La lettre juridique n°302 du 24 avril 2008 : Rel. individuelles de travail

[Questions à...] L'abandon de poste...questions à Maître Sophie Jammet, avocat spécialisée en droit social au barreau de Paris

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par Charlotte Figerou, Juriste en droit social

le 07 Octobre 2010

L'abandon de poste fait partie des aléas classiques de la vie d'une entreprise. Beaucoup d'employeurs doivent, au quotidien, faire face à ce risque et il n'est pas toujours évident de savoir quelle attitude adopter devant une telle situation. Pour faire le point sur ce sujet, Lexbase Hebdo - édition sociale a choisi d'interroger, cette semaine, Maître Sophie Jammet, avocat spécialisée en droit social au barreau de Paris. Lexbase : Qu'appelle-t-on abandon de poste ? La jurisprudence donne-t-elle une définition de l'abandon de poste ?

Maître Sophie Jammet : Il n'existe pas de définition légale de l'abandon de poste, mais la Cour de cassation a indiqué, dans différentes décisions, les situations dans lesquelles on peut considérer que l'abandon de poste est caractérisé. Il s'agit, par exemple, de l'absence du salarié alors que celle-ci a été refusée par l'employeur, de l'absence du salarié sans demande préalable, de la prolongation d'une absence, ou de la multiplication des absences et des retards (voir, par exemple, Cass. soc., 20 décembre 1990, n° 88-44.505, Société Roth, société anonyme c/ M. Mohamed Hamaji N° Lexbase : A9335AAY). En fin de compte, on peut dire, aujourd'hui, que l'abandon de poste correspond à la situation dans laquelle le salarié est absent de son poste de travail sans autorisation ou sans justification ; autrement dit, le salarié qui n'a pas de motif légitime pour justifier de son absence à son poste de travail.

Surtout, la Cour de cassation exige, pour que l'abandon de poste soit caractérisé, que les absences soient importantes et fréquentes.

Si ces éléments sont réunis, l'employeur est, par conséquent, fondé à sanctionner le salarié par une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement, dans les cas les plus graves.

Lexbase : Comment réagir face à un salarié qui ne se présente plus à son poste se travail ?

Maître Sophie Jammet : Il y a, ici, deux possibilités. Soit l'employeur réagit et prend l'initiative de lancer une procédure disciplinaire, soit il adopte une attitude passive et attend.

Si l'employeur reste passif et attend que le salarié manifeste sa volonté de revenir ou de démissionner, il peut parfaitement cesser de verser la rémunération. En effet, le salarié ne se rend pas à son poste de travail et n'exécute pas sa prestation de travail. L'employeur peut donc lui adresser un bulletin de salaire, avec le montant qui correspond au travail effectué et non effectué. En outre, si, en théorie, l'employeur n'est pas obligé d'adresser au salarié une lettre de mise en demeure de reprendre le travail, il lui est, néanmoins, conseillé de le faire afin de se garantir par un écrit.

De manière plus globale, dans tous les cas, l'attitude passive est peu recommandable en pratique ; en effet, en cas de contentieux, le salarié pourra toujours arguer de la tolérance, voire de l'accord tacite, de l'employeur passif quant à cette absence.

Si l'employeur réagit et prend l'initiative de lancer une procédure disciplinaire, il doit, alors, adresser au salarié un courrier, par lettre recommandée avec accusé de réception, pour le mettre en demeure de l'informer des raisons de son absence. Il faut expressément préciser, dans ce courrier, que, à défaut de justification, le salarié est mis en demeure de reprendre son travail ou, à tout le moins, si telle n'est pas son intention, de manifester son intention de démissionner. Cette lettre sera, pour l'employeur, la preuve, d'une part, de son absence de faute et, d'autre part, que son salarié ne s'est pas présenté à son poste et n'a pas justifié cette absence.

Lexbase : Quid si l'employeur attend pour mettre en oeuvre la procédure disciplinaire ?

Maître Sophie Jammet : Tout d'abord, il faut noter qu'il n'est pas possible de licencier immédiatement un salarié pour une absence instantanée. Une telle attitude précipitée serait source de risque, pour l'employeur, de voir le licenciement requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'employeur a donc tout intérêt à attendre quelques semaines ou, du moins, quelques jours. En revanche, s'il attend plus d'un mois, voire plus de 2 mois, la Cour de cassation a admis que l'on ne peut pas en déduire pour autant que le licenciement est injustifié (Cass. soc., 13 janvier 2004, n° 01-46.592, F-P+B N° Lexbase : A7800DA7 ; lire les obs. de C. Radé, Abandon de poste : comment réagir ?, Lexbase Hebdo n° 104 du 22 janvier 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0221ABS).

Selon la Cour suprême, le licenciement pour abandon de poste aura, malgré tout, une cause réelle et sérieuse. En effet, la situation est toujours délicate pour l'employeur, qui se retrouve pris en otage et qui n'est jamais à l'abri d'un salarié qui va lui présenter des arrêts maladie avec un sérieux retard !

Lexbase : L'abandon de poste peut-il être sanctionné différemment en fonction du poste occupé et du niveau hiérarchique du salarié ?

Maître Sophie Jammet : Côté employeur, on considère que celui-ci peut parfaitement licencier son salarié qui se met en abandon de poste dès lors que le licenciement est bien motivé. L'abandon de poste doit, pour constituer une cause valable de licenciement, porter préjudice à l'entreprise. Or, selon la mission du salarié et la nature de son poste, le préjudice est variable. En effet, si le salarié est chargé d'encadrer une équipe et s'absente régulièrement, il est bien évident que l'abandon de poste sera très préjudiciable à l'entreprise. Il en irait de même, par exemple, d'un responsable de la sécurité dans une usine ou dans une entreprise où sont traités des matériaux dangereux ou sensibles. Ces éléments entrent naturellement en ligne de compte et contribuent grandement à motiver le licenciement en cas d'abandon de poste.

A l'inverse, le salarié peut, quant à lui, invoquer la nature de son poste pour justifier son absence. Il en irait ainsi, par exemple, du salarié qui se trouve dans une salle non ventilée et qui manipule des matériaux fort dangereux pour sa santé. Dans une telle situation, l'abandon de poste sera justifié par le fait qu'il a voulu protéger sa sécurité. On est, alors, dans le cadre du droit de retrait.

Le droit de retrait est réglementé par l'article L. 231-8-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3651HNK, art. L. 4131-3, recod. N° Lexbase : L1763HXL), selon lequel "aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux". Dans ce cadre-là, le licenciement ne peut en aucun cas être envisagé. Le droit de retrait n'imposant aucun formalisme, le salarié ne sera pas tenu d'adresser au préalable un écrit à son employeur. Si l'on se situe dans les limites de ce droit de retrait, aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée à l'encontre du salarié et ses salaires doivent lui être versés.

En revanche, en cas de contentieux sur ce droit de retrait, il appartiendra aux magistrats d'apprécier si le droit de retrait est justifié. Si tel n'est pas le cas, l'employeur pourra, alors, opérer une retenue sur le salaire.

Si, par ailleurs, l'enquête démontre, après coup, l'absence de danger, le salarié doit reprendre immédiatement son travail et l'employeur peut demander réparation, en invoquant le préjudice que lui aura porté l'absence du salarié (Cass. soc., 23 avril 2003, n° 01-44.806, F-P N° Lexbase : A5898BME).

Lexbase : L'abandon de poste est-il toujours fautif ?

Maître Sophie Jammet : Dans certaines situations, l'abandon de poste peut être "excusé", parce qu'il y a un incident familial, un accident, une urgence qui nécessite que le salarié quitte son poste sur le champ sans avoir de document justificatif à présenter à son employeur. Dans ce cas, le salarié présentera ledit document dans les 24 ou 48 heures afin de régulariser sa situation. C'est la raison pour laquelle l'abandon de poste instantané ne peut pas constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Il faut nécessairement que l'abandon de poste soit prolongé dans le temps pour qu'il puisse justifier un licenciement.

De la même manière, lorsque le salarié se situe dans les limites du droit de retrait, il est tout à fait en droit de quitter son poste de travail et aucune faute ne pourra être retenue à son encontre.

Pour le reste, c'est-à-dire lorsque l'abandon de poste n'est pas excusé par le droit de retrait ou par un motif d'ordre personnel, on se situe, en effet, sur le terrain du droit disciplinaire. Le licenciement aura au minimum une cause réelle et sérieuse, voire reposera sur une faute grave dans les cas les plus extrêmes. En pratique, cependant, la plupart du temps, l'abandon de poste entraîne un licenciement pour cause réelle et sérieuse. La faute grave ne sera retenue que si le poste du salarié et la nature de ses fonctions causent un risque grave à la sécurité de l'entreprise. On en revient, au final, à la notion de préjudice causé à l'entreprise ou au service auquel appartient le salarié pour retenir ou exclure la faute grave.

Lexbase : Si l'abandon de poste doit persister dans le temps pour être caractérisé, quand démarre le délai de 2 mois pour engager les poursuites disciplinaires ?

Maître Sophie Jammet : Effectivement, il est toujours délicat de savoir à compter de quel moment il convient de faire jouer le délai de 2 mois. Rappelons, en effet, qu'aux termes de l'article L. 122-44 du Code du travail (N° Lexbase : L5582ACQ, art. 1332-4, recod. N° Lexbase : L0257HXS), "aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales".

Le délai ne peut pas démarrer le jour même de l'absence, puisque le salarié dispose de 48 heures pour envoyer son justificatif. En pratique, il est recommandé d'attendre quelques jours, 3 ou 4 par exemple, et, surtout, d'envoyer au salarié une lettre de mise en demeure de reprendre son poste de travail. L'employeur n'est jamais à l'abri, en effet, de l'envoi tardif par le salarié d'un justificatif.

Par ailleurs, rappelons que la Cour de cassation n'interdit pas le licenciement quand bien même le délai de 2 mois serait dépassé. Seule la faute grave est, ici, exclue, mais le licenciement ne sera pas, pour autant, dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 13 janvier 2004, n° 01-46.592, préc.).

Lexbase : Si le licenciement est prononcé pour faute sérieuse et non grave, qu'en est-il du sort de l'indemnité de préavis ?

Maître Sophie Jammet : Normalement, l'indemnité est due lorsque l'employeur dispense son salarié de son préavis ou lorsque c'est par le fait de l'employeur que le salarié ne peut pas exécuter son préavis.

En revanche, si le préavis n'est pas effectué du seul fait du salarié, en principe, l'indemnité n'est pas due. Une décision de la Cour suprême est même allée plus loin, décidant que le salarié est, alors, redevable de l'indemnité compensatrice envers son employeur (Cass. soc., 24 mai 2005, n° 03-43.037, F-P N° Lexbase : A4229DIH). Cette décision reste tout de même exceptionnelle, car il est très rare, en pratique, que le salarié soit, ainsi, condamné. La plupart du temps, le salarié sera privé de son indemnité compensatrice de préavis, mais ne devra rien à son employeur.

Lexbase : Est-ce que le fait de ne pas justifier d'une prolongation d'un arrêt de travail peut constituer un abandon de poste ?

Maître Sophie Jammet : Il n'existe pas de jurisprudence établie sur cette question. Dans ce cas de figure, il convient de regarder, à chaque fois, si la nature du poste, le temps de travail ou les missions du salarié entraîne ou non, lorsqu'il s'absente, des perturbations graves dans la vie de l'entreprise. Il faut, aussi, vérifier si ces absences sont ou non répétées et si elles sont justifiées (Cass. soc., 14 mai 1997, n° 94-44.385, M. Consuelo Sanchez c/ Société Julien Giraud et Cie N° Lexbase : A8700AGC ; Cass. soc., 9 juillet 2002, n° 00-40.236, F-D N° Lexbase : A1149AZL).

Lexbase : Dans quelle mesure un abandon de poste peut-il être assimilé à une démission ?

Maître Sophie Jammet : La démission ne se présumant pas, a priori, un abandon de poste ne peut, en aucun cas, être assimilé à une démission. L'employeur ne peut jamais, de ce fait, interpréter l'absence du salarié comme une démission.

Il faut, néanmoins, relever deux cas où la Cour de cassation a tranché en sens inverse, mais ces cas restent très exceptionnels. L'abandon de poste a pu être qualifié de démission lorsque l'absence s'est accompagnée d'autres éléments. Dans la première hypothèse, la salariée, qui avait abandonné son poste, avait développé une importante activité personnelle dans le même secteur d'activité (Cass. soc., 30 janvier 1997, n° 92-41.724, M. Franck Ros c/ Société Syg, société à responsabilité limitée N° Lexbase : A8516AGI). Dans une telle situation, en effet, la volonté claire et non équivoque de la part du salarié de démissionner était caractérisée.

Dans la seconde hypothèse, le salarié, après avoir exigé en vain d'être licencié, s'est montré très agressif et ne s'est plus présenté sur son poste de travail. La Chambre sociale a, ici, retenu la manifestation d'une intention claire et non équivoque de démissionner (Cass. soc., 13 juin 2001, n° 99-42.209, M. Eric Tran c/ Société Au Gourmet de Chine {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1062873, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. soc., 13-06-2001, n\u00b0 99-42.209, in\u00e9dit au bulletin, Cassation partielle", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A5731AGD"}}).

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