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N4147BWI
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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
le 23 Mars 2018
Comme souvent, l'actualité jurisprudentielle concerne principalement le cautionnement.
Donneur d'aval et caution. Pendant longtemps, la notion d'aval était considérée comme une application du cautionnement, à ce domaine particulier que sont les engagements cambiaires. En 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur cette idée, en affirmant que l'exigence de proportionnalité requise en matière de cautionnement ne pouvait être invoquée par un donneur d'aval, les règles propres au droit du change n'étant pas celles propres au cautionnement (1). La Chambre commerciale (Cass. com., 28 juin 2016, n° 14-23.836, F-D N° Lexbase : A1929RWD) partage cette analyse, en décidant que le donneur d'aval n'est "pas fondé à invoquer le devoir de mise en garde des établissements de crédit ni la disproportion prétendue de son engagement, dont les cautions peuvent se prévaloir/". Ainsi, outre l'exigence de proportionnalité, le devoir de mise en garde dont profite la caution ne bénéficie pas non plus à l'avaliste. La solution est cohérente au regard de l'analyse de la Cour : à partir du moment où elle considère que les règles propres au cautionnement sont étrangères à l'aval, il est logique que toutes ces règles soient exclues (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8827AGZ).
Notion de caution avertie. La notion de caution avertie continue d'alimenter un contentieux stérile. Dans un arrêt du 22 mars 2016, la Cour de cassation a reproché à une cour d'appel (CA Reims, 30 avril 2013, n° 13/07023 N° Lexbase : A9060KCK) d'avoir déduit la qualité de caution avertie de la seule qualité de gérant et associé de la société débitrice principale (Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-20.216, FS-P+B N° Lexbase : A3599RAK). Depuis quelques années, la Cour de cassation apprécie le caractère averti de la caution de manière subjective, s'intéressant davantage à l'expérience de la caution qu'à sa qualité et ses fonctions. Ainsi, la qualification de caution avertie ne peut reposer sur le seul fait que la caution est dirigeante et/ou associée (2). Les juges du fond doivent en outre déterminer si elle possède les connaissances et les compétences suffisantes (3). Ainsi qu'il a été pertinemment relevé (4), davantage que les connaissances, ce qui compte véritablement est la compréhension par la caution de la portée de son engagement, au regard des connaissances dont elle dispose (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8617D3K).
Information annuelle, preuve. De nombreux textes mettent à la charge du créancier une obligation annuelle d'information de la caution, quant au montant des sommes restant dues par le débiteur. Les deux textes les plus invoqués par les cautions sont, à ce sujet, les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2501IXW) et L. 333-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1160K74 ; C. consom., art. L. 341-6, anc. N° Lexbase : L5673DLP). Une difficulté revenant régulièrement est celle de la preuve de l'exécution de cette obligation par le créancier. De longue date, la jurisprudence estime que l'établissement de crédit doit justifier de l'envoi des lettres d'information annuelle (5), mais n'a en revanche pas à prouver leur réception effective par la caution (6). Mais comment prouver l'envoi des lettres d'information ? A la lecture de deux arrêts des 9 février et 5 avril 2016, une chose est sûre : pour la Cour de cassation, la seule production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi (Cass. com., 9 février 2016, n° 14-22.179, FS-P+B N° Lexbase : A0236PLC ; Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-20.908, F-D N° Lexbase : A1557RCN). Cette solution, répétée deux fois en l'espace de deux mois, n'est pas à l'abri de la critique. En effet, si la banque peut fournir une copie du courrier d'information, c'est qu'elle l'a édité. On perçoit alors difficilement pourquoi, se donnant la peine (relative) d'éditer le courrier, elle ne l'aurait pas envoyé à la caution : le plus dur était fait (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8178CDA).
Proportionnalité. Le lecteur se souviendra certainement que dans le précédent panorama de droit des sûretés (7), était présentée une divergence de positions entre diverses cours d'appel, sur le point de savoir si la sous-caution peut se prévaloir, ou non, de la disproportion de son cautionnement envers la caution. Les cours d'appel de Paris (8) et de Nancy (9) ont répondu par la positive, estimant que la caution s'était engagée dans le cadre de son activité professionnelle, et qu'elle avait vocation à devenir créancière du débiteur dans le cadre de son recours après paiement (celui que garantit la sous-caution). Ces juridictions estimaient donc justifié de lui reconnaître la qualité de créancier professionnel et d'appliquer l'ancien article L. 341-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8753A7C ; désormais, C. consom., art. L. 343-4 N° Lexbase : L1103K7Y) au profit de la sous-caution. Au contraire, la cour de Lyon (10) avait jugé que la caution n'étant intervenue au contrat de prêt que comme caution, et non comme établissement financier dispensateur de crédit, elle n'avait pas la qualité de créancier au moment du cautionnement. La cour d'appel d'Amiens (CA Amiens, 7 juillet 2016, n° 14/05361 N° Lexbase : A6854RWR) a opté pour la position des cours de Paris et Nancy, position, rappelons-le, la plus cohérente. Vivement l'opinion de la Cour de cassation (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E7179E9R) !
Concentration des moyens. En 2006, un important arrêt, rendu en Assemblée plénière, posait en principe "qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci" (11). Ce principe, dit de la concentration des moyens, fut logiquement appliqué à la caution (12). Ainsi, lorsqu'elle entend obtenir le rejet total ou partiel de la demande du créancier, la caution doit présenter l'intégralité des arguments dont elle entend se prévaloir: vice du consentement, violation du devoir de mise en garde, défaillance d'une mention manuscrite, disproportion de l'engagement, défaut d'information, bénéfice de subrogation, etc.. Cette exigence a été récemment rappelée par la Cour de cassation (Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-23.167, F-D N° Lexbase : A3731RAG). Même si certains ont tenté de le combattre sur le terrain des droits fondamentaux (13), le principe de la concentration des moyens est parfaitement fondé : il permet d'éviter des actions successives, au fur et à mesure que la caution et son conseil découvrent un nouveau pan du droit du cautionnement. La caution n'est en outre pas totalement démunie : elle peut éventuellement agir contre son conseil, sur le terrain de la responsabilité civile professionnelle, si elle estime qu'il a négligé des moyens pertinents (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E4639EUD).
Action du créancier. Dans un arrêt rendu en juin 2016, la Cour de cassation a eu l'occasion de rappeler la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement, et ses conséquences pratiques (Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n° 15-19.993, F-D N° Lexbase : A2380RUP). Dans cette espèce, le créancier avait poursuivi les cautions plus de deux ans après l'extinction de leur obligation de couverture. La cour d'appel (CA Montpellier, 26 mars 2015, n° 13/00207 N° Lexbase : A3708NE3) avait prononcé la nullité de ces actes de poursuite, en considérant que la demande du créancier était par trop tardive. La Cour de cassation casse cette décision, en retenant que le fait que le créancier ait introduit son action après la date limite de l'engagement de caution était sans incidence sur l'obligation de la caution, à une double condition : que la dette du débiteur soit antérieure à cette date limite (ce qui était le cas) et que l'acte de cautionnement ne comporte aucune disposition restreignant dans le temps le droit de poursuite du créancier (ce qui était également le cas). Ce faisant, la Cour rappelle une règle de base du droit du cautionnement : dès lors qu'une dette naît durant la période de couverture de la caution, cette dernière assume une obligation de règlement à son sujet, quelle que soit la date d'action du créancier (réserve faite, évidemment, de la prescription). La règle s'explique simplement : l'extinction de l'obligation de couverture ne provoque pas celle de l'obligation de règlement (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8888AGB).
II - Sûretés réelles
En matière de sûretés réelles, c'est surtout le gage des stocks qui a fait l'actualité du premier semestre de l'année 2016, même si la Cour de cassation a rendu deux décisions intéressantes au sujet de l'hypothèque.
Gage des stocks. Cette sûreté a connu quelques turbulences durant ces dernières années (14). Le début de l'année 2016 a certainement vu l'épilogue de cette situation tragi-comique. L'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 (N° Lexbase : L3474KYC) présente un double mérite (15). D'une part, elle a mis un terme aux divergences jurisprudentielles opposant notamment la Cour de cassation et la cour d'appel de Paris, en décidant que les parties demeurent libres de recourir au gage des stocks ou au gage de meubles corporels de droit commun (C. com., art. L. 527-1, al. 4 N° Lexbase : L3926KY3). D'autre part, l'ordonnance a considérablement simplifié le régime juridique du gage des stocks, tant dans sa constitution que dans ses effets, en le rapprochant du gage de droit commun (C. com., art. L. 527-1 et s.).
Postérieurement à cette ordonnance, la Cour de cassation (Cass. com., 1er mars 2016, n° 14-14.401, FS-P+B N° Lexbase : A0686QY3) a apporté une dernière précision quant à l'articulation entre gage de droit commun et gage spécial des stocks. Une cour d'appel (CA Amiens, 26 septembre 2013, n° 12/05024 N° Lexbase : A7654KL3), se fiant à la position de la Cour de cassation consistant à refuser que des stocks soient grevés par un gage de droit commun, avait considéré comme nul un gage sur stocks dans lequel les articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce n'avaient pas été respectés (et notamment le formalisme alors requis). La Cour de cassation casse cette décision, en affirmant que "les dispositions des articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce s'appliquent seulement au gage des stocks sans dépossession et ne font pas obstacle à ce que, pour un gage des stocks avec dépossession, les parties, dont l'une est un établissement de crédit, soumettent leur contrat au droit commun du gage de meubles". Ainsi donc, les parties pouvaient, avant même l'entrée en vigueur du nouvel article L. 527-1 du Code de commerce, soumettre leur gage sur stocks au droit commun, à condition de le constituer avec dépossession du débiteur. Cette décision, avec les nouveaux textes, ne présente plus grand intérêt (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E0981E99).
Hypothèque. Les arrêts intéressants en matière hypothécaire ne sont pas toujours très nombreux. Raison de plus pour se réjouir que le premier semestre 2016 nous en livre deux.
Dans une première décision (Cass. civ. 3, 7 janvier 2016, n° 14-18.360, FS-P+B N° Lexbase : A3929N3W), la Cour rend une solution parfaitement fondée à propos du périmètre du droit de suite du créancier hypothécaire. En l'espèce, un immeuble placé en régime de copropriété avait été vendu. L'acheteur ne payant pas ses charges de copropriété, le syndicat des copropriétaires poursuivait la vente forcée de l'immeuble. Or, la vente ayant entre-temps été résolue, l'immeuble avait été restitué au vendeur, en raison de la rétroactivité de la résolution. Le syndicat justifiait sa saisie de l'immeuble par le droit de suite : selon son argumentation, le vendeur redevenu propriétaire n'était qu'un tiers détenteur, et le droit de suite attaché à l'hypothèque lui permettait de saisir l'immeuble entre ses mains. La Cour de cassation, en rejetant cette prétention, ne s'y est pas trompée. Par l'effet rétroactif de la résolution, la vente est censée n'avoir jamais eu lieu. Par conséquent, toute sûreté née du chef de l'acheteur doit s'analyser en sûreté constituée sur la chose d'autrui, et n'être point valable (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8487EPZ).
Dans une seconde décision (Cass. civ. 3, 31 mars 2016, n° 14-25.604 N° Lexbase : A1609RB9), la Cour fait une application intéressante de la fraude paulienne dans une hypothèse de bail commercial conclu dans un immeuble hypothéqué. Une banque, titulaire d'une hypothèque conventionnelle, avait délivré et publié un commandement de payer valant saisie immobilière. Postérieurement à cet acte, la SCI débitrice avait consenti un bail commercial. En lui-même, ce bail n'est pas condamnable, puisque le constituant de l'hypothèque n'est pas privé pour autant de ses prérogatives de propriétaire. Il est de jurisprudence constante, depuis plus d'un siècle (16), que le constituant hypothécaire peut donner l'immeuble grevé à bail, la seule limite résidant dans la durée du bail : si elle est supérieure à douze ans (c'est-à-dire que le bail est soumis à publicité), le bail sera inopposable au créancier pour la période postérieure aux douze premières années. La Cour de cassation ne trouve rien à redire à la conclusion de ce bail en elle-même. Elle censure pourtant la décision de la cour d'appel, sur le fondement de l'article 1167 du Code civil (N° Lexbase : L1269ABM). Elle reproche en effet aux juges du fond (CA Amiens, 3 juillet 2014, n° 12/03710 N° Lexbase : A4855MSM) de ne pas avoir recherché "si les termes et conditions du bail ne constituaient pas, de la part du débiteur, un acte d'appauvrissement de nature à priver d'efficacité l'inscription hypothécaire conventionnelle de la banque sur l'immeuble". La solution mérite d'être approuvée: l'existence d'un bail commercial peut dissuader de nombreux enchérisseurs potentiels. Le montant de l'adjudication risque fort d'en être diminué d'autant. Il importe donc de rechercher si le constituant de l'hypothèque n'a pas souhaité diminuer la valeur de l'immeuble grevé (ce qui est un acte d'appauvrissement), en vue de frauder les droits du créancier hypothécaire. Si tel est le cas, une action paulienne serait évidemment envisageable (cf. l’Ouvrage "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8451EPP).
(1) Cass. civ. 1, 19 décembre 2013, n° 12-25.888, F-P+B (N° Lexbase : A7415KSG), D., 2014, p. 518, note J. Lasserre-Capdeville et G. Piette ; F. Julienne, Lexbase, éd. aff., 2014, n° 366 (N° Lexbase : N0318BUC).
(2) V. par ex., Cass. com., 3 février 2009, n° 07-19.778, FS-D (N° Lexbase : A9484ECA) ; Cass. com., 30 mars 2010, n° 09-66.203, F-D (N° Lexbase : A4165EUS) ; Cass. com., 11 avril 2012, n° 10-25.904, FS-P+B (N° Lexbase : A5949II8), RD banc. et fin. mai 2012, p. 54, obs. D. Legeais.
(3) Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-24.694, F-D (N° Lexbase : A8875IBC), JCP éd. G, 2012, 626, n° 5, obs. Ph. Simler ; Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-25.967, F-D (N° Lexbase : A8640IXB), Gaz. Pal., 13 décembre 2012, p. 13, obs. Ch. Albigès ; Cass. com., 13 novembre 2012, n° 11-24.178, F-D (N° Lexbase : A0318IX3) ; Cass. civ. 1, 27 février 2013, n° 12-13.950, F-D (N° Lexbase : A3086I98), JCP éd. G, 2013, 585, n° 6, obs. Ph. Simler.
(4) Ch. Albigès, obs. Gaz. Pal., 21 juin 2016, p. 28.
(5) Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-17.634, F-D (N° Lexbase : A2323EBN).
(6) Cass. com., 17 octobre 2000, n° 97-18.746 (N° Lexbase : A7655AHY), D., 2001, somm. p. 698, obs. L. Aynès ; Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-18.413, FS-P+B (N° Lexbase : A5540KIZ).
(7) Nos obs., in Pan., Lexbase, éd. aff., 2016, n° 451 (N° Lexbase : N0906BWH).
(8) CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 21 mai 2015, n° 12/03599 (N° Lexbase : L8753A7C).
(9) CA Nancy, 26 février 2015, n° 13/03266 (N° Lexbase : A2715NCK).
(10) CA Lyon, 15 octobre 2015, n° 14/03568 (N° Lexbase : A3666NTX).
(11) Ass. plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, P+B+R+I (N° Lexbase : A4261DQU), RTDCiv., 2006, p. 825, obs. R. Perrot.
(12) Cass. civ. 1, 1er juillet 2010, n° 09-10.364, F-P+B+I (N° Lexbase : A5810E3L), D., 2011, p. 265, obs. N. Fricero.
(13) Notamment le droit d'accès à un tribunal : argumentation rejetée par CEDH, 17 mars 2015, Req. 12686/10 (N° Lexbase : A2538NG4), JCP éd. G, 2015, 670, note C. Bléry, qui y voit un objectif légitime ; A. Donnier, Lexbase, éd. privée, 2015, n° 614 (N° Lexbase : N7514BUT).
(14) Nos obs., in Pan., préc. note 7.
(15) Nos obs., Lexbase, éd. aff., 2016, n° 454 (N° Lexbase : N1251BWA).
(16) Cass. req., 8 avril 1863, DP 1863. 1. 411.
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