Où transposition n'est pas raison. Afin de se conformer à la loi américaine "Sarbanes-Oxley" qui impose aux sociétés cotées à la bourse de New York la mise en place d'un système d'alerte professionnelle, de nombreuses sociétés internationales doivent mettre en place au sein de leur groupe et, notamment, au sein de leur filiale française, un "
programme de conformité légale et de responsabilité professionnelle". En France, ce dispositif d'alerte professionnelle ("
whistleblowing") est un système mis en place par une structure privée ou publique afin d'inciter ses employés à signaler des problèmes pouvant sérieusement affecter son activité ou engager gravement sa responsabilité. Il peut, par exemple, prendre la forme d'un numéro de téléphone ou d'une adresse électronique, qui oriente les alertes vers des personnes spécialement formées. Les dispositifs d'alertes professionnelles, quel que soit le mode de recueil des données, constituent des traitements de données soumis à la loi informatique et libertés. Dès lors que ces traitements sont informatisés, ils doivent être autorisés par la Cnil. Ce dispositif d'alerte professionnelle doit être, en principe, facultatif, accessoire et limité aux domaines financier, comptable, bancaire et de lutte contre la corruption. Il est nécessaire, par ailleurs, d'informer la personne mise en cause dans ses droits (accès à l'enregistrement de l'alerte et possibilité de rectification) tout en s'assurant de la préservation des preuves nécessaires au traitement de l'alerte. Personne ne remettrait en cause la nécessité de mettre en place des dispositifs permettant une plus grande transparence et éthique dans la gestion des entreprises. Le souvenir du scandale outre-atlantique de l'affaire "Enron" est encore dans tous les esprits. Pour autant, la "dénonciation" [faire savoir officiellement] induite par ce système "d'alerte professionnelle" est-elle "acceptable" par des pays comme la France ? Certes, trois documents de référence en la matière permettent, aujourd'hui, de définir les conditions permettant à ces dispositifs d'alertes professionnelles d'être en conformité avec la loi informatique et libertés : un document d'orientation du 10 novembre 2005 ; une autorisation unique du 8 décembre 2005 ; et l'avis du groupe des autorités européennes de protection des données personnelles, dit "groupe de l'article 29", adopté le 1er février 2006 sur les dispositifs d'alerte professionnelle.
Aussi, la "transposition" juridique des canons de la loi "Sarbanes-Oxley" n'est-elle pas un problème -encore que l'on ne connaissait, jusqu'à présent, que l'obligation de transposer les normes communautaires- ; l'encadrement juridique de l'alerte professionnelle est d'ores et déjà efficient. Pour preuve, par un jugement du 19 septembre 2006, le tribunal de grande instance de Lyon a déclaré le dispositif d'alerte professionnelle d'une société conforme à la délibération de la Cnil du 8 décembre 2005 (cf.
Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Octobre 2006), alors que celui-ci prévoyait, notamment, le respect des normes de sécurité ou des limites imposées par les autorités en matière de rejet de polluants et le signalement aux services de protection de l'entreprise des déversements de substances nocives afin de limiter les effets ; ou encore, la séparation pour chaque collaborateur de ses intérêts privés et de ceux de l'entreprise, les décisions de ceux-ci ne devant pas être influencées par des considérations personnelles mais par des critères objectifs et les conflits d'intérêts devant être signalés. Nous sommes loin des singuliers domaines comptables et bancaires pour lesquels ces dispositifs d'alerte ont été envisagés. Mais pour revenir à notre propos, si la France a montré sa capacité juridique à intégrer la notion "d'alerte professionnelle", les entreprises elles-mêmes et leurs salariés le sont-ils tout autant ? Dans une affaire jugée le 8 novembre dernier par la Cour de cassation, une salariée, qui avait pour mission d'assurer le respect de l'éthique dans la société, avait remis en main propre au président directeur général de la société une lettre dans laquelle elle attirait l'attention sur des propos racistes tenus par la responsable du personnel à l'encontre de candidats à l'embauche. Elle rappelait, également, avoir déjà informé ce même destinataire d'agissements similaires antérieurs et lui demandait de prendre toutes les mesures pour que de tels propos nuisibles à l'image éthique de la société ne soient plus tenus. Elle a été licenciée pour faute grave, l'employeur lui reprochant une diffamation à l'encontre de la responsable du personnel résultant de ce qu'elle ne rapportait pas la preuve des faits relatés.
L'affaire est symptomatique du
décalage culturel entre la France et les Etats-Unis : dans un pays où la dénonciation, le signalement ou l'alerte est une pratique "honteuse", pour des raisons éminemment historiques -si les Etats-Unis ont connu les écueils du maccarthysme, il ne semble pas qu'ils en éprouvent, encore aujourd'hui, un devoir et un besoin de repentance-, la mise en place, en France, de tels dispositifs et son acceptation par la majorité des personnels est-elle, à court terme, envisageable ? Pour le droit, la Cour de cassation a répondu que la personne chargée d'assurer le respect de l'éthique dans la société ne commet pas de faute en signalant à sa hiérarchie l'existence de propos racistes tenus par la responsable du personnel à l'encontre de candidats à l'embauche. Sur ce sujet délicat touchant aux dispositifs d'alerte et à la lutte contre les discriminations, les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire le commentaire de
Sébastien Tournaux, Allocataire-Moniteur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV,
La dénonciation de bonne foi de faits fautifs commis par un autre salarié, et de manière incidente, le compte-rendu rédigé par
Aurélie Serrano, Secrétaire général de rédaction en droit social, d'une rencontre organisée le 7 novembre 2006, par le
cabinet Baker & McKenzie, sur le thème de l'utilisation des outils technologiques au travail.
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