Réf. : Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-14.218, M. Michel Imbaud c/ Société La mondiale et a., FS-P+B (N° Lexbase : A5990D4M)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 21 Octobre 2014
Résumé
La prise d'acte de la rupture entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. Le juge ne doit donc pas tenir compte de faits postérieurs à la prise d'acte (concurrence déloyale) pour analyser la situation des parties, et le conseil de prud'hommes n'est plus compétent. |
Commentaire
1. Le principe de la rupture immédiate du contrat de travail
La Cour de cassation a élaboré, à partir d'une série d'arrêts rendus en 2003, le nouveau régime de la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail (1). Deux éléments doivent, ici, être précisés.
Il convient, tout d'abord, de bien distinguer prise d'acte et démission. Si le salarié démissionnaire conteste son intention de démissionner, en raison de pressions dont il a été la victime, alors il pourra solliciter l'annulation de celle-ci en invoquant des vices du consentement. En revanche, s'il confirme qu'il a bien souhaité rompre le contrat de travail, les juges du fond devront, s'il avait formellement démissionné, requalifier cette démission en prise d'acte et déterminer si les griefs formulés contre l'employeur sont, ou non, de nature à justifier la rupture du contrat à ses torts ; si c'est le cas, la prise d'acte produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; dans l'hypothèse contraire, la prise d'acte produira les effets d'une démission et le salarié sera débouté de l'ensemble de ses demandes (2).
Lorsque l'intention du salarié de rompre le contrat de travail n'est pas discutée, c'est-à-dire lorsque le débat ne porte que sur les torts allégués de l'employeur, le contrat de travail est bien rompu à la date de la prise d'acte. Depuis 2006, la Chambre sociale de la Cour précise même, dans une formule tautologique, que "la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à l'employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail" (3).
C'est bien ce principe de la cessation immédiate qui est rappelé dans cet arrêt en date du 30 janvier 2008.
Plusieurs conséquences doivent être tirées de cette affirmation.
En premier lieu, le contrat de travail étant rompu à la date où l'employeur a connaissance de la prise d'acte, tout acte ou toute procédure engagée pour que soit rompu le contrat de travail sont, à cette date, caducs (4), qu'il s'agisse de la demande de résiliation judiciaire du contrat engagée antérieurement par le salarié (5), ou de la procédure de licenciement initiée par l'employeur, que l'on soit en présence d'un licenciement disciplinaire (6) ou pour inaptitude médicale (7).
En deuxième lieu, si l'employeur dispose d'une faculté, conventionnelle ou contractuelle, de renonciation à la clause de non-concurrence, le délai qui lui est imparti pour exercer cette faculté court à compter du jour où il a eu connaissance de la prise d'acte (8).
Enfin, la date de la prise d'acte fixe la fin de la période de calcul du droit aux congés payés (9).
2. Les conséquences de la prise d'acte et la dissociation des régimes procéduraux et indemnitaires empruntés au licenciement ou à la démission
L'assimilation de la prise d'acte au licenciement ou à la démission n'est pas parfaite, dans la mesure où elle ne concerne que les effets indemnitaires de la rupture, et non son régime procédural.
Jusqu'au revirement intervenu en 2003, dès lors que le salarié établissait que sa démission ne procédait pas d'une volonté claire et non équivoque, les juges requalifiaient la rupture en licenciement et lui accordaient des dommages et intérêts dans la mesure où l'employeur n'avait pas, par hypothèse, procédé à son licenciement en bonne et due forme. Depuis cette date, on sait que si la prise d'acte rompt bien le contrat de travail, elle ne produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les allégations du salarié sont vérifiées, et les fautes de l'employeur établies. Il n'est donc plus question, ici, de reprocher à l'employeur de n'avoir pas respecté la procédure de licenciement, et de se contenter de vérifier cette irrégularité pour donner raison au salarié.
En d'autres termes, il convient de bien dissocier le régime procédural de la prise d'acte, totalement autonome et, d'ailleurs, réduit à sa plus simple expression (10), de son régime indemnitaire calqué sur celui du licenciement ou de la démission.
C'est bien cette dissociation entre le régime procédural de la rupture et son régime indemnitaire que vient confirmer cet arrêt en date du 30 janvier 2008.
Dans cette affaire, le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, puis s'était mis immédiatement à faire concurrence à son ancien employeur. Statuant sur les conséquences indemnitaires de la prise d'acte, la cour d'appel de Lyon avait, dans un premier arrêt, considéré que celle-ci devait être imputée au salarié et produire les effets d'une démission. Puis, statuant sur contredit, les juges du fond avaient considéré que le différend opposant les parties concernant les conditions dans lesquelles le salarié avait fait concurrence à son employeur, postérieurement à la prise d'acte, relevait de la compétence du tribunal de commerce et non du conseil de prud'hommes.
C'est cette compétence que le salarié contestait dans son pourvoi. Outre un argument de procédure tenant à l'autorité de la chose jugée par le premier arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon, qui avait statué sur l'imputabilité de la rupture du contrat, sur la question de la juridiction compétente pour connaître du différend portant sur les actes de concurrence du salarié, le demandeur tentait de justifier la compétence du conseil de prud'hommes par le fait que les actes litigieux avaient été commis dans les jours qui avaient suivi la prise d'acte, c'est-à-dire pendant la période de préavis du salarié démissionnaire. En d'autres termes, le salarié prétendait que lorsque la prise d'acte produit les effets d'une démission, ce qui est le cas ici, la rupture du contrat de travail n'intervient qu'à l'expiration du délai de préavis dû par le salarié démissionnaire (11).
Le rejet du pourvoi marque le rejet de cette thèse et la confirmation du principe selon lequel la prise d'acte rompt immédiatement le contrat de travail, sans qu'il soit question de préavis.
La solution adoptée est logique. Lorsque la prise d'acte est imputable à l'employeur, le salarié percevra l'indemnité de licenciement, des indemnités sanctionnant le défaut de cause réelle et sérieuse et une indemnité compensatrice du droit à préavis, et ce, même si la rupture du contrat consécutive à la prise d'acte prend effet immédiatement, dans la mesure où ce sont bien les fautes commises par l'employeur qui ont privé le salarié du droit au préavis en le contraignant à prendre l'initiative de la rupture.
Si on analyse la situation de manière symétrique, lorsque la prise d'acte produit les effets d'une démission, il est, dès lors, également logique de considérer que le contrat est rompu sans qu'il soit question de préavis, dans la mesure où c'est le juge qui, a posteriori, déterminera les conséquences indemnitaires de la rupture imputable au salarié.
On pourrait même se demander si l'employeur ne serait pas en droit de réclamer au salarié des dommages et intérêts pour démission abusive, singulièrement en établissant que l'absence de préavis lui a causé un préjudice, celui-ci étant constitué par les frais engagés pour recruter un remplaçant en urgence (recours à l'intérim) ou par les dommages subis par l'entreprise le temps de recruter un nouveau salarié.
Cet arrêt en date du 30 janvier 2008 montre, toutefois, les limites de l'imputation à la prise d'acte des préjudices subis par l'entreprise. Seuls les préjudices directement occasionnés par la prise d'acte sont, en effet, indemnisables par la juridiction prud'homale ; tous les dommages causés après la rupture, singulièrement lorsqu'ils résultent de faits de concurrence déloyale, ne pourront être indemnisés que par le tribunal de commerce ou les juridictions civiles de droit commun.
Décision
Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-14.218, FS-P+B (N° Lexbase : A5990D4M) Rejet (CA Lyon, 3ème ch., 30 juin 2005, n° 03/05849 N° Lexbase : A8011DTU) Règles concernées : principes applicables à la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail Mots clef : contrat de travail ; rupture ; prise d'acte ; imputabilité au salarié ; rupture immédiate ; absence de préavis |
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