Réf. : Cass. civ. 1, 20 décembre 2007, n° 06-19.313, Mme Gwénaëlle Cardiec, épouse Le Bail Collet, F-P+B (N° Lexbase : A1222D3N)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
le 07 Octobre 2010
On se souvient certainement que, par un important arrêt en date du 17 juin 1997, dit "Macron", la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait consacré, en matière de cautionnement, une exigence de proportionnalité entre le montant de la garantie et les ressources de la caution, et ce en dehors même du droit de la consommation (2). La même Chambre commerciale devait, cependant, porter un coup d'arrêt au développement de l'exigence de proportionnalité ainsi dégagée en énonçant, dans un arrêt "Nahoum" rendu dans des circonstances de fait analogues à celles ayant donné lieu à l'arrêt "Macron", que les cautions, "respectivement président du conseil d'administration et directeur général de la société [débitrice], qui n'ont jamais prétendu ni démontré que la banque aurait eu sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération immobilière entreprise par la société, des informations qu'eux-mêmes auraient ignorées, ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de cette banque" (3). Aussi bien, sans condamner l'existence même de l'exigence de proportionnalité, la Cour de cassation en avait-elle seulement limité la mise en oeuvre en excluant de son champ d'application les cautions intégrées et donc, au premier chef, les cautions ayant la qualité de dirigeants de la société débitrice. Sauf, en effet, à pouvoir reprocher une réticence dolosive au créancier qui ne leur aurait pas communiqué des informations qu'elles-mêmes auraient ignorées, les cautions intégrées se voyaient donc refuser, du moins en principe, la faculté de se prévaloir de la disproportion de leurs engagements pour être libérées. A supposer en tout cas que la sanction de la disproportion soit, dans son principe, admise, des interrogations relatives à l'appréciation de la disproportion ainsi qu'à la mise en oeuvre de la sanction continuent de générer du contentieux.
L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 décembre dernier, dans lequel d'ailleurs la disproportion existant entre le montant de l'engagement de la caution eu égard à son patrimoine et/ou ses revenus n'était dans son principe pas contestée, en constitue au demeurant un nouvel exemple.
S'agissant, d'abord, des modalités d'appréciation de la disproportion, il faut redire que, si personne n'a jamais douté du caractère objectif de l'appréciation de la disproportion légale, il n'en a pas toujours été de même lorsque s'est posée la question de la mise en oeuvre des solutions issues de la jurisprudence. Relevant, notamment, que, dans l'arrêt "Macron" lui-même, la Cour de cassation avait pris soin de relever que les circonstances de fait étaient "exclusives de toute bonne foi de la part de la banque", certains ont, en effet, estimé que le caractère excessif d'un cautionnement ne saurait suffire à engager la responsabilité du créancier (4). L'arrêt "Nahoum", en déplaçant la question, au moins à l'égard des cautions intégrées, sur le terrain de l'obligation d'information (dol par réticence), avait d'ailleurs pu conforter cette analyse. Elle n'est, en tout état de cause, plus d'actualité, non seulement parce que les cautions intégrées sont aujourd'hui, on le sait, soumises au régime légal qui, lui, est indiscutablement objectif, mais aussi parce que, à l'égard des autres cautions, la Cour de cassation semble, désormais, vouloir privilégier une approche résolument objective de la disproportion (5). L'arrêt de la première chambre civile du 20 décembre 2007, en invitant, pour apprécier la disproportion manifeste qui était invoquée, à comparer le montant de la créance garantie et "les facultés contributives" de la caution confirme d'ailleurs cette analyse. Une fois cette question réglée, il faut encore relever que le moment d'appréciation de la disproportion n'est, toutefois, pas le même, selon qu'il s'agit de mettre en oeuvre les solutions jurisprudentielles ou légales.
Selon le Code de la consommation en effet, le créancier ne peut se prévaloir du contrat de cautionnement s'il était "lors de sa conclusion" manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution, "à moins que le patrimoine de [celle-ci], au moment où elle est appelée, ne lui permette de faire face à son engagement". Autrement dit, pour apprécier l'existence de la disproportion susceptible de justifier la mise en oeuvre de la sanction, il faut examiner la situation de la caution non seulement au jour de la formation du contrat, mais aussi au stade de son exécution, l'amélioration de sa situation de fortune pouvant finalement la contraindre à faire face à son engagement, ce qui est assez critiquable dans la mesure où, si l'on entend sanctionner une faute précontractuelle du créancier, on voit mal au nom de quoi le "coupable" échappera à la sanction si la situation de la caution a prospéré depuis l'époque de son engagement : puisque le législateur a entendu sanctionner une certaine légèreté pré-contractuelle du créancier, il ne devrait pas être possible d'admettre que l'amélioration de la situation financière de la caution puisse "couvrir" la faute du créancier qui, en tant que telle, demeure.
D'ailleurs, dans le système élaboré par la jurisprudence, où la mise en oeuvre de la responsabilité civile du créancier ayant sollicité un cautionnement excessif sanctionne également une faute pré-contractuelle, il n'y a pas lieu de tenir compte d'un éventuel enrichissement ultérieur de la caution : si le créancier engage sa responsabilité pour faute, c'est pour avoir accepté un engagement disproportionné à l'époque de sa conclusion, de telle sorte que le devenir de la situation de la caution ne doit logiquement pas être pris en compte (6). On peut regretter, à cet égard, que l'arrêt du 20 décembre dernier ne tranche pas suffisamment nettement cette question.
S'agissant, ensuite, de la mise en oeuvre de la sanction proprement dite, on redira, à s'en tenir aux solutions de la jurisprudence (7) seules concernées par l'arrêt, que le non-respect du principe de mesure de la sûreté consentie eu égard aux facultés de paiement du garant constitue une faute de nature à engager la responsabilité délictuelle (8) de son auteur (9). Le garant doit, dès lors, engager une action en responsabilité pour obtenir des dommages et intérêts pouvant se compenser avec les sommes dues au titre de la garantie. Il faut redire ici que le recours à la responsabilité pour faute n'est pas, techniquement, exempt de critiques (10). En effet, en condamnant le créancier à verser à la caution des dommages et intérêts, afin de permettre à celle-ci d'exécuter l'obligation du débiteur principal, le juge lui confère ainsi la possibilité de se retourner, ensuite, contre le débiteur principal, non pas pour la seule fraction de la dette payée par elle sur son patrimoine propre, mais pour le paiement de la dette dans son intégralité puisqu'elle est subrogée dans les droits qu'avait le créancier contre le débiteur. C'est dire que, théoriquement au moins, la caution a la possibilité de réaliser un enrichissement totalement injustifié. Il reste que, contrairement à la déchéance légale prononcée à l'encontre du créancier en raison du seul caractère excessif de l'engagement de la caution qui empêche de préserver un juste équilibre entre les intérêts de la caution et ceux du débiteur, la solution de la jurisprudence, bien qu'elle-même critiquable, assure, par l'exploitation du droit commun de la responsabilité civile pour faute du créancier, une plus grande souplesse et nous paraît ainsi, l'un dans l'autre, comme une "moins mauvaise" solution. Mais encore faut-il que la jurisprudence ne soit pas tentée, dans cette hypothèse, de condamner le créancier à verser à la caution des dommages et intérêts d'un montant égal à celui de la dette due par la caution (11).
Aussi bien ne peut-on qu'approuver la sagesse de la Cour de cassation qui, par l'arrêt commenté, rappelle ici fort justement que "le préjudice subi par celui qui a souscrit un cautionnement manifestement disproportionné à ses facultés contributives est à la mesure excédant les biens qui peuvent répondre de sa garantie, de sorte qu'il incombait d'évaluer ceux-ci après avoir invité les parties à présenter leurs observations à cet égard".
(1) Sur l'application de l'article L. 341-4 aux seuls cautionnements postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003, Cass. mixte, n° 05-13.517, M. Guy Bonnal c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de l'Oise, P+B+R+I (N° Lexbase : A3192DRN), D., 2006, p. 2858, obs. P. Crocq.
(2) Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, M. Macron c/ Banque internationale pour l'Afrique occidentale et autres (N° Lexbase : A1835ACX), Bull. civ. IV, n° 188, Rép. Defrénois, 1997, art. 36703, p. 1424 et s., n° 158, obs. L. Aynès, Dr. sociétés, octobre 1997, p. 8 et s., obs. Th. Bonneau, RTDCom., 1997, p. 662, obs. M. Cabrillac, JCP éd. E, 1997, II, 1007, note D. Legeais, Rev. dr. bancaire, 1997, p. 221, obs. M Contamine-Raynaud, D., 1998, J., p. 308, note J. Casey, JCP éd. G, 1998, I, 103, n° 8, obs. Ph. Simler, Les Petites Affiches, 27 mai 1998, p. 33 et s., note S. Piédelièvre, RTDCiv., 1998, p. 100 et s., obs. J. Mestre et p. 157 et s., obs. P. Crocq.
(3) Cass. com., 8 octobre 2002, n° 99-18.619, M. David Nahoum c/ Banque CGER France, FP-P (N° Lexbase : A9624AZH), Bull. civ. IV, n° 136, D., 2003, J., p. 414 et s., note C. Koering, Contrats, conc., consom., 2003, n° 20, obs. L. Leveneur, JCP éd. G, 2003, I, 124, obs. Ph. Simler, Rép. Defrénois, 2003, art. 37691, p. 411 et s., obs. Ph. Théry, et art. 37698, p. 456 et s., obs. S. Piédelièvre, RTDCiv., 2003, p. 125 et s., obs. P. Crocq.
(4) Voir not., en ce sens, L. Aynès et P. Crocq, Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Defrénois, 2003, n° 294, p. 121.
(5) Cass. com., 17 décembre 2003, n° 00-19.993, M. Georges Vegler c/ Société Brasseries Heineken, FS-P (N° Lexbase : A4712DAR).
(6) Voir not. N. Molfessis, Le principe de proportionnalité en matière de garantie, Banque et droit, mai-juin 2000, n° 71, et les références citées.
(7) Dans le système légal, l'article L. 341-4 nouveau du Code de la consommation prévoit, comme le faisait avant lui l'article L. 313-10, un cas de déchéance du créancier, déchéance particulière puisqu'elle est susceptible de cesser a posteriori du seul fait que l'événement qui lui a donné naissance a lui-même disparu.
(8) Voir not., dépourvu de toute équivoque parce que visant l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 01-14.082, Société Champex (Société de développement régional) c/ Mme Renée, FS-P+B (N° Lexbase : A1021C9P), JCP éd. G, 2003, II, 10167, note J. Casey, D., 2004, J., p. 204, note Y. Picod.
(9) Voir D. Legeais, La faute du créancier, moyen de défense de la caution poursuivie, Les Petites Affiches, 5 mars 1997, p. 4 et s..
(10) Voir, pour une critique de la solution, M.-N. Jobard-Bachellier et V. Brémond, De l'utilité du droit de la responsabilité pour assurer l'équilibre des intérêts des contractants, RTDCom., 1999, p. 327 et s., spéc. p. 332 ; N. Molfessis, Le principe de proportionnalité en matière de garanties, préc., n° 71, spéc. n° 14 p. 8.
(11) Voir, ainsi, cédant à la tentation, CA Paris, 27 novembre 1998, JCP éd. G, 1999, I, n° 6, obs. Ph. Simler et II, 10092, note J. Casey. Toutefois, pour un retour à la rigueur des principes : Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, préc., affirmant que "le montant du préjudice [de la caution] ne pouvait être équivalent à la dette toute entière mais seulement à la mesure excédant les biens qu'[elle] pouvait proposer en garantie".
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