Réf. : CA Toulouse, 12 juillet 2016, n° 16/02166 (N° Lexbase : A1144RXN)
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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy
le 08 Septembre 2016
Mais voici deux confrères qui avaient manifestement perdu de vue l'un des principaux commandements de la profession, leurs relations étant larvées d'une particulière animosité depuis de longues années... Me Z., avocat au barreau de Lozère, a dénoncé, par courriers adressés au procureur général près la cour d'appel de Nîmes les 21 février et 7 mars 2012, des faits de blanchiment de capitaux qu'aurait commis son confrère au barreau de la Lozère, Me C., avocat inscrit audit barreau. Les choses se sont encore envenimées lorsqu'au mois de juin 2012, Me Z. a saisi le procureur de la République de Mende de faits de violences qu'il aurait subis de la part de Me C. et dont il a fait part à des journalistes qui ont relaté l'incident dans la presse locale. Entretemps, Me Z. avait reconnu devant le conseil de l'Ordre que les faits dénoncés étaient imaginaires. Quelques jours plus tard, il a écrit au procureur de la République pour revenir sur sa plainte et à Me C. pour lui présenter ses excuses. Les choses paraissaient en rester là et le calme semblait revenu sur le barreau de la Lozère, mais en apparence seulement... car quelques mois plus tard, soit le 23 avril 2013, Me Z. a encore dénoncé au Bâtonnier un harcèlement réalisé par Me C. en... 1996 ! Pour le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de la Lozère, ces nouvelles accusations étaient manifestement de trop ! Le 12 septembre 2013, il a saisi le Conseil régional de discipline pour l'ensemble des faits dénoncés en 2012 et en 2013. Aussi, faut-il rappeler à cet endroit que Me Z. avait, quelques jours plus tôt, fait l'objet d'une autre sanction disciplinaire, pour d'autres faits, prononcée par le Conseil régional de discipline le 4 septembre 2013, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 11 décembre 2014, avec une interdiction d'exercer pendant un an avec sursis.
Le 22 mars 2014, le Conseil régional de discipline des avocats du ressort de la cour d'appel de Nîmes a déclaré Me Z. coupable de diffusion dans la presse de fausses déclarations contre des confrères, de fausses accusations contre Me C. d'opérations illicites de blanchiment, de fausses accusations contre certains confrères de violences volontaires sur sa personne. En répression, il a prononcé à l'encontre de Me Z. une interdiction temporaire d'exercice de la profession d'avocat pendant trois ans, assortie d'un sursis partiel d'un an. Par un arrêt en date du 11 décembre 2014, la cour d'appel de Nîmes a confirmé la décision déférée. Cependant, cet arrêt a été cassé par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme au double motif qu'il n'avait pas été constaté par les juges du fond que le conseil de Me Z. ait eu la parole en dernier et qu'il n'était pas davantage établi par l'arrêt que les réquisitions écrites du procureur général près la cour d'appel de Nîmes lui ait été communiquées avant l'audience.
La cause a ainsi été renvoyée devant la cour d'appel de Toulouse. Aux termes de ses conclusions déposées devant la cour de renvoi, Me Z. a notamment fait valoir que les faits seraient couverts par la prescription et qu'il aurait été impossible de réitérer les poursuites concernant les dénonciations imaginaires commises en 2012. Ces arguments ne sont toutefois par retenus par la cour d'appel de Toulouse qui confirme la décision entreprise le 22 mars 2014 par le Conseil régional de discipline des avocats du ressort de la cour d'appel de Nîmes, condamnant Me Z. à une interdiction temporaire d'exercice de la profession d'avocat pendant trois ans assortie d'un sursis partiel d'un an.
Les déboires de Me Z. auront sans doute donné une image déplorable du barreau de la Lozère dans la presse locale. Ils auront cependant eu le mérite d'apporter leur lot de précision sur le régime des poursuites disciplinaires des avocats. Positivement, il est désormais acquis, au regard de l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 février 2016 (Cass. civ. 1, 17 février 2016, n° 15-15.043, F-D N° Lexbase : A4686PZL), que le conseil de l'avocat poursuivi doit avoir la parole en dernier et doit avoir connaissance des réquisitions écrites du Parquet général. Négativement, et c'est l'apport de l'arrêt commenté, les poursuites disciplinaires des avocats ne peuvent être couvertes par la fin de non-recevoir tirée d'une éventuelle prescription (I) et l'autorité de poursuites disciplinaires n'a pas l'obligation de regrouper les différents manquements en une seule et même poursuite disciplinaire (II).
I - Absence de prescription des faits
Le premier mérite de l'arrêt commenté est de rappeler que les poursuites disciplinaires dirigées contre un avocat sur le fondement de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) ne peuvent être couvertes par une prescription extinctive.
Il est indéniable que le régime des poursuites disciplinaires des avocats est désormais plus respectueux des droits du confrère poursuivi. A cet égard, tous ont encore en mémoire que cette procédure disciplinaire a été, sur plusieurs aspects, jugée contraire au principe du procès équitable de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR) (pour la participation de l'avocat ayant mené l'enquête préalable et du Bâtonnier au délibéré, Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, deux arrêts, n° 96-19.291 N° Lexbase : A9752A7C et n° 97-15.277 N° Lexbase : A5194AWB, RTDCiv., 2000, p. 618 et s., obs. J. Normand). La présente affaire en témoigne aussi puisque la cour d'appel de Nîmes avait été censurée pour ne pas avoir veillé à ce que le conseil de l'avocat poursuivi ait la parole en dernier et pour ne pas avoir veillé à ce que les réquisitions du Parquet général lui aient été effectivement communiquées (Cass. civ. 1, 17 février 2016, n° 15-15.043, F-D, précité).
Pour autant, il ne faudrait pas en déduire que l'intégralité des garanties, habituellement rencontrées dans le cadre des poursuites de nature répressive, seraient reconnues par la loi du 31 décembre 1971 et par le décret du 27 novembre 1991. Ainsi, le mécanisme de la prescription extinctive n'est pas consacré par les textes applicables à la discipline de la profession d'avocat, ce qui est particulièrement surprenant puisqu'il est aujourd'hui généralement admis que le pouvoir de répression ne peut plus s'exercer lorsqu'un délai suffisamment long sépare la commission des faits de la décision de poursuivre. Les exemples sont divers et variés, de sorte que l'on peut citer, pêle-mêle, la prescription de l'action publique en matière pénale (C. pr. pén. art. 6 N° Lexbase : L9881IQZ à 9), la prescription des poursuites disciplinaires de l'employeur (C. trav., art. L. 1332-2 N° Lexbase : L5820ISD) ou encore la prescription des poursuites disciplinaires au sein d'un établissement pénitentiaire (C. pr. pén., art. R. 57-7-15 N° Lexbase : L0237IPH).
On considère généralement que ce mécanisme de prescription extinctive, empêchant le titulaire du droit de sanctionner d'exercer ses prérogatives, "repose généralement sur l'idée qu'au bout d'un certain délai, dans un intérêt de paix et de tranquillité sociale, mieux vaut oublier l'infraction qu'en raviver le souvenir. La paix sociale commande également qu'un voile soit jeté sur l'impuissance des autorités judiciaires à poursuivre en temps normal" (Ch. Courtin, Rép. pén. Dalloz, v° Prescription, n° 3). Pareille justification, empruntée au droit pénal, pourrait également correspondre à la nature du contentieux de la profession d'avocat. On peut avancer qu'au bout d'un certain délai, la paix sociale est revenue au sein du barreau et que les querelles du passé, qui n'ont point attiré l'attention de l'autorité ordinale en temps utiles, n'ont pas besoin d'être ravivées... Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la loi du 31 décembre 1971 et le décret du 27 novembre 1991 n'ont prévu aucun mécanisme de prescription extinctive. Dès lors, la cour d'appel de Toulouse devait nécessairement être approuvée en son raisonnement, d'où il résulte que "la cour d'appel souligne également qu'il n'existe pas de prescription en matière disciplinaire".
II - Absence d'obligation de regrouper les poursuites
L'arrêt rendu par la cour d'appel de Toulouse comporte ensuite un second enseignement en affirmant -et bien que la solution se laissait aisément deviner- qu'aucun principe inscrit dans la loi du 31 décembre 1971 ou dans le décret du 27 novembre 1991 n'oblige l'autorité de poursuite disciplinaire à regrouper l'ensemble des manquements reprochés à un confrère dans le cadre d'une unique procédure.
Il convient de rappeler que le confrère avait fait l'objet d'une précédente sanction disciplinaire prononcée par le Conseil régional de discipline le 4 septembre 2013, confirmée par arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 11 décembre 2014 (CA Nîmes, 11 décembre 2014, n° 14/02172 N° Lexbase : A2302M7E) avec une interdiction d'exercer pendant un an avec sursis. C'est dire qu'à la date du 23 avril 2013 où Me Z. avait dénoncé la seconde série de faits de harcèlement au Bâtonnier du barreau de Lozère, ce dernier savait probablement que le Conseil régional de discipline était saisi d'une autre procédure disciplinaire à l'encontre de Maître Z... Tirant donc les exactes conséquences juridiques de l'absence de précision de la loi du 31 décembre 1971 et du décret du 27 novembre 1991 concernant l'obligation de regrouper les poursuites en cas de réitération de faits, la décision de la cour d'appel de Toulouse peut aboutir, en définitive, à des solutions particulièrement injustes. Gardons à l'esprit que la multiplicité des poursuites peut, mécaniquement, donner lieu à une multiplicité de sanctions tandis que le regroupement des poursuites permet le prononcé d'une seule et unique sanction disciplinaire.
Sans doute aurait-il été plus judicieux de joindre tous les incidents concernant ce confrère afin d'avoir une vue d'ensemble de sa situation et des difficultés qu'il pouvait causer, voire rencontrer, au sein du barreau. Mais il est vrai, comme le rappelle la cour d'appel de Toulouse, que "le Conseil régional de discipline pouvait sanctionner des faits antérieurs à une précédente décision". Aussi, il aurait été possible de s'inspirer de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, limitant le pouvoir disciplinaire de l'employeur en cas de réitération de faits. En cette matière, la chambre sociale considère que l'employeur qui sanctionne un fait fautif du salarié épuise en même temps son pouvoir disciplinaire à l'égard des autres fautes commises par ce salarié et dont il avait déjà connaissance. Ainsi la Cour de cassation a jugé, à propos d'un employeur qui, "bien qu'informé de l'ensemble des faits reprochés au salarié, avait choisi de lui notifier un avertissement pour certains d'entre eux, que la cour d'appel avait exactement décidé que ce dernier avait épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait prononcer un licenciement pour des faits antérieurs" (Cass. soc., 16 mars 2010, n° 08-43.057, FS-P+B N° Lexbase : A8091ETT, Bull. civ. V, n° 65).
En définitive, Monsieur le Bâtonnier Armand Marx rappelait, lors du séminaire des dauphins de la Conférence des Bâtonniers des 11 et 12 décembre 2015, qu'une réforme de la procédure disciplinaire avait échoué en 2012 et que celle-ci pourrait réapparaître en 2016. Gageons que le régime de la prescription extinctive des poursuites et que le régime de la réitération des faits ne soient pas oubliés dans le cadre de cette éventuelle réforme. Le principe de sécurité juridique, corollaire de l'exercice du pouvoir disciplinaire, en sortirait renforcé.
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