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N0346A9P
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var
le 07 Octobre 2010
La question des déclarations de créance et de l'admission des créances à titre provisionnel fait l'objet d'un contentieux abondant. Le plus souvent, il est question, pour les organismes fiscaux et sociaux, des délais de la déclaration à titre définitif de la créance d'abord déclarée à titre provisionnel ou encore de la détermination du domaine exact du dispositif établi. La particularité de l'arrêt, ici commenté, est de poser, à notre connaissance tout au moins, une question inédite au stade de la Cour de cassation, lorsque l'admission d'une créance ne relevant pas du dispositif propre à la déclaration et à l'admission des créances fiscales et sociales intervient dans les conditions propres à ce type de créances, c'est-à-dire à titre provisionnel.
En l'espèce, une société est déclarée en redressement puis en liquidation judiciaires au cours de l'année 1995. La procédure est, ensuite, étendue au dirigeant de cette société. La Sacem déclare au passif 216 980,95 francs (soit environ 33 078 euros) à titre privilégié et 12 027 francs (soit environ 1 833 euros) à titre chirographaire. La créance est inscrite sur l'état des créances à titre "privilégié et provisionnel" à hauteur de 216 980,95 francs et à titre chirographaire pour 12 027 francs. Le liquidateur demande ensuite au juge-commissaire de constater l'extinction de la créance admise à titre provisionnel. Les juges du fond vont admettre cette prétention au motif que la créance n'avait pas fait l'objet d'un établissement définitif dans le délai prévu à l'article L. 621-103 du Code de commerce (N° Lexbase : L6955AIG). La question ainsi posée à la Cour de cassation est de déterminer l'incidence d'une admission à titre provisionnel d'une créance non soumise à déclaration à titre provisionnel. Cette créance est-elle éteinte faute d'avoir fait, après admission à titre provisionnel, l'objet d'un établissement à titre définitif ?
Sans surprise, la Cour de cassation va répondre à la question par la négative en censurant l'analyse de la cour d'appel : "en statuant ainsi, alors que la créance déclarée par la Sacem qui n'est ni un organisme de sécurité sociale, ni un organisme visé à l'article L. 351-21 du Code du travail (N° Lexbase : L1521DPZ), ne relevait pas des dispositions de l'article L. 621-43, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6895AI9) et ne pouvait se trouver atteinte par la forclusion qu'il édicte, dès lors qu'en dépit de la mention de son admission à titre provisionnel sur l'état des créances, dépourvue de toute portée au regard de ce texte, aucune obligation d'établir sa créance de manière définitive ne pesait sur ce créancier, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
Pour comprendre la portée de l'arrêt, il importe de rappeler les principes régissant la matière.
La première phrase de l'article L. 621-43, alinéa 3, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, dispose que "la déclaration des créances doit être faite alors même qu'elles ne sont pas établies par un titre". Il s'agit là du principe de solution. Un créancier n'a donc pas besoin d'un titre exécutoire pour déclarer sa créance. La solution se comprend aisément. En effet, la déclaration de créance est un corollaire de la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, cette dernière interdisant à un créancier antérieur d'obtenir, après jugement d'ouverture, le titre exécutoire qu'il n'aurait pas obtenu avant ledit jugement. Par exception, ce même alinéa 3 de l'article L. 621-43 prévoit que "les créances du Trésor public et des organismes de prévoyance et de sécurité sociale ainsi que les créances recouvrées par les organismes visés à l'article L. 351-21 du Code du travail qui n'ont pas fait l'objet d'un titre exécutoire au moment de leur déclaration sont admises à titre provisionnel pour leur montant déclaré. En tout état de cause, les déclarations du Trésor et de la sécurité sociale sont toujours faites sous réserve des impôts et autres créances non établis à la date de la déclaration. Sous réserve des procédures judiciaires ou administratives en cours, leur établissement définitif doit, à peine de forclusion, être effectué dans le délai prévu à l'article L. 621-103". Il y a donc clairement un principe et une exception. Le principe est celui de la dispense du titre exécutoire pour déclarer les créances. Par exception, les créances de Trésor public et de certains organismes sociaux doivent d'abord être déclarées à titre provisionnel, pour faire l'objet d'une admission à titre provisionnel. Dans un deuxième temps, le créancier doit se délivrer à lui-même le titre exécutoire, par dérogation à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, pour pouvoir, dans un troisième temps, déclarer sa créance à titre définitif, cette créance étant, dans un quatrième et dernier temps, admise à titre définitif.
La Sacem, qui n'est ni un organisme fiscal, ni un organisme social, n'est pas au rang des créanciers autorisés à se délivrer à eux-même un titre exécutoire. Elle est donc soumise au principe de l'arrêt des poursuites individuelles et, corrélativement, n'est pas soumise aux règles dérogatoires de déclaration et d'admission des créances intéressant ces organismes fiscaux et sociaux. En conséquence, il est aisé de comprendre l'affirmation selon laquelle ce créancier ne peut subir la forclusion prévue pour les créanciers soumis à déclaration à titre provisionnel de leurs créances non couvertes par un titre exécutoire.
Dès lors, la solution dégagée par la Cour de cassation, dans le présent arrêt, selon laquelle la précision sur l'état des créances de l'admission à titre provisionnel de la créance déclarée par la Sacem est sans portée juridique, est aisée à comprendre. Le mécanisme d'admission en deux temps de la créance est inapplicable à ce créancier. Sa créance ne peut donc être admise à titre provisionnel, puis à titre définitif. Elle est admise à titre définitif immédiatement, dès lors qu'elle n'a pas été contestée. Le mandataire liquidateur ne peut donc prétendre à l'extinction de la créance non admise à titre définitif, puisque cette créance ne peut être admise à titre définitif, comme le serait une créance fiscale ou sociale, faute pour le créancier de pouvoir, après jugement d'ouverture, se délivrer à lui-même le titre exécutoire nécessaire à la déclaration de cette créance à titre définitif.
Que faudrait-il décider si la créance avait été détenue par un organisme fiscal ou social et avait été, par erreur, déclarée puis admise à titre provisionnel alors qu'elle aurait dû l'être à titre définitif puisqu'elle était, au moment de sa déclaration, couverte par un titre exécutoire ? Il nous semble que la solution ici posée par la Cour de cassation serait identiquement applicable. Cette créance a été admise par erreur à titre provisionnel et, faute de pouvoir faire l'objet d'une déclaration à titre définitif dans le délai aménagé par l'article L. 621-103 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 juillet 2005, l'admission de la créance à titre provisionnel est sans portée juridique et doit être tenue pour équivalente à une admission pure et simple, comme cela le serait pour un créancier classique ne pouvant déclarer sa créance à titre provisionnel.
Précisons, pour terminer, que la solution ici dégagée par la Cour de cassation, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, aurait donc identiquement vocation à s'appliquer sous l'empire de la loi nouvelle, qui a conservé le mécanisme de la déclaration en deux temps des créances fiscales et sociales, sans en changer le domaine d'application. La règle est désormais contenue à l'article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3744HBB). Le fait que cette même disposition prévoie, désormais, pour les créanciers non autorisés à déclarer leur créance à titre provisionnel, la possibilité de les déclarer "sur la base d'une évaluation" ne change rien aux solutions de la législation précédente. Cette règle nous apparaît, en effet, interprétative du droit antérieur (v. Dalloz Action, Droit et pratique des procédures collectives, 2006/2007, n° 666.22), solution globalement partagée en doctrine (Ph. Roussel Galle, Réforme du droit des entreprises en difficulté par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, Carré droit, Litec 2005, n° 305 ; A. Lienhard, Sauvegarde des entreprises en difficulté, 1ère éd., Delmas, 2006, n° 1107 ; J. Vallansan, Difficultés des entreprises Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 4ème éd., 2006, n° 158 ; S. Becqué-Ickowicz, De l'entreprise au cours de la période d'observation, LPA n° sp., 8 février 2006, n° 28, p. 39 s, sp. p. 59). Le créancier ne pourra déclarer par évaluation une créance inférieure à celle dont il est titulaire, sauf à ne pouvoir prétendre ensuite être créancier pour plus que le montant de sa déclaration initiale (V. aussi en ce sens, A. Lienhard, op. cit., n° 1107 ; J. Vallansan, op. cit., n° 158).
Le paiement dans le cadre d'un plan de continuation présuppose que l'accipiens est créancier antérieur. La qualité de créancier antérieur, dans le cadre d'une procédure collective, suppose une déclaration régulière de la créance au passif. Les créances déclarées étant nécessairement vérifiées lorsque le débiteur obtient un plan de continuation, la conséquence qui en résulte est évidente : seules les créances admises au passif autoriseront définitivement le paiement d'un créancier antérieur. Il est, en effet, possible pour le créancier d'être payé avant l'admission de sa créance, par un mécanisme de paiement provisionnel (C. com., art. L. 621-79, al. 2, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L6931AIK, C. com., art. L. 626-21, al. 2, dans la rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L4070HBD), mais si le créancier, finalement, n'est pas admis au passif, il lui incombera de répéter l'indu. Il existe ainsi un lien étroit entre l'admission de la créance au passif et le paiement d'un créancier dans le cadre du plan de continuation.
Cette osmose entre l'admission de la créance au passif et le paiement du créancier dans le cadre du plan de continuation signifie-t-elle pour autant que les procédures d'admission des créances et d'élaboration d'un plan de continuation soient sous la dépendance l'une de l'autre ? C'est à cette question que permet de répondre l'arrêt commenté.
En l'espèce, le débiteur est déclaré en redressement judiciaire. Un créancier déclare sa créance au passif. Elle est admise par le juge-commissaire mais le représentant des créanciers interjette appel. Pour rejeter la déclaration de créance, la cour d'appel retient que le créancier avait reçu notification, de la part du représentant des créanciers, des conditions d'apurement du passif, ce qui emportait renonciation à contestation.
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si le fait, pour le représentant des créanciers, de notifier à un créancier, dont la créance est contestée, les conditions d'apurement du passif dans le cadre d'un plan de continuation, emporte renonciation à la contestation de cette créance. La Cour de cassation, censurant la cour d'appel, va répondre à la question par la négative : "en se déterminant ainsi par des motifs impropres à établir, dès lors que le plan de continuation doit prévoir le règlement de toutes les créances déclarées même si elles sont contestées, que la SCP Silvestri et Baujet [représentant des créanciers] avait, de manière non équivoque, renoncé à sa contestation tirée de l'irrégularité de la déclaration de créance, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
Pour comprendre la portée de la décision, il importe d'abord de rappeler que, comme l'énonce la Cour de cassation, tous les créanciers ayant déclaré leur créance doivent être consultés sur les délais et remises qu'ils entendent consentir au débiteur, dans le cadre de son plan de continuation. L'article L. 621-60, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6912AIT) le prévoit explicitement. Observons que l'article L. 626-5, alinéa 2, sous l'empire de la législation issue de la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L4105HBN), reprend exactement la solution. Ainsi, même si la créance est contestée, son titulaire doit être consulté. En pratique, la solution est aisée à comprendre. En effet, rien ne préjuge que la créance sera finalement rejetée et, si elle était admise alors que le créancier n'a pas été consulté, le créancier serait alors rétrospectivement privé d'un droit à être consulté.
Ainsi, la solution dégagée dans la présente espèce devient-elle absolument logique. Puisque tous les créanciers antérieurs doivent être consultés sur les délais et remises qu'ils entendent consentir dans le cadre de l'élaboration d'un plan de continuation, et cela même si leur déclaration de créance est sujette à discussion, il ne saurait être tiré argument d'un envoi des propositions d'apurement du passif sur la contestation de la créance. Cette consultation ne peut en aucune manière équivaloir à une renonciation à la contestation, puisque, même si le créancier est contesté, il doit être consulté.
On peut, cependant, estimer que, si la procédure de vérification des créances est intervenue et qu'une décision définitive a été rendue rejetant la créance, la consultation de ce créancier ne présenterait aucun intérêt. Il n'est plus habilité, faute d'être créancier, à émettre quelques prétentions que ce soit, parce que sa créance est éteinte, tant sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, que sous l'empire de la législation issue de la loi de sauvegarde des entreprises.
Il apparaît, ainsi, que le paiement du créancier dans le cadre d'un plan de continuation et, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement, présuppose une admission de la créance au passif. En revanche, la procédure de consultation préparatoire au plan de continuation, mais aussi de sauvegarde ou de redressement, et cela même en présence de comités de créanciers, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, s'impose pour toutes les personnes se présentant comme créancières à la procédure collective. La consultation est faite sur la base d'une qualité présomptive de créancier. L'article 42, alinéa 1, du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5329A47) prévoit explicitement que la consultation est faite à "chaque créancier connu ou ayant déclaré sa créance". La consultation est donc indépendante de la déclaration de créance. La rédaction du décret du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3297HET) est différente de celle de l'article 42, alinéa 1, du décret du 27 décembre 1985. En effet, son article 131, alinéa 1, ne prévoit la consultation que des seuls créanciers ayant déclaré leur créance. Il sera toutefois prudent pour l'administrateur ou le mandataire judiciaire, selon qu'il y aura eu ou non constitution des comités de créanciers, de consulter tous les créanciers connus, indépendamment de leur déclaration de créance. La solution s'impose d'autant plus qu'au jour de la consultation, les délais de déclaration des créances ne sont pas encore expirés.
L'indépendance de la procédure de consultation des créanciers dans le cadre de l'élaboration du plan par rapport à la procédure de déclaration, de vérification et d'admission des créances doit donc être affirmée. Si conceptuellement, la solution ne fait pas de difficulté, en revanche, elle n'est pas sans poser des problèmes majeurs au regard des critères d'arrêté d'un plan de continuation. En effet, pareil plan ne peut être adopté que s'il existe des possibilités sérieuses de redressement et d'apurement du passif (C. com., art. L. 621-70, al. 1 N° Lexbase : L6922AI9). La procédure de vérification des créances ne sera généralement pas terminée, lorsque la juridiction statuera sur l'arrêté d'un plan. Les créances déclarées devront être prises en compte en totalité (Cass. com., 12 octobre 2004, n° 99-10.988, F-D N° Lexbase : A6211DDE) dans l'appréciation, alors qu'elles ne seront pas encore vérifiées, même si elles sont contestées (Cass. com., 30 octobre 2000, n° 97-18.820, Société les Productions Belles rives c/ Mme Brigitte Penet-Weiller N° Lexbase : A9669A4U, Act. proc. coll. 2000/19, n° 246 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 septembre 2004, n° 2003 /21025, Mme Nadine Berrebi c/ Maître Charles Gorins N° Lexbase : A8025DDL).
L'indépendance des deux procédures oblige ainsi à tenir compte du passif contesté pour déterminer les chances sérieuses d'apurement du passif, alors que, par l'effet de la procédure de vérification des créances, certaines créances contestées seront finalement rejetées, ce qui donnera alors un éclairage parfois très différent, si le passif éteint à la suite de la vérification des créances est important, sur la possibilité pour le débiteur de payer son passif, critère d'adoption du plan de continuation. L'autonomie des deux procédures atteint alors nécessairement ses limites.
On peut, à cet égard, observer que la loi de sauvegarde des entreprises ne reprend pas les critères de la législation antérieure pour l'arrêté des plans de sauvegarde ou de redressement. La notion de possibilités sérieuses d'apurement du passif a, notamment, disparu. Faut-il y attacher une conséquence ? Il suffit, en effet, à la lettre du texte de l'article L. 626-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4101HBI), applicable tant en sauvegarde qu'en redressement judiciaire, qu'existent des possibilités sérieuses pour l'entreprise d'être sauvegardée. Il semblerait ainsi se produire une déconnexion de l'arrêté du plan par rapport au montant du passif. Mais il n'y a là, à notre sens, qu'une impression. En pratique, on voit mal comment faire abstraction de l'importance du passif pour déterminer s'il existe une chance pour l'entreprise d'être sauvegardée. Or l'indépendance des procédures de vérification et d'admission des créances d'un côté, celle d'élaboration des plans de sauvegarde ou de redressement, d'un autre côté, reste parfaitement d'actualité. Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'article L. 626-21, alinéa 1, du Code de commerce, selon lequel "l'inscription d'une créance au plan et l'octroi de délais ou remises par le créancier ne préjugent pas l'admission définitive de la créance au passif". Ce n'est là que la reprise très fidèle de l'article L. 621-79, alinéa 1, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises.
Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'article L. 624-3, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L7042AIN) dispose que "l'action [en comblement de passif] se prescrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement ou, à défaut, du jugement qui prononce la liquidation judiciaire". Ce même délai de prescription a été conservé par la loi de sauvegarde des entreprises. L'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, nouvelle dénomination de l'action en comblement de passif, doit être engagée, en application de l'article L. 651-2, alinéa 2 (N° Lexbase : L3792HB3), dans les trois ans du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ou la résolution du plan. Lorsqu'un premier dirigeant a été assigné dans le délai de l'action, ce texte clair peut-il être tenu en échec pour un second dirigeant qui n'aurait pas été assigné dans ce même délai ? C'est à cette question insolite que répond la Cour de cassation dans l'affaire commentée.
En l'espèce, le 25 novembre 1994, était prononcée la liquidation judiciaire d'une société. Les 20 et 21 novembre 1997, soit quelques jours avant l'expiration du délai de prescription posé par l'article L. 624-3, alinéa 2, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, le liquidateur judiciaire de la société assigne les dirigeants de droit de celle-ci en comblement de passif. Puis, plus de six ans plus tard, le 6 janvier 2004, ce même liquidateur judiciaire assigne un dirigeant de fait. Conscient que plus de trois ans s'étaient écoulés depuis le prononcé de la liquidation judiciaire de la société débitrice, le liquidateur essaie de tirer argument de la demande de condamnation solidaire avec les dirigeants de droit formée contre le dirigeant de fait pour prétendre à une interruption de la prescription à l'égard du dirigeant de fait. Les juges du fond ne le suivront pas dans son argumentation. La Cour de cassation, pour sa part, va rejeter en ces termes le pourvoi : "aucune solidarité n'existe entre les dirigeants de droit et de fait d'une même personne morale au regard de l'action en paiement de l'insuffisance d'actif de celle-ci, le juge ayant seulement, en application de l'article L. 624-3 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, la faculté de dire que les condamnations seront exécutées avec ou sans solidarité ; il en résulte que l'action en paiement de l'insuffisance d'actif engagée dans délai légal contre un dirigeant n'interrompt pas la prescription à l'égard des autres dirigeants, qu'ils soient de droit ou de fait".
La solution ne peut être qu'approuvée sans réserve. L'argument soulevé par le liquidateur aurait supposé que les dirigeants de la société soient considérés comme des codébiteurs solidaires des dettes de celle-ci. En pareille hypothèse, l'un des effets secondaires de la solidarité, à savoir l'interruption de la prescription à l'encontre de tous les obligés solidaires, lorsque l'un deux a été assigné dans le délai de l'action, aurait permis d'éviter la prescription. Mais, et heureusement, serait-on tenté de dire, il n'en est rien. Le dirigeant social n'est, par principe, pas personnellement responsable des dettes de la société. Il ne peut donc être considéré comme un obligé solidaire à la dette. Décider le contraire reviendrait à supprimer en droit français l'écran que constitue la personnalité morale d'une société.
En revanche, lorsque le tribunal fait usage de la faculté de condamner plusieurs dirigeants à combler l'insuffisance d'actif, il peut prévoir que la condamnation sera solidaire. C'est ce que prévoit l'article L. 624-3 du Code de commerce
Le demandeur au pourvoi avait donc, ici, incontestablement, pris l'effet pour la cause. C'est ce que fait ressortir clairement que la Cour de cassation. La possibilité de condamner solidairement plusieurs dirigeants n'entraîne aucun effet de représentation mutuelle entre ces mêmes dirigeants, avant la condamnation.
Mais l'argument était-il aussi fantaisiste que cela ? La législation ne recèle-t-elle pas parfois une telle solidarité, qui aurait permis de faire jouer cet effet interruptif de la prescription ?
On en trouve trace à l'article L. 225-20 du Code commerce (N° Lexbase : L5891AIZ), selon lequel le représentant permanent d'une personne morale dirigeante est responsable solidairement avec la personne morale qu'il représente. Il y a là une véritable solidarité légale. Il en a été tiré cette conséquence que, du fait de la solidarité légale existant entre le représentant permanent de la personne morale et celle-ci, si cette dernière est recherchée dans le cadre d'une sanction, la prescription sera valablement interrompue contre le représentant permanent. La solution avait été posée sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8) (Cass. com., 2 décembre 1986, n° 85-11.307, M. Dreux c/ M. Gourdain, syndic de la liquidation des biens de la société Club Tradifrance N° Lexbase : A6344AA9, Rev. sociétés 1987, 409, note A. Honorat), mais conserve son actualité sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) et de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT).
Nul doute que cette solution avait inspiré le liquidateur dans l'affaire commentée et il essayait de l'étendre en dehors de son strict domaine d'application. Malheureusement, pour lui, cette disposition est spéciale et ne saurait être étendue par analogie à des situations qu'elle ne concerne pas. Ainsi, sauf le cas de l'action engagée contre le dirigeant personne morale et qui permettra l'interruption de l'action contre le représentant permanent du dirigeant personne morale, l'assignation délivrée contre un dirigeant, tant en comblement de passif, qu'en redressement ou en liquidation judiciaire à titre personnel, ne permettra pas l'interruption de la prescription à l'encontre d'un autre dirigeant.
La solution dégagée dans l'arrêt commenté a vocation à s'appliquer, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, non seulement dans l'hypothèse d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, mais encore dans celle d'une action en obligation aux dettes sociales. Cette action est enfermée, en effet, dans le même délai de prescription de trois ans que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, sauf à observer que le délai ne peut ici courir que du jour du prononcé de la liquidation judiciaire, la simple résolution d'un plan sans liquidation judiciaire étant insuffisante au déclenchement d'une action en obligation aux dettes sociales. Au demeurant, sous l'empire de la loi nouvelle, la solution s'impose d'autant plus que la condamnation solidaire des dirigeants ne sera possible que si le tribunal statue par une décision motivée, ainsi que le précise pour l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, l'article L. 651-2, alinéa 1, in fine (N° Lexbase : L3792HB3). Plus nettement, encore, dans le domaine de l'action en obligation aux dettes sociales, l'article L. 652-2 du code (N° Lexbase : L3797HBA) prévoit que, "en cas de pluralité de dirigeants responsables, le tribunal tient compte de la faute de chacun pour déterminer la part des dettes sociales mises à sa charge. Par décision motivée, il peut les déclarer solidairement responsables". Ainsi, avec la loi de sauvegarde des entreprises, la possibilité de prononcer une condamnation solidaire est moins aisée que sous l'empire de la législation antérieure, alors que seule son automaticité aurait permis le jeu de l'interruption de la prescription à l'encontre de toutes les personnes susceptibles d'être sanctionnées.
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