La lettre juridique n°237 du 23 novembre 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La dénonciation de bonne foi de faits fautifs commis par un autre salarié

Réf. : Cass. soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9)

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Le whistle-blowing est une technique développée outre-Atlantique, consistant à inciter les salariés à dénoncer les comportements fautifs de leurs collègues au travail. Ce mécanisme se répand dans les entreprises françaises, à tel point qu'il arrive que certains salariés aient, parmi leurs attributions, comme mission de dénoncer les comportements d'autres salariés qui pourraient nuire à l'image de l'entreprise. C'est ce cas de figure qui est présenté à la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 novembre 2006. Ce dernier nous incite à nous demander si la dénonciation sans fondement des faits fautifs commis par un salarié de l'entreprise peut constituer une faute (1) mais, également, à constater qu'en la matière, il existe une suprématie de la procédure de licenciement sur les mécanismes provenant d'autres droits (2)

Résumé

Le juge doit apprécier les éléments de preuve et de fait du licenciement en fonction des règles qui lui sont applicables sans être lié par la qualification pénale donnée par l'employeur dans la lettre de licenciement. En conséquence, les juges du fond ont pu décider que la salariée, dont la mission dans l'entreprise était d'assurer le respect de l'éthique, n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie les propos racistes tenus par la responsable du personnel de l'entreprise bien que la véracité de ces faits n'ait pu être démontrée.

Décision

Cass. soc., 8 novembre 2006, n° 05-41.504, Société Ferring, F-P+B (N° Lexbase : A3116DS9)

Cassation (CA Paris, 22ème ch., sect. A, 19 janvier 2005, n° 03/36237, Mme Sylvie Allouche c/ SAS Ferring N° Lexbase : A9747DG4)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR) ; C. trav., art. L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9).

Mots-clés : licenciement ; faute grave ; dénonciation de propos racistes.

Lien bases :

Faits

1. Mme Allouche est membre du comité de direction de la société Ferring avec pour mission d'assurer le respect de l'éthique dans le cadre de la coordination médicale de ce laboratoire pharmaceutique. Le 30 octobre 2001, elle remet au PDG de la société une lettre en mains propres portant la mention "confidentiel", par laquelle elle attire son attention sur les propos racistes proférés par la responsable du personnel. Elle rappelle avoir déjà informé le destinataire d'agissements antérieurs similaires et lui demande de prendre les mesures nécessaires afin que de tels propos, nuisibles à l'image éthique de la société, ne soient plus renouvelés. Par lettre du 19 novembre 2001, Mme Allouche est licenciée pour faute grave au motif que celle-ci n'apportait pas la preuve des propos tenus dans son courrier et mentait en disant qu'elle avait déjà signalé de tels faits par le passé.

2. La cour d'appel de Paris prononce la nullité du licenciement en estimant que le doute qui subsistait quant à la réalité des propos tenus par Mme Allouche devait profiter à la salariée. La société Ferring se pourvoit en cassation.

Solution

1. Rejet.

2. "Attendu que le juge saisi de la contestation d'un licenciement doit apprécier les éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis conformément aux règles applicables audit licenciement sans être lié par la qualification pénale que l'employeur a donnée aux faits énoncés dans la lettre de licenciement".

3. Que la cour d'appel a pu retenir que "compte tenu de la mission dont elle était chargée, Mme Allouche n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie des faits en rapport avec ses attributions".

Commentaire

1. Dénonciation et faute grave

  • Les critères de la faute grave

Le Code du travail ne fournissant aucune définition de la faute grave, c'est la jurisprudence qui a dû cerner cette notion et en établir les principaux traits.

Pour la Cour de cassation, la faute grave est celle qui "résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise jusqu'à la fin du contrat" (Cass. soc., 18 juin 1991, n° 88-42.008, Mlle Greneau c/ Epoux Castillan, inédit N° Lexbase : A8323AGD). En conséquence, il en découle deux conditions : l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise (v., par ex., Cass. soc., 14 janvier 1992, n° 90-44.745, SA française de Montage-Levage c/ Chelihi, inédit N° Lexbase : A8448AGY ; Cass. soc., 15 janvier 2003, n° 01-40.939, F-D N° Lexbase : A6738A4C) et, surtout, la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, qui correspondra, en quelque sorte, à l'élément matériel de la faute.

La principale obligation du contrat de travail, pour le salarié, est la fourniture d'une prestation de travail. Il existe, bien entendu, d'autres obligations accessoires telles que, par exemple, l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi. La dénonciation des propos racistes tenus par une autre salariée de l'entreprise constitue-t-elle une violation d'une obligation découlant du contrat de travail ?

  • La dénonciation et les critères de la faute grave

La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme la solution apportée par les juges du fond dans cette affaire en estimant que, compte tenu de la mission dont elle était chargée, la salariée n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie des faits en rapport avec ses attributions. Est donc refusée la qualification de faute grave. Deux arguments semblent, ici, entrer en ligne de compte dans l'appréciation de la faute.

Le premier de ces arguments était déjà apparu dans une décision rendue par la Cour de cassation le 12 juillet dernier (v. Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-41.075, FS-P+B N° Lexbase : A4374DQ3 et nos obs., La dénonciation sans fondement constitue-t-elle une faute grave du salarié ?, Lexbase Hebdo n° 225 du 27 juillet 2006 - édition sociale N° Lexbase : N1328ALR). Le salarié est débiteur d'une obligation d'exécuter son contrat de travail de bonne foi en application des articles L. 120-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0571AZ8) et 1134, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC). En exécution de celle-ci, le salarié ne peut dénoncer les propos tenus par un de ses collègues que s'il est de bonne foi et si les faits dénoncés ne sont pas mensongers. Dans le cas contraire, la dénonciation sera constitutive d'une faute disciplinaire. Or, comme le relève la Chambre sociale en l'espèce, la salariée avait signalé "de bonne foi" les propos tenus par la responsable du personnel, si bien que la faute grave ne pouvait être retenue.

A cela s'ajoute l'existence d'un second argument plus spécifique à l'espèce commentée. On peut, en effet, considérer que les faits fautifs reprochés à la salariée ne reflétaient, en réalité, qu'une exécution conforme du contrat de travail. En d'autres termes, la salariée avait pour mission de surveiller et éventuellement de dénoncer les comportements de ses collègues qui pourraient nuire à l'image éthique de la société. En dénonçant la responsable du personnel, la salariée ne faisait donc qu'exécuter son contrat de travail. En forçant le trait, on pourrait même imaginer, à l'inverse, qu'une faute soit reprochée à la salariée si celle-ci n'avait pas signalé les faits dont elle avait eu connaissance.

La Cour, en invoquant à la fois la mission dont la salariée était chargée et la bonne foi dont elle avait fait preuve en signalant les faits à sa hiérarchie, semble donc prendre en compte les deux arguments : non seulement il n'y avait pas violation d'une obligation de bonne foi, mais encore il s'agissait là de l'exécution du contrat de travail de la salariée. Il n'empêche que, si le juge souhaitait rester fidèle aux critères posés dans l'arrêt du 12 juillet 2006 (préc.), un autre élément devait être vérifié : celui de la véracité des faits allégués. Pour cela, tout dépendait de la place respective que l'on faisait à la procédure de licenciement et à la procédure pénale.

2. Faute pénale et faute disciplinaire

  • De la preuve de la diffamation

Si la Chambre sociale, confirmant de la sorte l'argumentation de la cour d'appel, considère qu'en cas de doute sur la véracité des faits permettant de parvenir à la qualification de faute grave, ce doute doit profiter au salarié, la solution aurait pu être différente si les juges s'étaient tenus à la qualification pénale que peut revêtir une dénonciation calomnieuse.

En effet, dans la lettre de licenciement, l'employeur invoquait des faits de diffamation à l'égard de la salariée. Ce délit est défini et sanctionné par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : L7589AIW). Si la salariée ne pouvait démontrer la véracité des faits allégués, la qualification de diffamation aurait pu être retenue.

Pourtant, la démonstration de la véracité des faits n'était, en l'espèce, en rien dépendante de la qualification de l'infraction de diffamation et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, comme le relève justement la Chambre sociale, le juge prud'homal n'est pas tenu par la qualification pénale opérée par l'employeur. S'il existe bien une autorité de la chose jugée au pénal sur la chose jugée au civil, encore eut-il fallu qu'une condamnation pénale soit prononcée. Ensuite, et surtout, la procédure disciplinaire semble exclure l'intervention d'autres procédures dans la détermination de la faute grave. C'est ainsi que la première chambre civile avait déjà exclu, à demi-mots, l'utilisation de la procédure prévue par la loi de 1881 lorsque était en cause une faute disciplinaire du salarié (v. Cass. civ. 1, 13 juin 2006, n° 03-47.580, FS-P+B N° Lexbase : A9380DP4 ; et nos obs. Le licenciement du salarié auteur d'un abus de la liberté d'expression, Lexbase Hebdo n° 221 du 29 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N0182ALC), solution d'ailleurs réitérée beaucoup plus clairement dans un arrêt très récent (Cass. civ. 1, 7 novembre 2006, n° 05-19.011, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2130DSP).

Seule, en l'espèce, la procédure de licenciement devait donc permettre de démontrer l'existence ou non d'une faute grave de la part de la salariée.

  • De la preuve de la faute grave

La Chambre sociale affirme donc que le juge "doit apprécier les éléments de faits et de preuve qui lui sont soumis conformément aux règles applicables" en matière de licenciement. Il semble être là, notamment, fait référence à la règle de preuve spécifique au droit du licenciement selon laquelle la charge de la preuve de l'existence de la cause réelle et sérieuse est partagée entre le salarié et l'employeur et, surtout, que le doute profite au salarié (C. trav., art. L. 122-14-3 N° Lexbase : L5568AC9).

Cette appréciation de la cause réelle et sérieuse, pour un licenciement disciplinaire, va donc porter sur l'existence de la faute. On devrait alors retrouver les deux critères posés par la Cour de cassation pour déterminer si la dénonciation calomnieuse d'un de ses collègues est ou non constitutif d'une faute grave (v. Cass. soc., 12 juillet 2006, préc.) : le juge devrait rechercher si la dénonciation était mensongère et, dans l'affirmative, si le salarié avait ou non agi de bonne foi.

La bonne foi semblant avérée, c'est sur l'existence du caractère fondé ou non de la dénonciation que se centrait le débat. Devant l'absence d'éléments permettant de trancher en faveur d'un des plaideurs, les juges font donc application des règles de preuves spécifiques au droit du licenciement : le doute doit profiter au salarié.

Outre que ce raisonnement paraisse respectueux des règles posées en la matière par le Code du travail, on peut être satisfait de voir dans un tel cas de figure la place que prend la bonne foi dans l'appréciation de la faute. En effet, jusqu'alors, pour qu'il y ait faute, il fallait démontrer le caractère mensonger puis, à le supposer établi, la mauvaise foi du salarié. Ici, le caractère mensonger n'est pas établi, la Cour aurait pu certainement se contenter du doute pour dédouaner le salarié. Au contraire, et dans un souci de bonne justice, elle impose la recherche de la bonne foi de la salariée pour s'assurer de l'absence de faute. Cette place de la bonne foi nous paraît d'autant plus essentielle qu'en l'espèce, la dénonciation de ses collègues faisait en quelque sorte partie de la mission confiée à cette salariée.

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