Réf. : Cass. civ. 1, 30 juin 2016, n° 15-13.755, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0018RWL)
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par Denis Mouralis, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à Aix Marseille Université (CDE, Aix-en-Provence, France), Conseiller du Centre de médiation et d'arbitrage de Paris (CMAP)
le 08 Septembre 2016
Depuis lors, Bernard T. a invoqué certaines circonstances de cette vente pour alléguer qu'il aurait été trompé par son mandataire. Il lui reproche de s'être porté contrepartie, à son insu, en vendant à plusieurs prête-noms et d'avoir détourné la plus-value réalisée lors de la revente de BT GMBH au groupe Louis-Dreyfus. En particulier, souligne Bernard T., certains des acquéreurs ont obtenu du Crédit lyonnais un prêt dit "à recours limité", étant entendu qu'en cas de revente de BT GMBH, la plus-value serait partagée à raison d'un tiers pour l'acquéreur et de deux tiers pour la banque. En outre, au moment même de la vente, les acquéreurs ont octroyé à une société belge, également détenue par Louis D., une option de rachat de BT GMBH, pour le prix de 3,498 milliards de francs (équivalent de 533 265 464,92 d'euros), soit une plus-value de 67 % par rapport au prix d'acquisition. Cette option fut levée fin 1994.
Après le placement en liquidation judiciaire des époux T. et de leurs sociétés, les liquidateurs ont recherché la responsabilité du Crédit Lyonnais et de la société Consortium de réalisation Créances (CDR), qui avait succédé à la SDBO. Ils ont, une première fois, obtenu gain de cause devant la cour d'appel de Paris qui, par un arrêt du 30 septembre 2005 (CA Paris, 30 septembre 2005, n° 96/12548 N° Lexbase : A6115DKP) a condamné les défendeurs à payer à Bernard T. 145 millions d'euros de dommages intérêts, pour manquement à leurs obligations de mandataire et pour avoir refusé d'octroyer au groupe Tapie les crédits qui lui auraient permis de tenter de vendre lui-même Adidas à Robert.-L. D., lui faisant perdre une chance de tirer un meilleur profit de la cession (2). Cet arrêt a pourtant été cassé en 2006, parce qu'il avait condamné le Crédit lyonnais pour exécution fautive du mandat, alors que seule la SDBO était mandataire, et au motif que les deux banques n'étaient pas tenues d'accorder au groupe Tapie les concours bancaires qu'il avait sollicités (3).
3. L'affaire avait été renvoyée devant la cour d'appel de Paris, autrement composée. Pourtant, plutôt que de plaider devant la cour de renvoi, les parties ont décidé de recourir à l'arbitrage, par compromis en date du 6 novembre 2007. Ce compromis visait non seulement le litige décrit ci-dessus mais aussi d'autres différends opposant les consorts T. et les sociétés du groupe Crédit Lyonnais. Le CDR réclamait notamment le remboursement d'un prêt consenti à la société Alain Colas Tahiti (ACT) pour la rénovation du Phocéa, tandis que les consorts T. poursuivaient la banque en responsabilité pour soutien abusif, rupture abusive de concours bancaire et réparation du préjudice causé par le placement du groupe Tapie en liquidation judiciaire (4).
L'arbitrage a abouti à une sentence du 7 juillet 2008 et à trois sentences supplémentaires du 27 novembre 2008. Ces sentences estiment que les banquiers ont engagé leur responsabilité pour manquement à leur obligation de loyauté et à l'interdiction de se porter contrepartie et les condamnent, en conséquence, à payer aux consorts T. 285 millions d'euros de dommages intérêts, dont 45 millions d'euros pour le seul préjudice moral, outre les intérêts, pour un total de 405 millions d'euros.
4. Le montant de la condamnation a surpris, notamment celui des dommages-intérêts accordés pour préjudice moral, qui paraissait astronomique. De plus, d'aucuns ont soupçonné assez vite des liens occultes entre l'un des arbitres, Bernard T. et ses conseils. Ces soupçons expliquent que, par la suite, les sentences aient donné lieu à de multiples procédures, devant le juge judiciaire et le juge administratif (5), dont deux seulement se poursuivent encore.
D'une part, une enquête préliminaire a été ouverte en juin 2011, puis convertie en instruction judiciaire en septembre 2012, pour escroquerie en bande organisée. Plusieurs personnes y sont mises en examen. Plus récemment, par un arrêt du 17 décembre 2015, la commission d'instruction de la Cour de justice de la République a renvoyé Mme Christine L., ministre de l'Economie à l'époque du prononcé des sentences, devant la Cour pour y être jugé du chef de destruction, détournement ou soustraction de biens ou fonds publics (C. pén., art. 432-16 N° Lexbase : L1922AM7). La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision (6). Bien évidemment, il ne s'agit que de renvoyer l'intéressée devant la formation de jugement : elle n'a pas été condamnée et elle est présumée innocente.
D'autre part, le CDR s'est finalement décidé à demander la révision des sentences arbitrales. Bien lui en a pris, puisque la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 17 février 2015, a constaté l'existence d'une fraude et a rétracté les sentences.
5. Il faut rappeler ici que la sentence arbitrale est une décision de justice, qui ne peut être critiquée qu'à travers les recours limitativement prévus par la loi, conformément à l'adage "voies de nullité n'ont lieu contre les jugements", dont le principe est également exprimé par l'article 460 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6570H7H). Les sentences arbitrales rendues en France peuvent toujours faire l'objet d'un recours en annulation (C. pr. civ., art. 1491 N° Lexbase : L1629ABX et 1518 N° Lexbase : L2784DZ7), sauf, en matière internationale, si les parties y ont renoncé (C. pr. civ., art. 1522 N° Lexbase : L2177IPC). Les sentences internes peuvent également faire l'objet d'un appel, si les parties l'ont expressément prévu (C. pr. civ., art. 1489 N° Lexbase : L2227IP8) (7). Néanmoins, ces recours doivent être exercés dans le mois qui suit la notification de la sentence (C. pr. civ., art. 1494, al. 2 N° Lexbase : L2226IP7 et 1519, al. 2 N° Lexbase : L2200IP8). En l'espèce, les sociétés CDR ont tenté, en 2013, d'obtenir l'annulation des sentences mais ce recours était irrecevable, comme introduit hors délai. Cela dit, les sentences arbitrales sont susceptibles de deux autres types de recours : la tierce opposition et le recours en révision.
La tierce opposition est ouverte aux tiers, contre toute sentence interne, pendant trente ans à compter de son prononcé. Elle peut même être exercée sans limitation de durée lorsqu'il s'agit de critiquer une sentence invoquée par une partie pendant une autre instance (C. pr. civ., art. 586 N° Lexbase : L6743H7U et art. 1501 N° Lexbase : L2219IPU). L'association "Contribuables Associés" a exercé un tel recours contre les sentences de 2008, devant le tribunal de commerce de Paris (8), qui s'est déclaré incompétent, avant que son jugement soit infirmé (9). Mais, en fin de compte, la tierce opposition a été rejetée par le tribunal de commerce de Paris (10), puis par la cour d'appel de Paris (11). Evidemment, le CDR, ayant été partie à l'arbitrage litigieux, ne pouvait pas exercer ce recours.
Il restait donc le recours en révision, par lequel le recourant demande la rétractation (C. pr. civ., art. 593) de la sentence, c'est-à-dire son anéantissement rétroactif. Ce recours est ouvert aux parties (C. pr. civ., art. 1502 N° Lexbase : L2214IPP), mais uniquement dans les circonstances suivantes (C. pr. civ., art. 595 N° Lexbase : L6752H79) :
- s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
- si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ;
- s'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
- s'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
Ce recours doit être exercé dans les deux mois suivant la date à laquelle le recourant à eu connaissance de la cause de révision invoquée (C. proc. civ., art. 596 N° Lexbase : L6753H7A). Le recours en révision a été très rarement employé à propos des sentences arbitrales mais un auteur avait annoncé, avec une clairvoyance certaine, que l'affaire "Tapie" "qui a déjà fait tant de mal à l'arbitrage, pourrait offrir à cette voie de recours un lustre spectaculaire, et peut-être exceptionnellement bienvenu" (12).
6. Pour exercer ce recours, c'était manifestement le premier cas de l'article 595 du Code de procédure civile que le CDR devait invoquer, puisqu'il soupçonnait son adversaire d'avoir eu des liens occultes avec un des arbitres. Encore fallait-il démontrer que ces liens dépassaient la seule absence d'indépendance et allaient jusqu'à l'existence d'un concert frauduleux entre les différents protagonistes. La cour d'appel de Paris, considérant que cette démonstration était faite, a, par son arrêt du 17 février 2015, déclaré le recours recevable et rétracté les sentences arbitrales.
Dès lors, le litige restait irrésolu, et la cour d'appel devait statuer au fond, ce qu'elle a fait par un second arrêt du 3 décembre 2015 (13). La cour y rejette les demandes de Bernard T., parce qu'il connaissait parfaitement le montage réalisé par son mandataire et y avait consenti pour permettre une vente plus rapide. En conséquence, Bernard T. est condamné à rembourser au CDR les sommes reçues en exécution des sentences, soit 405 millions d'euros ! Tout au plus la cour accorde-t-elle un euro de dommages intérêts à Bernard T. pour le préjudice moral causé par certaines procédures d'exécution jugées inutilement humiliantes.
7. Cela étant, les consorts T. avaient formé un pourvoi contre le premier arrêt de la cour d'appel de Paris, celui du 17 février 2015, qui rétractait la sentence. C'est précisément ce pourvoi que la décision commentée rejette. Le pourvoi articulait quatre moyens.
D'abord, les demandeurs au pourvoi reprochaient à la cour d'appel d'avoir déclaré le recours en révision recevable alors que, d'après eux, il aurait été exercé plus de deux mois après la découverte du fait considéré comme frauduleux. Ce moyen ne pouvait prospérer, puisque c'est souverainement que la cour d'appel a apprécié la question de fait consistant à savoir quand la fraude a été portée à la connaissance du CDR.
Ensuite, il était reproché à la cour d'appel d'avoir déclaré admissible des éléments issus du dossier de l'instruction. Ce moyen est également rejeté, parce que le secret de l'instruction n'est opposable ni au ministère public, ni aux parties civiles. Or, ici, ce sont eux qui avaient versé aux débats les pièces litigieuses. Cette solution n'est pas nouvelle (14).
Ensuite encore, le pourvoi soutenait que le recours en révision était irrecevable parce que les sentences auraient été internationales et, enfin, que la cour d'appel n'avait pas caractérisé une fraude imputable à l'une des parties. Le rejet de ces deux derniers moyens appelle un certain nombre d'observations, relatives au caractère interne des sentences arbitrales (I) et à la caractérisation de la fraude (II).
I - Le caractère interne des sentences arbitrales
8. Le caractère interne des sentences arbitrales était une condition de recevabilité du recours en révision (A). La Cour de cassation approuve la cour d'appel de leur avoir reconnu ce caractère et sa décision sur ce point marque le triomphe d'une conception restrictive de l'arbitrage international (B).
A - Une condition de recevabilité du recours en révision
9. Les sentences arbitrales litigieuses ayant été rendues en 2008, le recours en révision relevait du régime antérieur à la réforme opérée par le décret du 13 janvier 2011 (15). Sous l'empire des anciens textes, les sentences internationales ne pouvaient pas faire l'objet d'un recours en révision (C. pr. civ., anc. art. 1507 N° Lexbase : L2350ADE), à la différence des sentences internes (C. pr. civ., anc. art. 1491). Certes, le fameux arrêt "Fougerolle" (16), avait, contra legem, admis le recours en révision contre les sentences internationales en cas de fraude, en visant les principes généraux du droit en la matière. Toutefois, cet arrêt avait précisé que le recours en révision ne devait être admis que si le tribunal arbitral "demeur[ait] constitué après le prononcé de la sentence (ou p[ouvai]t être à nouveau réuni)".
Cette condition paraît assez naturelle car le recours en révision est normalement porté devant la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Pourtant, lorsque, comme dans l'affaire "Tapie", la fraude alléguée implique un des arbitres, il est inconcevable de porter le recours devant le tribunal arbitral ayant rendu la sentence. L'arbitre incriminé devrait alors, avec ses collègues, se prononcer sur la demande de rétractation et il serait juge et partie. Devant les juridictions de l'Etat, le problème pourrait être facilement résolu, parce qu'elles comprennent un grand nombre de magistrats. Celui mis en cause pourrait s'abstenir (C. pr. civ., art. 339 N° Lexbase : L2059H4Z), à défaut le demandeur pourrait le récuser (C. pr. civ., art. 341 N° Lexbase : L8424IRG), du seul fait qu'il aurait précédemment connu de l'affaire (C.O.J, art. L. 111-6, 5° N° Lexbase : L7807HNH) ou y aurait un intérêt personnel (C.O.J., art. L. 111-6, 1°). Mais, devant un tribunal arbitral, ces remèdes n'existent pas. On pourrait songer à demander au juge d'appui de récuser l'arbitre incriminé mais alors le tribunal arbitral qui connaîtrait du recours en révision ne serait plus celui ayant rendu la sentence.
Or, en matière d'arbitrage interne, l'ancien article 1491 du Code de procédure civile prévoyait que le recours en révision devait être porté devant la cour d'appel qui eût été compétente pour connaître des autres recours contre la sentence. Ainsi, suivant que la sentence était interne ou internationale, le recours en révision était ou non possible, devant la cour d'appel de Paris.
10. Celle-ci a conclu au caractère interne de la sentence. Avant de se pencher plus avant sur cette qualification, il convient de faire deux observations. En premier lieu, depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, portant réforme de l'arbitrage (N° Lexbase : L1700IPN), le Code de procédure civile autorise le recours en révision contre toutes les sentences arbitrales, qu'elles soient internes (C. pr. civ., art. 1502) ou internationales (C. pr. civ., art. 1506, 5° N° Lexbase : L2216IPR). Le recours est porté devant le tribunal arbitral. Si celui-ci ne peut plus être réuni et si la sentence est interne, le recours est porté devant la cour d'appel qui eût été compétente pour connaître des autres recours. Mais, en matière d'arbitrage international, le recours en révision demeure impossible lorsque le tribunal arbitral ne peut plus être réuni.
Toutefois, en second lieu, on pourrait imaginer de passer outre cette limite en admettant qu'une cour d'appel soit saisie d'un recours en révision contre une sentence internationale surprise par la fraude lorsque le tribunal arbitral ne peut en connaître. Le principe fraus omnia corrumpit pourrait justifier une telle solution, ainsi que le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et rattaché, par le Conseil constitutionnel, à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen (N° Lexbase : L1363A9D). Dans l'espèce commentée, le droit d'accès au juge ne supposait-il pas que les sociétés CDR pussent demander la révision de la sentence (17) ? Cela étant, la Cour de cassation n'a pas eu besoin de s'engager sur ce terrain, puisqu'elle a estimé que la sentence était interne.
B - Une conception restrictive de l'arbitrage international
11. En droit comparé, il existe deux conceptions de l'arbitrage international. Selon la conception juridique, empreinte de la philosophie des règles de conflits de lois, l'arbitrage est international dès lors que sa structure révèle un élément d'extranéité. On considérera alors qu'un arbitrage est international parce que le siège du tribunal arbitral ou le domicile des parties sont dans des Etats différents (18). Au contraire, selon l'approche économique, c'est le caractère international de l'opération sous-jacente, qui a donné lieu au litige arbitré, qui détermine le caractère international de l'arbitrage.
Cette dernière approche est celle du droit français (19). L'article 1504 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2217IPS) (C. pr. civ., anc. art. 1492 N° Lexbase : L6458H7C) indique qu'"est international l'arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international". La jurisprudence applique ce texte en s'inspirant de la doctrine "Matter", énoncée à propos des contrats internationaux (20), et décide qu'un arbitrage est international s'il porte sur "une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul Etat, une telle opération devant réaliser un transfert de biens, de services, de fonds, de technologies ou de personnel à travers les frontières" (21). Il faut ajouter que les parties ne peuvent pas modifier le caractère interne ou international d'un arbitrage, qui dépend uniquement de ce critère économique (22).
12. Or, en l'espèce, l'application de cette définition posait problème. Les trois différends tranchés par le tribunal arbitral portaient sur le mandat de vente de BT GMBH ; sur la responsabilité du CDR pour soutien abusif et rupture abusive de crédit ; sur le prêt consenti à la société Alain Colas Tahiti. Les deux derniers litiges étaient purement internes. En revanche, on pouvait se demander si le mandat de vente d'Adidas n'était pas une opération internationale, puisque la société vendue était allemande et certains des acquéreurs, luxembourgeois. Cette vente a manifestement entraîné des flux financiers à travers les frontières.
Ainsi, la qualification de l'arbitrage litigieux dépendait de la nature interne ou international du différend relatif au mandat de vente d'Adidas. Au fond, toute la question était de savoir si on devait considérer le mandat de manière isolée ou si on devait tenir compte de l'objet de la vente. Dans le premier cas, l'opération était interne à la France, puisque mandant et mandataire étaient français et que les échanges monétaires entre eux ont été cantonnés à la France. Dans le second cas, l'opération était internationale.
Or, dans ce genre de situations, la cour d'appel de Paris a eu tendance, par le passé, à adopter une vision d'ensemble, en décidant que devait être considéré comme international l'arbitrage portant sur un litige interne mais en lien avec une opération internationale. Par exemple, la même cour d'appel avait considéré qu'un arbitrage relatif à des licences de marques déposées en France et opposant deux sociétés françaises était international parce que l'une de ces sociétés étaient contrôlées par des Japonais et que la conclusion des licences s'inscrivaient dans le montage qu'ils avaient réalisés pour investir en France (23). De même, ont été qualifiés d'internationaux l'arbitrage relatif au contrat de sous-traitance conclu entre deux sociétés françaises pour l'exécution d'un marché à l'étranger (24) et l'arbitrage relatif à une police d'assurance conclue entre des assureurs français et une société française mais destinée à couvrir les risques encourues par la société française à l'occasion de la cession à une société algérienne des actions d'une autre société algérienne (25).
13. Dans l'affaire "Tapie", la cour d'appel de Paris a manifestement décidé de resserrer sa conception de l'arbitrage international, ce que la Cour de cassation approuve en rejetant le pourvoi. Pour la plus Haute juridiction de l'ordre judiciaire, il faut se placer à la date de signature de la convention d'arbitrage pour déterminer si les litiges qu'elle vise sont internes ou internationaux. Or, ici, lors de la signature du compromis, la vente d'Adidas avait déjà eu lieu, de telle sorte que le contentieux subsistant ne concernait plus que le mandat de vente lui-même. Celui-ci, pris isolément, était une opération interne : une banque française avait reçu, de la part d'un investisseur français, la mission de vendre ses parts dans une société ; les fonds recueillis par le mandataire français devaient être déposés sur des comptes bancaires ouverts en France par le mandant.
Autrement dit, pour la Cour de cassation, le fait que cet arbitrage ait pour fondement un compromis est décisif. Si le mandat de vendre Adidas avait contenu une clause compromissoire, celle-ci aurait porté sur une série d'opération ne se dénouant pas exclusivement en France, puisqu'elle aurait visé tous les litiges en rapport avec le mandat de vente, dont l'objet était une société allemande.
La solution ainsi retenue doit être approuvée. D'une part, l'arbitrage repose sur le consentement des parties qui acceptent d'y recourir à propos d'un contentieux bien délimité. Dès lors, pour qualifier l'arbitrage, il est impératif de se fonder sur la volonté des parties, exprimée au moment de la conclusion de la convention d'arbitrage. Les litiges, actuels ou éventuels, qu'elles entendaient soumettre à l'arbitrage étaient-ils susceptibles, à ce moment-là, de porter sur une opération interne ou transfrontalières ? D'autre part, la conception très extensive un temps prônée par la cour d'appel de Paris était excessive (26), étendant plus que de raison le domaine de l'arbitrage international qui jouit, en droit français, d'un régime extrêmement libéral. Celui-ci ne doit s'appliquer qu'aux véritables arbitrages internationaux (27).
II - La caractérisation de la fraude
14. L'article 595, 1° du Code de procédure civile autorise la révision d'une décision de justice "s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue". Le pourvoi reprochait à la cour d'appel de Paris de ne pas avoir suffisamment caractérisé la fraude et de n'avoir pas constaté que cette fraude était imputable aux consorts T., au profit desquels la sentence avait été rendue. La cour d'appel aurait simplement relevé quelques éléments montrant qu'un des arbitres avaient des liens avec une partie et ne les avaient pas révélés, et auraient affirmé, sans vraiment étayer cette affirmation, que cet arbitre avait exercé, sur ces collègues, une influence illégitime.
Il est vrai que, l'occultation, par l'arbitre, de liens l'unissant à une partie ou à son conseil ne suffit pas à établir l'existence d'une fraude car elle ne signifie pas nécessairement que l'arbitre a délibérément essayé, de concert avec cette partie, d'obtenir une sentence à elle favorable. Comment tracer la limite entre la fraude et la simple omission de révéler certaines circonstances de nature à créer un doute raisonnable sur l'indépendance et l'impartialité d'un arbitre ? Telle est la question posée par le pourvoi, auquel la Cour de cassation répond en retenant le critère, somme toute assez naturel, de l'intention de l'arbitre : il y a fraude lorsque c'est dans l'intention de favoriser une partie que l'arbitre cache certaines circonstances qu'il aurait dû révéler. Dès lors, il y a un concert frauduleux entre l'arbitre et une partie, qui justifie l'annulation de la sentence si la solution qu'elle a adoptée a été orientée par ce concert frauduleux.
15. La Cour de cassation explique ensuite que la cour d'appel, en vertu de son pouvoir souverain d'appréciation, a caractérisé ici l'intention d'un des arbitres de cacher les liens qui l'unissait à Bernard T. et à son conseil en vue de favoriser cette partie. La cour d'appel a constaté l'existence de manoeuvres dolosives et, de la part de l'arbitre incriminé, un comportement ayant eu pour effet de lui donner une importance prépondérante dans les délibérations du tribunal arbitral et de marginaliser les autres arbitres. Ainsi, la cour d'appel a pu considérer que cet arbitre avait agi de connivence avec les consorts T., de telle sorte que la sentence avait été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle avait été rendue, ce qui au regard de l'article 595, 1°, du Code de procédure civile, justifiait sa rétractation.
(1) Sur cet arrêt, v. D., 2015, p. 1253, nos obs. ; D., 2015, p. 425, éditorial Th. Clay ; Dalloz actualité, 20 février 2015, obs. X. Delpech ; D., 2015, p. 439 ; JCP éd. G, 2015, 289, note S. Bollée ; Gaz. Pal., 3/4 avril 2015, p. 17, note M. Boissavy ; Procédures, 2015, étude n° 4, note L. Weiller ; Economie matin, 9 mars 2015, nos. obs. ; Le Cercle / Les Echos, 26 mars 2015, nos. obs..
(2) CA Paris, 30 septembre 2005, n° 96/12548, D., 2005, p. 2945, note X. Lagarde ; D., 2005, p. 2740, obs. X. Delpech ; RTDCom., 2006, p. 175, obs. D. Legeais ; JCP éd. E, 2005, 1617, note A. Viandier ; Dr. et patr., 1er septembre 2006, n° 151, p. 84, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm ; Lexbase éd. priv., n° 195, 2005, obs. D. Mancel (N° Lexbase : N2208AKY).
(3) Ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A6865DRP), Bull. civ., AP, n° 11 ; D., 2006, p. 2933, note D. Houtcieff ; D., 2006, p. 2525, obs. X. Delpech ; D., 2007, p. 753, obs. D. Martin et H. Synvet ; JCP éd. G, 2006, II, 10175, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2006, 2618, note A. Viandier, Bull. Joly, 1er janvier 2007, p. 57, note F.-X. Lucas ; RDBF, 1er novembre 2007, p. 91, note D. Valette ; RDBF, 1er novembre 2006, p. 13, note Th. Samin et F.-J. Crédot ; RTDCiv., 2007, p. 115, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTDCiv., 2007, p. 148, obs. P.-Y. Gautier ; RTDCom., 2007, p. 207, obs. D. Legeais ; Cah. dr. sport, 1er novembre 2006, p. 177, note F. Buy.
(4) Pour une énumération des litiges visés par le compromis, voir M. Boissavy, note précitée, p. 20.
(5) Not., un recours pour excès de pouvoir contre la décision de la ministre de l'Economie autorisant le recours à l'arbitrage. V. L. Mauduit, "Les dix procédures judiciaires de l'affaire Lagarde/Tapie", Mediapart, 6 juillet 2011. Pour une chronologie des différentes procédures postérieures aux sentences, v. aussi le site internet des Echos.
(6) Ass. plén., 22 juillet 2016, n° 16-80.133, P+B+R+I (N° Lexbase : A7470RXX)
(7) Avant la réforme opérée par le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 (N° Lexbase : L1700IPN), l'appel était possible, sauf dérogation expresse des parties, à moins que les arbitres n'aient été chargés d'une mission d'amiable compositeurs, auquel cas l'appel était impossible, sauf stipulation contraire des parties (C. pr. civ., anc. art. 1482).
(8) T. com. Paris, 19 octobre 2010, n° 2009015655.
(9) CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 5 mai 2011, n° 10/21344 (N° Lexbase : A7968HRK).
(10) T. com. de Paris, 9 mai 2012, n° 2009015655.
(11) CA Paris, 4 juin 2013, n° 2009015655.
(12) Th. Clay, Le fabuleux régime du recours en révision contre les sentences arbitrales, précité, n° 16.
(13) CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 3 décembre 2015, n° 13/13278 (N° Lexbase : A5210NYM), JCP éd. G, 2015, p. 2399, obs. M. de Fontmichel. V. aussi nos. obs. Décryptage de la décision Tapie, Le Monde du droit, 14 janvier 2016, "Affaire 'Tapie' : les conséquences de la rétractation d'une sentence arbitrale pour les entreprises", L'Usine nouvelle, avril 2016.
(14) En ce sens, v. déjà : Cass. com., 15 novembre 1961, n° 59-11.938 (N° Lexbase : A1011RZH), Bull. civ., IV, n° 415 ; Cass. civ. 1, 10 juin 1992, n° 91-17.028 (N° Lexbase : A5964AHD), Bull. civ., I, n° 176.
(15) Décret n° 2011-48, précité. V. dispositions transitoires, art. 3, 2° : les textes nouveaux sont applicables seulement si le tribunal arbitral a été constitué après le 1er mai 2011.
(16) Cass. civ. 1, 25 mai 1992, n° 90-18.210 (N° Lexbase : A5416AH3), Bull. civ., I, n° 149 ; Rev. arb. 1993, p. 91 et obs. M. de Boisséson, p. 3 ; JDI, 1992, p. 974, note E. Loquin ; RCDIP, 1992, p. 699, note B. Oppetit ; RTDCiv., 1992, p. 201, obs. R. Perrot ; Yearb. Com. Arb., 1994, p. 205.
(17) En ce sens, v. Bollée, note précitée.
(18) V. not. la loi suisse de droit international privé, art. 176 ; v. aussi la loi type CNUDCI sur l'arbitrage commercial international, art. 1, § 3.
(19) C'est aussi l'approche américaine : v. 9 USC § 1.
(20) Cass. civ. 1, 17 mai 1927, DH, 1928, p. 25, concl. Matter et note Capitant.
(21) V. not. Cass. civ. 1, 20 novembre 2013, n° 12-25.266, F-P+B (N° Lexbase : A0475KQN), D., 2013, p. 2785, obs. X. Delpech ; RTDCiv., 2014, p. 107, obs. H. Barbier ; Rev. arb., 2014, p. 383, note D. Bureau ; JCP éd. G, 2013, 1391, spéc. n° 2, obs. C. Seraglini ; JCP éd. G, 2013, 256, spéc. n° 10, obs. C. Nourissat ; Procédures, 2014, comm. n° 49, note L. Weiller ; JCP éd. G, 2014, 57, note B. Le Bars ; Gaz. Pal., 8 mars 2014, p. 13, obs. D. Bensaude ; Cass. civ. 1, 30 mars 2004, n° 02-12.259, F-P (N° Lexbase : A7489DBY), Bull. civ. I, n° 97, D., 2004, p. 2458, note Najjar ; D., 2005, pan., p. 3053, obs. Th. Clay ; RTDCom., 2004, p. 447 ; obs. E. Loquin ; Rev. arb., 2005, p. 115, note Boucobza ; JCP éd. E, 2005, 676, n° 3, obs. Ch. Seraglini ; Cass. civ. 1, 3 juin 2003, n° 01-16.867, F-D (N° Lexbase : A9365C7Y), JCP éd. G, 2004, I, 119, spéc. n° 5, obs. J. Ortscheidt ; CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 7 octobre 2014, n° 13/05894 (N° Lexbase : A8635MX4), D., 2014, p. 2554, obs. Th. Clay ; Gaz. Pal., 22 novembre 2014, p. 20, obs. D. Bensaude ; CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 5 mars 2013, n° 11/13246 (N° Lexbase : A0024I9R), Rev. arb., 2013, p. 528 ; CA Paris, 14 juin 2001, n° 1999/23515 (N° Lexbase : A5610EKY), Rev. arb., 2001, p. 773, note Ch. Seraglini et p. 805, obs. Y. Derains ; CA Paris, 28 janvier 1988, Rev. arb. 1988, p. 565 et obs. J.-L. Goutal, p. 439.
(22) Cass. civ. 1, 20 novembre 2013, précité ; Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 04-10.970, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6573DUY), Bull. civ. I, n° 102, D. 2007, AJ, p. 949, obs. X. Delpech ; D., 2008, p. 180, obs. Th. Clay ; JCP éd. G, 2007, act., 135, obs. J. Ortscheidt ; Petites affiches, 25 septembre 2007, p. 7, obs. S. Ben Reguiga ; Rev. arb. 2007, p. 50, note L. Jaeger ; Rev. crit. DIP, 2007, p. 455, note D. Bureau.
(23) CA Paris, 5 avril 1990, Rev. crit. DIP, 1991, p. 580, note C. Kessedjian ; Rev. arb. 1992, p. 117, note H. Synvet.
(24) CA Paris 10 septembre 1997, n° 97/07772 (N° Lexbase : A5710DHX), Rev. arb. 1999, p. 121, obs. D. Bureau. Adde, Cass. civ. 1, 8 mars 1988, n° 86-12015 (N° Lexbase : A7680AAP), Bull. civ. I, n° 65.
(25) CA Paris, 20 juin 1996, n° 94/26063 (N° Lexbase : A9819RYC).
(26) V. C. Kessedjian, note sous CA Paris, 5 avril 1990, précitée.
(27) En ce sens, v. note S. Bollée précitée.
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