Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 19 juillet 2016, n° 385768, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3502RXY)
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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d'Etat
le 08 Septembre 2016
A titre dérogatoire, l'article 220 quinquies du CGI (N° Lexbase : L3976I3N), créé par l'article 19 de la loi de finances pour 1985 (1), ouvre également aux entreprises la faculté d'opter pour le report "en arrière" de leur déficit, mécanisme également connu sous sa dénomination de "carry-back". Jusqu'en 2011, le déficit constaté au cours d'un exercice N était considéré comme une charge déductible du bénéfice de l'exercice N-3 et, le cas échéant, de l'exercice N-2 puis de l'exercice N-1. En 2011 (2), le législateur a durci ce régime en prévoyant qu'un déficit constaté au titre d'un exercice ne pourrait désormais être reporté que sur le bénéfice de l'exercice précédent. Vous savez, pour le reste, que l'excédent d'impôt sur les sociétés résultant de l'application du report en arrière fait naître au profit de l'entreprise une créance sur le Trésor d'égal montant, qu'elle peut utiliser pour le paiement de l'impôt sur les sociétés dû au titre des cinq années suivant celle de la clôture de l'exercice au titre duquel l'option a été exercée, ou dont elle peut demander le remboursement au terme de ces cinq années.
L'article 46 quater-0 W de l'annexe III au CGI (N° Lexbase : L8531HLK), pris pour l'application de l'article 220 quinquies, prévoit que l'entreprise qui exerce l'option en faveur du report en arrière d'un résultat déficitaire doit joindre à la déclaration de résultats de l'exercice au titre duquel cette option est exercée une déclaration conforme au modèle fixé par l'administration. Il s'agit, en l'occurrence, de la déclaration n° 2039.
2. Nous pouvons maintenant dire quelques mots du présent litige. La société requérante, qui exerce une activité de recherche et développement, a déclaré, au titre des exercices clos en 1997, 1998 et 1999, des bénéfices. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 1997 et 1998, ses résultats ont été fortement rehaussés par des notifications de redressement reçues en décembre 2000 et février 2001. Parallèlement, par une déclaration n° 2039 déposée conjointement à sa déclaration de résultats afférente à l'exercice clos le 31 décembre 2000, reçue le 5 juillet 2011, la société a opté pour le report en arrière du déficit de l'exercice 2000. Sur cette déclaration, la contribuable a porté en tant que bénéfices d'imputation, les bénéfices des exercices 1997 à 1999 qu'elle avait elle-même déclarés, et non, en ce qui concerne les exercices 1997 et 1998, les bénéfices rectifiés qui venaient de lui être notifiés, mais qui n'avaient pas encore été mis en recouvrement.
Le 30 décembre 2010, la société a demandé au Trésor le remboursement de la somme de 199 330,75 euros correspondant, selon elle, au montant de sa créance de carry-back du déficit de l'exercice 2000 qu'elle a calculée en prenant en compte les bénéfices 1997 et 1998 rectifiés, et non les bénéfices déclarés. Après rejet de sa demande, la société a porté le litige devant le tribunal administratif de Paris, qui y a fait droit en fixant sa créance à la somme de 189 448 euros (3) (TA Paris, 14 mai 2013, n° 1200856 N° Lexbase : A8671RXG). Toutefois, sur le recours du ministre, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement par un arrêt du 17 septembre 2014, fixé le montant de la créance de carry-back à la somme correspondant à l'imputation du déficit de l'année 2000 sur les bénéfices déclarés des années 1997 à 1999 et rejeté le surplus des conclusions des parties (CAA Paris, 17 septembre 2014, n° 13PA03064 N° Lexbase : A0037MXN). C'est l'arrêt attaqué, frappé des deux pourvois identiques que vous pourrez joindre.
3. Notons, à titre liminaire, que vous n'aurez pas à relever d'office la tardiveté de la demande de remboursement présentée par la société. Vous avez récemment jugé qu'il résulte des dispositions de l'article 220 quinquies du CGI et de l'article 46 quater-0 W de l'annexe III à ce code que la créance née du report en arrière d'un déficit doit être spontanément remboursée par l'administration, pour la fraction non utilisée pour le paiement de l'impôt sur les sociétés, au terme des cinq années suivant celle de la clôture de l'exercice au titre duquel l'option a été exercée. Vous avez précisé que, lorsque l'administration ne s'acquitte pas de cette obligation, il appartient au contribuable, dans le délai de prescription quadriennale prévu par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 (loi n° 68-1250 N° Lexbase : L6499BH8), de lui présenter une demande tendant à ce remboursement et, en cas de rejet de cette demande, de porter le litige devant le juge de plein contentieux (CE 9° et 10° s-s-r., 9 mars 2016, n° 385244, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5432QYT, concl. Bokdam-Tognetti). C'est bien ici ce qu'a fait la société requérante. La prescription a commencé à courir le 1er janvier 2006, au terme des cinq années suivant la clôture de l'exercice 2000, au titre duquel l'option a été exercée. Le délai de quatre ans se décomptant année civile par année civile, conformément à l'article 1er de la loi de 1968 (4), il expirait donc le 31 décembre de la quatrième année à compter du 1er janvier 2006, soit le 31 décembre 2010. Le délai de prescription a donc été interrompu, in extremis, mais valablement, par la demande présentée le 30 décembre 2010.
4. La requérante fait principalement grief à la cour d'avoir jugé, tout en admettant qu'elle était fondée à demander le report en arrière du déficit constaté au titre de l'exercice clos en 2000 sur les bénéfices des exercices clos en 1997, 1998 et 1999, que ce déficit ne pouvait être imputé que sur le bénéfice calculé à partir des seuls résultats qu'elle avait déclarés, et non sur les bénéfices rectifiés, faute qu'elle ait présenté une nouvelle réclamation à la suite de la mise en recouvrement des suppléments d'impôt qui lui ont été assignés au titre des années 1997 et 1998.
Rappelons sur ce point que, par votre décision du 30 juin 1997 (CE 8° et 9° s-s-r., 30 juin 1997, n° 178742, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0501AEB, RJF, 1997, n° 776), vous avez regardé la déclaration d'option pour le report en arrière d'un déficit comme une réclamation au sens de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L9530IYM). Dix ans plus tard, par une autre décision (CE 9° et 10° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 285588,, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1488D3I, Rec., p. 515, RJF, 2008, n° 347, concl. Landais, BDCF, 3/08, n° 42, chron. Burguburu, RJF, 2008, p. 211), vous avez déconnecté l'exercice de naissance du déficit de l'exercice au titre duquel l'option est exercée. Ainsi, alors que l'article 46 quater-0 W de l'annexe III au CGI prévoit que la déclaration d'option pour le report en arrière doit être jointe à la déclaration de résultat au titre de laquelle l'option est exercée, vous n'avez vu dans cette règle qu'un principe et avez admis que la déclaration d'option soit effectuée indépendamment de la déclaration de résultats de l'exercice déficitaire, sous réserve qu'elle intervienne dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-1 du LPF (N° Lexbase : L6486AEX). Aussi avez-vous accepté que l'option soit exercée postérieurement à l'exercice déficitaire, dans l'hypothèse où l'administration a rehaussé les bénéfices des exercices antérieurs ou fait apparaître des bénéfices imposables au titre de ces exercices. Vous avez regardé l'exercice de l'option comme une réclamation ayant pour objet de permettre l'imputation du déficit sur les bénéfices rectifiés et jugé que la mise en recouvrement des suppléments d'impôt correspondants constituait l'événement qui motive la réclamation au sens du c de la première partie de l'article R. 196-1 du LPF.
Dans le même ordre d'idées, vous avez admis, par une décision de 2011 (CE 3° et 8° s-s-r., 23 décembre 2011, n° 338773, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8195H8Z, RJF, 2012, n° 232, concl. Geffray, BDCF, 2012, n° 31), la recevabilité d'une déclaration d'option pour le report en arrière souscrite en même temps que la déclaration de résultats, mais après l'expiration du délai imparti pour procéder à cette dernière déclaration, en retenant que l'option pour le report en arrière d'un déficit constitue une réclamation devant s'exercer dans les formes, conditions et délais prévus par le LPF.
Enfin, vous avez déclaré conforme à la loi la doctrine de l'administration (5) qui voyait dans l'option en faveur du report en arrière une décision de gestion opposable au contribuable (CE 8° et 9° s-s-r., 30 décembre 1998, n° 170959 N° Lexbase : A8654ASC, et n° 181394 N° Lexbase : A8724ASW, inédits au recueil Lebon, concl. Loloum, Dr. fisc., n° 48, comm. 861). Cette solution n'est pas douteuse, car le choix de reporter en arrière le déficit constaté au titre d'un exercice constitue bien la manifestation d'une faculté juridique d'option et emporte des conséquences, notamment en tant qu'elle prive de la possibilité d'un report en avant de ce même déficit (6).
Du fait de cette double assimilation de l'option pour le report en arrière à une réclamation et à une décision de gestion, nous n'avons pas d'hésitation à vous proposer de confirmer le raisonnement que la cour a tenu en l'espèce.
Celle-ci a en effet constaté qu'après avoir exercé, le 5 juillet 2011, l'option pour le report en arrière du déficit de l'exercice 2000 sur les bénéfices déclarés des exercices 1997 à 1999, la société n'avait pas, à la suite de l'avis de mise en recouvrement des suppléments d'impôt sur les sociétés dus au titre des exercices 1997 et 1998, présenté une nouvelle réclamation dans le délai de l'article R. 196-1 du LPF, alors que rien n'y faisait obstacle et qu'il n'appartenait pas à l'administration de prendre, à la place de la contribuable, une telle décision de gestion.
En juger autrement reviendrait à autoriser l'administration à substituer d'office au montant du bénéfice initialement porté dans une déclaration d'option, le montant du bénéfice éventuellement rectifié, au prix d'une immixtion peu justifiable dans la gestion de l'entreprise. Dans l'hypothèse où une entreprise a souscrit une déclaration d'option pour le report en arrière d'un déficit, une nouvelle réclamation doit donc être présentée, en cas de rectification par l'administration des bénéfices d'imputation, pour faire naître une créance complémentaire, calculée en appliquant le taux d'imposition au montant net du rehaussement. La cour n'a donc commis aucune erreur de droit en jugeant que l'imputation du déficit de l'exercice 2000 sur les bénéfices rectifiés des exercices 1997 et 1998 était subordonnée au dépôt d'une nouvelle réclamation.
5. Les autres moyens du pourvoi ne vous retiendront guère. La cour n'a d'abord pas dénaturé les faits de l'espèce en estimant que la demande de report en arrière présentée par la société ne pouvait être regardée, eu égard à son contenu, comme tendant à l'imputation du déficit constaté pour l'année 2000 sur les résultats rectifiés des exercices clos en 1997 et 1998. S'il est vrai qu'à la date de l'option, la société avait reçu des propositions de redressement au titre de ces exercices et qu'elle n'a pas rempli les cases de la déclaration n° 2039 relatives au bénéfice d'imputation et à la fraction du déficit reporté en arrière, elle n'a toutefois introduit dans ce document, comme l'a exactement relevé la cour, aucune mention pour demander par avance qu'il soit tenu compte, pour le calcul de sa créance, des bénéfices rectifiés, dans l'hypothèse où les rectifications seraient maintenues et mises en recouvrement.
Vous pourrez également écarter le moyen tiré de ce que la cour aurait entaché son arrêt d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit en ne répondant pas au moyen tiré de ce que la mise en recouvrement des suppléments d'impôt établis sur les bénéfices rectifiés aurait eu pour effet de "régulariser" sa déclaration de report en arrière. D'une part, la cour a implicitement répondu à ce moyen en jugeant qu'une seconde réclamation était nécessaire. D'autre part, il ne s'agissait pas ici de régulariser une première déclaration qui était parfaitement régulière mais, nous l'avons dit, de souscrire une réclamation en vue de permettre l'identification d'une créance de carry-back complémentaire.
Contrairement à ce que soutient encore la société requérante, la cour n'a pas entaché son arrêt d'irrégularité en ne répondant pas au moyen tiré de ce que l'article L. 199 C du LPF (N° Lexbase : L8352AE3) l'autorisait à fonder sa demande de remboursement de la créance de carry-back sur les bénéfices rehaussés, sans qu'elle ait besoin de présenter une nouvelle réclamation. Ce moyen a en effet été soulevé après la clôture de l'instruction et il ne peut être regardé comme un élément de droit nouveau susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire au sens de votre décision de Section de 2014 (CE 10° s-s., 5 décembre 2014, n° 340943, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9030M49, Rec., p. 369, avec concl. E. Crépey, RJF, 2015, n° 152, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, AJDA, 2015, p. 211). Le moyen d'insuffisance de motivation n'est donc pas fondé et le moyen d'erreur de droit correspondant est nouveau en cassation et par suite inopérant.
Enfin, le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu le droit au recours effectif et l'équité fiscale en se fondant sur les seules mentions de la déclaration d'option pour le report en arrière n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.
Par ces motifs nous concluons au rejet des pourvois.
(1) Loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984, de finances pour 1985 (N° Lexbase : L4513K7B).
(2) Loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 2 (N° Lexbase : L1269IRG) ; applicable aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter du 21 septembre 2011, date d'entrée en vigueur de la loi.
(3) Conformément au dernier état des conclusions de la requérante.
(4) Aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : "Sont prescrites, au profit de l'Etat [...] toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis".
(5) Paragraphe 17 de l'instruction du 21 février 1986 publiée sous la référence 4 H-4-86 et reprise à la documentation administrative de base 4 H-2222.
(6) L'article 220 quinquies du CGI prévoit en effet que le déficit imputé dans le cadre d'un report en arrière cesse d'être reportable en avant.
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