La lettre juridique n°302 du 24 avril 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] La prohibition des expertises génétiques post-mortem est d'application immédiate et générale

Réf. : Cass. civ. 1, 2 avril 2008, n° 06-10.256, Mme Aurore Ceretta, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7385D7N)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 2 avril 2008 précise le régime de l'expertise génétique et plus particulièrement la portée de l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M), issu de la loi dite bioéthique n° 2004-800 du 6 août 2004 (N° Lexbase : L0721GTU) (1), en vertu duquel il ne peut être procédé à l'identification génétique d'une personne après son décès que si elle a consenti à cette identification de son vivant. En l'espèce, une jeune fille de seize ans, Aurore X, représentée par sa mère, avait demandé dans le cadre d'une action en recherche de paternité, qu'il soit procédé à une expertise génétique à partir des échantillons de sperme que son père prétendu, Marc Y, avait déposé au centre d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) avant son décès en 2001. La Cour de cassation considère que cette demande ne peut être satisfaite, puisqu'elle ne remplit pas les conditions de l'article 16-11 du Code civil qui est immédiatement applicable aux situations en cours. Cette solution, quoique tout à fait logique (I), risque toutefois de placer le régime de l'expertise génétique en contradiction avec les exigences européennes (II). I - L'application logique de l'article 16-11 du Code civil

Procédure relative à la filiation. Le recours à l'expertise génétique en matière civile est strictement encadré par l'article 16-11, alinéa 2, du Code civil, relayé par le droit pénal qui incrimine l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques en dehors des hypothèses autorisées par la loi (2). Le recours à l'expertise génétique est, tout d'abord, limité aux actions relatives à la filiation, ce qui exclut la possibilité de procéder à une telle expertise en dehors d'une procédure judiciaire. L'impossibilité de faire procéder à une identification génétique dans un cadre privé est toutefois contournée par le recours au "tests de paternité sauvages" (3) à l'étranger, favorisé d'ailleurs par le recours à l'internet. La prise en compte du résultat d'un de ces tests, par hypothèse effectué en violation de l'article 16-11 du Code civil, dans le cadre d'une action judiciaire ultérieure, n'est pas totalement exclue. En effet, si, en théorie, le juge doit écarter cette preuve en raison de son illégalité, il n'est pas certain qu'en pratique il n'en tienne pas du tout compte au moins de manière implicite.

Consentement de la personne. L'article 16-11, alinéa 2, du Code civil, précise, ensuite, que l'identification par les empreintes génétiques d'une personne ne saurait être effectuée qu'avec le consentement de cette dernière. Cette condition, fondée sur le droit à la vie privée, concerne aussi bien le prélèvement que l'analyse génétique. La portée de cette condition est toutefois relative, dans la mesure où le refus du père prétendu de se soumettre à l'expertise génétique peut être -et est fréquemment- retenu contre lui par les juges (4). L'exigence du consentement de la personne a évidemment suscité des interrogations lorsque l'identification concernait une personne décédée comme l'a illustré l'affaire "Montand" (5) pour laquelle l'expertise génétique post-mortem a justement été le seul moyen d'aboutir à une solution juridique conforme à la vérité biologique. En l'espèce, l'exhumation et l'expertise génétique post-mortem avaient été acceptées par la famille du chanteur. On aurait pu penser que la conclusion de cette affaire inciterait le législateur à admettre l'expertise post mortem (6), c'est le contraire qui s'est produit au nom de la paix des morts...

Prohibition de l'expertise génétique post-mortem. La loi du 6 août 2004 est allée dans le sens de ceux qui considéraient que le respect des morts devait l'emporter sur le droit de l'enfant de connaître ses origines et de voir sa filiation établie. Le texte subordonne l'identification par expertise génétique "au consentement exprès de la personne manifesté de son vivant". Cette manifestation de volonté positive paraissant relever d'une hypothèse d'école, l'article 16-11, alinéa 2, du Code civil aboutit, en réalité, à fermer définitivement la porte de l'expertise génétique lorsque le géniteur prétendu est décédé. Si l'on peut comprendre que l'exhumation d'Yves Montand ait pu marquer les esprits et inciter les parlementaires à voter un texte interdisant qu'un tel acte se reproduise, il en va différemment lorsqu'une telle atteinte à la paix des morts n'est pas nécessaire pour procéder à l'identification par empreintes génétiques.

L'application de la prohibition à l'expertise sans prélèvement. L'arrêt du 2 avril 2008 revêt un caractère particulier au regard de la prohibition de l'article 16-11 du Code civil puisqu'il concernait une hypothèse dans laquelle on disposait de matériel génétique du père prétendu, à savoir des échantillons de sperme détenus par le CECOS. Cette particularité ne permet toutefois pas -comme d'ailleurs la Cour de cassation l'admet implicitement- d'écarter la prohibition de l'article 16-11 qui concerne l'identification par empreintes génétiques et pas seulement le prélèvement d'ADN. En revanche, cette interdiction, si l'on s'en tient aux termes de la loi, ne semble pas s'appliquer à l'examen comparé des sangs -du père prétendu et de l'enfant- ce qui peut, au demeurant, constituer une incohérence critiquable (7). La prohibition de l'article 16-11 du Code civil ne s'applique pas non plus à la simple communication d'éléments biologiques, notamment des échantillons sanguins prélevés lors d'une opération chirurgicale, même si cette communication est destinée à permettre une analyse médico-légale dans le cadre d'une action en recherche de paternité intentée à l'étranger (8).

L'application immédiate de la prohibition. L'auteur du pourvoi a tenté d'échapper à la prohibition de l'article 16-11 du Code civil en prétendant que la loi du 6 août 2004 n'était pas applicable à une action intentée avant son entrée en vigueur et concernant un homme qui, par hypothèse, était décédé avant cette date. De manière tout à fait logique, la Cour de cassation balaie l'argument en affirmant que la loi du 6 août 2004 est "applicable aux situations en cours". Cette affirmation est conforme au principe posé à de nombreuses reprises par la Cour de cassation, notamment en matière de filiation (9), selon lequel les lois nouvelles sont d'application immédiate. Cette règle s'applique d'autant plus aux règles de preuve, ce qui est le cas en l'espèce. Une solution contraire aurait abouti à une inégalité critiquable des enfants selon la date du décès de leur père prétendu et aurait contribué à une remise en cause dommageable de l'uniformité de la mise en oeuvre de la règle de droit dans un domaine sensible. Il est clair, désormais, que le décès du géniteur exclut définitivement toute possibilité de recourir à ses empreintes génétiques pour prouver sa paternité conformément, sans doute, aux souhaits du législateur de 2004.

La possibilité limitée d'établir la filiation par un autre moyen. L'interdiction de recourir à une expertise génétique pour établir la paternité de la personne décédée n'empêche évidemment pas le demandeur d'apporter d'autres preuves. En réalité, toutefois, il est difficile, en l'absence de preuves scientifiques, de convaincre le juge de la réalité du lien de filiation surtout lorsque, comme en l'espèce, le père prétendu avait de son vivant refusé de reconnaître l'enfant. Il est certes évident, contrairement à ce que prétendait le pourvoi, que ces manifestations de volonté négative n'ont pas suffi à la cour d'appel pour rejeter la demande en recherche de paternité. Il n'en reste pas moins que l'absence de possession d'état -qui semble ressortir des faits- conjuguée à la volonté très claire du père prétendu de ne pas reconnaître l'enfant, ajoutée à l'absence de preuves scientifiques, pouvaient difficilement conduire les juges du fond à conclure à la présence "d'indices graves et concordants de la paternité de Marc Y à l'égard d'Aurore X".

II - Un régime de l'expertise génétique contraire aux exigences européennes

Atteinte au droit de l'enfant de connaître ses origines. Les efforts conjugués du législateur et de la Cour de cassation aboutissent à limiter dans le temps le droit de l'enfant de connaître ses origines, tel que consacré par la Cour européenne des droits de l'Homme dans les arrêts "Gaskin c/ Royaume Uni" du 7 juillet 1989 (10) et "Odièvre c/ France" (11). Ce droit, dès lors qu'il implique le recours à une expertise génétique, comme c'est souvent le cas, ne peut, en effet, être exercé que du seul vivant du parent prétendu.

Contrariété avec le droit de recourir à une expertise génétique. Or, la Cour européenne associe le droit de connaître ses origines et celui de recourir à une expertise génétique (12). Plus généralement, et indépendamment de la question de l'établissement de la filiation, la Cour européenne considère que toute personne doit avoir accès à une expertise génétique pour connaître l'identité de ses père et mère, et ensuite faire établir sa filiation. Elle a pu en déduire dans l'arrêt "Jäggi c/ Suisse" du 13 juillet 2006 (13) que le refus opposé à un homme de faire exhumer son père prétendu pour procéder à une expertise génétique et savoir s'il était bien son géniteur, constitue une atteinte disproportionnée au droit de l'enfant -en l'espèce un homme de près de soixante-dix ans- de connaître ses origines. La Cour affirme que "les personnes essayant d'établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle". Ni la paix des familles, ni la paix des morts n'ont suffi à justifier l'atteinte portée au droit du requérant de connaître ses origines.

L'absence de conformité du droit français. Cette décision peut sérieusement faire douter de la conformité du droit français aux exigences de la Cour européenne en matière de droit de connaître ses origines. L'interdiction des expertises post-mortem pourrait, en effet, ne pas trouver grâce aux yeux de la Cour de Strasbourg, même si celle-ci a admis, notamment dans l'arrêt "Odièvre", que le droit de connaître ses origines n'est pas absolu.


(1) JO du 7 août 2004, p. 14040.
(2) C. pén., art. 226-8 (N° Lexbase : L2257AMK).
(3) M. Lamarche, Tests de paternité "sauvages" : le droit et l'internationalisation des pratiques, Dr. fam., 2007, Focus n° 22.
(4) Par exemple : Cass. civ. 1, 31 janvier 2006, n° 03-13.642, M. Jean-Jacques Arlin c/ Mme Fernanda Da Silva, F-D (N° Lexbase : A6450DMT), P. Murat (dir.), Droit de la famille, D. Action, 2008, n° 211.46.
(5) CA Paris, 17 décembre 1998, D., 1999, p. 746, note B. Beignier ; P. Catala, La jeune fille et la mort, Dr. fam., 1997, chron. n° 12 ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2001, n° 99-20.740, Mlle Aurore Drossart, FS-D (N° Lexbase : A2900AXP).
(6) En ce sens, J. Hauser, RTDCiv., 2004, p. 714 qui considère que "cette revanche posthume de Montand est [...] une victoire à la Pyrrhus des hypocrites de tout poil".
(7) J. Hauser, J.-Cl. civ., art. 311-19 et 311-20, Fasc. unique : Filiation - Identification génétique, n° 15.
(8) Cass. civ. 1, 4 juin 2007, n° 04-15.080, Mme Géraldine Thomson épouse, Muchova, FS-P+B (N° Lexbase : A5468DWG), RTDCiv., 2007, p. 555, obs. J. Hauser.
(9) Notamment, pour la loi du 15 juillet 1955, Cass. civ. 1, 11 juillet 1957, Bull. civ. I, n° 326 ; D., 1957, p. 630.
(10) CEDH, 7 juillet 1989, Req. 2/1988/146/200, Gaskin (N° Lexbase : A8359AWI), JDI, 1990, p. 715, obs. P. Tavernier ; RUDH, 1990 p. 361, chron., P. Lambert.
(11) CEDH, 13 février 2003, Req. 42326/98, Odièvre (N° Lexbase : A9676A47), JCP éd. G, 2003, II, 10049, obs. A. Gouttenoire et F. Sudre ; RTDCiv., 2003, p. 276, obs. J. Hauser et p. 375 obs. J.-P. Marguénaud.
(12) CEDH, 7 février 2002, Mikulic c/ Croatie, RTDCiv., 2002, p. 866, obs. J.-P. Marguénaud ; dans le même sens CEDH, 30 mai 2006, Ebru et Tayfun Engin Volak c/ Turquie (N° Lexbase : A7181DPN) ; CEDH, 10 octobre 2006, Paulik c/ Slovaquie.
(13) RTDCiv., 2006, p. 727, obs. J.-P. Marguénaud ; RTDCiv., 2007 p. 99, obs. J. Hauser.

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