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N7507BND
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 27 Mars 2014
- un exercice sous le titre, le statut, et la déontologie de l'avocat ;
- le bénéfice et les obligations du secret professionnel ;
- l'interdiction du droit de plaider devant les juridictions où la représentation par un avocat est obligatoire ;
-un contrôle de la part de l'Ordre sur les aspects éthiques et déontologiques ;
- et une éligibilité au Conseil de l'Ordre, au Bâtonnat, et au Conseil national des barreaux (CNB).
Ainsi que l'ont souligné Yannick Chalme (L'Oréal), le nouveau Président du Cercle, et Jean -Michel Darrois, la création d'un tel statut serait la suite logique de l'évolution de la fonction juridique au sein de l'entreprise. Celle-ci a, en effet, dû se renforcer considérablement aux cours des vingt dernières années, dans un contexte de foisonnement des textes et de complexité des droits.
La réforme renforcerait le statut du juriste au sein de l'entreprise, en lui conférant une légitimité et une indépendance accrues. Elle offrirait, en outre, aux directions juridiques françaises des armes équivalentes à celles prévues par les systèmes issus de la common law pour l'exercice de leurs fonctions. On pense, en particulier, au bénéfice du legal privilege (2).
Aujourd'hui, en France, si les juristes d'entreprise sont soumis au secret professionnel (au titre de l'article 55 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ) et si leurs collaborateurs ont, en principe, contracté une obligation de confidentialité, leurs consultations ne sont couvertes, ni par la confidentialité, ni par le secret professionnel, et peuvent donc être saisies dans toute procédure. Parallèlement, la Common Law reconnaît le droit d'un client ayant reçu un avis juridique d'un avocat de refuser de produire tout document contenant cet avis dans le cadre d'une procédure civile, pénale ou administrative (disclosure ou discovery). Les juristes d'entreprise français réclament depuis longtemps le bénéfice d'un secret professionnel absolu, général et illimité dans le temps, identique à celui des avocats et dont ils ne pourraient être relevés.
Pour l'ensemble des ces raisons, la création du nouveau statut est ardemment souhaitée par le Cercle Montesquieu et par les autres principales associations professionnelles représentant les juristes (dont l'AFJE, l'AJAR et l'ANJB), mais aussi, par le CNB, la Conférence des cent et le barreau de Paris.
Elle est, en revanche, loin de faire l'unanimité auprès des barreaux de province, qui s'inquiètent, entre autres, d'une atteinte à l'indépendance de la profession du fait de la subordination inhérente à un statut salarié.
A cette crainte, citons la réponse formulée dans l'avis de la commission de la Conférence des Bâtonniers du 2 août 2009 : "l'avocat en entreprise saura s'imposer par sa formation initiale de haut niveau, son obligation de formation continue et donc sa compétence, cette dernière étant aussi une des clefs de l'indépendance". Et, celle de Jacques Barthélémy : "il est habituel d'associer activité libérale et statut social de non salarié, ce qui relève d'un contresens majeur. La profession d'avocat, comme celle de médecin, est libérale et le professionnel exerce de ce fait une profession libérale quel que soit le mode particulier d'exercice de son art". Et, de conclure : "l'indépendance, caractéristique essentielle de toute profession libérale, c'est l'indépendance technique dans l'exercice de l'art" (3).
Autrement dit, le lien de subordination à l'égard de l'employeur ne doit concerner que la détermination des conditions du travail de l'avocat, pour ne pas porter atteinte à l'indépendance de son exercice comme il en va déjà de même, aujourd'hui, pour l'avocat salarié en cabinet.
D'autres, indique Jean-Michel Darrois, craignent une contamination aux autres fonctions hybrides de l'entreprise (directeurs des ressources humaines, directeurs administratifs et financiers, etc.) ou encore une nouvelle concurrence de la part des juristes d'entreprises au détriment des avocats. Enfin, certains regrettent qu'il soit d'emblée exclu que l'avocat en entreprise puisse plaider. Très judicieusement, l'invité du Cercle dissipe ce regret : l'avocat en entreprise ne bénéficierait pas de la distance nécessaire en cas de contentieux et les conséquences en interne d'un échec judiciaire pourraient être fort désagréables pour lui.
A ces différentes réticences s'ajoute le fait qu'à ce jour, de nombreuses controverses ne sont pas tranchées. La question du maintien de la passerelle existante, par exemple, divise encore fortement, au sein même de chacune des professions. Le compromis le plus probable à l'heure actuelle consisterait au maintien du dispositif pendant dix ans, afin de sauvegarder les droits acquis à ce jour et de permettre une réforme de l'accès au CAPA aboutie. A l'issue de ce délai, la passerelle serait supprimée.
La question du rôle de l'employeur est, elle aussi, vivement débattue : ce dernier peut-il, notamment, revenir sur la qualité de l'avocat en entreprise ou celle-ci est-elle attachée à la personne ? Des interrogations demeurent, enfin, sur le statut social et le régime des retraites.
Nous voilà donc prévenus. Le débat sur la légitimité de la création de l'avocat en entreprise n'est pas simple et certaines contestations perdurent, expliquant, peut-être que la question n'ait as été abordée dans le projet de loi présenté au Conseil des ministres par Michel Alliot-Marie en mars dernier, sur la réforme des professions juridiques et judiciaires (4). Dans un tel cadre, Jean-Michel Darrois recommande fermement aux juristes de mettre fin à toutes discordances et de s'adresser d'une seule voix aux avocats, aux pouvoirs publics et aux autres acteurs concernés. "Ou les conséquences pourraient être catastrophiques...".
Deux jours avant cette cérémonie, le 6 avril 2010, le CNB ouvrait à nouveau la concertation sur cette réforme encore "mal connue". Thierry Wickers, président du Conseil, avait déjà consulté, courant 2009, les Bâtonniers de France pour connaître le point de vue de leur barreau sur le rapport "Darrois". Cette fois, la consultation est plus formelle : les Bâtonniers sont invités à répondre à plus de 29 questions traitant de tous les aspects de la création de l'avocat en entreprise, et ce, dans les deux mois (soit, d'ici le 6 juin prochain).
Pour les aider dans leurs réflexions, le CNB met à leur disposition le rapport établi par son groupe de travail "Avocats en entreprise", présidé par Jean-Louis Cocusse. Le texte recommande fermement la création du nouveau statut et répond à toutes les critiques formulées jusqu'à maintenant par les opposants au projet.
A l'issue de la concertation, les réponses seront synthétisées dans un rapport définitif, qui sera soumis au vote du CNB. Si le vote devait être favorable, un projet de texte réformant la loi et le décret pourrait être adressé à la Chancellerie. "Dans l'hypothèse inverse, le risque est qu'un jour un texte, aboutissant au même résultat mais selon des modalités qui n'auraient pas été proposées par la profession, lui soit soumis et qu'elle n'ait plus qu'à en discuter les détails".
(1) Lire Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? - Etat des lieux, Lexbase Hebdo n° 3 du 13 octobre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N0905BMH).
(2) Lire Quels rapprochements pour les professions de juriste d'entreprise et d'avocat ? Questions à Vincent Malige, General Counsel, Scor SE, Lexbase Hebdo n° 3 du 13 octobre 2009 - édition professions (N° Lexbase : N0938BMP).
(3) Jacques Barthélémy, audition par le CNB, le 10 septembre 2008.
(4) Lire Ce qu'il faut retenir du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées, Lexbase Hebdo n° 24 du 25 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N6155BNB).
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