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par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne
le 08 Septembre 2016
Il est à noter la parution du décret n° 2016-463 du 14 avril 2016, relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution à la Cour nationale du droit d'asile (N° Lexbase : L7078K7B). Le décret précise la procédure de la QPC applicable devant cette cour. Il reprend, en les adaptant aux spécificités de la CNDA et aux dispositions du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les dispositions applicables devant les juridictions administratives de droit commun au titre des articles R. 771-3 (N° Lexbase : L5790IGK) à R. 771-12 du Code de justice administrative.
I - Champ d'application
1 - Notion de "disposition législative"
Dans la décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016 (N° Lexbase : A2666RIL), le Conseil constitutionnel a implicitement tranché la question de la valeur juridique des décrets dits "de développement" pris en application de cette loi-cadre du 23 juin 1956 et l'effet de l'approbation parlementaire.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a visé le décret n° 57- 245 du 24 février 1957, sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer et son approbation par l'Assemblée nationale le 12 avril 1957 et par le Conseil de la République le 25 juin 1957. Il a procédé ensuite à un contrôle des dispositions contestées du premier alinéa de l'article 34 de ce décret. Il est ainsi jugé que ces dispositions ont le caractère de dispositions législatives au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ). On précisera que les dispositions en cause n'avaient pas fait l'objet de modification, en tant qu'elle s'applique à la Polynésie, par une loi du pays de nature réglementaire, elles ont donc conservé leur nature législative.
La solution du Conseil constitutionnel rejoint celle retenue à propos des décrets pris sur le fondement de la loi dite "André Marie" du 17 août 1948, lesquels avaient fait l'objet d'une annexion à un texte législatif voté par le Parlement (1). Elle s'inscrit également dans la jurisprudence du Conseil d'Etat qui a affirmé la valeur législative du décret de 1957 précité (2).
2 - Dispositions législatives antérieures à 1958
Le Conseil d'Etat refuse de renvoyer une QPC dirigée contre la loi du 31 décembre 1945, instituant une prescription opposée aux ayants droit des propriétaires des usines Renault qui demandaient à être indemnisés de la nationalisation de ces usines en 1945 (CE, 4 mai 2016, n° 395466, 395467, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4660RNW). Il a relevé qu'en vertu de cette loi, la créance invoquée par les ayants droits avait été prescrite dès 1949, soit 4 ans après la confiscation des usines, comme l'avait déjà constaté une décision du Conseil d'Etat du 10 novembre 1961. La loi visée par la QPC avait donc produit tous ses effets, pour les propriétaires des usines, avant l'entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958. Le Conseil d'Etat en a déduit que les ayants droit des propriétaires ne pouvaient pas se prévaloir des droits et libertés garantis par la Constitution de 1958, dans le cadre du mécanisme de la QPC, à l'encontre d'une loi de 1945 ayant produit des effets définitifs en 1949. A la date où la prescription a éteint leur créance, les droits et libertés que les héritiers invoquaient n'étaient pas garantis par la Constitution de 1958. Il faut en déduire la solution de principe suivante : une QPC ne peut être déposée à l'encontre de dispositions de nature législative antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958, dont tous les effets sur la situation en litige ont été définitivement produits avant l'entrée en vigueur de cette Constitution.
Deux mois après, le Conseil d'Etat a jugé qu'il ne peut être utilement soutenu à l'encontre de dispositions législatives adoptées à une date antérieure à l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, relative à l'organisation décentralisée de la République (N° Lexbase : L8035BB9), qui a inséré l'article 72-2 (N° Lexbase : L8824HBG) dans la Constitution, que le législateur aurait méconnu les conditions auxquelles cet article subordonne les transferts de compétences aux collectivités territoriales ou les créations ou extensions de compétences ayant pour conséquence d'augmenter leurs dépenses (CE, Sect., 13 juillet 2016, n° 388317, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2130RX8). Cette solution doit être rapprochée de la décision n° 2011-143 QPC du 30 juin 2011 (N° Lexbase : A5588HUI) qui avait jugé un tel grief inopérant.
3 - Disposition déjà été déclarée conforme à la Constitution et changement de circonstances
Le changement de circonstances lié à l'intervention de la jurisprudence trouve de nouveaux éléments de consolidation.
La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui a changé le prisme de son contrôle et de son intensité sur le cumul des poursuites au regard du principe de nécessité des délits et des peines, est regardée comme un changement de circonstances de droit. Après que la Cour de cassation en ait jugé ainsi (3), le Conseil d'Etat retient cette solution (CE, 15 avril 2016, n° 396696, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7145RIH). La jurisprudence du Conseil constitutionnel peut ainsi constituer une circonstance de droit nouvelle, indépendamment de la circonstance qu'un faible laps de temps sépare les décisions et solutions considérées.
Dans les deux décisions n°s 2016-545 QPC (N° Lexbase : A0909RU9) et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 (N° Lexbase : A0910RUA), le Conseil constitutionnel a "fait masse de deux types d'arguments" (selon l'expression utilisée par les commentaires officiels) pour considérer qu'un changement des circonstances était établi. D'une part, même s'il s'agit d'une modification principalement formelle, et même si le taux considéré reste identique, les termes de la disposition législative ont été modifiés. La formule "si la mauvaise foi de l'intéressé est établie" a été remplacée par "en cas de manquement délibéré". D'autre part, la jurisprudence constitutionnelle a évolué depuis la déclaration de conformité de 2011, par des décisions dûment visées concernant le cumul des sanctions (Cons. const., décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 N° Lexbase : A7983NDZ, confirmée par Cons. const., décision n° 2015-513/514/526 QPC du 14 janvier 2016 N° Lexbase : A5893N3N). Ce changement à deux têtes justifie un nouvel examen des dispositions.
En revanche, le Conseil d'Etat a jugé qu'aucun changement de circonstances n'était survenu depuis la décision n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004 (N° Lexbase : A1411DDM) de nature à justifier que la conformité de l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), dans sa rédaction issue de l'article 4 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel (N° Lexbase : L0722GTW), soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel (CE, 6 avril 2016, n° 396471 N° Lexbase : A9420RYK).
4 - Applicabilité de la disposition législative au litige
La condition d'applicabilité trouve une subtile mise au point, dans le sens d'un resserrement de l'interprétation de cette disposition "au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3)".
Saisi d'un recours pour excès de pouvoir à l'encontre de dispositions réglementaires se bornant à désigner l'autorité administrative chargée de fixer le pays de renvoi, dans le cas d'une reconduite à la frontière d'un étranger faisant l'objet d'une interdiction administrative du territoire, le Conseil d'Etat juge que "parmi les dispositions législatives contestées au regard de la Constitution, seules celles relatives d'une part aux modalités d'interdiction administrative du territoire, d'autre part celles relatives aux conséquences à en tirer s'agissant d'étrangers déjà présents sur le territoire national, peuvent être regardées comme applicables au litige, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958" (CE, 13 avril 2016, n° 394114 N° Lexbase : A7136RI7).
Par ailleurs, les dispositions relatives à la composition du Conseil d'Etat ne peuvent être regardées comme applicable au litige lorsqu'elles sont contestées en tant qu'elles limitent aux seuls conseillers d'Etat en service extraordinaire l'interdiction d'être affectés à la section du contentieux (CE, 22 juin 2016, n° 395056 N° Lexbase : A9144RTT). On peut penser que cette solution, assez rigoureuse, est à rapprocher des difficultés de contrôler "en tant que ne pas".
Dans une situation assez originale, il s'avère qu'une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation -même très récente- peut avoir pour effet de rendre inapplicable une QPC. La Chambre criminelle considère qu'une QPC formulée à l'encontre de l'article 434-24, alinéa 1er, du Code pénal (N° Lexbase : L1937AMP) n'est plus applicable au litige, "dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation que les expressions diffamatoires ou injurieuses proférées publiquement par l'un des moyens énoncés à l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW), comme tel est le cas en l'espèce, contre un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire en raison de ses fonctions ou à l'occasion de leur exercice, sans être directement adressées à l'intéressé, n'entrent pas dans les prévisions de l'article 434-24 du Code pénal incriminant l'outrage à magistrat, et ne peuvent être poursuivies et réprimées que sur le fondement des articles 31 et 33 de ladite loi" (Cass. crim., 1er mars 2016, n° 15-82.824, FS-P+B N° Lexbase : A0677QYQ ; Cass. crim., 10 mai 2016, n° 15-86.600, F-D N° Lexbase : A0731RPR).
II - Procédure devant les juridictions ordinaires
1 - Introduction de la requête
Parmi les règles procédurales dont on peut relever ici l'application, il est rappelé que le désistement des QPC, intervenu après le dépôt du rapport, doit être constaté par arrêt (Cass. civ. 2, 14 avril 2016, n° 14-26.608, F-D N° Lexbase : A7088RID), l'irrecevabilité d'un dépôt hors délai du mémoire QPC (Cass. com., 14 avril 2016, n° 15-11.168, F-D N° Lexbase : A6988RIN), la règle selon laquelle le mémoire qui présente la QPC à l'occasion d'un pourvoi doit être déposé dans le délai d'instruction de ce pourvoi (Cass. crim., 5 avril 2016, n°s 15-83.208, F-D N° Lexbase : A1471RCH et 15-86.361, F-D N° Lexbase : A1568RC3). On peut aussi relever que le Conseil d'Etat prend soin d'éviter que les recours en référé puissent permettre de lier systématiquement une possibilité de déposer une QPC. Devant le rejet des conclusions à fin de suspension pour défaut d'urgence, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de renvoi de la QPC soulevée (CE, 14 avril 2016, n° 397613 N° Lexbase : A0689RL4 et 397614 N° Lexbase : A0690RL7).
2 - Intervention
Le Conseil d'Etat a complété sa jurisprudence relative à l'intervention présentée devant lui, au soutien d'une QPC transmise par un tribunal administratif, par une société ayant introduit d'autres litiges devant une autre juridiction administrative (4). L'intervention n'est pas recevable si le requérant s'est borné, dans ces instances, à inviter le tribunal à saisir la CJUE d'une question préjudicielle portant sur la disposition dont la constitutionnalité est examinée par le Conseil d'Etat et à saisir le celui-ci d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 113-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2626ALT) (CE, 27 juin 2016, n° 398585, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4275RUU). Ces circonstances ne rendent pas le requérant recevable à intervenir à l'occasion d'une QPC.
III - Procédure devant le Conseil constitutionnel
A - Organisation de la contradiction
1 - Interventions devant le Conseil constitutionnel
L'association nationale des élus de la montagne et l'association France Nature Environnement sont intervenues au soutien de la constitutionnalité de la disposition contestée dans l'affaire n° 2016-540 QPC du 10 mai 2016 (N° Lexbase : A5065RNW), concernant la servitude administrative grevant l'usage des chalets d'alpage et des bâtiments d'estive.
Dans l'affaire n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 (Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale), plusieurs contribuables ayant fait l'objet, à raison des mêmes faits, de sanctions fiscales et pénales sur le fondement des articles 1729 (N° Lexbase : L4733ICB) et 1741 (N° Lexbase : L9491IY8) du CGI en matière d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée ont été admis à intervenir.
2 - Déroulement de l'audience
L'audience publique qui s'est tenue le 24 mai (Cons. const., décision n° 2016-544 QPC du 3 juin 2016 N° Lexbase : A6680RRT) marque une évolution dans le fonctionnement de l'audience publique devant le Conseil constitutionnel. L'audience est désormais interactive. Il s'agit de donner la possibilité aux membres du Conseil constitutionnel qui le souhaitent de poser directement des questions à l'avocat du requérant et/ou au représentant du Gouvernement, à la suite de leurs observations (5).
B - Réserves d'interprétation
Dans la décision n° 2016-533 QPC du 14 avril 2016 (N° Lexbase : A2666RIL), le Conseil a formulé une réserve d'interprétation en considérant que "les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par les indemnités majorées accordées en vertu des dispositions du décret du 24 février 1957, conformément aux règles de droit commun de l'indemnisation des dommages". Il s'agit de permettre à la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur d'obtenir la réparation des préjudices que les dispositions de ce décret ne permettent pas de réparer. C'est une reprise, pour ne pas dire réitération, de la réserve formulée dans la décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 (N° Lexbase : A9572EZK). Ainsi que le souligne expressément le commentaire officiel, "cette réserve met un terme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui excluait toute autre forme de réparation des dommages résultant d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur". Ladite jurisprudence a été expressément visée dans la décision du Conseil constitutionnel avant que les dispositions contestées, ainsi interprétées, ne soient confrontées au principe de responsabilité.
Dans la décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 (N° Lexbase : A7198RKS), une réserve impose la prise en compte de l'érosion monétaire s'agissant de l'imposition de plus-values sur valeurs mobilières. Cette réserve porte bien au-delà du dispositif contesté. Elle définit une lecture d'ensemble du dispositif fiscal. Le commentaire officiel indique qu'"un tel raisonnement signifie implicitement que le législateur peut prévoir un taux de 62 % d'imposition d'une plus-value brute résultant d'une détention de longue durée sans nécessairement prévoir un abattement, dès lors qu'un autre mécanisme permet d'éviter qu'un tel taux conduise à une imposition confiscatoire". Dans la même décision, une seconde réserve, fondée sur la protection des attentes légitimes, procède à une distinction entre les reports d'imposition s'appliquant de plein droit (la plus-value ne peut alors être rétroactivement soumise à des règles de liquidation non déterminées à la date de sa réalisation) et ceux résultant du choix du contribuable.
Dans la décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 (Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale), plusieurs réserves sont énoncées. Une d'entre elles porte sur la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette dernière juge de façon constante que la décision du juge de l'impôt (administratif ou civil) ne peut avoir, au pénal, autorité de la chose jugée, si bien que peut être condamné pénalement pour soustraction frauduleuse à l'impôt un contribuable qui été déchargé de toute imposition par le juge de l'impôt. Cette jurisprudence pouvait aboutir à ce qu'un contribuable déchargé, pour un motif de bien-fondé (et non "seulement" de procédure), de toute imposition par un jugement à caractère définitif puisse néanmoins faire l'objet d'une condamnation pour fraude fiscale. Le Conseil constitutionnel neutralise cet effet de la jurisprudence de la Cour de cassation. Sur le fondement du principe de nécessité des délits, le Conseil énonce qu'en l'absence d'impôt fraudé, le juge pénal ne saurait prononcer une sanction pénale pour fraude fiscale. Cette réserve fait directement obstacle à la possibilité ouverte par la jurisprudence de la Cour de cassation. Le commentaire officiel fait toutefois observer que "cette réserve aura des effets limités. La seule décharge de la majoration prévue par l'article 1729 du CGI sera sans effet sur les poursuites pénales. La décharge de l'impôt accordée pour un motif de procédure ne pourra suffire à exclure des poursuites et une éventuelle condamnation pénale. Si une condamnation pour fraude fiscale est exclue lorsqu'une juridiction aura définitivement déchargé le contribuable de l'impôt dû pour un motif de bien-fondé, cela n'empêche pas l'engagement des deux procédures. Par ailleurs, le juge pénal conservera toute latitude pour apprécier les autres éléments de la fraude fiscale. De la même manière, le juge de l'impôt demeurera tenu par les constatations matérielles faites par le juge pénal lorsque ce dernier a statué, mais non par la qualification ou l'interprétation qui en a été faite".
C - Rédaction de la décision du Conseil constitutionnel
A l'occasion des décisions n°s 2016-539 QPC (N° Lexbase : A5064RNU) et 2016-540 QPC (N° Lexbase : A5065RNW) du 10 mai 2016, le Conseil constitutionnel a procédé à une "modernisation" du mode de rédaction de ses décisions. Dans un communiqué du même jour accompagnant ces décisions, le président du Conseil constitutionnel a précisé qu'il s'agit d'un choix de rédaction pérenne, qui a vocation à être décliné pour l'ensemble des types de décisions que rendra désormais le Conseil, tant dans l'objectif de renforcer l'intelligibilité et la lisibilité de ses décisions, d'en simplifier la lecture, qu'en vue de permettre une motivation plus approfondie de celles-ci. Cela se traduit par la suppression de la rédaction sous forme de "considérants" (remplacés par des paragraphes), la normalisation du style rédactionnel (abandon de la phrase unique et utilisation de phrases séparées par un point) et un style plus direct. Cette évolution n'est pas le résultat d'un groupe de travail spécifique, comparable à celui réalisé pour les décisions de la juridiction administrative, même si elle n'est manifestement pas sans relation avec ce processus dont elle capitalise l'expérimentation au Palais-Royal. Bien entendu, il s'agira d'évaluer si cette nouvelle présentation aura pour effet de rendre les décisions du Conseil plus accessibles au grand public et comment elle contribuera à une motivation accrue.
D - QPC et question préjudicielle devant la CJUE
La relation entre la procédure de la QPC et celle du renvoi préjudiciel devant la CJUE fait l'objet de précisions jurisprudentielles importantes. La formation d'assemblée a été mobilisée pour traiter le cas où une question préjudicielle est requise afin de déterminer si une QPC est sérieuse (CE, 31 mai 2016, n° 393881, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4095RR4 ; rappr. dans le cas où l'interprétation de la directive soulève une difficulté sérieuse mais où le Conseil d'Etat a déjà transmis une question préjudicielle à la CJUE sur cette difficulté, CE, 27 juin 2016, n° 398585, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4275RUU).
Cette articulation conduit à concilier l'exigence de respect du droit de l'Union, le caractère prioritaire de la QPC et les délais dont disposent les juges de renvoi pour se prononcer sur la QPC. Dès lors que le caractère sérieux d'une QPC dépend de l'interprétation ou de l'appréciation de la validité d'une disposition du droit de l'Union européenne, le Conseil d'Etat doit saisir la CJUE et rejeter la QPC.
En l'espèce, le requérant faisant valoir qu'une disposition fiscale méconnaissait les objectifs résultant d'une Directive et soutenait, en soulevant une QPC, qu'en cas d'incompatibilité entre les dispositions nationales et le droit de l'Union européenne, la disposition serait contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, dès lors qu'elle ne pourrait être légalement appliquée qu'aux situations qui sont hors du champ de la Directive, tandis que le juge, saisi de moyens en ce sens, en écarterait l'application lorsque seraient en cause des situations entrant dans le champ de la Directive.
Tant que l'interprétation de la Directive n'aura pas conduit le juge de l'impôt à écarter l'application de la disposition contestée aux situations entrant dans le champ de cette Directive, aucune différence dans le traitement fiscal des situations n'est susceptible d'en résulter au détriment des situations qui sont hors du champ de la Directive. Ainsi, dans la ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (6), le Conseil d'Etat retient qu'en l'état, la QPC invoquée ne peut être regardée comme revêtant un caractère sérieux, car le juge de l'impôt n'avait pas donné une interprétation du droit de l'Union le conduisant à écarter l'application de la loi aux plus-values transfrontalières (7).
Dans le cas où, à la suite de la décision de la CJUE, le requérant présenterait à nouveau au Conseil d'Etat la QPC invoquée, l'autorité de la chose jugée -encore que cette qualification prête à débat- par la décision refusant de la renvoyer avant la saisine de la CJUE ne fait pas obstacle au réexamen de la conformité à la Constitution de la disposition contestée (un second tour, en quelque sorte). Certes, le champ disponible pour une "nouvelle" QPC est totalement ouvert, la pertinence du grief invoqué sur le fond se révélera en fonction de l'interprétation retenue du droit européen applicable. Mais il y a tout de même une certaine gêne à ce que la question de constitutionnalité, question principale du débat contentieux ainsi configuré, soit dépourvue immédiatement de réponse et privée de son juge authentique.
En statuant ainsi, le Conseil d'Etat a justement écarté l'option consistant à surseoir à statuer sur la QPC jusqu'à ce que la Cour de Luxembourg se soit prononcée. Le caractère prioritaire de la QPC se trouve ainsi préservé. Tout comme le délai de trois mois pour se prononcer sur le renvoi de la QPC, délai au terme duquel le juge de renvoi est dessaisi et la QPC automatiquement transmise au Conseil constitutionnel.
Le Conseil d'Etat a aussi renoncé à une solution peut-être plus conforme à la gestion dynamique des rapports entre ordres juridiques et juridictions, et sans doute plus simple et cohérente, qui aurait consisté à renvoyer la QPC "en l'état" au Conseil constitutionnel, dès lors que ce dernier est en pleine capacité d'apprécier l'opportunité d'un renvoi préjudiciel à la CJUE (8) ou, le cas échéant, de vider la difficulté constitutionnelle par voie de réserve d'interprétation. L'économie des procédures comme la bonne administration de la justice constitutionnelle plaidaient en ce sens.
(1) Cons. const., décision n° 2011-208 QPC du 13 janvier 2012 (N° Lexbase : A1020IAZ).
(2) CE, 11 mars 2015, n° 382754 (N° Lexbase : A6908ND9).
(3) Cass. crim., 30 mars 2016, n°s 16-90.001, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5104RAB) et n° 16-90.005, FS-P+B (N° Lexbase : A1597RBR) et nos obs., QPC : évolutions procédurales récentes - Janvier à mars 2016, Lexbase éd. pub., n° 420, juin 2016 (N° Lexbase : N3173BWG).
(4) Voir CE, 17 février 2011, n° 344445 (N° Lexbase : A1499GXS); comp. CE, 4 avril 2011, n° 345661 (N° Lexbase : A8957HMP).
(5) Sur cette nouvelle pratique et ses effets sur la physionomie du procès, voir nos obs., L'audience interactive devant le Conseil constitutionnel, La Semaine juridique - éd. générale, 27 juin 2016, n° 753, p. 1388. Cette pratique semble d'ores et déjà systématique.
(6) Cons. const., décision n° 2015-520 QPC du 3 février 2016 (N° Lexbase : A4423PA3).
(7) Comp., en l'absence de difficulté sérieuse d'interprétation, CE, 15 décembre 2014, n° 380942 (N° Lexbase : A7880M7Y) ; CE, 12 novembre 2015, n° 367256 (N° Lexbase : A5870NWC), Tables.
(8) Cons. const., décision n° 2013-314P QPC du 4 avril 2013 (N° Lexbase : A4672KBN).
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