Réf. : CJCE, ordonnance, 7ème ch., 16 janvier 2008, aff. C-361/07, Polier
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N0861BEM
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
Résumé
Contrairement aux situations prévues par les Directives 80/987/CEE (Directive du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur N° Lexbase : L9435AUY) et 2002/74/CE (Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 80/987/CEE du Conseil, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur N° Lexbase : L9629A4E), ainsi que par les Directives 91/533/CEE (Directive du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail N° Lexbase : L7592AUQ) et 2002/14/CE (Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne N° Lexbase : L7543A8U), la situation du titulaire d'un CNE, caractérisée par la rupture du contrat de travail de ce dernier en l'absence de communication du motif de son licenciement, ainsi que par le non-respect de la procédure ordinaire de licenciement, n'est pas régie par le droit communautaire. La réglementation applicable (ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005) concerne une situation qui ne relève pas du champ d'application du droit communautaire. La CJCE n'est donc pas compétente. |
I - Appréciation par les juridictions nationales de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international
A - Jurisprudence admettant la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international
Le Conseil d'Etat a estimé, dans un arrêt rendu le 19 octobre 2005 (1), qu'eu égard au but en vue duquel les dérogations prévues par l'ordonnance n° 2005-893 ont été édictées et à la circonstance que le contrat nouvelles embauches est un contrat à durée indéterminée, la période de deux ans pendant laquelle est écartée l'application des dispositions de droit commun relatives à la procédure de licenciement, et aux motifs pouvant le justifier, doit être regardée comme raisonnable au sens des dispositions de la Convention OIT n° 158.
B - Jurisprudence rejetant la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international
En droit interne, certaines cours d'appel avaient déjà décidé que l'ordonnance n° 2005-893 instituant le CNE était contraire à la Convention OIT n° 158 (par ex., CA Paris, 18ème ch., sect. E, 6 juillet 2007, n° 06/06992 N° Lexbase : A1564DX9). De même, un conseil de prud'hommes (2) avait estimé que cette ordonnance, étant contraire à la Convention OIT n°158, est privée d'effet juridique.
Certains juges du fond ont pu décider que l'appréciation judiciaire de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 à la Convention OIT relève de la compétence du juge judiciaire : il n'y a donc pas question préjudicielle qui doit être soumis à l'examen du juge administratif (3).
Le premier contentieux généré par le contrat nouvelles embauches portait précisément sur cette question de la rupture du contrat au cours de la période dite de consolidation (4). Selon les juges, la rupture abusive de la période de consolidation d'un contrat nouvelles embauches a, comme la rupture abusive de période d'essai d'un contrat à durée indéterminée, les conséquences d'un licenciement abusif, les dommages et intérêts se calculant conformément à l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB). Le conseil de prud'hommes, pour asseoir sa décision de condamner un employeur à verser des dommages et intérêts pour rupture abusive, s'est fondé sur l'art. L 122-14-5, ce qu'écarte formellement l'ordonnance n° 2005-293.
II - Appréciation par les institutions et juridictions internationales de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international
A - Position du BIT : l'ordonnance n° 2005-893 n'est pas conforme à la Convention OIT n° 158
Dans un rapport adopté par le conseil d'administration de l'OIT le 6 novembre 2007, le comité chargé d'examiner la réclamation présentée par Force ouvrière a déclaré qu'une durée aussi longue que deux ans prévue par le CNE n'est pas raisonnable (5).
Le comité OIT a considéré que la période de consolidation de l'emploi de deux ans prévue au titre du CNE pourrait relever de la "période d'ancienneté requise" au sens d'une période d'emploi spécifiée, qui est nécessaire pour que les salariés intéressés puissent bénéficier d'un contrat à durée indéterminée. Le comité a rappelé que la notion de "période d'ancienneté requise" a été inscrite dans la Convention OIT n° 158, afin de tenir compte des situations où certains types de protection, relatifs, notamment, aux licenciements injustifiés, au préavis ou au paiement d'une indemnité, ne sont dus que si le travailleur intéressé a été engagé pour une période déterminée.
En l'espèce, le comité OIT a noté (point n° 71) que l'article 2 § 2 de la Convention OIT n° 158 vise à garantir que l'exclusion de la protection de la Convention pour les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise soit d'une durée raisonnable. La raison d'être de la référence au caractère "raisonnable" paraît donc liée à l'exclusion de la protection. En conséquence, les considérations politiques publiques de l'emploi, ainsi que les mesures prises pour compenser l'exclusion de la protection ou en limiter le champ, peuvent aider à justifier la relative longueur de la période d'exclusion.
La principale préoccupation doit, cependant, être de s'assurer que la durée de l'exclusion des avantages de la Convention OIT n° 158 se limite à ce qui peut raisonnablement être considéré comme nécessaire à la lumière des objectifs pour lesquels la période d'ancienneté a été fixée, à savoir, en particulier, permettre à l'employeur de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement de son entreprise et permettre aux travailleurs concernés d'acquérir des qualifications ou de l'expérience.
Le comité OIT a noté que la durée normalement considérée comme raisonnable de la période d'ancienneté requise n'excède pas six mois en France. Au final, le comité OIT a conclu qu'il n'existe pas de base suffisante pour considérer que la période de consolidation peut être assimilée à une "période d'ancienneté requise" d'une durée raisonnable, au sens de l'article 2 § 2, justifiant l'exclusion des travailleurs concernés de la protection de la convention pendant cette durée.
L'article 4 de la Convention OIT n° 158 dispose qu'un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur, ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise. L'ordonnance n° 2005-893 rend inapplicables au CNE certaines dispositions du Code du travail (C. trav., art. L. 122-13 N° Lexbase : L5564AC3, L. 122-14 N° Lexbase : L9576GQQ, L. 122-14-1 N° Lexbase : L0042HDW, L. 122-14-3 N° Lexbase : L5568AC9 ou L. 321-1 et s. N° Lexbase : L8921G7K). Comme la dérogation affecte le contrôle par le juge de la cause réelle et sérieuse du licenciement, il n'est pas évident, selon le comité OIT, que l'ordonnance n° 2005-893 permette de prendre effectivement des mesures contre un licenciement fondé sur des motifs non valables autres que ceux susmentionnés. Dans ces conditions, le comité OIT a conclu que l'ordonnance n° 2005-893 s'éloigne de manière significative des prescriptions de l'article 4 de la Convention OIT, lequel, comme indiqué par la commission d'experts, est la pierre angulaire des dispositions de la Convention.
Le comité a considéré que la France, à l'heure actuelle, n'assure pas une application effective de la Convention OIT n° 158, mais, néanmoins, qu'il est possible qu'une réparation adéquate soit accessible aux travailleurs intéressés devant les tribunaux français. Le comité OIT a invité, par conséquent, le Gouvernement à donner effet aux dispositions de l'article 4, en assurant que, conformément à la Convention, les contrats nouvelles embauches ne puissent en aucun cas être rompus en l'absence d'un motif valable.
B - Déclaration d'incompétence de la CJCE
Saisie au titre de l'article 234 CE , la CJCE est compétente pour statuer sur l'interprétation du Traité CE, ainsi que sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de l'Union européenne. Mais la compétence de la Cour est limitée à l'examen des seules dispositions du droit communautaire (CJCE, 27 juin 1979, aff. C-105/79, Godard N° Lexbase : A6010AU7, Rec. p. 2257 ; CJCE, 18 octobre 1990, aff. C-297/88, Dzodzi N° Lexbase : A3830AWR (6) et aff. C-197/89, Rec. p. I-3763, point 31 (7) ; CJCE, 21 décembre 1995, aff. C-307/95, Max Mara N° Lexbase : A8965AUL (8), Rec. p. I-5083, point 5 (9) ; CJCE, 1er juin 2006, aff. C-453/04, Innoventif Limited N° Lexbase : A7214DPU, Rec. p. I-4929, point 29 (10) (ordonnance rapportée, point 9).
Il est de jurisprudence constante que, lorsqu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la Cour doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec le droit communautaire dont elle assure le respect (CJCE, 29 mai 1997, aff. C-299/95, Kremzow N° Lexbase : A9640AUL (11), Rec. P. I-2629, point 15 ; CJCE, 6 octobre 2005, aff. C-328/04, Vajnai, Rec. p. I-8577, point 12 (12) ; CJCE, 25 janvier 2007, aff. C-302/06, Kovaský, non publiée au Recueil, point 19 (13) (ordonnance rapportée, point 10).
En revanche, la CJCE ne dispose pas d'une telle compétence lorsque l'objet du litige au principal ne présente aucun élément de rattachement au droit communautaire et lorsque la réglementation, dont l'interprétation est demandée, ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire (CJCE, aff. C-299/95 préc., points 15 et 16 (14) ; CJCE, aff. C-328/04, préc., point 13 (15) ; CJCE, aff. C-302/06, préc., point 20 (16). Or, en l'espèce, la juridiction de renvoi n'a nullement explicité la raison pour laquelle la situation de M. P., titulaire du contrat nouvelles embauches, serait susceptible de se rattacher au droit communautaire. Bien que la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail soit l'un des moyens pour atteindre les objectifs fixés par l'article 136 du Traité CE et que le législateur communautaire soit compétent dans ce domaine , des situations qui n'ont pas fait l'objet de mesures adoptées sur le fondement de ces articles ne relèvent pas du champ d'application du droit communautaire (ordonnance rapportée, point 13).
En effet, contrairement aux situations prévues par la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, ainsi que par les Directives 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail, 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs ; et 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, la situation du titulaire d'un contrat nouvelles embauches n'est pas régie par le droit communautaire (ordonnance rapportée, point 14).
Bref, selon la CJCE, la réglementation applicable au litige au principal concerne une situation qui ne relève pas du champ d'application du droit communautaire. Au final, la CJCE s'est déclarée incompétente pour répondre aux questions posées par le conseil de prud'hommes de Beauvais.
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