La lettre juridique n°292 du 14 février 2008 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Rupture du contrat de travail d'un étranger en situation irrégulière : ordre public, non-cumul et principe de faveur

Réf. : Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-44.983, M. Jovica Petrusevski, F-P (N° Lexbase : A6082D4Z)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

L'embauche d'un travailleur étranger sans titre de travail n'est pas sans conséquence pour l'employeur. Outre les sanctions civiles et pénales, ce dernier est débiteur envers le salarié d'une indemnité forfaitaire d'un mois de salaire. Cette indemnité constitue un minimum et ne se cumule pas avec les indemnités susceptibles d'être versées au salarié à l'occasion de la rupture de son contrat de travail, seule la plus élevée devant lui être attribuée. C'est ce principe qu'est venue rappeler la Haute juridiction dans une décision du 29 janvier dernier. La solution retenue ne peut qu'être approuvée.
Résumé

L'article 7 de la Convention de l'OIT, qui ne vise que les licenciements pour des motifs liés à la conduite ou au travail du salarié, ne trouve pas à s'appliquer à la rupture du contrat de travail d'un étranger motivée par son emploi en violation des dispositions de l'article L. 341-6 du Code du travail (N° Lexbase : L7836HBT).

Selon l'article L. 341-6-1 du même code (N° Lexbase : L7837HBU), l'étranger, non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, a droit, au titre de la période d'emploi illicite, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 122-3-4 (N° Lexbase : L4598DZC), L. 122-3-8, alinéa 2, (N° Lexbase : L5457AC4), L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT) et L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) du Code du travail, ou dans des dispositions conventionnelles correspondantes, ne conduise à une solution plus favorable. Le principe du non-cumul entre dispositions plus favorables s'oppose à ce que le travailleur embauché alors qu'il est en situation irrégulière se voit accorder, outre l'indemnité de préavis, l'indemnité forfaitaire, seule l'indemnité la plus élevée lui étant versée.

Commentaire

I. Indemnisation de la rupture du contrat de travail du salarié étranger embauché de manière irrégulière

  • Conditions entourant l'embauche d'un travailleur étranger

L'embauche d'un travailleur de nationalité étrangère impose à l'employeur de respecter un régime particulier.

Tout travailleur de nationalité étrangère doit, préalablement à la conclusion de son contrat de travail, détenir un titre l'autorisant à exercer une activité sur le territoire national (C. trav., art. L. 341-6). Cette autorisation est une condition préalable impérative. En cas de non-respect de cette obligation, en plus de sanctions civiles (C. trav., art. L. 341-6 et L. 341-7 N° Lexbase : L7841HBZ), l'employeur est passible de sanctions, notamment, pénales (C. trav., art. L. 364-3 N° Lexbase : L7859HBP).

L'employeur n'est pas le seul pénalisé par cette absence d'autorisation de travail. Il faut, en effet, savoir que la jurisprudence considère que le fait pour le salarié de ne pas, ou de ne plus, avoir d'autorisation de séjour implique la rupture de son contrat de travail (CA Paris, 18ème ch., sect. E, 3 novembre 2006, n° 05/03004, Melle Abdou c/ SAS Leader Price N° Lexbase : A2061DTI).

Pour la période travaillée, le salarié demeure, néanmoins, un salarié comme les autres. Même embauché sans titre de travail, ce dernier est, en effet, considéré par le législateur, comme régulièrement engagé, eu égard aux obligations de l'employeur. Il est donc, comme tout salarié, soumis à la législation du travail. L'employeur est, ainsi, tenu de respecter la durée du travail, de prendre en compte l'ancienneté acquise au cours de la période travaillée et de le rémunérer conformément aux dispositions applicables à sa situation (C. trav., art. L. 341-6-1, alinéa 2, 1°).

  • Indemnisation du travailleur étranger irrégulièrement embauché

En cas de rupture de son contrat de travail, ce qui, nous l'avons vu, arrive automatiquement lorsque sa situation de travail n'a pas été régularisée, le salarié se voit allouer une indemnité forfaitaire spéciale d'un mois de salaire (cette indemnité étant portée à 6 mois lorsque l'irrégularité se double de travail dissimulé, C. trav., art. L. 324-11-1 N° Lexbase : L6212AC3). Cette indemnité constitue un minimum et est exclusive de toute autre.

L'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail dispose, en effet, qu'"en cas de rupture de la relation de travail, l'étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite, à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 122-3-4, L. 122-3-8, alinéa 3, L. 122-8 et L. 122-9, ou des stipulations contractuelles correspondantes, ne conduisent à une solution plus favorable".

C'est ce principe du non-cumul entre l'indemnité forfaitaire et les autres indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail que vient rappeler la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié de nationalité étrangère, embauché de manière irrégulière, s'était vu notifier son licenciement. Ce dernier, n'ayant aucune possibilité de travail en France, avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement de diverses sommes au titre, tant de l'exécution, que de la rupture de son contrat.

La cour d'appel avait refusé de faire droit aux demandes du salarié pour l'indemnisation de la rupture de son contrat et lui avait accordé une indemnité forfaitaire sur le fondement de l'article L. 341-6-1 du Code du travail.

La Haute juridiction confirme la décision des juges du second degré. Après avoir rappelé, dans un premier moyen, que l'employeur qui rompt le contrat de travail d'un travailleur étranger embauché alors qu'il n'a pas d'autorisation de travail n'est pas tenu de respecter la procédure de licenciement, elle réaffirme l'application du principe du non-cumul entre l'indemnité forfaitaire et les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail.

Cette solution mérite l'approbation.

II. Particularités entourant la rupture du contrat de travail d'un salarié étranger en situation irrégulière

  • Modalités de rupture du contrat de travail du salarié étranger en situation irrégulière

L'article 7 de la Convention n° 158 de l'OIT dispose qu'un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il lui offre cette possibilité.

Cette disposition était invoquée par le demandeur au soutien de sa requête d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette disposition est reprise à la lettre par la Cour de cassation qui souligne que, dans l'hypothèse de la rupture du contrat de travail du salarié étranger en situation irrégulière, il ne s'agit pas d'un licenciement, mais de la rupture du contrat de travail d'un étranger motivée par son emploi en violation des dispositions de l'article L. 341-6 du Code du travail. Ce n'est pas de licenciement dont il est question ici.

Il s'agit, dans l'hypothèse de la rupture du contrat de travail du salarié étranger en situation irrégulière, d'une nullité qui trouve son fondement dans la violation des règles d'ordre public applicables à l'embauche d'un travailleur étranger. Cette nullité n'est pas rétroactive, la rétroactivité ne pouvant en aucun cas trouver à s'appliquer ici, la remise en l'état demeurant impossible.

Dans la mesure où il ne s'agit pas d'un licenciement, le salarié ne peut prétendre au versement de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, seule l'indemnité de licenciement peut être due, s'il s'avère que, dans son montant, elle est plus importante que l'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire, ou les autres indemnités légales ou conventionnelles expressément visées par l'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail.

  • Ordre public social, non-cumul et principe de faveur

Le principe posé par l'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail est celui du non-cumul entre les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail d'un salarié étranger embauché de manière irrégulière et son corollaire, le principe de faveur, qui n'est que le résultat du caractère d'ordre public social de cette disposition.

Une application littérale de cette disposition aboutit à la conclusion suivante :

1. L'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire constitue un minimum auquel l'employeur ne peut se soustraire.

2. Cette indemnité ne se cumule pas avec les autres indemnités, qui pourraient être versées au salarié à l'occasion de la rupture de son contrat de travail. A cette occasion, le salarié se voit allouer, soit l'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire, soit les indemnités inhérentes à la rupture de son contrat de travail par le fait de l'employeur, lorsque leur montant sera supérieur à un mois de salaire : indemnité de précarité, indemnité due au titre de la rupture du contrat de travail à durée déterminée avant terme ; indemnité compensatrice de préavis ; indemnité de licenciement ; ou toute autre indemnité conventionnelle plus avantageuse que les dispositions légales. L'article L. 341-6-1 alinéa 2, 2° du Code du travail dispose, à cet effet, que le salarié se verra allouer une indemnité forfaitaire d'un mois de salaire "à moins que l'application des règles figurant aux articles [...] ne conduise à une solution plus favorable".

3. L'indemnité la plus favorable lui sera seule accordée. C'est l'indemnité la plus favorable dans son montant qui devra être versée au salarié. Cette disposition étant une disposition d'ordre public social qui fait de l'indemnité forfaitaire le minimum légal que doit toucher le travailleur salarié embauché en situation irrégulière, et le législateur ayant posé un principe du non-cumul entre indemnités, s'il s'avère que la situation du salarié lui permet simultanément de bénéficier de l'indemnité forfaitaire et d'une autre indemnité expressément visée par l'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail, et qu'il y a conflit, celui-ci trouve sa solution dans le principe de faveur.

Si l'application de la règle légale ou conventionnelle ayant trait à l'indemnité de précarité ou à la rupture du contrat de travail à durée déterminée avant terme ou à l'indemnité compensatrice de préavis ou à l'indemnité de licenciement aboutit à ce que l'indemnité due au salarié soit supérieure à un mois de salaire, elle reçoit application.

Le principe de faveur emporte que l'indemnité la plus favorable se substitue à l'indemnité forfaire pour son montant. Il convient, toutefois, de souligner qu'il s'agit d'un principe de faveur "légal" et non du principe général qui veut qu'en cas de conflit de normes également applicables portant sur la même cause et le même objet, s'applique la plus favorable au salarié, les normes en présence n'ont, en effet, ni la même cause, ni le même objet, le conflit étant créé par le législateur.

Si cette disposition n'avait pas existé, il aurait donc fallu cumuler...

Décision

Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-44.983, M. Jovica Petrusevski, F-P (N° Lexbase : A6082D4Z)

Rejet de CA Lyon, 5ème ch., 11 mai 2006, n° 03/06299, M. Jovica Petrusevski c/ SA TBH Logistique (N° Lexbase : A7418DTW)

Mots clefs : travailleur étranger ; situation irrégulière ; absence d'autorisation de travail ; rupture du contrat ; qualification de la rupture ; absence de licenciement ; indemnisation de la rupture du contrat de travail ; indemnités versées à l'occasion de la rupture ; non-cumul avec l'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire.

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