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N7399BND
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par Thierry Lambert, Professeur à l'université Paul Cézanne Aix Marseille I
le 07 Octobre 2010
Monsieur V., agissant en son nom et au nom de ses trois fils, s'était engagé à céder à une société appartenant au groupe Bolloré les titres de la société Compagnie privée d'El Rhaba que les uns et les autres détenaient. Le transfert de titres a été réalisé au profit d'une société civile du groupe Bolloré, pour un prix acquitté en 1992 et en 1994.
A la suite d'une vérification de comptabilité des sociétés du groupe Bolloré, suivie d'un contrôle sur pièces des revenus de Monsieur V. l'administration a constaté que ce dernier avait omis de déclarer la quote-part de la plus-value lui revenant, réalisée lors de la cession, et avait estimé qu'il était redevable de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre de la plus-value réalisée sur la cession des actions et à raison de la plus-value résultant du complément de prix.
Avant la mise en recouvrement des impositions, il n'est pas contesté que le contribuable avait demandé à l'administration de lui communiquer le registre des transferts de titres de la société et l'acte portant promesse de vente entre les parties, ce dernier étant partiellement reproduit dans la notification de redressements.
L'administration n'a pas fait droit à la requête du contribuable pour les documents obtenus de tiers au motif que le contribuable a pu avoir connaissance des renseignements contenus dans ces documents ou de certains d'entre eux.
En l'espèce, le Conseil d'Etat rappelle par un considérant de principe que : "lorsque le contribuable en fait la demande à l'administration, celle-ci est tenue de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu'elle a obtenus auprès de tiers et qui lui ont été opposés, [...] il en va ainsi, alors même que le contribuable a pu avoir connaissance de ces renseignements ou de certains d'entre eux, afin de lui permettre d'en vérifier et, le cas échéant, d'en discuter l'authenticité et la teneur".
Cette décision s'inscrit à la suite de la jurisprudence par laquelle le Conseil d'Etat a considéré que l'administration doit informer le contribuable, toujours avant la mise en recouvrement des impositions, de l'origine et de la teneur des renseignements recueillis en exerçant son droit de communication, quand bien même ceux-ci proviennent des déclarations du contribuable (CE 8° et 3° s-s, 28 juillet 2000, n° 198440 N° Lexbase : A6528ATX). La portée de l'obligation qui pèse sur l'administration est limitée aux seuls éléments fondant une rectification (CE Contentieux, 12 octobre 2001, n° 217378 N° Lexbase : A1808AXA). En outre, le seul fait de l'absence d'information sur les modalités d'obtention de renseignements par l'administration ne prive pas pour autant le contribuable de la possibilité de demander, et d'obtenir, la communication des documents consultés par l'administration (CE 9° et 10° s-s-r., 27 avril 2009, n° 300760, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6410EGI). Ajoutons qu'au cas où les documents sont détenus par d'autres administrations, l'administration fiscale qui a seulement pris connaissance de ces documents dans l'exercice de son droit de communication doit renvoyer le contribuable vers les services administratifs concernés (CE 3° et 8° s-s-r., 26 novembre 2007, n° 291048 N° Lexbase : A9648DZD).
Rappelons que, lorsque dans le cadre de son droit de communication l'administration consulte au cours d'une vérification les pièces comptables saisies et détenues par l'autorité judiciaire, elle est obligée de soumettre leur examen à un débat oral et contradictoire (CE 3° et 8° s-s-r., 25 avril 2003, n° 234812 N° Lexbase : A7683BSD).
Quand la mauvaise qualité des documents ne permet pas que ceux-ci soient déplacés ou d'en faire des copies, l'administration peut proposer au contribuable de les consulter dans ses bureaux.
Dans un avis rendu le 21 décembre 2006, le Conseil d'Etat a considéré que l'obligation d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers, qui s'impose à l'administration sous peine d'irrégularités, ne se limite pas à ceux obtenus dans le cadre de l'exercice du droit de communication (CE, avis, 21 décembre 2006, n° 293749, N° Lexbase : A1476DTT, RJF, 2007, 3, comm. 314). Toutefois, l'obligation ne s'étend pas aux informations fournies annuellement par des tiers à l'administration et au contribuable conformément aux dispositions du Code général des impôts. L'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) codifie le principe. Désormais deux obligations s'imposent à l'administration quelle que soit la nature du contrôle. D'une part, elle doit informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers, sur lesquels elle s'appuie pour motiver des rectifications. D'autre part, elle a pour obligation de communiquer au contribuable, sur sa demande et avant la mise en recouvrement des impositions, les documents qu'elle a invoqués.
En conséquence, le contribuable peut obtenir communication des documents originaux, ou des copies de ces documents, dès lors qu'ils ont été obtenus dans le cadre de l'exercice du droit de communication auprès des tiers et qu'ils fondent les rectifications. L'information du contribuable doit porter sur les renseignements et les documents que l'administration a obtenus de tiers (CE 8° s-s., 21 mars 2008, n° 284799 N° Lexbase : A5016D7W). La demande doit être faite par le contribuable avant la mise en recouvrement.
II - Une mise en demeure, non obligatoire, adressée par l'administration à un contribuable peut-elle coûter cher à un contribuable non précautionneux ? CE 3° et 8° s-s-r., 27 janvier 2010, n° 305291, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7552EQR)
La société Thies Gmbh & Co. a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité pour la période du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1996. Elle a été mise en demeure de déposer des déclarations de TVA au titre de la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1995. N'ayant pas satisfait à cette obligation, elle a été taxée d'office (LPF, art. L. 66-3 N° Lexbase : L7601HEA).
Le principe est bien établi : une société qui se livre à des opérations passibles de la TVA encourt une taxation d'office dès lors qu'elle n'a pas produit de déclarations ou qu'elle les a remises hors délai (CE Contentieux, 25 février 1981, n° 14322 N° Lexbase : A4215AKC), DF, 1981, comm. 1507). De la même manière, il a été jugé qu'un contribuable peut être taxé d'office quand bien même la responsabilité de la production tardive des déclarations soit du fait du comptable qui n'a pas fait diligence (CE Contentieux, 17 novembre 1986, n° 44713 N° Lexbase : A4518AMB, RJF, 1987, 1, comm. 85). Il appartient au contribuable de faire la preuve du dépôt, dans les délais, de ses déclarations (CE Contentieux, 30 janvier 1987, n° 50148 N° Lexbase : A2598APW, RJF, 1987, 3, comm. 335).
Dès lors qu'un contribuable est en situation d'être taxé d'office, il appartient à l'administration de faire connaître au plus tard devant le juge de l'impôt la méthode adoptée par elle et les calculs précis qui lui ont permis de déterminer les bases de taxation (CE Contentieux, 6 janvier 1984, n° 36632 N° Lexbase : A3615ALH, DF, 1984, comm. 1052, concl. Fouquet).
L'administration n'est pas tenue d'adresser au redevable une mise en demeure avant de procéder à une taxation d'office en matière de TVA, pour défaut de déclaration du montant des affaires passibles de cette taxe (CAA Bordeaux, 1ère ch., 20 octobre 1992, n° 91BX00677 N° Lexbase : A1253A8W, DF, 1993, comm. 1418). L'arrêt précité dispose, en outre, que le contribuable ne saurait se prévaloir, sur la base de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), d'une note du 6 mai 1988, recommandant aux agents de l'administration fiscale d'adresser une mise en demeure préalable, au motif que cette instruction est relative à la procédure d'imposition.
L'article 287-2 du CGI (N° Lexbase : L3092IGM) prescrit aux redevables soumis au régime réel normal d'imposition de déposer mensuellement des déclarations en indiquant le montant total des opérations réalisées et le détail des opérations taxables. En conséquence, la situation de taxation d'office, dans laquelle se trouve un redevable de la TVA astreint à souscrire des déclarations mensuelles du régime normal, s'apprécie mois par mois (CE Contentieux, 6 janvier 1986, n° 42182 N° Lexbase : A7624AMC, RJF, 1986, 2, comm. 175, concl. Fouquet).
Lorsqu'une personne physique ou morale, ou une association, s'abstient de souscrire une déclaration, ou la souscrit tardivement, le montant de l'impôt mis à la charge du contribuable est assorti, en plus de l'intérêt de retard, d'une majoration de 10 % (CGI, art. 1728 N° Lexbase : L1715HNT). Cette majoration est portée à 80 %, lorsque la déclaration n'a pas été déposée dans les trente jours suivant la réception de la deuxième mise en demeure notifiée par pli recommandé d'avoir à la produire dans ce délai (CGI, art. 1728).
L'administration a porté la majoration de 10 % à 40 % au motif que la déclaration n'a pas été déposée dans les trente jours suivant la réception d'une mise en oeuvre, invitant le contribuable à régulariser la situation, par pli recommandé (CGI, art. 1728).
La pénalité pour défaut ou retard dans la production d'une déclaration est exclusive de toute appréciation quant à la nature des manquements du contribuable (CE Contentieux, 10 février 1989, n° 58873 N° Lexbase : A0693AQQ, RJF, 1989, 4, comm. 392). Peu importe que celui-ci soit de bonne foi ou qu'il ait commis des manquements délibérés avec ou sans manoeuvres frauduleuses.
L'intérêt de retard et la majoration ont pour base de calcul le montant des droits mis à la charge du contribuable, ou résultant de la déclaration déposée hors délai.
Pour le Conseil d'Etat, le fait que la mise en demeure ne soit pas obligatoire est sans importance. Dès lors que celle-ci a été faite, l'administration est fondée à appliquer la majoration de 40 %.
Les sages du Palais-Royal écartent l'idée que les pénalités qui ne sont ni "répercutables" sur l'acheteur, ni déductibles du montant des majorations seraient contraires à la libre circulation des marchandises consacrée par le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne.
Ajoutons, bien que le contribuable ne soulève pas ce point, que le Conseil d'Etat a jugé qu'un contribuable n'est pas autorisé à soutenir que les pénalités de l'article 1728 auxquelles il est assujetti devraient être écartées au motif que, faute de permettre au juge de l'impôt d'en moduler le taux, le dispositif serait contraire avec l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (CE 9° et 10° s-s-r., 6 juin 2007, n° 270955 N° Lexbase : A8140DWE, RJF, 2007, 10, comm. 1042).
III - Révélation d'un don manuel par le conseil des contribuables et application de la pénalité de 80 % : Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-21.476, F-P+B (N° Lexbase : A4656EQI)
Il peut arriver qu'un don manuel soit révélé dans un acte émanant du conseil de contribuables à l'attention de l'administration.
L'article 757 du CGI (N° Lexbase : L8104HLQ) pose deux principes. Le premier retient que "les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel, sont sujets au droit de donation". Le second affirme clairement que "la même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale". Ces dispositions s'appliquent à toutes personnes, qu'elles soient physiques ou morales. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux dons manuels consentis aux organismes d'intérêt général visés à l'article 200 du CGI (N° Lexbase : L3284IGQ).
La doctrine administrative rappelle qu'à "l'origine, le don manuel est une donation qui s'opère par simple tradition de la main à la main, mais la jurisprudence a admis la validité des dons manuels par chèques, des dons manuels de titres, de bons de caisse" La doctrine ajoute que "la notion de don manuel peut porter sur des biens meubles corporels et incorporels et même se réaliser par un simple jeu d'écritures" (DB 7 G-3161 du 20 décembre 1996).
Les dons manuels révélés à l'administration fiscale par le donataire doivent être déclarés ou enregistrés dans le délai d'un mois à compter de leur révélation, et assujettis aux droits de donation dans les conditions de droit commun (CGI, art. 635 A N° Lexbase : L7658HL9).
Sont des dons manuels les virements constatés au profit d'un contribuable à la suite d'une vérification de comptabilité, portés ainsi à la connaissance de l'administration, dont l'intention libérale résulte de l'absence de contrepartie (Cass. com., 24 octobre 2000, n° 97-21.594, F-D N° Lexbase : A3525AU4, RJF, 2001, 2, comm. 256). Il a été jugé que le fait que les versements aient pour contrepartie la poursuite de relations intimes n'exclut pas la qualification de don manuel (Cass. com., 8 juillet 1997, n° 95-14.904 N° Lexbase : A0039AUY, DF, 1997, comm. 1089).
La révélation doit être contenue dans un acte écrit du donataire et résulter d'un acte positif, peu importe qu'elle soit spontanée, fortuite ou provoquée. Le deuxième alinéa de l'article 757, relatif à la révélation au profit de l'administration, n'exige pas l'aveu du don de la part du donataire. Par exemple, la présentation par une association de sa comptabilité, à l'occasion d'une vérification fiscale, qui l'oblige à la présentation de documents comptables, vaut révélation au sens de l'article 757, alinéa 2, précité, même si chacune des sommes est modique (Cass. com., 5 octobre 2004, n° 03-15.709, FS-P+B N° Lexbase : A6171DDW, DF, 2002, comm. 351, note Bergerès).
En l'espèce, la Cour de cassation rappelle que, dès lors que la possibilité pour un avocat de représenter un contribuable au cours de la procédure d'imposition n'est pas subordonnée à la justification du mandat qu'il a reçu, le courrier de ce dernier vaut révélation au sens de l'article 757 précité.
En outre, faute d'avoir invoqué, devant la cour d'appel, un manquement de l'administration à son obligation de loyauté, en utilisant la correspondance de l'avocat à l'occasion d'un contentieux, ce moyen soulevé par le contribuable devant la Cour de cassation est un moyen nouveau mélangeant le fait et le droit qui ne saurait être examiné.
Enfin, le juge de cassation vise l'article 1728-1 du CGI (N° Lexbase : L1715HNT), dans sa version en vigueur à l'époque. Lorsqu'une personne physique ou morale, ou une association, est tenue de souscrire une déclaration ou de présenter un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation d'impôts, droits, taxes, redevances ou sommes établis ou recouvrés par l'administration fiscale, s'abstient de présenter cet acte dans les délais, le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement est assorti de l'intérêt de retard (CGI, art. 1727 N° Lexbase : L2931IGN), et d'une majoration de 10 %. Ce taux est porté à 80 % quand il y a eu une seconde mise en demeure, invitant le contribuable à régulariser la situation. La Cour de cassation affirme que cette majoration de 80 % (CGI, art. 1728) n'est pas une pénalité de mauvaise foi, que nous qualifierons, aujourd'hui, de manquement délibéré.
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