La lettre juridique n°391 du 15 avril 2010 : Éditorial

Aides d'Etat : "donner, c'est donner ; reprendre, c'est..."

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N7452BNC

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Cette semaine, oublions Aristote, Nietzsche et Gide, pour nous attacher au bon sens populaire, puisque c'est bien la vox populi qui, plus que nos illustres penseurs, donne le la, lorsqu'il s'agit de faire (instauration de la peine plancher en cas de récidive à la suite d'affaires concernant des multirécidivistes remis en liberté avant le terme de leur condamnation, hier ; suppression du juge d'instruction à la suite d'une dérive individuelle hautement médiatique, "l'affaire d'Outreau", aujourd'hui) ou de défaire (recul sur le contrat première embauche sous la pression "de la rue", hier ; recul sur l'instauration d'une "taxe carbone" sous le sceau d'enjeux électoraux, aujourd'hui) le droit.

Accoudons-nous au zinc du café de la Gare du Nord, dévisageant d'un air goguenard ces aficionados du Thalys et du Menkenpiss bruxellois, pour deviser sur un principe juridique pleinement fondé, mais qui n'en constitue pas moins une incohérence dommageable aux yeux du commun : la restitution des aides d'Etat. A priori, le sujet n'est pas très porteur, pour animer la matinée des adeptes du petit kawa ; pas si certain que cela...

Articles 87 et 88 du Traité de l'Union ou principe de concurrence, ou pas, il n'en demeure pas moins que voir nos élites de Bercy toquer à la porte de la Commission pour demander l'autorisation d'aider (financièrement) leurs concitoyens relève clairement d'un abandon de souveraineté -nous y sommes habitués depuis l'Acte unique-, mais, plus encore, d'un ordre public économique sous tutelle communautaire. Lorsque les autorités tutélaires de Bruxelles n'interdisent pas à un Etat membre de percevoir un impôt ou une taxe jugé contraire à la liberté d'établissement ou à la liberté de prestation de services, elles condamnent leurs dépenses fiscales (crédits ou réductions d'impôts) ou les subventions étatiques à l'adresse des économies nationales ou régionales. On ne saurait en vouloir à un organe communautaire d'abhorrer le chauvinisme, exception faite que les économies des 27 sont loin d'être structurées de la même manière et que, au final, chacun a plus intérêt à défendre son terroir économique, plutôt que de favoriser une convergence économique communautaire ou une concurrence trans-étatique. Car, plus qu'un modèle économique, les Etats comme la France ont comme priorité de protéger un modèle social, fléché de toute part par un dumping social qui laisse aux voeux pieux toute concurrence réellement non faussée.

On aura beau concéder qu'il existe de nombreuses dérogations au couperet de la Commission (aides régionales ; aides à l'investissement et à l'emploi en faveur des PME ; aides à la création de petites entreprises par des femmes ; aides pour la protection de l'environnement ; aides au capital-investissement ; aides à la recherche, au développement et à l'innovation ; aides à la formation ; aides en faveur des travailleurs défavorisés ou handicapés...), sans compter la règle de minimis exemptant du carcan bruxellois les subventions de faible montant : le sentiment de ne pas avoir les mains libres, lorsque l'on souhaite favoriser une politique d'intérêt national, ne peut qu'accentuer le divorce -encore faut-il qu'ils fussent, un jour, mariés- entre les citoyens européens et leurs institutions européennes.

Pourquoi cette amertume ? Parce que "ce n'est pas tant l'aide de nos amis qui nous aide que notre confiance dans cette aide" nous confie Epicure. Nul n'est censé ignorer la loi ! Si bien que, lorsqu'un agriculteur perçoit une subvention d'exploitation, il est prié de vérifier, avant d'encaisser son chèque, que l'Etat a bien notifié auprès de la Commission son projet d'aide ou de subvention ; et, lorsque l'Etat ne l'a pas fait, d'éplucher la littérature communautaire, pour savoir si l'aide en question est bien légale. Sans quoi, qu'il ne s'étonne pas que 15 ans plus tard on lui réclame la restitution des subventions indues ! En matière de sécurité juridique et pour l'autorité de l'Etat, c'est une gageure. Et, ce d'autant qu'aucune action en responsabilité de l'Etat pour défaut de notification et conséquences dommageables auprès des entreprises subventionnées n'est envisageable : principe d'efficacité communautaire oblige. Efficacité communautaire qui malmène notre droit interne, au demeurant, en oubliant qu'il n'y a pas de répétition de l'indu, lorsque le paiement est délibéré -c'est-à-dire que le solvens a volontairement payé, en connaissance de cause : ici, en sachant qu'il n'a pas respecté la procédure communautaire- ; et en tout état de cause, que cette répétition doit être partielle lorsqu'elle cause un préjudice certain à l'accipiens.

Alors, lorsque, sans revenir sur l'imbroglio sans nom de l'affaire en cause, la Cour de justice de l'Union européenne intime, le 11 mars 2010, au juge français d'ordonner la restitution des aides versées entre 1980 et 2002 au Centre d'exportation du livre français, lui interdisant de surseoir à statuer dans l'attente de la décision définitive de la Commission tout en rappelant "qu'une confiance légitime du bénéficiaire de l'aide ne peut naître d'une décision positive de la Commission, d'une part, lorsque cette décision a été contestée dans les délais de recours contentieux puis annulée par le juge communautaire, ni, d'autre part, tant que le délai de recours n'est pas expiré ou, en cas de recours, tant que le juge communautaire ne s'est pas définitivement prononcé" : les dents grincent face au dogmatisme tutélaire.

Et, elles grincent d'autant plus que l'on sait la restitution, comme dans la plupart des cas, impossible : la situation financière des subventionnés ne le permettant pas, sauf à entraîner la fermeture de nombreuses entreprises ou exploitations ; l'Etat refusant, le plus souvent, de se déjuger auprès de ses administrés et, néanmoins, "clients" électoraux ou lobbyistes. Une étude commandée en 2006 par l'exécutif européen constatait, déjà, le peu de recours nationaux permettant la récupération de ces aides. Une mansuétude des juges nationaux telle, que la Commission recommande, en février 2009, dans sa communication concernant l'application par les juridictions nationales de la réglementation relative aux aides d'Etat, que les concurrents et les tiers désavantagés par l'octroi de l'aide illégale aient possibilité d'obtenir une protection efficace de leurs intérêts par le biais des actions en dommages-intérêts exercées contre l'autorité ayant octroyé l'aide. A la différence des actions tendant à la restitution de l'aide, l'action en dommages-intérêts leur permet d'être directement indemnisés du préjudice subi. Et, faisant toutefois son mea culpa, le 29 avril 2009, la Commission européenne adoptait le Paquet "simplification" visant à accélérer le processus décisionnel en matière d'aides d'Etat...

Une tempête dans un verre d'eau, alors ? Pas si l'on compte le temps perdu à traiter ces affaires de restitution d'aides et à lire toute la logorrhée scripturale sur le sujet. Mais, que voulez-vous : "Bon droit a besoin d'aide" nous livre un tenant de la sagesse populaire, Molière, dans La comtesse d'Escarbagnas.

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