Réf. : Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-42.712, Société Ventiv Health (Winner), F-P (N° Lexbase : A6059D48)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Une clause qui subordonne la cession de l'entreprise en redressement judiciaire au maintien du contrat de travail d'un salarié nommément désigné est dépourvue d'effet à l'égard des autres salariés relevant de la même catégorie professionnelle. Il doit donc être fait application, entre ces différents salariés, des critères d'ordre des licenciements en cas de licenciement économique. |
Commentaire
I. Le rôle essentiel de la catégorie professionnelle dans l'établissement de l'ordre des licenciements
L'article L. 321-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8922G7L) dispose qu'en cas de licenciement collectif pour motif économique, l'employeur doit définir, après consultation des représentants du personnel, les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements (1).
Le texte impose un certain nombre de critères qui doivent être pris en compte pour l'établissement de cet ordre : les charges de famille, l'ancienneté des salariés, la situation de salariés présentant des difficultés de réinsertion sociale et, surtout, les qualités professionnelles des salariés par catégories.
Si la Cour de cassation laisse une grande latitude à l'employeur dans la décision de donner plus ou moins d'importance à tel ou tel critère (2), elle est, en revanche, très ferme quant à leur usage, puisque l'employeur doit obligatoirement prendre en compte ces critères légaux (3).
Enfin, ces critères doivent être appliqués aux salariés appartenant tous à la même catégorie professionnelle.
Ces règles relatives à l'ordre des licenciements doivent être appliquées à tous les salariés relevant de la catégorie professionnelle menacée par le licenciement collectif, catégorie déterminée par l'employeur au commencement de la procédure, en application de l'article L. 321-4 du Code du travail (N° Lexbase : L9633GQT).
Cette notion de catégorie professionnelle, si elle demeure un peu vague, devrait, néanmoins, s'entendre de "l'ensemble des salariés qui exercent dans l'entreprise des fonctions de même nature, supposant une formation professionnelle commune" (5).
Toute forme de distinction entre les salariés d'une même catégorie, visant à exclure de l'appréciation de l'ordre des licenciements certain d'entre eux, est prohibée. Ainsi, par exemple, il n'est pas envisageable de distinguer entre les salariés à temps complet ou les salariés à temps partiel (6). De la même manière, il n'y a pas à faire de distinction entre les salariés selon leur appartenance à un établissement ou à un secteur de l'entreprise (7). Pouvait-on exclure une partie des salariés d'une catégorie professionnelle par le jeu d'une clause particulière d'un plan de cession ?
Un salarié, licencié pour motif économique, contestait devant le juge la bonne observation, par l'employeur, de l'ordre des licenciements. L'entreprise, dont il était salarié, avait été placée en redressement judiciaire et un plan de cession avait été élaboré. Or, ce plan de cession comportait une clause particulière. Il était, en effet, suspendu à la reprise, par le cessionnaire, d'un salarié de l'entreprise. Ce salarié n'avait, dès lors, pas été pris en compte dans l'appréciation des critères de l'ordre des licenciements.
La cour d'appel de Versailles fait droit à la demande du salarié et estime que l'employeur n'a pas respecté les conditions de l'ordre des licenciements. En effet, le salarié licencié et le salarié transféré ressortissaient de la même catégorie professionnelle, si bien que le second aurait dû être intégré dans l'appréciation de l'ordre des licenciements, nonobstant la clause de reprise intégrée au plan de cession.
La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme ce raisonnement. Elle estime qu'"une clause qui subordonne la cession de l'entreprise en redressement judiciaire au maintien du contrat de travail d'un salarié nommément désigné étant dépourvue d'effet, la cour d'appel [...] qui a constaté que M. J. relevait de la même catégorie professionnelle que M. B. et qu'il n'avait pas été fait application entre eux des critères d'ordre des licenciements, en a exactement déduit que ce dernier avait droit à une indemnisation".
Cette solution caractérise une volonté manifeste de la Cour de cassation de protéger les salariés licenciés pour motif économique de toute atteinte, même indirecte, à l'établissement de l'ordre des licenciements.
II. La protection accrue du critère de la catégorie professionnelle dans l'établissement de l'ordre des licenciements
Le droit du travail est l'une des branches du droit privé qui connaît le plus d'exception au principe civiliste d'effet relatif des conventions, posé par l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), comme l'illustrent l'application des conventions collectives à l'ensemble des salariés ou le transfert des contrats de travail, en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY). Mais, ce n'est pas pour autant que le principe soit totalement occulté, comme le rappelle, ici, la Cour de cassation.
Ainsi, la clause du plan de cession conclu entre l'entreprise en difficulté et l'entreprise cessionnaire n'est pas opposable au salarié licencié qui n'y est pas partie. Il ne doit pas en subir les conséquences.
Pourtant, cette analyse purement contractuelle du plan de cession pouvait être contestée. En effet, le Code de commerce offre au plan de cession judiciairement homologué une portée bien plus large que celle d'un simple contrat. Ainsi, selon l'article L. 642-5, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3912HBI), "le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions applicables à tous". Le fait que la Cour de cassation écarte cet effet erga omnes du plan de cession démontre l'importance qu'elle accorde aux règles de l'ordre du licenciement et, spécialement, à celles relatives au cadre de son appréciation à savoir la catégorie professionnelle.
C'est donc la notion de catégorie professionnelle qui doit primer sur toute autre considération. Même si la Cour de cassation ne va pas jusqu'à généraliser l'impossibilité de toute atteinte à cette caractéristique, il semble que toute manoeuvre, de bonne ou mauvaise foi, qui tendrait à exclure des salariés ressortissant pourtant de la même catégorie professionnelle puisse être écartée. Seront ainsi retirées les dispositions du plan de cession pourtant habituellement applicables à tous.
La première application d'une telle extension qui vient à l'esprit est celle de la clause de garantie d'emploi. Cette clause conclue entre un salarié de l'entreprise et l'employeur ne devrait plus, à l'avenir, pouvoir faire échec à l'appréciation de l'ordre des licenciements en extrayant de son élaboration le salarié qui en bénéficie (8). Ici encore, la catégorie professionnelle du salarié devrait primer sur l'existence d'une clause de garantie d'emploi.
Il serait donc souhaitable que la Chambre sociale aille jusqu'au bout du raisonnement et se prononce en faveur d'une impossibilité générale de contourner, par quelque moyen que ce soit, le cadre de la catégorie professionnelle comme champ d'application de l'ordre des licenciements. Cela serait en accord avec le souci caractérisé par les juges de protéger les salariés licenciés pour motif économique, même si, comme cela a pu être relevé, la sanction ne paraît pas tout à fait en adéquation avec la volonté de protection démontrée (9).
La solution est, en outre, parfaitement justifiée par le jeu de l'ordre public. La clause du plan de cession avait eu, indirectement, pour effet d'écarter l'application des règles du Code du travail en matière d'ordre du licenciement dont le caractère d'ordre public est peu discutable.
Il convient, enfin, d'apprécier les conséquences pratiques que va emporter la solution rendue.
Le salarié repris dans le cadre du plan de cession aurait donc dû être intégré dans l'appréciation de l'ordre des licenciements. Or, il aurait parfaitement été envisageable que la comparaison des deux salariés concernés mène à choisir de licencier ce salarié repris et à conserver celui qui en l'espèce avait fait l'objet du licenciement.
Le repreneur aurait, alors, dû conserver les deux salariés dans son entreprise, l'un parce qu'il n'aurait pas été licencié, l'autre en application de la clause conventionnelle du plan de cession, lui imposant de reprendre le salarié. Ainsi, quelle que soit la motivation véritable de la clause insérée au plan de cession, l'intégration du salarié dans l'appréciation de l'ordre des licenciements n'aurait pas entravé la volonté du cessionnaire de conserver ce salarié dans son effectif. En revanche, si la clause avait été insérée dans le but d'évincer le salarié licencié au profit du salarié repris, ce qui constituerait une véritable fraudes aux règles relatives à l'ordre des licenciements, le cessionnaire se trouverait légitimement sanctionné.
Il reste, néanmoins, un paradoxe. Comme nous l'avons évoqué, la sanction du non-respect de l'ordre des licenciements reste relativement faible puisque la Cour de cassation n'envisage qu'une indemnisation du salarié floué, sans considérer que le licenciement puisse être dépourvu de cause réelle et sérieuse (10). En l'espèce, le salarié avait bénéficié d'une indemnité s'élevant à 70 000 euros. Il n'est pas certain qu'un tel montant dissuadera toute velléité de contournement de la règle...
(1) Ceci à défaut de l'établissement de ces critères par accord ou convention collective.
(2) Cass. soc., 15 mai 1991, n° 89-43.845, Mlle Fourtin et autre c/ Office notarial de Riom (N° Lexbase : A9455AAG), RJS 6/91, n° 698 ; Cass. soc., 2 mars 2004, n° 01-44.084, M. André Lhommeau c/ Société Valéo thermique habitacle, FS-P+B (N° Lexbase : A3996DBM) et les obs. de Ch. Alour, La qualité professionnelle et l'ordre des licenciements, Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0915ABI).
(3) Cass. soc., 14 janvier 1997, n° 95-44.366, Société parisienne générale de nettoyage c/ M. Belkacem et autres (N° Lexbase : A4163AAG) ; Dr. soc., 1997, p. 159, concl. P. Lyon-Caen, note J. Savatier ; D. 1998, somm., p. 253, note A. Lyon-Caen.
(4) Cass. soc., 13 décembre 1995, n° 92-42.904, Société Établissements Hentz, société anonyme c/ M. Jean-Pierre Bascoul (N° Lexbase : A8604AGR) ; Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-44.628, Institut du Monde Arabe c/ Mme Salima Boukris (N° Lexbase : A8816AGM).
(5) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 23ème éd., 2006, p. 564. V., en ce sens, Cass. soc., 13 février 1997, n° 95-16.648, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Comité d'entreprise de la société des Grands Magasins de la Samaritaine (N° Lexbase : A1924ACA).
(6) Cass. soc., 3 mars 1998, n° 95-41.610, Mme Patron c/ Laboratoire Carillon-Clavel (N° Lexbase : A3683ABZ).
(7) Cass. soc., 24 mars 1993, n° 90-42.002, Mme Clément c/ Société Vuillemin Services Soconor (N° Lexbase : A7913AG8) ; RJS 5/93, n° 500.
(8) V., en ce sens, L. Perrin, Ordre des licenciements : inopposabilité aux salariés du plan de cession, obs. sous. Cass. soc., 29 janvier 2008, Dalloz Actualités en ligne du 11 février 2008.
(9) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, préc..
(10) Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 96-40.930, Monsieur Dupin c/ Monsieur Sapin (N° Lexbase : A2878ACL) ; D. 1999, p. 376, note Bonnin.
Décision
Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-42.712, Société Ventiv Health (Winner), F-P (N° Lexbase : A6059D48) Cassation partielle, CA Versailles, 6ème ch., 28 février 2006 Textes visés : C. civ., art. 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) Mots-clés : Licenciement économique ; ordre des licenciements ; catégories professionnelles ; plan de cession. Lien base : |
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