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N5180ALG
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par Compte-rendu réalisé par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de la Revue Lexbase de Droit Public
le 07 Octobre 2010
Dans les décisions relatives au contrôle de constitutionnalité, l'erreur en cause est, la plupart du temps, l'erreur manifeste d'appréciation du législateur qui, si elle est avérée, entraîne naturellement la censure des dispositions. Ces catégories d'erreurs sont connues mais il est difficile d'identifier les types d'erreurs spécifiques au droit constitutionnel.
Les particularités de l'erreur que P. Mazeaud a tenu à mettre en évidence tiennent donc davantage à sa portée et à la manière de l'appréhender et de la sanctionner qu'à sa nature même. Il convient donc de distinguer l'erreur soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, de l'erreur commise par le Conseil constitutionnel lui-même.
I. L'erreur soumise à l'examen du Conseil constitutionnel
Les modalités selon lesquelles le Conseil constitutionnel exerce son contrôle confèrent à l'examen de l'erreur un caractère aléatoire. Quant à la sanction de l'erreur, elle revêt naturellement des formes variées.
A. Le caractère aléatoire de l'erreur
1. Les aléas de l'examen de l'erreur liés aux caractéristiques du contrôle de constitutionnalité à la française
Le contrôle de constitutionnalité qu'exerce le conseil présente, en effet, un caractère aléatoire et incomplet, ouvrant droit à l'introduction dans le droit positif, de dispositions inconstitutionnelles, constitutives d'autant d'erreurs.
En premier lieu, le contrôle de constitutionnalité consiste en un contrôle a priori préventif. Ainsi, dans la mesure où le conseil n'est saisi que d'un texte qui n'est pas encore entré en vigueur, P. Mazeaud en déduit le caractère abstrait du contrôle du Conseil constitutionnel qui ne permet de sanctionner que l'erreur théorique, l'erreur abstraite. En effet, il ne peut prétendre appréhender toutes les réalités concrètes, toutes les conséquences possibles de l'application future d'une loi.
En deuxième lieu, le Conseil n'a connaissance que d'une partie des lois adoptées par le Parlement. En effet, sa saisine est obligatoire pour les lois organiques ou pour le règlement des assemblées, mais elle est facultative pour les lois ordinaires ou les Traités. Toutes les lois ordinaires qui ne lui sont pas déférées échappent donc à son contrôle et les erreurs qu'elles contiennent ne sont donc pas sanctionnées. A cet égard, P. Mazeaud, ne manque pas de relever que c'est précisément parce qu'elles ne sont pas conformes à la Constitution, que certaines lois ne sont pas déférées au Conseil, en particulier, lorsque l'inconstitutionnalité repose sur un consensus. Le Président du Conseil constitutionnel indique que l'erreur commise doit, cependant, demeurer discrète, "une erreur trop aisément assumée, une inconstitutionnalité trop facilement revendiquée sur la place publique", appelant une réaction. A cet égard, il revient sur un communiqué diffusé en septembre 2005, dans lequel il rappelait que "le respect de la Constitution n'est pas un risque mais un devoir", après que le Garde des sceaux ait invité les parlementaires à adopter des dispositions selon lui contraires au principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et persuadé les parlementaires de l'opposition de ne pas saisir le Conseil.
Quoi qu'il en soit, le caractère aléatoire du contrôle de constitutionnalité à la française présente des inconvénients certains. En vue de les limiter, le Conseil a ainsi jugé que la conformité à la Constitution d'une loi promulguée peut être contestée à l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui en modifient le contenu, la complètent, ou affectent son domaine d'application. Ainsi, s'il est saisi d'une loi nouvelle, le conseil peut partir à la recherche des erreurs contenues dans une loi ancienne qui n'auraient pas été déférées ou qui auraient été déférées mais dont il n'aurait pas perçu, par erreur de sa part, le caractère inconstitutionnel. Cela suppose, toutefois, qu'il soit saisi de la loi nouvelle.
Pour y remédier, l'instauration d'un contrôle de constitutionnalité après l'entrée en vigueur de la loi a souvent été préconisée. Toutefois, sur une telle proposition, P. Mazeaud se montre réservé, estimant qu'elle anéantirait l'un des avantages les plus éclatants du contrôle de constitutionnalité à la française, à savoir la sécurité juridique qu'il procure, ce qui présenterait là un inconvénient majeur dépassant, à son sens, tous ceux auxquels on prétendrait vouloir ainsi remédier.
2. Les aléas de l'examen de l'erreur liés aux erreurs d'argumentation
L'erreur peut s'immiscer dans l'argumentation même des personnes qui saisissent le Conseil pour démontrer une erreur législative. Elle provient alors d'une méconnaissance de la jurisprudence du Conseil, ou d'une prise en compte insuffisante de son évolution, voire des revirements de jurisprudence. Ainsi, le Conseil est régulièrement saisi de moyens qui invoquent à tort l'article 66 de la Constitution (N° Lexbase : L1332A99), lequel protège la liberté individuelle et la place sous le contrôle de l'autorité judiciaire, pour contester l'instauration de toute nouvelle mesure présentant un caractère contraignant. En effet, c'est souvent en vain que l'article 66 est invoqué, le Conseil rappelant, pourtant, depuis longtemps, que cette liberté individuelle doit être entendue au sens strict de l'habeas corpus. Le dernier exemple date de janvier dernier, à l'occasion de l'examen de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, dans lequel les requérants contestaient la procédure nouvelle de recueil automatisé de données relatives aux véhicules.
L'erreur la plus courante demeure sans doute celle relative à l'effet cliqué, selon laquelle le législateur ne pourrait réglementer les conditions d'exercice d'une liberté qu'afin de la rendre plus effective, tout retour en arrière lui étant interdit. P. Mazeaud admet que le Conseil en est le premier responsable, puisqu'il lui appartenait de ne pas adopter une jurisprudence intenable, ayant pour conséquence de constitutionnaliser toute avancée législative, au détriment d'autres droits ou exigences de valeur constitutionnelle toute aussi évidente. Mais, le Conseil désespère de voir que cette théorie est encore invoquée, alors qu'il ne cesse de rappeler dans ses décisions que cette jurisprudence est abandonnée.
Le Conseil constitutionnel peut, également, constater dans les saisines l'erreur d'interprétation de la disposition attaquée. Il se borne alors à constater que l'argumentation des requérants manque en fait.
B. Les différents degrés de l'erreur et de sa sanction
Les erreurs du législateur examinées par le Conseil constitutionnel n'ont pas toutes la même portée. La sanction prononcée dépend alors du degré de gravité de l'erreur.
Avant de se pencher sur la sanction, il convient de rappeler que le degré de contrôle de l'erreur est lui-même variable.
1. Les différents degrés de contrôle de l'erreur
Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel sur toutes les formes d'erreurs qui lui sont dénoncées, loin d'être de nature uniforme, est au contraire modulable.
En matière pénale, par exemple, il est particulièrement poussé. Dans ce domaine, en effet, le principe est celui de la clarté et de la précision de la loi pénale liées, notamment, au principe de la légalité des délits et des peines posée par l'article 8 de la DDHC (N° Lexbase : L1372A9P). Cette exigence s'impose, non seulement pour exclure l'arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions. La moindre erreur est donc sanctionnée en la matière, que ce soit par une censure ou une réserve d'interprétation.
Mais dans bien d'autres domaines, le contrôle est atténué. Parfois, le Conseil entend volontairement laisser au législateur une marge d'appréciation large. Il n'est pas législateur lui-même et il n'entend pas jouer le rôle d'une troisième chambre. C'est pourquoi il rappelle régulièrement qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation, mais de décision de même nature que celui du parlement.
En d'autres occasions, le Conseil se contente de tirer les conséquences des contraintes matérielles ou juridiques, à savoir que ce soit qu'il ne dispose pas de moyen de contrôler efficacement toutes les défaillances du législateur, ou qu'il partage avec d'autres instances juridictionnelles le pouvoir de faire application de certaines normes. Il décide, alors, de ne rechercher et de ne sanctionner que l'erreur manifeste d'appréciation, c'est-à-dire les erreurs les plus graves et en tout cas les plus évidentes.
Dans la catégorie des erreurs manifestes, la dernière née est l'erreur manifeste dans la transposition par le législateur national d'une Directive communautaire. Le Conseil s'est, en effet, engagé, depuis sa décision du 30 mars 2006, dans un contrôle des modalités de la transposition (Cons. const., décision n° 2006-535 DC, du 30 mars 2006, Loi pour l'égalité des chances N° Lexbase : A8313DN9). Le délai très court dont il dispose pour statuer, ne pouvant lui permettre de rechercher des erreurs mineures ou peu évidentes, et le contrôle déjà exercé par les juridictions ordinaires et la CJCE dans l'application du droit communautaire, l'ont conduit à faire le choix d'exercer un contrôle de la seule erreur manifeste d'appréciation.
2. Les divers degrés de la sanction de l'erreur
Par ordre de gravité, on relèvera, tout d'abord, les erreurs vénielles. Parfois, le Conseil ne les relève pas, à supposer même qu'il les ait décelées.
Au-dessus d'elles, on trouve les erreurs que le Conseil entend relever, mais sans pour autant les sanctionner ; il manifeste alors sa désapprobation.
Plus élevées encore dans la hiérarchie des erreurs, sont celles que le Conseil sanctionne par une réserve d'interprétation. La technique des réserves permet de déclarer une disposition conforme à la Constitution à condition que l'erreur qu'elle comporte soit neutralisée, c'est-à-dire interprétée ou appliquée dans le sens qu'il indique. Les réserves se répartissent elles-mêmes en plusieurs catégories. La réserve peut ainsi neutraliser une interprétation qui serait contraire à la constitution, en prescrivant une interprétation qui lui est conforme. Elle peut aussi prescrire aux autorités chargées de l'application de la loi, de l'appliquer de telle ou telle manière. Elle peut même ajouter à la loi ce qui lui manque pour respecter les exigences constitutionnelles. Parfois, il peut s'agir d'une véritable injonction au législateur, comme celle émise dans la décision du 15 décembre 2005, sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (Cons. const., décision n° 2005-528 DC, du 15 décembre 2005, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 N° Lexbase : A9568DLX). Le législateur avait financé de manière irrégulière un dispositif de protection contre les menaces sanitaires. La prise en compte de l'intérêt général de valeur constitutionnelle qui s'attache à la protection de la santé, a permis d'éviter la censure. Mais, le Conseil a exigé que l'erreur ne se renouvelle pas, sous peine d'être immanquablement censurée.
Enfin, les erreurs les plus graves, si elles ne peuvent être rectifiées par une réserve, entraînent sans aucun avertissement la censure. Certaines sont d'ailleurs si graves que le Conseil s'en saisit d'office. Il peut s'agir d'irrégularités formelles comme celles qui touchent aux cavaliers budgétaires ou sociaux, ou encore à l'adoption d'amendements en méconnaissance de règles constitutionnelles. Il peut, également, s'agir d'irrégularités substantielles, notamment, en cas de méconnaissance, soit d'une liberté fondamentale, soit du principe d'égalité, soit des grands équilibres institutionnels, soit, enfin, de la qualité de la loi.
En tout état de cause, le Conseil ne se résout jamais aisément à la censure et encourage tout ce qui peut favoriser la correction d'une erreur.
Ceci étant, il existe une forme d'erreur que le Conseil constitutionnel n'a pas vocation à sanctionner, c'est naturellement la faute politique, qui ne s'accompagne d'aucune violation de la Constitution. Sans la sanctionner, il est des cas où le droit constitutionnel peut toutefois permettre de la réparer, comme en atteste un exemple récent. La loi du 23 février 2005 comportait, on s'en souvient, une disposition qui prévoyait, notamment, que les programmes scolaires devaient reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer. Confronté à de vives réactions, le Gouvernement a très vite considéré lui-même qu'il s'agissait d'une erreur politique. Il a alors saisi le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 37 de la Constitution, d'une demande tendant à voir déclarer le caractère réglementaire de cette disposition de forme législative, ce qui lui permettait ensuite de la modifier ou de l'abroger par simple décret. Dans la ligne de sa jurisprudence, le Conseil a constaté que le contenu des programmes d'enseignement scolaire ne relevait effectivement pas du domaine de la loi, mais du domaine du règlement. La disposition litigieuse a été abrogée peu après par décret.
Qu'en est-il maintenant du Conseil constitutionnel face à ses propres erreurs ?
II. L'erreur commise par le Conseil constitutionnel
Compte tenu de l'autorité particulière que l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93) confère à chacune de ses décisions, lesquelles "s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles", le Conseil constitutionnel n'a pas, par principe, de droit à l'erreur. Toutefois, en tant qu'institution humaine, il n'est pas à l'abri de l'erreur. En effet, comme le reconnaît P. Mazeaud, "malgré les précautions dont il s'entoure, le Conseil ne saurait pourtant sans présomption prétendre à l'impeccabilité à laquelle l'oblige l'autorité de ses décisions".
Comment, alors, assurer et maintenir son autorité, tout en reconnaissant et en rectifiant ses propres erreurs ? La solution n'a pas été évidente, comme l'en atteste l'évolution de la position du Conseil, à propos tant des erreurs matérielles, que des erreurs sur le fond du droit.
A. L'erreur matérielle
Il y a une difficile admission de l'erreur matérielle. Sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, selon lequel les décisions du Conseil ne sont susceptibles d'aucun recours, le Conseil a, en effet, longtemps considéré que la Constitution elle-même interdisait à quiconque de lui demander de rectifier ses erreurs, qu'elles soient matérielles et incontestables.
Ce n'est que dans une décision du 23 octobre 1987, rendue dans le cadre du contentieux électoral, qu'il a fait droit pour la première fois à une demande de rectification d'erreur matérielle, tendant à corriger un visa qui plaçait à tort une commune dans le département du Tarn et Garonne alors qu'elle est située dans celui du Tarn (Cons. const., décision n° 87-1026 AN, du 23 octobre 1987, Haute-Garonne N° Lexbase : A1704AIX).
Cette évolution a été consacrée le 24 novembre 1987 par une décision dans laquelle le Conseil constitutionnel s'est reconnu le pouvoir de rectifier une erreur matérielle qui affecte une de ses décisions, dans le cadre du règlement applicable à la procédure suivie par le Conseil pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs (Cons. const., 24 novembre 1987, Règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et sénateurs N° Lexbase : A3204DSH, Journal officiel du 26 novembre 1987, p. 13812). Il précise que cette rectification peut être effectuée sur demande, et elle peut, également, l'être d'office.
Quoi qu'il en soit, le Conseil veille à ce qu'un recours en rectification d'erreur matérielle n'ait pas pour objet de contester la précision des faits en cause, leur qualification juridique et les conditions de forme ou de procédure selon lesquelles est intervenue la décision, auquel cas la demande est déclarée irrecevable.
Mais, le Conseil peut commettre une erreur beaucoup plus grave que l'erreur matérielle, celle sur le fond de droit.
B. L'erreur sur le fond de droit
Le Conseil constitutionnel a récemment consacré un de ses cahiers à l'étude des revirements de jurisprudence du juge constitutionnel. Il apparaît que certains revirements de jurisprudence s'analysent en des rectifications d'erreurs sur le fond du droit.
1. Sans parler de revirement, le Conseil constitutionnel peut apporter de simples modifications à ses considérants de principe, parfois de façon subreptice, en modifiant parfois simplement un mot. Ces réécritures de considérant de principe peuvent constituer une forme camouflée de revirement de jurisprudence, mais dans la plupart des cas, elles n'ont pas pour objet de remettre en cause la signification de ces considérants. Selon P. Mazeaud, "elles tendent simplement à préciser la pensée du Conseil, à parfaire l'expression des principes énoncés dont la portée demeure intacte. Elles permettent de dissiper les interrogations, voire les erreurs d'interprétation que telle ou telle rédaction a pu susciter, auprès de la doctrine notamment". Il faut, toutefois, admettre que ces modifications traduisent une erreur, le Conseil n'ayant pas trouvé initialement la formulation adéquate. De tels ajustements restent rares, mais les décisions récentes en fournissent une intéressante illustration.
Ainsi, dans une décision du 12 janvier 2002, le Conseil constitutionnel indiquait, dans un considérant de principe, qu' "il appartient au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution, en particulier son article 34. [...] A cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques" (Cons. const., n° 2001-455, du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale N° Lexbase : A7588AXC). Ce considérant, qui traitait pourtant de la clarté et de l'intelligibilité de la loi, s'est finalement, paradoxalement, avéré insuffisamment clair. Par une décision du 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel l'a simplifié en supprimant toute référence à la clarté de la loi qui était en fait surabondante. C'est, désormais, le plein exercice de la compétence que la Constitution confie au législateur et non plus le principe de la clarté de la loi qui imposent au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. Sur le fond, la portée du principe n'est en rien modifiée, mais le conseil a préféré revoir sa formulation afin de le renforcer.
2. Concernant les erreurs sur le fond de droit, seul un revirement de jurisprudence permet de les rectifier, le revirement étant ici défini par P. Mazeaud comme "l'adoption d'une solution nouvelle incompatible avec une solution antérieure".
A priori, les revirements du juge constitutionnel apparaissent comme la négation même de sa mission. Comment le juge constitutionnel peut-il changer son interprétation d'une règle fondamentale dont la stabilité est pourtant la raison d'être ? Ne s'agit-il pas d'un ferment de ruine de son autorité, et plus encore de l'autorité même de la Constitution ? Ne s'agit-il pas d'une usurpation, dans la mesure où le juge constitutionnel paraît s'offrir en quelque sorte une révision constitutionnelle à peu de frais ? Pour le Président du Conseil constitutionnel, ces objections sont excessives. Le revirement de jurisprudence permet surtout d'adapter la Constitution aux évolutions de la société, des idées et des moeurs.
Une fois admise la possibilité d'un revirement de jurisprudence du juge constitutionnel, la mise en oeuvre du revirement est parfois délicate.
Le revirement prend des formes variées. S'il peut consister en une modulation discrète d'un considérant de principe, il est en général visible et pleinement assumé.
Par ailleurs, il peut être brutal et immédiatement appliqué, ou au contraire, être annoncé, dans un premier temps, pour être mis en oeuvre à l'occasion d'une décision ultérieure, cette seconde option étant d'ailleurs celle retenue par le Conseil depuis quelques années.
Ainsi, dans une décision du 19 janvier 2006 (Cons. const., décision n° 2005-532 DC, du 19 janvier 2006, Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers N° Lexbase : A3803DMS), le Conseil a explicitement annoncé sa volonté de restreindre l'exercice du droit d'amendement au stade de la deuxième lecture d'un texte par les assemblées, afin de mettre fin à la multiplication préoccupante de dispositions additionnelles en fin de navette. Ce nouveau principe n'a pas été appliqué le jour même. En revanche, le Conseil n'a pas hésité à censurer, quelques semaines plus tard, une disposition législative adoptée en méconnaissance de ces nouvelles prescriptions (Cons. const., décision n° 2006-533 DC, du 16 mars 2006, Loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes N° Lexbase : A5902DNW).
Certains revirements de jurisprudence sont, parfois, très progressifs. Ainsi, on en trouve une illustration à propos de l'intrusion excessive de la loi dans le domaine réglementaire. Dans une décision du 21 avril 2005 sur la loi d'orientation et de programme pour améliorer l'école, le Conseil a pu amorcer une évolution que P. Mazeaud espère significative (Cons. const., décision n° 2005-512 DC, du 21 avril 2005, Loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école N° Lexbase : A9487DHT). Les requérants critiquaient la présence dans la loi déférée de dispositions de nature réglementaire. Le Conseil a déclaré que certaines dispositions présentaient effectivement un caractère réglementaire, qui n'auraient pas dû ainsi figurer dans une loi. Dans sa décision, le Conseil a, toutefois, fait preuve de prudence dans cette nouvelle orientation. D'une part, il n'a pas censuré les dispositions réglementaires en cause, mais le simple fait de constater qu'elles ont un tel caractère vaut réprimande du législateur et déclassement des dispositions en cause, celles-ci pouvant être directement abrogées ou modifiées par le pouvoir réglementaire. D'autre part, le Conseil ne procède pas à une recherche exhaustive des éléments réglementaires contenus dans un texte de loi, étant donné le délai lui étant imparti pour statuer, soit un mois. Enfin, il n'a pas entendu relever ce moyen d'office, se réservant de ne statuer sur ce point qu'à la demande des requérants eux-mêmes. Ira-t-il plus loin à l'avenir ? P. Mazeaud ne cache pas qu'il le souhaite.
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