La lettre juridique n°391 du 15 avril 2010 : Sociétés

[Questions à...] Quand la signature de la lettre de licenciement dans une SAS devient risquée - Questions à Maîtres Catherine Michelet-Quinquis et Anne-France Léon-Oulié, Avocats, Ernst & Young, société d'avocats

Réf. : CA Colmar, 4ème ch., sect. B, 13 janvier 2009, n° 08/01150 (N° Lexbase : A2129EN8), CA Versailles, 5 ème ch., 24 septembre 2009, n° 08/02615 (N° Lexbase : A2125ENZ) et CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009, n° 09/05422 (N° Lexbase : A6415EPB)

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[Questions à...] Quand la signature de la lettre de licenciement dans une SAS devient risquée - Questions à Maîtres Catherine Michelet-Quinquis et Anne-France Léon-Oulié, Avocats, Ernst & Young, société d'avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212632-questions-a-quand-la-signature-de-la-lettre-de-licenciement-dans-une-sas-devient-risquee-questions-a
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale et Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Formalisme excessif ou sécurisation nécessaire ? C'est la question que soulèvent les dernières jurisprudences des juridictions du fond concernant le pouvoir de licencier au sein des SAS. En effet, en entendant assez largement que seul le président d'une société par actions simplifiée a le pouvoir de procéder au licenciement des salariés de ladite société, les cours d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 3 décembre 2009, n° 09/05422, M. Sébastien Pellerin et autres N° Lexbase : A6415EPB), Colmar (CA Colmar, 4ème ch., sect. B, 13 janvier 2009, n° 08/01150, Mademoiselle Valérie Ferreira c/ SA Cora N° Lexbase : A2129EN8) et Versailles (CA Versailles, 5ème ch., 24 septembre 2009, n° 08/02615, Madame Solange Vinzend c/ SA Distribution Casino France N° Lexbase : A2125ENZ) ont jeté un certain trouble tant elles semblent éloignées du pragmatisme du monde des affaires et de l'esprit des textes ayant animé à la création de la SAS. Mais, au-delà de ces considérations presque théoriques, les solutions retenues par les juridictions du fond invitent les juristes, en l'absence de décision de la Cour de cassation en la matière, à la plus grande prudence.
Dans ces trois affaires, en substance, des salariés employés par des sociétés constituées sous forme de SAS contestaient la validité de leurs licenciements, estimant que le signataire de la lettre de licenciement n'avait pas qualité à agir à défaut de respecter les règles de fonctionnement interne des SAS et plus particulièrement l'article L. 227-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6161AIZ) relatif aux modalités de représentation de la SAS à l'égard des tiers. A cette question, les juridictions de fond donnent une réponse à l'unisson, sujette néanmoins à la critique : en application des dispositions de l'article L. 227-6 du Code de commerce, pour que les licenciements litigieux soient valables, les lettres de licenciement doivent émaner soit du président de la SAS, soit de la personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier, détenu par le seul président et d'ailleurs, ajoute pour sa part la cour d'appel de Paris, conformément au régime légal de la SAS qui, contrairement à celui d'autres formes de sociétés, concentre dans les mains du seul président la totalité des pouvoirs, traditionnellement répartis entre divers organes, et renvoie, pour d'éventuelles autres dispositions, aux statuts. Alors, parce que les conséquences pratiques de ces décisions, tant en matière de droit du travail que de droit des sociétés, sont de toute première importance, Lexbase Hebdo - édition privée générale et Lexbase Hebdo - édition sociale ont rencontré deux praticiennes dans chacun de ces domaines, Maître Catherine Michelet-Quinquis, avocat, Ernst & Young, société d'avocats, responsable de la ligne droit des sociétés du bureau de Bordeaux, et Maître Anne-France Léon-Oulié, avocat, Ernst & Young, société d'avocats, responsable de la ligne droit social du bureau de Bordeaux.

Lexbase : Quel est l'état du droit s'agissant du pouvoir de licencier dans la SAS ?

Anne-France Léon-Oulié : Traditionnellement, il échet au représentant légal d'une société (président-directeur général, président, gérant), c'est-à-dire à l'employeur, de licencier.
Les articles du Code du travail relatifs à la procédure de licenciement ne distinguent pas selon la forme juridique de l'entreprise. Le Code du travail se contente d'évoquer la notion "d'employeur". Ne peut donc procéder au licenciement d'un salarié que celui qui a la qualité d'employeur ou de représentant de l'employeur, c'est-à-dire une personne ayant reçu mandat pour licencier.
Pendant longtemps, la jurisprudence avait admis que l'employeur puisse déléguer son pouvoir de licencier à un membre de l'entreprise. Dernièrement encore, la Chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu la légitimité du mandat donné à un directeur des ressources humaines par une société mère pour conduire la procédure de licenciement et notifier son licenciement à un salarié employé par l'une de ses filiales, sans qu'il soit nécessaire que la délégation de pouvoirs soit donnée par écrit. La Cour de cassation a estimé en l'espèce que le DRH n'était pas une personne étrangère aux filiales (Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.200, FS-P+B+R N° Lexbase : A3386ELY).
Néanmoins, diverses décisions récentes, toutes émanant de cours d'appel, viennent de mettre à bas les certitudes dont étaient pétris les professionnels du droit en la matière, en considérant qu'au sein d'une SAS, seul le président serait habilité à licencier.
Ces arrêts ont annulé des licenciements pour défaut de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement. Dans ces affaires, les juges semblent adopter le raisonnement suivant :
- la lettre de licenciement doit être notifiée par l'employeur :
- l'employeur est déterminé par les règles applicables en droit des sociétés qui prévoient une représentation à l'égard des tiers par le président et, le cas échéant, par une ou plusieurs personnes portant le titre de directeur général (DG) ou directeur général délégué (DGD) à condition que les statuts aient donné ce pouvoir de représentation à ces derniers ;
- les délégations doivent être inscrites dans les statuts, faire l'objet d'une publicité au RCS et apparaitre sur l'extrait K-bis de la société.

En conséquence, et dans le prolongement de cette jurisprudence émergente, au sein d'une SAS, une lettre de licenciement ne pourrait être signée que par le président, le DG ou ses délégataires, mais à condition que la délégation initiale et les sous-délégations soient conformes aux règles jurisprudentielles précitées.

Lexbase : Les décisions qui annulent les licenciements se fondent pour ce faire sur l'article L. 227-6 du Code de commerce, aux termes duquel la SAS est représentée à l'égard des tiers par son président, considérant de la sorte que le salarié est un "tiers". Quels sont les arguments qui plaident en faveur d'une telle conception ? La partagez-vous ?

Catherine Michelet-Quinquis : Toute personne appelée à contracter avec une société doit le faire en parfaite sécurité.
La notion de "représentation légale" de la société assure ce rôle de sécurisation de la signature sociale et garantit aux tiers, quels qu'ils soient, que les engagements pris par la société à leur égard ne pourront pas être remis en cause sous la simple réserve qu'ils soient contractants de bonne foi, c'est-à-dire qu'ils puissent valablement penser que la personne avec laquelle ils contractent a bien le pouvoir d'engager la société.
Cette sécurisation est assurée dès lors que le nom du représentant légal figure sur l'extrait K-bis délivré par le registre du commerce et des sociétés.
Il n'y a pas là de raison de distinguer entre les différents engagements sociaux, qu'ils soient souscrits à l'égard d'un fournisseur, d'un client ou d'un salarié et que ce soit au moment de la conclusion ou au contraire de la rupture du contrat de travail de ce dernier.
Avant la conclusion de son contrat de travail, le salarié est en effet un tiers à la société ; il doit bénéficier de l'information nécessaire lors de cet engagement ; il n'y a pas de raison de raisonner différemment lorsque survient la rupture du contrat.

Lexbase : Les solutions retenues par les juridictions du fond dans le cadre de la SAS ne vont-elles pas à contre-courant de la jurisprudence relative à la délégation de pouvoir en général et en contradiction directe avec l'esprit des textes ayant mis en place la SAS ?

Catherine Michelet-Quinquis : Le représentant légal, quel que soit le titre qu'il prenne selon la forme sociale considérée, PDG, gérant, président, ne peut en pratique signer tous les actes émanant de la société, en l'occurrence, dans les cas particuliers de la conclusion des contrats de travail ou de la notification de licenciement, comme c'est aussi le cas pour la signature des engagements commerciaux, la pratique a dû faire appel à la théorie de la délégation de pouvoirs.
Cette délégation de pouvoirs émanant du dépositaire de la signature sociale et qui peut descendre de délégant en délégataires successifs par la chaîne des subdélégations, doit simplement satisfaire aux critères posés par la jurisprudence permettant de vérifier la réalité d'une délégation régulièrement consentie et exercée.
La société devra simplement être en mesure de prouver aux salariés, objet de la décision de licenciement, que cette décision a bien été prise par une personne, son représentant légal, ou le délégataire ou subdélégataire du représentant légal, disposant dans le cadre de ses fonctions et par l'effet des délégations consenties, de l'autorité, de la compétence et des moyens lui permettant de prendre une telle décision.
C'est ainsi, et surtout dans le cas d'une chaîne de délégations, qu'il y a lieu de recommander une formalisation par écrit et la plus grande des précisions dans l'étendue des délégations de pouvoirs consenties.
Ces précautions ont le grand intérêt de protéger les décisions de l'entreprise, de sécuriser les auteurs de ces décisions et de certifier à la personne objet de la décision prise, en l'occurrence le salarié, que cette décision émane bien de l'autorité sociale compétente.
Cette jurisprudence est actuellement remise en cause par la cour d'appel de Paris dans le cadre des sociétés par actions simplifiées, la motivation prenant appui sur les règles de fonctionnement de la SAS.

Il apparaît ici utile de rappeler rapidement ces règles et l'esprit qui a animé l'instauration de cette forme de société.
La SAS répond aux besoins du monde des affaires de disposer d'une forme de société par actions d'une extrême souplesse, capable de s'adapter, de se personnaliser en fonction des besoins spécifiques de ses associés.
Parmi les quelques règles auxquelles il n'est pas permis de déroger, figurent celles selon laquelle le représentant légal de la SAS est, de droit, le président (C. com., art. L. 227-6).
Cependant, le choix de cette forme sociale, extrêmement fréquente dans les groupes de sociétés disposant d'un grand nombre d'établissements, rend en pratique impossible le monopole de la signature de tous les actes sociaux par ce seul président.
C'est ainsi que pour clarifier certaines pratiques, le Code de commerce, en son article L. 227-6 modifié, a expressément prévu que, outre le président, représentant légal investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la SAS dans la limite de son objet, les statuts pouvaient prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs autres personnes auxquelles seraient conféré le titre de directeur général ou de directeur général délégué, pourraient également exercer les pouvoirs confiés au président.
En ce cas, et selon la règle commune stipulée pour tous mandataires sociaux, la désignation de tels directeurs généraux et directeurs généraux délégués doit évidemment faire l'objet d'une publication au registre du commerce et des sociétés de façon à assurer parfaitement l'information des tiers.
En outre, l'étendue des pouvoirs conférés à ces mandataires sociaux doit être très précisément définie par les dispositions statutaires.
Selon les cas, ces pouvoirs peuvent être extrêmement étendus et recouvrer l'ensemble des pouvoirs du président lui-même ou, au contraire, être plus circonscrits selon les domaines de compétences confiés à tel ou tel directeur général.
Ainsi, avec ce mode de fonctionnement où les fondements légaux doivent être au cas par cas précisés par les dispositions statutaires, la SAS a su, au fil des années, se doter d'un mode de représentation légale adaptable à chaque cas, soit une représentation par un seul président, soit une représentation légale plurale qui ne doit en aucun cas être confondue avec une délégation, cette dernière devant réunir les conditions cumulatives ci-avant rappelées.
En conclusion, les deux arrêts de la cour d'appel de Paris frappés de pourvoi, qui stipulent que pour leur validité, les lettres de licenciement doivent émaner, soit du président de la société, soit de la personne autorisée par les statuts à recevoir délégation pour exercer le pouvoir de licencier détenu par le seul président, nous paraissent faire une interprétation quelque peu erronée de l'article L. 227-6 du Code de commerce qui définit les modalités possibles de la représentation légale de la SAS.
Contrairement à ce que croit pouvoir affirmer la cour d'appel de Paris, la totalité des pouvoirs n'est pas concentrée entre les mains du seul président ; nous venons de rappeler en effet que d'autres personnes, directeur général ou directeur général délégué, avaient le pouvoir de représenter la société et ce, par habilitation légale et statutaire et non par l'effet d'une délégation de pouvoirs.
En outre, à supposer que la personne en charge de la décision de licenciement dispose d'une délégation de pouvoirs, il n'y a pas lieu, dans le cas spécifique de la SAS, à ajouter une condition supplémentaire -celle d'une autorisation par les statuts et d'une publicité au registre du commerce et des sociétés- aux critères traditionnellement requis par la jurisprudence.
Enfin, l'affirmation que fait le cour d'appel d'un principe de concentration entre les mains du seul président, de la totalité des pouvoirs, nous paraît exagérément autocrate et juridiquement infondée, compte tenu de la rédaction de l'article L. 227-6 du Code de commerce qui prévoit expressément que ce pouvoir de représentation peut être partagé avec des directeurs généraux.

Il nous paraît donc nécessaire d'appréhender avec prudence la jurisprudence actuelle de la cour d'appel de Paris et d'attendre la position de la Cour de cassation sur ce sujet.

Lexbase : Les juridictions du fond ont retenu comme sanction la nullité du licenciement. Que pensez-vous de cette solution ? N'est-elle pas en contradiction avec la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui considère traditionnellement que le licenciement notifié par une personne non habilitée est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 26 avril 2006, n° 04-42.860, F-D N° Lexbase : A2112DPW) ?

Anne-France Léon-Oulié : Il est certain que la nullité du licenciement constitue une sanction très dure pour l'entreprise. En effet, la majeure partie du temps, les lettres de licenciement, quelle que soit la forme juridique d'une société, sont signées par des personnes qui ne sont pas étrangères à l'entreprise et qui disposent d'un mandat apparent pour les salariés de prendre des décisions importantes.
Il a été notamment jugé que l'irrégularité pouvant affecter la procédure de licenciement, y compris au titre du mandat donné à un tiers pour la conduire, ne saurait suffire à priver de cause réelle et sérieuse le licenciement (Cass. soc., 2 octobre 2002, n° 00-41.801, F-D N° Lexbase : A9026AZC).
Le licenciement est, en revanche, dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors qu'il a été notifié par une personne étrangère à l'entreprise (Cass. soc., 26 avril 2006, n° 04-42.860, préc.).
Il est clair que les derniers arrêts rendus en matière de SAS ont adopté une position rigoureuse tranchant avec la jurisprudence classique relative à l'auteur de la lettre de licenciement.

Lexbase : Vu l'état actuel du droit et les incertitudes qui entourent les délégations de pouvoir dans les SAS et la validité des licenciements prononcés par les délégataires, quelles sont vos préconisations en la matière ?

Anne-France Léon-Oulié : On ne peut qu'inviter actuellement un employeur, président d'une SAS, à sécuriser les procédures de licenciement en signant lui-même les lettres de licenciement. Il faut préciser que les Conseils des salariés se sont emparés de cette manne providentielle que constituent ces arrêts, en n'hésitant pas à examiner en premier lieu la qualité du signataire des lettres de licenciement au sein d'une SAS afin de solliciter ainsi à titre principal la nullité du licenciement, économisant une perte de temps à conclure sur le fond.
Il convient donc de moraliser le débat, étant précisé que tout un chacun attend actuellement impatiemment un arrêt de la Cour de cassation clarifiant la situation compte tenu de l'insécurité juridique créée par ces arrêts.
La prudence reste toutefois de mise et la plus grande attention doit être portée tant à l'égard du contenu des statuts et de la délégation de pouvoirs y figurant, qu'à l'égard des procédures de licenciement requérant la signature indispensable du président d'une SAS.

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