compte de l'apparence physique, et singulièrement de prise en compte de la taille du salarié, la porte de la justification n'est pas totalement fermée, mais que l'on voit mal, à la lumière des observations précédentes, dans quelle situations concrètes il sera possible de l'ouvrir...


(1) Directive 76/207/CEE du 9 février 1976 (N° Lexbase : L9232AUH), modifié par la Directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9630A4G) ; Directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 (N° Lexbase : L4210HK7).
(2) L. Allart, L'interdiction des discriminations fondées sur le sexe, outil de promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'ordre juridique de l'Union européenne, Revue de l'Union européenne, 2015, 547.
(3) Le 7 mars 2011 (cinq ans après l'adoption d'un premier pacte européen sur le sujet), le Conseil de l'Union européenne avait adopté le Pacte européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes (2011-2020) dans lequel il réaffirmait, sans ambages, que l'égalité entre les hommes et les femmes est une valeur fondamentale de l'Union européenne et que les politiques d'égalité entre les sexes sont essentielles à la croissance économique, à la prospérité et à la compétitivité.
(4) CJCE, 15 juin 1978, aff. C-149/77 (N° Lexbase : A7239AHL ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E5344EX9), point 27 : l'élimination des discriminations fondées sur le sexe en un droit fondamental de la personne faisant partie des principes généraux du droit communautaire ; CJCE, 10 février 2000, aff. C-50/96 (N° Lexbase : A1945AWX), point 57.
(5) Par ailleurs, en vue de réaliser les objectifs de politiques sociales qui lui incombe, "l'Union soutient et complète l'action des Etats membres [en matière] d'égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le traitement dans le travail" (TFUE, art. 153 N° Lexbase : L2455IPM).
(6) "Le Parlement européen et le Conseil, statuant selon la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, adoptent des mesures visant à assurer l'application du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail, y compris le principe de l'égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur" (TFUE, art. 157 N° Lexbase : L2459IPQ).
(7) Sur cette Directive, v. M.-T. Lanquetin, L'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail [A propos de la directive "refonte" 2006/54/CE du 5 juillet 2006], Dr. soc., 2007, p. 861.
(8) CJUE, 17 juillet 2014, aff. C-173/13 (N° Lexbase : A4746MUC), AJDA, 2014, 1519 (pour une discrimination indirecte à l'égard des hommes).
(9) La CJUE ne dit pas autre chose (CJUE, 18 octobre 2017, aff. C-409/16 N° Lexbase : A0212WWR, point 25 ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E5344EX9) : "en prévoyant que les personnes mesurant moins de 1,70 m ne peuvent pas être admises au concours d'entrée à l'école de police grecque, la règlementation en cause au principal affecte les conditions de recrutement de ces travailleurs et doit, dès lors, être considérée comme établissant des règles en matière d'accès à l'emploi dans le secteur public, au sens de l'article 3".
(10) CJUE, 2 octobre 1997, aff. C-100/95 (N° Lexbase : A9795AUC) ; CJUE, 20 juin 2013, aff. C-7/12 (N° Lexbase : A7919KGE ; cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0194ETD).
(11) CJCE, 23 octobre 2003, aff. C-4/02 et C-5/02 (N° Lexbase : A9760C9D), D., 2003, p. 2802.
(12) La question peut également se poser pour les fonctionnaires sur le fondement de l'article 6, alinéa 2 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires ([LXb=L6938AG3]). L'alinéa 3 du même texte prévoit, il est vrai, que "toutefois des distinctions peuvent être faites afin de tenir compte d'éventuelles inaptitudes physiques à exercer certaines fonctions". La taille peut-elle caractérisée une telle inaptitude ? On ne le croit pas...
(13) Native ou "travaillée" par les accidents de la vie...
(14) H. Garnier-Moyer, Le poids de l'apparence physique dans la décision d'embauche, Le journal des psychologues, 2008/4, n° 257, p. 80.
(15) Ibidem : "Une grande partie des recherches présentées conclut donc que l'apparence a un impact réel sur la décision d'embauche, mais la force de cet impact est fonction du sexe du candidat et du type de poste à pourvoir".
(16) "A partir d'une enquête menée en 2014 auprès de 1 000 demandeurs d'emploi, les résultats mettent en évidence la place importante qu'occupe, dans les recrutements, la conformité des candidats aux normes socialement admises, tant pour les codes vestimentaires, plus facilement modifiables, que pour les caractéristiques physiques, pourtant inaltérables. Avoir un style ou une corpulence 'hors normes' constitue ainsi des inconvénients majeurs pour être embauché et peut inciter les employeurs à questionner les candidats sur leur apparence lors des entretiens d'embauche [...]" (Défenseur des droits, rapport annuel d'activité, 2016, p. 97).
(17) A. Kahn, En entreprise, physique et taille jouent sur l'embauche et les rémunérations, Le Monde, 3 décembre 2012.
(18) CJCE, 10 mars 2005, aff. C-196/02 (N° Lexbase : A3858DHD ; cf. l’Ouvrage Droit du travail N° Lexbase : E2598ETE).
(19) OSS 117 Le Caire : nid d'espions (réalisé par Michel Hazanavicius, 2006).
(20) En droit de l'Union : est justifiée la limite d'âge fixée à 30 ans pour l'accès au corps des pompiers professionnels (CJUE, 12 janvier 2010, aff. C-88/08 N° Lexbase : A2798EIH, RDT, 2010, p. 237, note M. Schmitt) ; V. aussi, pour certaines fonctions militaires : CJCE, 26 octobre 1999, aff. C-273/97 (N° Lexbase : A0518AW4).

Décision

CJUE, 18 octobre 2017, aff. C-409/16 (N° Lexbase : A0212WWR)

Renvoi préjudiciel (Conseil d'Etat de Grèce)

Textes : Directive 76/207/CEE du 9 février 1976 (N° Lexbase : L9232AUH), modifié par la Directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9630A4G) ; Directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 (N° Lexbase : L4210HK7).

Mots clé : égalité de traitement entre hommes et femmes ; discrimination fondée sur le sexe ; discrimination indirecte ; taille physique minimale ; concours administratif (école de police).

Lien base : (N° Lexbase : E5344EX9).

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