Réf. : Cass. civ. 1, 8 avril 2008, n° 07-11.251, Association Greenpeace France, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8043D7Z)
Lecture: 5 min
N7822BEG
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, lors de campagnes de défense de l'environnement, les associations Greenpeace France et Greenpeace New-Zealand avaient reproduit sur leurs sites internet la lettre "A" stylisée de la marque de la Société des participations du Commissariat à l'énergie atomique Areva et la dénomination "A Areva" en les associant, toutes les deux, à une tête de mort, le logo étant placé sur le corps d'un poisson mort ou malade. La société a assigné en référé les associations pour faire supprimer toute reproduction imitation et usage de ses marques et toute référence illicite à celles-ci puis, au fond, en contrefaçon pour reproduction et par imitation des deux marques et pour des actes fautifs distincts, estimant que les mentions de deux marques ainsi caricaturées sur les sites discréditaient et dévalorisaient l'image de ces marques. On passera assez vite sur la première branche du moyen qui reprochait à l'arrêt de la cour d'appel de Paris (CA Paris, 4ème ch., sect. B, 17 novembre 2006, n° 04/18518 N° Lexbase : A5233DTY) d'avoir dit qu'en associant des images de mort à la reproduction des marques, dont la société Areva était titulaire, les associations avaient commis des actes de dénigrement au préjudice de cette dernière et d'avoir, en conséquence, interdit la poursuite de ses agissements sous astreinte, condamné ces associations à payer des dommages et intérêts à la société et autorisé celle-ci à faire publier le dispositif de l'arrêt. Le pourvoi faisait, en effet, valoir que les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, contrairement à ce qu'auraient décidé les juges du fond qui, de ce fait, auraient violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. L'argumentation est rejetée, aux motifs que "la cour d'appel a exactement retenu que les actes reprochés aux associations par l'utilisation litigieuse de ses marques ne visaient pas la société mais les marques déposées par elle et en conséquence les produits ou services qu'elle servent à distinguer, de sorte qu'il était porté atteinte à ses activités et services et non à l'honneur ou à la considération de la personne morale".
La seconde branche du moyen critiquait, elle, le fait que, pour condamner les associations à payer la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts à la société et autoriser celle-ci à faire publier le dispositif de l'arrêt, la cour d'appel avait considéré que la représentation des marques de la société associées à une tête de mort et à un poisson malade, symboles que les associations admettaient avoir choisis pour frapper immédiatement l'esprit du public sur le danger du nucléaire, en ce qu'elle associait les marques en cause à la mort, conduisait à penser que tout produit ou service diffusé par la société était mortel. En somme, en raison de la généralisation qu'elles introduisaient sur l'ensemble des activités de la société, non limitées au nucléaire, les associations allaient au-delà de la liberté d'expression permise. Cette fois, la Cour de cassation exerce sa censure, sous le visa de l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4743AQQ). Elle décide, en effet, "qu'en statuant ainsi, alors que ces associations agissant conformément à leur objet, dans un but d'intérêt général et de santé publique par des moyens proportionnés à cette fin, n'avaient pas abusé de leur droit de libre expression, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
La solution témoigne, après d'autres, d'un recul du seuil de la faute et, en définitive, d'une éviction de la responsabilité. On rappellera que, sur cette pente, il a été déjà été jugé que certains comportements n'engendrent pas une responsabilité civile lorsque sont en cause des émissions satiriques ou de caricatures n'entraînant aucun risque de confusion avec la réalité (5). Moyennant quoi, "de dérive en dérive" (6), la Cour de cassation a considéré que des dessins tournant "en dérision la religion catholique, les croyances et les rites de la pratique religieuse, mais [n'ayant] pas pour finalité de susciter un état d'esprit de nature à provoquer à la discrimination, la haine ou la violence, ne caractérisent pas l'infraction prévue par l'article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881" et, qu'en l'état de ces seuls motifs, aucune faute ne pouvait être retenue sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (7).
(1) Ass. Plén., 12 juillet 2000, n° 98-11.155, Epoux X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A2599ATG), Bull. civ. n° 8, D., 2000, Somm., p. 463, obs. P. Jourdain.
(2) Cass. civ. 1, 27 septembre 2005, n° 03-13.622, Société du Figaro c/ M. Roger Legraverend, FS-P+B (N° Lexbase : A5767DKS), Bull. civ. I, n° 348.
(3) Pour une confirmation de la solution et, donc, une exclusion de l'article 1382 sans se référer aux délits de presse et dans des hypothèses dans lesquelles aucun d'eux n'était caractérisé : Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 03-20.506, M. Patrick Balkany, FS-P+B (N° Lexbase : A6729DTE), Bull. civ. II, n° 19, RTDCiv., 2007, p. 354, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-10.747, Société conception de presse et d'édition (SCPE), FS-P+B (N° Lexbase : A5122DWM), Bull. civ. I, n° 215.
(4) Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 07-12.643, M. Stéphane Favier, F-P+B (N° Lexbase : A6112D47).
(5) Ass. Plén., 12 juillet 2000, préc., JCP éd. G, 2000, II, 10439, note A. Lepage, RTDCiv., 2000, p. 842, obs. P. Jourdain.
(6) F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., n° 738, p. 721.
(7) Cass. civ. 2, 8 mars 2001, n° 98-17.574, Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identit française et chrétienne (AGRIF) c/ M. Godefroy (N° Lexbase : A4951ARS), Bull. civ. I, n° 47.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:317822