Réf. : Cass. soc., 31 mars 2010, n° 09-60.115, Société Sonodina c/ Mme Laetitia Rocher, F-P+B (N° Lexbase : A4141EUW)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé Durant la période transitoire instituée par la loi du 20 août 2008, l'employeur est en droit de contester la représentativité d'un syndicat ne bénéficiant pas des présomptions édictées par l'article 11, IV de la loi du 20 août 2008. |
I - Dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 et représentativité syndicale
Par trois importants arrêts rendus le 10 mars 2010, commentés dans ces mêmes colonnes, la Cour de cassation a précisé le sens des dispositions transitoires instituées par la loi du 20 août 2008 relativement à la représentativité syndicale (2).
Ces trois décisions comportaient le même motif de principe que l'on retrouve reproduit à l'identique dans l'arrêt sous examen. Aux termes de celui-ci, "si les dispositions transitoires des articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ont maintenu jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date de la publication de la loi, à titre de présomption qui n'est pas susceptible de preuve contraire, la représentativité des syndicats à qui cette qualité était reconnue, avant cette date, soit par affiliation à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit parce qu'ils remplissaient les critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3727IBN) alors en vigueur, les nouvelles dispositions légales, interprétées à la lumière des articles 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) n'excluent pas qu'un syndicat qui ne bénéficie pas de cette présomption puisse établir sa représentativité, soit par affiliation postérieure à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit en apportant la preuve qu'il remplit les critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de cette loi, à la seule exception de l'obtention d'un score électoral de 10 % auquel il devra satisfaire dès les premières élections professionnelles organisées dans l'entreprise".
L'interprétation retenue des dispositions de la loi du 20 août 2008, et spécialement de son article 11, IV, invite à distinguer, durant la période transitoire, deux groupes de syndicats : ceux qui bénéficient d'une présomption irréfragable de représentativité et ceux dont la représentativité peut être contestée.
Jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date de publication de la loi (i.e. la période transitoire), certains syndicats bénéficient d'une présomption de représentativité qui n'est pas susceptible de preuve contraire. Sont concernés les syndicats qui, à la date de publication de la loi, bénéficiaient de la représentativité, soit par affiliation à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit parce qu'ils avaient fait la preuve, à cette même date, de leur représentativité sur le fondement des critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction alors en vigueur (3). Ces syndicats jouissent d'une position privilégiée puisque leur représentativité ne peut en aucune façon être contestée.
Reste alors le cas des syndicats qui viendraient à établir leur représentativité, soit par affiliation postérieure à la publication de la loi, soit en apportant la preuve qu'ils remplissent les critères énoncés à l'article L. 2121-1 dans sa rédaction issue de cette loi, à la seule exception d'un score électoral de 10 %. Doit-on considérer, pour reprendre les termes de la Cour de cassation, que ces syndicats bénéficient "des présomptions édictées par l'article 11, IV, de la loi" (4) ? S'agissant des seconds, la réponse ne fait guère de doute : ils ne bénéficient pas d'une telle présomption. C'est ce que tend à confirmer l'arrêt sous examen, dans lequel était en cause un syndicat autonome (5). Par voie de conséquence, dès lors qu'un tel syndicat entend exercer une prérogative attachée à la représentativité, celle-ci peut être contestée en justice, ainsi qu'il sera vu plus avant.
La difficulté concerne les syndicats qui viendraient à s'affilier à une organisation syndicale représentative au plan national interprofessionnel durant la période transitoire. Du fait de cette affiliation, ils bénéficient de la représentativité. Mais, celle-ci supporte-t-elle la preuve contraire ? Il nous semble difficile de l'admettre tant en droit qu'en fait. Tout d'abord, et à la différence de la représentativité prouvée qui, par définition, n'est pas acquise tant qu'elle n'a pas été établie, la représentativité par affiliation découle de ce seul acte juridique. En d'autres termes, dès lors que l'affiliation est effective, la représentativité est acquise. En outre, en admettant que cette représentativité supporte la preuve contraire, on peine à imaginer sur quel(s) fondement(s), ou plus exactement sur quel(s) critère(s), elle pourrait être contestée.
Si tant est que cette interprétation soit la bonne, seuls les syndicats non affiliés à une organisation représentative au plan national interprofessionnel pourraient donc voir leur représentativité contestée.
II - Les modalités de la contestation de représentativité
En l'espèce, par lettre du 17 septembre 2008, le syndicat autonome des services défense des salariés (SASDS) avait notifié à une société la création d'une section syndicale au sein de l'entreprise et la désignation de Mme X en qualité de déléguée syndicale. Cette dernière avait été remplacée le 7 janvier 2009, avant d'être à nouveau désignée le 26 février 2009. Contestant la représentativité du syndicat au niveau de l'entreprise, la société avait saisi le tribunal d'instance d'une demande d'annulation de cette dernière désignation.
Pour débouter la société de cette demande, le jugement attaqué avait relevé que l'employeur n'avait contesté ni la représentativité du SASDS lors de la création de la section syndicale, ni la première désignation de Mme X le 17 septembre 2008. Il avait, en outre, invité l'intéressée aux réunions du comité d'entreprise postérieures et le syndicat avait participé le 13 janvier 2009 à la négociation d'un accord d'entreprise relatif au temps d'habillage et de déshabillage. Les juges du fond avaient, par suite, retenu que le syndicat en cause avait été reconnu de fait comme représentatif dans l'entreprise en sorte que la désignation de Mme X était régulière.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 et de l'article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de la loi. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en statuant ainsi, alors, d'une part, que jusqu'aux prochaines élections professionnelles, la désignation de Mme [X] le 26 février 2009 ouvrait une nouvelle faculté de contestation de la représentativité du syndicat qui ne bénéficiait pas des présomptions édictées par l'article 11, IV, de la loi, d'autre part, que la participation d'un syndicat à la négociation d'un accord collectif ne saurait emporter renonciation par l'employeur à contester ultérieurement sa représentativité, enfin, que la création d'une section syndicale n'est pas réservée aux seuls syndicats représentatifs dans l'entreprise, le tribunal a violé les textes susvisés".
Manifestant une méconnaissance certaine du mécanisme de la représentativité prouvée, la décision des juges du fond appelait, de manière inéluctable, la censure. Quelques rappels sont à cet égard nécessaires. Tout d'abord, la représentativité n'est jamais contestée dans l'absolu. Elle ne peut l'être que lors de l'exercice d'une prérogative qui lui est attachée. Ensuite, et aussi critiquable que cela puisse paraître, cette représentativité peut être contestée à chaque fois qu'une telle prérogative est exercée (6). Il ne faut, en effet, pas oublier que la représentativité est constatée à un moment donné : un syndicat antérieurement jugé non représentatif peut le devenir, tandis que celui-ci qui avait été déclaré représentatif peut en perdre le bénéfice. Enfin, on ne saurait admettre que l'employeur puisse "reconnaître", ne serait-ce qu'en fait, la représentativité d'un syndicat (7). Pour le dire de manière plus juridique, et en reprenant les termes de la Cour de cassation, l'employeur ne saurait renoncer à l'avance, que ce soit de manière implicite ou explicite, à son droit de contester la représentativité d'un syndicat liée, nous l'avons vu, à l'exercice d'une prérogative qui lui est attachée.
Ainsi, l'employeur qui ne conteste pas la participation d'un syndicat à une négociation collective ne "reconnaît" pas sa représentativité (8) et conserve donc le droit de contester celle-ci lors de l'exercice ultérieur par ce même syndicat d'une prérogative exigeant cette qualité, telle que, par exemple, la désignation d'un délégué syndical. En l'espèce, l'employeur était donc en droit de contester la nouvelle désignation de Mme X. La solution aurait été différente s'il n'y avait pas eu une "nouvelle" désignation. Mais cela aurait été la conséquence de la règle selon laquelle, passé le délai de quinze jours, la désignation est purgée de tous vices.
Au final, la solution retenue apparaît parfaitement justifiée, même si elle laisse encore dans l'ombre certaines interrogations (9). On ne saurait, toutefois, en faire le reproche à la Cour de cassation qui ne pouvait aller au-delà du pourvoi dont elle était saisie. On ajoutera que cet arrêt a d'indéniables vertus pédagogiques pour l'avenir. A terme, en effet, ne subsistera plus que la représentativité prouvée. Faut-il pour autant s'inquiéter d'une multiplication des recours aux juges aux fins de contestation de la représentativité ? On peut en douter. D'une part, certaines prérogatives qui étaient antérieurement réservées aux seuls syndicats représentatifs sont désormais plus largement ouvertes. D'autre part, on peut penser que pour ne pas être le seul critère de représentativité, le fait d'atteindre le seuil fatidique de 10 % des suffrages aux élections professionnelles bridera quelque peu les velléités de contestation.
(1) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ). Voir nos deux éditions spéciales, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N9830BG8) et Lexbase Hebdo n° 318 du 18 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1826BH4).
(2) Cass. soc., 10 mars 2010, 3 arrêts, n° 09-60.065, Société Elidis boissons services, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9741ESL), n° 09-60.246, Syndicat Sud aérien, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9742ESM) et n° 09-60.282, Pôle emploi Auvergne, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1867ETC). Lire notre chron., Portée des dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 relativement à l'établissement de la représentativité syndicale, Lexbase Hebdo n° 388 du 26 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6056BNM).
(3) Il faut donc comprendre que, par l'effet des dispositions transitoires, une représentativité prouvée se mue, pendant cette période, en représentativité présumée.
(4) On est tenté d'ajouter, "tel qu'interprété par la Cour de cassation".
(5) C'est-à-dire un syndicat non affilié à l'une des organisations syndicales représentatives au plan national interprofessionnel.
(6) Ce qui permet de comprendre tout l'intérêt de la présomption irréfragable de représentativité.
(7) Cela a d'autant moins de sens qu'il n'est pas le seul à pouvoir contester la représentativité d'un syndicat.
(8) Ne parlons même pas de la création d'une section syndicale dont la Cour de cassation rappelle, à très juste titre, que, depuis la loi du 20 août 2008, elle n'est plus réservée aux syndicats représentatifs.
(9) On peut, néanmoins, s'interroger sur la référence faite "aux prochaines élections professionnelles". Il ne faudrait pas comprendre cela comme interdisant de contester la représentativité d'un syndicat postérieurement à cette date, aurait-il obtenu 10 % des suffrages.
Décision Cass. soc., 31 mars 2010, n° 09-60.115, Société Sonodina c/ Mme Laetitia Rocher, F-P+B (N° Lexbase : A4141EUW) Cassation partielle de TI Puteaux, contentieux des élections professionnelles, 31 mars 2009 Textes visés : loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, art. 11, IV, et 13 (N° Lexbase : L7392IAZ) ; C. trav., art. L. 2121-1 (N° Lexbase : L3727IBN) Mots clefs : représentativité syndicale ; loi du 20 août 2008 ; dispositions transitoires ; contestation de la représentativité Lien base : |
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