Réf. : Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-41.596, Mme Patricia Guilbert, épouse Heuze, FS-P+B (N° Lexbase : A8747D74)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé En cas d'utilisation du chèque emploi-service, pour les emplois dont la durée de travail dépasse huit heures par semaine, un contrat de travail doit être établi par écrit et, pour satisfaire à l'exigence de l'article L. 212-4-3 du Code du travail (N° Lexbase : L7888HBR, art. L. 3123-14 et s. recod. N° Lexbase : L1246HXG), il doit mentionner la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail convenue. A défaut, le contrat est présumé à temps complet, sauf preuve contraire incombant à l'employeur. Celui-ci, pour rapporter cette preuve, doit justifier de la durée exacte, hebdomadaire ou mensuelle, du travail convenue. |
Commentaire
I - Les effets de la durée du travail sur le formalisme de la relation de travail rémunérée par chèque emploi-service
L'article L. 129-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5660ACM, art. L. 7232-6 recod. N° Lexbase : L3143HXP), dans sa rédaction applicable au litige, prévoyait la possibilité, pour les particuliers employeurs, de rémunérer un salarié engagé à des tâches à caractère familial ou domestique par le biais de chèques emploi-service (1).
L'objectif de ce dispositif résidait dans la volonté d'alléger les formalités à la charge du particulier employeur. Si cette finalité se ressentait principalement sur le plan des déclarations et versements de cotisations sociales, elle était, également, prise en compte sur le plan, plus strict, du droit du travail. Ainsi, les relations de travail de ce type ne nécessitent pas qu'un contrat de travail soit écrit, à condition, toutefois, que la durée hebdomadaire de travail n'excède pas huit heures par semaine ou que la durée totale de la relation n'excède pas quatre semaines consécutives dans une année. Ces dispositions sont nettement dérogatoires du régime du travail à temps partiel dont le formalisme contractuel est certainement l'un des plus abouti (2).
Si ces conditions sont respectées, l'absence de contrat écrit est compensée par la remise du chèque, lequel joue, alors, le rôle de contrat de travail, à l'image du bulletin de salaire qui pallie, dans les relations de travail plus classiques à durée indéterminée, l'absence de contrat écrit pour la détermination du contenu de la relation contractuelle (3).
Au contraire, si la durée du travail excède les limites posées par le Code du travail, l'exigence d'un contrat de travail écrit ressurgit, à l'instar de l'ensemble des contrats de travail spéciaux qui, faisant exception au contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, nécessitent toujours l'existence d'un écrit (4). Pour autant, l'usage du chèque emploi-service comme mode de paiement n'en est pas, pour autant, remis en cause.
En effet, la Cour de cassation décide, de manière habituelle, que, dans cette hypothèse, ce sont seulement les règles de droit commun du contrat de travail à temps partiel qui reprennent leur empire (5). La violation de la règle selon laquelle le contrat de travail à temps partiel doit être conclu par écrit peut, potentiellement, emporter la requalification du contrat en contrat de travail à temps complet. En effet, dans ces conditions, le contrat est présumé avoir été conclu à temps complet (6), l'employeur conservant la possibilité de démontrer "la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue" et "que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur" (7). C'est cette solution qui est, ici, réitérée par la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Une salariée, employée de maison essentiellement affectée à la garde des deux enfants de l'employeur, sans contrat de travail écrit, était rémunérée par chèques emploi-service. Après avoir remis sa démission, elle saisit la juridiction prud'homale pour demander un rappel de salaire sur la base d'un contrat de travail à temps complet.
La cour d'appel, appliquant la jurisprudence de la Cour de cassation précitée, refusait la requalification en contrat de travail à temps complet, estimant que l'employeur écartait la présomption de contrat à temps plein, en démontrant "que la salariée ne travaillait que ponctuellement certains jours de la semaine, essentiellement les lundi, mercredi et vendredi, selon des modalités consensuelles et un planning qui tenait compte de l'activité des enfants et de son activité régulière chez un autre employeur".
Après un chapeau de tête rappelant la substance des règles relatives à l'exigence d'un écrit en matière de relation rémunérée par chèque emploi-service et de relation de travail à temps partiel, la Cour de cassation rejette, pourtant, cette argumentation. Elle casse l'arrêt de la cour d'appel, au visa des articles L. 129-2 (art. L. 7232-6 recod.) et L. 212-4-3 (art. L. 3123-14 et s. recod.) du Code de travail, en estimant qu'elle aurait dû rechercher "comme elle y était invitée, si l'employeur qui occupait la salariée plus de huit heures par semaine, sans contrat écrit, justifiait de la durée exacte, hebdomadaire ou mensuelle du travail convenue".
II - Le régime probatoire sévère de la durée de la relation de travail rémunérée par chèque emploi-service
Il faut, d'ores et déjà, remarquer un hiatus entre la motivation de principe de la Cour de cassation et l'argumentation lui permettant de conclure à la cassation de l'arrêt des juges du fond. En effet, si la Cour reprend bien l'ensemble des éléments permettant à l'employeur de se dégager de la présomption de travail à temps plein dans son chapeau, elle semble se contenter, pour casser l'arrêt, d'observer que la cour d'appel a insuffisamment recherché l'existence de l'un des critères, à savoir celui de justifier d'une durée exacte, hebdomadaire ou mensuelle du travail convenue. Exit donc, dans cette affaire, les critères relatifs à l'impossibilité, pour le salarié, de prévoir les rythmes de travail et à la disposition permanente du salarié à son employeur.
Cette indigence dans l'argumentation n'est, pourtant, pas nécessairement à mettre au crédit d'une différence de régime entre la présomption pour un contrat de travail à temps partiel "de droit commun" et celui rémunéré par chèques emploi-service et, encore moins, d'un recul des exigences nécessaires au renversement de la présomption d'une manière générale. On peut plutôt imaginer que les critères laissés de côté par la Chambre sociale avaient convenablement été appréciés par les juges du fond, seul celui de l'établissement des durées exactes hebdomadaires et mensuelles faisant encore difficulté.
La question de la preuve de ces durées hebdomadaires ou mensuelles exactes risque de s'avérer sensiblement plus problématique lorsque la relation donne lieu à une rémunération sous forme de chèque emploi-service que pour un contrat de travail à temps partiel plus classique. En effet, le salarié assigné à la garde d'enfant ou à des tâches domestiques travaille dans un cadre bien plus fermé que celui du travailleur à temps partiel en entreprise. Les preuves testimoniales seront plus difficiles à réunir hors de l'entourage proche de l'employeur, cette proximité réduisant sensiblement la crédibilité de telles preuves. Il en va de même pour la preuve de la durée du travail établie par bulletins de salaire, substitut fréquemment utilisé pour le contrat à temps partiel de facture classique puisque, par définition, le salarié rémunéré en chèque emploi-service ne se fait remettre aucun bulletin de paie.
Autant dire que, dans cette hypothèse, la présomption induite par l'absence d'écrit sera très difficile à combattre, ce dont il nous semble qu'il faille se réjouir d'un strict point de vue juridique. En effet, la sanction de l'exigence d'un écrit pour une relation de travail rémunérée par chèque emploi-service au-delà de huit heures n'est pas envisagée par le Code du travail. Pour autant, la règle est autonome de celles prévues pour le contrat de travail à temps partiel et devraient donc trouver une spécificité à sa violation, spécificité que l'on perçoit, finalement, dans la difficulté de renverser la présomption, pourtant, tirée du régime de droit commun.
Reste à remarquer que la technique du chèque emploi tend à s'étendre bien au-delà de son champ initial. Ces règles devraient, tout d'abord, être, assez naturellement, applicables au chèque emploi-service universel, qui a remplacé le chèque emploi-service et le titre emploi-service à compter du 1er janvier 2007 (8). La technique a, également, été étendue aux associations, aux très petites entreprises dont l'effectif n'excède pas cinq salariés ou aux jeunes gens engagés durant les périodes d'été (9). Mais, pour l'ensemble de ces différentes hypothèses, le mécanisme de présomption inhérent au contrat de travail à temps partiel devrait poser de moindres difficultés, la présence d'autres salariés dans l'entreprise pouvant constituer une source de témoignages de la durée de travail bien plus fiable que pour le particulier employeur.
(1) Sur ce thème, voir l'accord paritaire du 13 octobre 1995. V., également, A. Lyon-Caen, Le chèque-service, Dr. soc., 1994, p. 109. Le chèque emploi-service ne peut, en revanche, être utilisé pour la rémunération des personnels qui consacrent tout ou partie de leur temps de travail à une activité contribuant à l'exercice de la profession de leur employeur (C. trav., art. L. 129-2, art. L. 7232-6 recod.).
(2) Le contrat de travail doit comporter un certain nombre de mentions : la qualification du salarié ; les éléments de la rémunération ; la durée hebdomadaire ou, le cas échéant, mensuelle prévue ; sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ; les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ; les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Voir l'article L. 212-4-3 du Code du travail (N° Lexbase : L7888HBR, art. L. 1253-1 et s. recod. N° Lexbase : L0159HX8).
(3) Sur la confirmation jurisprudentielle de l'absence de nécessité d'écrit en deçà de huit heures hebdomadaires, v. Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 03-48.234, Mme Jacqueline Pambout, épouse Schmitges c/ Mme Jeanne Meissein, F-P+B (N° Lexbase : A7428DDH), Dr. soc., 2005, p. 103, obs. C. Radé.
(4) V., par ex., pour le CDD, art. L. 122-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9625GQK, art. L. 1242-12, recod. N° Lexbase : L0049HX4) ; pour le contrat de mission de travail temporaire, art. L. 124-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9647GQD, art. L. 1251-42 et s. recod. N° Lexbase : L0128HXZ) ; ou, encore, le contrat d'apprentissage, art. L. 117-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5405AC8, art. L. 6222-4 et s. recod. N° Lexbase : L2485HXC).
(5) Cass. soc., 13 juin 2007, n° 05-43.013, M. Surendar Atil, FS-P+B (N° Lexbase : A7855DWT) et les obs. de Ch. Willmann, Chèque emploi service : formalisme du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 267 du 5 juillet 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7691BBH).
(6) Cass. soc., 14 mai 1987, n° 84-43.829, Mme Hallot c/ Société à responsabilité limitée Biscuits Roulet (N° Lexbase : A7455AAD), Dr. soc., 1988, p. 438, note J. Savatier ; Cass. soc., 2 février 2000, n° 97-44.418, Mlle Murielle Verhaghe c/ M. Simon, liquidateur amiable de la société à responsabilité limitée Vensi (N° Lexbase : A9267ATE).
(7) Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-46.394, Mme Fabienne Servan, FS-P+B (N° Lexbase : A3753DBM) ; Bull. civ. V, n° 63 ; D., 2004, IR, p. 1286 ; RJS, 2004, p. 418, n° 623 ; Cass. soc., 26 janvier 2005, n° 02-46.146, Société Promag équipement de magasins c/ Mme Marie-France Houert, F-P+B (N° Lexbase : A2944DG7), D., 2005, IR, p. 858 ; Cass. soc., 9 mars 2005, n° 03-40.386, M. Hakim Boulesnane c/ Société Alpha Net, FS-P+B (N° Lexbase : A2650DHM), Dr. soc., 2005, p. 691, obs. C. Roy-Loustaunau.
(8) C. trav., art. L. 129-5 et s. (N° Lexbase : L8815HWE, art. L. 1271-1 et s. recod. N° Lexbase : L0205HXU). V. Ch. Willmann, Chèque emploi service : formalisme du contrat de travail, préc. ; J-Y. Kerbourc'h, Chèque emploi TPE, CESU et services à la personne : une politique législative de ciblage, JCP éd. S, 2005, n° 16, p. 1254.
(9) Chèque emploi association : C. trav., art. L. 128-1 (N° Lexbase : L4001HC8, art. L. 1272-1 et s. recod. N° Lexbase : L0222HXI) ; chèque emploi pour les très petites entreprises : CSS, art. L. 133-5-5 (N° Lexbase : L7559HBL) ; chèque emploi jeune d'été, article 3 de la loi n° 2003-442 du 19 mai 2003, relative à la création d'un chèque emploi associatif (N° Lexbase : L7841BGI).
Décision
Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-41.596, Mme Patricia Guilbert, épouse Heuze, FS-P+B (N° Lexbase : A8747D74) Cassation partielle, CA Rennes, 5ème ch. prud'homale, 24 janvier 2006 Textes visés : C. trav., art. L. 129-2 en sa rédaction alors applicable (N° Lexbase : L5660ACM, art. L. 7232-6 recod. N° Lexbase : L3143HXP) et L. 212-4-3 (N° Lexbase : L7888HBR, art. L. 3123-14 et s. recod. N° Lexbase : L1246HXG). Mots-clés : chèque emploi-service ; contrat de travail écrit ; durée du travail ; preuve. Lien base : |
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