Réf. : Cass. soc., 11 juillet 2016, n° 14-22.651, FS-P+B (N° Lexbase : A1943RXA)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 08 Septembre 2016
Résumé
N'institue pas une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi, la convention collective qui prévoit la faculté pour le salarié d'être entendu, sur sa demande, par l'employeur avant que son licenciement ne lui soit confirmé par écrit. |
Commentaire
I - L'inefficacité des procédures conventionnelles de licenciement moins protectrices que la loi
La procédure légale de licenciement. La loi n° 73-680 du 13 juillet 1973 (N° Lexbase : L3576H3T) est à l'origine du régime du licenciement pour motif personnel tel qu'il est aujourd'hui établi par le Code du travail. Si cette loi a introduit l'obligation de justification et de motivation du licenciement, elle a également institué une procédure spécifique impliquant la convocation du salarié à un entretien préalable, la tenue de cet entretien lui permettant de présenter ses explications et la notification par écrit du licenciement. S'agissant spécialement de l'entretien préalable, ce sont les articles L. 1232-2 (N° Lexbase : L1075H9P), L. 1232-3 (N° Lexbase : L1076H9Q) et L. 1232-4 (N° Lexbase : L1079H9T) du Code du travail qui en dessinent les contours.
Le premier texte intéresse la convocation à l'entretien. La convocation, envoyée par pli recommandé ou remise en main propre, précise l'objet de l'entretien et doit être adressé avant que toute décision de licenciement soit arrêtée. Le deuxième précise la teneur de l'entretien lui-même au cours duquel "l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié", mesure qui matérialise une forme de débat contradictoire dans la procédure de licenciement et dont l'objectif est de permettre à l'employeur de décider si le licenciement reste nécessaire ou si, au contraire, il n'est finalement pas utile. Le troisième détaille les modalités selon lesquelles le salarié peut se faire assister au cours de cet entretien par un salarié de l'entreprise ou, le cas échéant, par un conseiller du salarié.
Ces dispositions légales forment une protection procédurale minimale. S'il n'est donc pas permis à un accord collectif de travail ou à toute autre source professionnelle de l'amoindrir, il est en revanche parfaitement envisageable que cette protection soit améliorée, ce qui est relativement fréquent. Les protections complémentaires accordées par accord collectif sont qualifiées de garanties conventionnelles de licenciement.
Les garanties conventionnelles de licenciement. La stipulation de garanties conventionnelles de licenciement est relativement courante. On la trouve, notamment, dans les statuts, les conventions collectives de branche ou les règlements intérieurs applicables à des entreprises qui, autrefois, relevaient du secteur public : énergie (1), banques (2) et assurances (3), transports de personnes (4), etc.. Ces garanties rappellent alors celles offertes par les statuts de la fonction publique où elles puisent leurs origines. Les garanties conventionnelles peuvent également figurer dans des conventions collectives de branche plus classiques comportant alors des dispositions plus favorables aux salariés que celles du Code du travail (5).
S'il n'est pas envisageable de dresser une liste exhaustive de ces mesures, on peut toutefois en donner quelques exemples : il peut s'agir de la consultation préalable d'une commission paritaire ou d'un conseil de discipline par lesquels le salarié peut parfois être entendu (6), de l'information ou la consultation préalable des représentants du personnel (7), de la diminution des délais légaux de notification du licenciement (8), du bénéfice de deux entretiens préalables (9), etc..
Les garanties procédurales fondamentales. La plus notable particularité de ces garanties conventionnelles tient à la sanction que le juge prud'homal applique lorsque l'employeur ne les a pas respectées. En effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère le plus souvent que ces règles procédurales constituent des "garanties de fond" (10), si bien que le licenciement n'est pas seulement irrégulier en la forme, il est plus radicalement privé de cause réelle et sérieuse (11).
Il demeure toutefois nécessaire que la procédure en cause ait vocation à garantir les droits de la défense du salarié : c'est parce que ce droit fondamental est en cause que la sanction prononcée est plus sévère (12). Ainsi, à plusieurs reprises, la Chambre sociale a-t-elle jugé que certaines procédures ne constituaient pas des garanties de fond à moins d'avoir "eu pour effet de priver le salarié de la possibilité d'assurer utilement sa défense" (13).
A côté de ces dispositions conventionnelles plus protectrices, les partenaires sociaux ont souvent pour habitude de reprendre la procédure légale, soit en renvoyant expressément au Code du travail, soit par l'usage de formules plus ou moins proches de celles employées par le législateur. Faut-il, dans ce cas de figure, attacher une importance particulière à ces stipulations ?
L'affaire. Surprenant un de ses salariés en train de consulter des sites pornographiques, un employeur engage une procédure disciplinaire qui aboutit à son licenciement pour faute lourde. Le salarié est convoqué par lettre recommandée à un entretien, qui se déroule deux semaines plus tard et au cours duquel le salarié est assisté par un membre du personnel. Le salarié saisit le juge prud'homal pour contester le bien-fondé du licenciement mais, également, sa régularité procédurale en avançant que l'employeur n'a pas respecté la procédure instituée par la Convention collective de branche de la métallurgie applicable à l'entreprise.
La cour d'appel de Reims (CA Reims, 18 juin 2014, n° 13/01259 N° Lexbase : A3878MR3) juge que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle s'appuie, pour cela, sur l'article 27, alinéa 2, de la Convention collective nationale (CNN) des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 (N° Lexbase : X0590AEL), qui stipule qu'"aucun licenciement, même pour faute grave, ne peut être confirmé sans que l'intéressé ait été au préalable, mis à même d'être entendu, sur sa demande, par l'employeur ou son représentant responsable". Ases yeux, ces stipulations sont plus favorables que la loi et la lettre de convocation à l'entretien devait faire mention de la faculté d'être entendu dans les conditions prévues par la convention collective. Il s'agit d'une violation d'une "garantie de fond" qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Par un arrêt rendu le 11 juillet 2016, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4 du Code du travail et de l'article 27 alinéa 2 de la CCN des ingénieurs et cadres de la métallurgie. La Haute juridiction considère que la stipulation conventionnelle "prévoyant la faculté pour le salarié d'être entendu, sur sa demande, par l'employeur avant que son licenciement ne lui soit confirmé par écrit, n'institue pas une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi n° 73-680 du 13 juillet 1973 qui a institué l'obligation pour l'employeur envisageant de licencier un salarié de le convoquer, avant toute décision, à un entretien préalable".
II - La protection des droits de la défense, critère décisif des garanties procédurales conventionnelles
L'argumentation de la Chambre sociale semble reposer sur l'intensité de la protection des droits de la défense offerte par la procédure conventionnelle. Cela ne surprend guère, pour au moins deux raisons.
Une procédure conventionnelle moins favorable que la loi. D'abord parce qu'il est parfaitement clair que les stipulations de la CCN de la métallurgie n'apportent aucune garantie procédurale complémentaire à celles prévues par le législateur. On pourrait même dire que la convention est moins favorable que la loi, cela à deux titres.
Premièrement, elle fait de l'entretien préalable une simple faculté offerte au salarié, sur sa demande, là où l'article L. 1232-3 du Code du travail impose que cet entretien ait lieu. Ce n'est que de manière très exceptionnelle, si le salarié ne s'est pas présenté à l'entretien par exemple, que l'employeur peut être dispensé de présenter ses griefs et d'entendre les observations du travailleur (14). On peut, d'ailleurs, se demander si ces stipulations conventionnelles sont valables puisque les partenaires sociaux ne peuvent en principe déroger à la loi in pejus qu'à condition que le législateur l'ait autorisé, ce qui n'est pas le cas en matière de procédure de licenciement pour motif personnel (15). Deuxièmement, l'article 27 de la CCN n'envisage nullement l'assistance du salarié lors de l'entretien, assistance rendue obligatoire par l'article L. 1232-4 du Code du travail.
On perçoit assez difficilement comment les juges d'appel ont pu considérer que les dispositions de la convention collective étaient plus favorables que la loi. Cette conclusion n'aurait pu être admise qu'à la condition que l'accord précise clairement, comme cela est parfois le cas, que cette faculté offerte au salarié d'être entendu venait s'ajouter à l'entretien préalable et qu'il s'agissait, en quelque sorte, de prévoir deux entretiens préalables au licenciement (16).
La corrélation entre garanties de fond et droits de la défense. Ensuite parce que, nous l'avons déjà évoqué, la qualification de garantie de fond est étroitement liée aux possibilités offertes au salarié par l'accord collectif de se défendre. Il existe deux degrés dans les garanties procédurales conventionnelles. Certaines d'entre elles, comme la faculté de saisir une commission de discipline par exemple, garantissent par nature les droits de la défense. D'autres protections, plus légères, ne sont qualifiées de garanties de fond qu'à la condition que le salarié subisse une atteinte effective aux droits de la défense lorsqu'il en est privé. Cette atteinte n'est pas avérée en l'espèce puisqu'il était plus favorable au salarié d'appliquer la loi plutôt que la convention.
On notera enfin que la Chambre sociale ne reprend pas, dans son argumentation, les termes de "garantie de fond" qui avaient été employés par les juges d'appel. La qualification de "garantie de fond" n'est pas appropriée car elle donne le sentiment que c'est la violation d'une règle de fond qui justifie la sanction judiciaire lorsque la règle procédurale n'a pas été respectée. Les règles de fond entourant le licenciement relèvent de sa justification et, par extension, de sa motivation.
Tout aussi fondamentaux que soient les droits de la défense, ce caractère ne suffit pas à faire de leur respect une condition de fond du licenciement et il semble bien plus pertinent de sanctionner l'éventuelle atteinte à ces droits fondamentaux que de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire de le juger injustifié. Quoiqu'il en soit, il serait bien hasardeux de tirer quelconque conclusion tendant à l'abandon de cette qualification à la suite de l'arrêt présenté qui ne prend aucune position de principe sur la question.
(1) Par ex., les commissions secondaires de discipline organisées par le statut des entreprises électriques et gazières, décret n° 46-1541 du 22 juin 1946, annexe art. 3.
(2) CCN de la banque du 10 janvier 2000, IDCC 2120, art. 26 et s. (N° Lexbase : X8100APP).
(3) CCN des sociétés d'assurance du 27 mai 1992, IDCC 1672, art. 90 (N° Lexbase : X8101APQ).
(4) Par ex., v. le règlement intérieur de la Société Air France, art. 2.2.
(5) Par ex., CCN des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, IDCC 29, art. 03.01.7 (N° Lexbase : X0721AEG) ; CCN des cadres des commerces de quincaillerie, fournitures industrielles, fers, métaux et équipement de la maison du 23 juin 1971, IDCC 0731, art. 27 (N° Lexbase : X8111AP4) ; CCN des entreprises d'architecture du 27 février 2003, IDCC 2332, art. IV-2-1 (N° Lexbase : X8150APK).
(6) C'est la garantie la plus fréquente, v. déjà Cass. soc., 28 mars 2000, n° 97-43.411, publié (N° Lexbase : A6374AG8), Dr. soc., 2000, p. 653, obs. J. Savatier ; Dr. ouvrier, 2000, p. 453, note A. de Senga.
(7) Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 12-13.229, F-D (N° Lexbase : A8833KIY) ; Cass. soc., 17 mars 2015, deux arrêts, n° 13-24.252, FS-P+B (N° Lexbase : A1849NE9) et n° 13-23.983, FS-P+B (N° Lexbase : A1756NER) et nos obs., Lexbase, éd. soc., 2015, n° 607 (N° Lexbase : N6709BUZ).
(8) Cass. soc., 27 mars 2013, n° 11-20.737, FS-P+B (N° Lexbase : A2845KBY), Dr. soc., 2013, p. 460, obs. S. Tournaux ; JCP éd. S, 2013, 1228, note D. Corrignan-Carsin.
(9) Par ex., Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-12.676, F-D (N° Lexbase : A4305MUY).
(10) Ch. Varin, Les critères de la notion de "garantie de fond", JCP éd. S, 2013, 1356 et, du même auteur, Le recours aux droits procéduraux fondamentaux à l'occasion de l'exercice des pouvoirs patronaux, Dr. ouvrier, 2016, p. 407.
(11) Depuis Cass. soc., 23 mars 1999, n° 97-40.412, inédit (N° Lexbase : A3552AU4), Dr. soc., 1999, p. 634, obs. J. Savatier.
(12) V. notre étude, Les garanties procédurales fondamentales, Dr. soc., 2015, p. 389.
(13) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 07-42.432, FP-P+B (N° Lexbase : A6186EHL) et les obs. de G. Auzero, Lexbase, éd. soc., 2009, n° 355 (N° Lexbase : N6572BKM) ; JCP éd. S, 2009, 1307, note I. Beyneix ; Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-14.036, FS-P+B (N° Lexbase : A1398IQT) et les obs. de B. Gauriau, Lexbase, éd. soc., 2012, n° 493 (N° Lexbase : N2898BTI) ; Cass. soc., 22 octobre 2014, n° 13-17.065, FS-P+B (N° Lexbase : A0438MZA) ; Dr. soc., 2015, p. 86, obs. J. Mouly.
(14) Par ex., v. Cass. soc., 26 mai 2004, n° 02-40.681, F-D (N° Lexbase : A2804DCT).
(15) Il en va différemment en cas de licenciement collectif pour motif économique puisqu'un accord collectif peut, depuis la loi du 14 juin 2013 (N° Lexbase : L0394IXU), aménager différentes étapes procédurales, v. notre étude, Commentaire de l'article 18 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi : la réforme de la procédure de licenciement pour motif économique collectif, Lexbase, éd. soc., 2013, n° 535 (N° Lexbase : N7934BTZ).
(16) Par ex., Cass. soc., 9 juillet 2014, préc. ; Cass. soc., 23 septembre 2014, n° 13-16.184, F-D (N° Lexbase : A3042MXX).
Décision
Cass. soc., 11 juillet 2016, n° 14-22.651, FS-P+B (N° Lexbase : A1943RXA). Cassation (CA Reims, 18 juin 2014, n° 13/01259 N° Lexbase : A3878MR3). Textes visés : C. trav., art. L. 1232-2 (N° Lexbase : L1075H9P), art. L. 1232-3 (N° Lexbase : L1076H9Q) et art. L. 1232-4 (N° Lexbase : L1079H9T) ; CCN des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, art. 27, alinéa 2 (N° Lexbase : X0590AEL). Mots-clés : licenciement disciplinaire ; entretien préalable ; procédure conventionnelle. Liens base : ; (N° Lexbase : E9232ESQ). |
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