La lettre juridique n°302 du 24 avril 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Salarié inapte : degré de précision de la lettre de licenciement

Réf. : Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-40.356, M. Striebel c/ Société Koehler, FS-P+B (N° Lexbase : A8939D79)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



La protection exorbitante du droit commun contre le licenciement, dont bénéficient les salariés déclarés inaptes, n'a pas pour effet de les exclure des règles générales applicables à tout licenciement. L'employeur, dans l'impossibilité de reclasser un salarié déclaré inapte, est, en effet, tenu de respecter la procédure de licenciement et d'énoncer dans la lettre de licenciement les motifs qui conduisent à la rupture. Or, en la matière, la jurisprudence impose un certain degré de précision à l'employeur. Comme l'affirme la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 9 avril 2008, l'énonciation, comme motif du licenciement, de l'inaptitude du salarié à tout poste de travail dans l'entreprise, sans mention de l'impossibilité de reclassement, ne constitue pas un motif précis de licenciement. Cette solution, qui doit, en théorie, être approuvée manque, néanmoins, de précision.
Résumé

L'inaptitude physique du salarié, sans mention de l'impossibilité de reclassement, ne constitue pas l'énoncé d'un motif précis de licenciement.

Commentaire


I - Régime entourant la rupture du contrat de travail d'un salarié déclaré définitivement inapte à tout emploi dans l'entreprise


  • Reconnaissance de l'inaptitude du salarié


Le salarié, victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, doit faire l'objet, après une absence pour maladie professionnelle ou en cas d'absence d'au moins 8 jours pour accident du travail, d'un examen par le médecin du travail (C. trav., art. R. 241-51 N° Lexbase : L9928ACP). Cette visite, dite de reprise, doit avoir lieu au moment de la reprise du travail par le salarié ou au plus tard dans les 8 jours de cette reprise (C. trav., art. R. 241-51, al.3). Elle a pour objet de déterminer la capacité du salarié à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment (C. trav., art. R. 241-51, al. 2). Le médecin conclut, ainsi, soit à l'aptitude, soit à l'inaptitude du salarié. Dans ce dernier cas s'engage une procédure particulière.


L'article L. 122-32-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5523ACK, art. L. 1226-10, recod. N° Lexbase : L9850HWQ), intégré dans un chapitre consacré aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, dispose que si le salarié est déclaré, par le médecin du travail, inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise et après avis des délégués du personnel, un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail. L'inaptitude ne peut être reconnue qu'à l'issue de deux visites médicales espacées de 15 jours (C. trav., art. R. 241-51-1).


  • Obligation de reclassement de tout salarié inapte


L'article L. 122-32-5 du Code du travail (art. L. 1226-10, recod.) met à la charge de l'employeur d'un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle déclaré inapte, une obligation de reclassement. Cette obligation a un champ particulièrement large puisqu'elle concerne l'entreprise dans laquelle travaille le salarié, mais, également, le groupe auquel elle appartient.

Le législateur précise que cette obligation s'impose à l'employeur dans tous les cas et, donc, même lorsque le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise .


Ce principe est appliqué de manière constante par la Cour de cassation, qui affirme que la déclaration d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur de rechercher des possibilités de reclassement par le biais de mutation, transformation ou aménagement du temps de travail (Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.700, FS-P+B N° Lexbase : A0414DDP ; Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-47.458, FS-P+B N° Lexbase : A0438DDL ; Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-42.891, FS-P+B N° Lexbase : A0399DD7 ; Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-43.141, Société Teinturerie de Tarare (TDT) c/ M. Mohamed Touil, FS-P+B N° Lexbase : A0403DDB ; Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-45.350, Société Garnier c/ M. Bernard Mourier, FS-P+B N° Lexbase : A0435DDH). L'obligation de reclassement pèse, ainsi, sur l'employeur, quel que soit le degré de l'inaptitude, qu'il soit partiel ou total et que cette inaptitude soit temporaire ou définitive.


Si l'employeur se trouve dans l'impossibilité de reclasser, il lui appartient de faire connaître au salarié les motifs qui s'opposent à son reclassement . Le cas échéant, il s'expose à être condamné à verser au salarié des dommages et intérêts (Cass. soc., 12 novembre 2002, n° 00-45.560, F-D N° Lexbase : A7346A3H). L'employeur ne peut donc valablement rompre le contrat de travail d'un salarié déclaré inapte qu'après lui avoir notifié les motifs qui s'opposent à son reclassement (C. trav., art. L. 122-32-5, alinéa 4, art. L. 1226-12, recod.).

Ce n'est qu'une fois cette notification effectuée que la procédure de licenciement peut s'engager (Cass. soc., 25 octobre 1995, n° 91-43.808 M. Michel Vergnol c/ Société Spirit, société anonyme N° Lexbase : A9692AT7).


Quid de la motivation du licenciement et singulièrement de la lettre de licenciement ? L'employeur peut-il se contenter d'invoquer l'inaptitude du salarié ? Non, répond la Cour de cassation dans la décision commentée.


  • Espèce


Dans cette espèce, un salarié en maladie professionnelle avait été déclaré inapte définitivement à son poste et à tout poste de l'entreprise à l'issue de deux visites médicales diligentées par le médecin du travail.

A peine moins d'un mois plus tard, il avait été licencié pour "inaptitude à tous postes". Contestant cette rupture, il avait saisi la juridiction prud'homale.


Les juges du second degré avaient débouté le salarié de ses demandes, considérant que l'inaptitude à tout poste dans l'entreprise suffisait à motiver la rupture.


Cette décision est cassée par la Haute juridiction. Au visa des articles L. 122-14-2 (N° Lexbase : L5567AC8, art. L. 1232-6, recod. N° Lexbase : L9877HWQ) et L. 122-32-5 du Code du travail, elle affirme que l'inaptitude physique du salarié, sans mention de l'impossibilité de reclassement, ne constitue pas un motif précis justifiant le licenciement.


Cette solution, parfaitement justifiée eu égard aux règles du licenciement, laisse une question en suspens.


II - Motivation de la rupture du contrat de travail du salarié déclaré inapte à tout emploi dans l'entreprise


  • Corollaire du licenciement


Le salarié déclaré inapte par le médecin du travail peut être licencié. L'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8, art. L. 1132-1, recod. N° Lexbase : L9686HWN), qui prohibe les discriminations, dispose qu'"aucun salarié ne peut être écarté d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié, en raison de son origine [...], ou sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du titre IV du lire II du présent code, en raison de son état de santé". Cette disposition permet le licenciement du salarié régulièrement déclaré inapte par le médecin du travail, mais ne détermine aucun régime particulier (C. trav., art. L. 122-32-5, alinéa 5, art. L. 1226-12, alinéa 3, recod.).


En l'absence de dispositions particulières, ce sont donc les règles générales de tout licenciement qui trouvent à s'appliquer, qu'il s'agisse des règles de fond ou de procédure. Outre la procédure de licenciement (C. trav., art. L. 122-32-5, alinéa 5, art. L. 1226-12, alinéa 3, recod.), l'employeur, qui souhaite mettre fin au contrat de travail d'un salarié, doit donc énoncer dans la lettre de licenciement le ou les motifs du licenciement (C. trav., art. L. 122-14-2, alinéa 1er, art. L. 1232-6, recod).

La jurisprudence exige que les motifs figurant dans la lettre de licenciement soient précis (Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-40.633, Société Sofic c/ Mme Bultez et autre N° Lexbase : A6679AHT ; Cass. soc., 23 mai 2000, n° 98-40.635, Société Siva c/ Mme Bardet et autre N° Lexbase : A6680AHU, Bull. civ. V, n° 193). Ce degré de précision s'impose, également, au licenciement du salarié déclaré inapte, comme le rappelle la Haute juridiction dans la décision commentée. La référence à l'inaptitude du salarié n'est pas suffisante, elle fait, en outre, reposer la rupture sur le fait que le salarié est physiquement inapte et non sur le fait que l'employeur ne peut le reclasser, ce qui n'est pas tout à fait la même chose et est contraire à la lettre des textes relatifs à l'inaptitude.


Le législateur subordonne, en effet, le licenciement du salarié inapte à l'impossibilité devant laquelle se trouve l'employeur de le reclasser et non à l'inaptitude du salarié (C. trav., art. L. 122-32-5, alinéa 4, art. L. 1226-12, alinéa 2, recod.).


Il est donc normal que l'employeur, qui met un terme au contrat de travail d'un salarié inapte, fasse figurer comme motif, dans la lettre de licenciement, l'impossibilité de reclassement.


Une question reste entière : quel degré de précision doit revêtir la lettre de licenciement ?


  • Une imprécision


L'employeur peut-il se contenter, comme semble l'indiquer la Haute juridiction dans la décision commentée, de mentionner l'impossibilité de reclasser ? Doit-il, au contraire, reprendre les motifs rendant impossible le reclassement ?


La Haute juridiction ne répond pas à cette question. Elle se contente, en effet, d'affirmer que l'inaptitude physique du salarié sans mention de l'impossibilité de reclassement ne constitue pas un motif précis de licenciement.


L'application de la jurisprudence relative à la lettre de licenciement et, singulièrement, à sa motivation, semble militer dans le sens de la plus grande précision. Il est, en effet, de jurisprudence constante que c'est la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige et que l'employeur ne peut se contenter de se référer à un courrier antérieur ou postérieur pour motiver la rupture, à moins que ce courrier soit annexé à la lettre de licenciement (Ass. plén., 27 novembre 1998, n° 96-44.358, Comité économique agricole des fruits et légumes Rhône-Alpes N° Lexbase : A3017AGT).


Dans l'attente de plus de précision de la Cour de cassation, il semble utile de conseiller aux employeurs, soit de reprendre dans la lettre de licenciement l'intégralité de la lettre de notification de l'impossibilité de reclassement, soit d'annexer à la lettre de licenciement dans laquelle il sera fait mention de l'impossibilité de reclassement, la lettre de notification.


La sanction du défaut de motivation de la lettre étant particulièrement lourde, 12 mois de salaire minimum (C. trav., art. L. 122-32-7 N° Lexbase : L5525ACM art. L. 1226-15, recod. N° Lexbase : L9855HWW), mieux vaut prévenir que guérir.


Décision

Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-40.356, M. Striebel c/ Société Koehler, FS-P+B (N° Lexbase : A8939D79)

Cassation partielle de CA Colmar, ch. soc., sect. A, 6 avril 2006 et 23 novembre 2006

Mots clefs : inaptitude physique ; déclaration d'inaptitude à tout poste dans l'entreprise ; impossibilité de reclassement ; contenu de la lettre de licenciement ; degré de précision ; mention de l'impossibilité de reclassement ; insuffisance de la mention de l'inaptitude physique du salarié.

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