La lettre juridique n°237 du 23 novembre 2006 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Licenciement : la date de la rupture ne fixe pas le point de départ du préavis

Réf. : Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-42.323, Mme Annie Négouai, FS-P+B (N° Lexbase : A3135DSW)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Après l'avoir annoncé, la Cour de cassation vient expressément de faire entrer la rupture du contrat de travail, quelle qu'en soit la date, dans la catégorie des actes non réceptices. Comme vient l'affirmer la Haute juridiction dans la décision commentée, si la rupture du contrat de travail se situe à la date d'envoi de la lettre recommandée notifiant le licenciement, le préavis ne court qu'à compter de la date de présentation de cette lettre. Il existe donc, désormais, un décalage entre la date à laquelle le contrat de travail prend fin et celle à laquelle commence le décompte du préavis. Cette solution n'est pas nouvelle, mais cet arrêt de cassation donne à la Haute juridiction l'occasion d'affirmer expressément le principe gouvernant désormais la matière, quel que soit le moment de la rupture du contrat de travail. Cette solution, comme nous avons eu l'occasion de le dire en matière de rupture du contrat au cours de la période d'essai, présente des inconvénients.

Résumé

Si la rupture du contrat de travail se situe à la date d'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, le préavis ne court qu'à compter de la date de présentation de cette lettre.

Décision

Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-42.323, Mme Annie Négouai, FS-P+B (N° Lexbase : A3135DSW)

Cassation (CA Fort-de-France, ch. soc., 25 mars 2004)

Texte visé : C. trav., art. L. 122-14-1 (N° Lexbase : L0042HDW)

Mots-clefs : licenciement ; date de la rupture ; date d'envoi de la lettre recommandée ; préavis ; point de départ ; date de réception de la lettre de licenciement.

Lien bases :

Faits

Une salariée a été licenciée pour faute à la suite d'une mise à pied conservatoire. Contestant ce licenciement, elle a saisi la juridiction prud'homale.

La cour d'appel a fait droit aux demandes de la salariée. Mais, pour calculer le montant dû au titre de la mise à pied, la cour d'appel a pris comme base la période du 17 octobre au 10 novembre 1994, alors qu'il résultait de l'accusé de réception de la lettre de licenciement que celle-ci avait été présentée pour la première fois à la salariée le 23 novembre 1994.

Solution

1. Cassation

1er moyen

2. "Attendu que, pour calculer le montant de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement, la cour d'appel s'est référée aux seules prescriptions légales au motif qu'elle ne disposait pas de la convention collective dont les parties faisaient état dans leurs écritures ; qu'en statuant ainsi, alors que lorsqu'une partie invoque l'application d'une convention collective, il incombe au juge de se la procurer par tous moyens, au besoin en invitant les parties à lui en fournir un exemplaire, la cour a violé les textes susvisés".

2ème moyen

3. "Attendu, cependant, que si la rupture du contrat de travail se situe à la date d'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant le licenciement, le préavis ne court qu'à compter de la date de présentation de cette lettre".

Commentaire

1. Un revirement confirmé

Cette décision, bien que rendue au visa de l'article L. 122-14-1 du Code du travail qui détermine, notamment, le point de départ du délai de préavis, va bien au-delà d'un simple rappel des textes. Cet article fixe le point de départ du préavis à la date de présentation de la lettre recommandée avec avis de réception notifiant le licenciement. L'article L. 122-14-1 du Code du travail ne fait, toutefois, que se prononcer sur l'événement qui détermine le début du préavis ; il ne donne, en effet, aucune précision sur la date à laquelle le contrat de travail prend fin.

En l'absence de précision du législateur, ce sont les juges qui sont venus se prononcer sur l'événement déterminant la date de la rupture du contrat. Leur première position pouvait être qualifiée de raisonnable. La seconde, très récente, confirmée dans cette décision, semble beaucoup plus critiquable.

  • Jurisprudence antérieure

Jusqu'à une période récente, la Cour de cassation faisait concorder la date de la rupture avec celle fixant le point de départ du préavis. Elle considérait que la première présentation de la lettre de licenciement valait notification du licenciement et déterminait le jour de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 9 janvier 2001, n° 98-44.947, Société Fermière du casino municipal de Cannes, inédit N° Lexbase : A4318ARD), faisant ainsi concorder la date à laquelle le contrat était rompu et la date à laquelle le préavis commençait (C. trav., art. L. 122-14-1, al. 1er). Ce principe s'appliquait à toute rupture, qu'elle intervienne en période d'essai (Cass. soc., 16 novembre 1993, n° 88-45.383, M. Balthazard c/ Association Marie-Thérèse, publié N° Lexbase : A6236ABL) ou postérieurement à l'expiration de cette dernière.

  • Revirements

Cette jurisprudence ne vaut plus depuis deux arrêts en date du 26 septembre 2006. Dans une première décision, la Cour, interrogée sur la date à laquelle le contrat de travail prenait fin dans une espèce où la lettre de rupture avait été envoyée avant l'expiration de la période d'essai mais reçue après, est venue affirmer que c'est la date d'envoi de la lettre recommandée notifiant le licenciement qui détermine la date de la rupture du contrat de travail (Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-44.670, Société Gestion technologie finances conseil (GTF), F-P N° Lexbase : A3623DRM ; lire nos obs., Vers une généralisation de la modification de la date de rupture du contrat de travail ?, Lexbase Hebdo n° 232 du 19 octobre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4068ALA). Cette décision, bien que générale, ne permettait pas à elle seule de se prononcer sur la solution applicable au licenciement puisqu'elle concernait la rupture d'un contrat de travail en période d'essai.

C'est la seconde décision qui est venue initier la même solution en matière de licenciement (Cass. soc., 26 septembre 2006, n° 05-43.841, Société Parametric technology (PTC), F-P+B N° Lexbase : A3609DR4). Dans cette espèce, les juges avaient à se prononcer sur la date à laquelle il convenait d'arrêter l'ancienneté du salarié. Au lieu de déterminer les droits du salarié au moment de la présentation de la lettre de licenciement, par application de sa jurisprudence antérieure, les juges sont venus affirmer que "l'ancienneté du salarié s'apprécie au jour où l'employeur envoie la lettre recommandée de licenciement, date à laquelle se situe la rupture du contrat de travail".

Malgré la clarté du principe posé par cette dernière décision, la nature d'arrêt de rejet de la décision commentée et le caractère indirect de la réponse donnée par la Cour imposaient d'attendre une confirmation pour se prononcer de manière franche sur la réalité de ce revirement. C'est désormais chose faite.

  • Espèce

La Haute juridiction, dans cette décision de cassation, trouve l'occasion d'affirmer clairement que si le contrat de travail prend fin au jour où l'employeur envoie la lettre recommandée avec accusé de réception de licenciement, le préavis ne commence à courir qu'à compter de la date de présentation de cette lettre. La solution n'est donc, désormais, plus douteuse.

Cette décision ne va pas sans poser des difficultés.

2. Une solution inhérente à la lettre des textes régissant la rupture du contrat de travail ?

Les critiques que nous avions soulevées en matière de rupture du contrat en cours de période d'essai valent également ici.

Outre le fait que cette solution implique de dater la rupture à un moment où le salarié n'en a pas connaissance, elle contredit la théorie des actes réceptices. Cette théorie est pourtant la règle en matière d'actes unilatéraux (voir sur ce point : G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4538AIW). La rupture du contrat de travail, qu'elle intervienne en période d'essai ou après l'expiration de cette période, appartient donc à la théorie des actes non réceptices. Il faut, sans doute, y voir l'une des spécificités du droit du travail, (comme l'ordre public social) contenue dans l'article L. 122-14-1 du Code du travail, résultant d'une interprétation stricte de ce texte.

  • Un fondement textuel ?

L'article L. 122-14-1, alinéa 1er, du Code du travail dispose que "l'employeur qui décide de licencier un salarié doit notifier le licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception". Pour que le contrat soit rompu, cette disposition n'impose que l'envoi par l'employeur d'une lettre recommandée avec avis de réception. Rien, dans ce texte, n'impose que le salarié ait pris connaissance du contenu de la lettre pour que la rupture devienne effective.

Cette affirmation semble trouver confirmation dans l'article L. 122-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP) qui dispose que "le contrat de travail conclu sans détermination de durée peut cesser à l'initiative d'une des parties contractantes sous réserve de l'application des règles ci-après définies". Une fois que l'employeur a respecté les règles, de fond et de forme, prescrites par le législateur, il ne lui reste plus qu'à matérialiser sa décision de mettre fin à la relation de travail par l'envoi d'une lettre recommandée. Sa décision étant prise, le contrat est rompu et la lettre a seulement pour objet de porter cette décision de manière officielle à la connaissance du salarié.

  • Quelques difficultés pratiques...

Si cette solution peut trouver une justification textuelle, elle pose cependant deux problèmes pratiques : en premier lieu, il existe désormais un décalage entre la date de la rupture et celle où commence à courir le préavis. Quid de cette période ? Il semble que ce revirement ne change rien pour l'employeur qui reste tenu des salaires entre la date d'envoi de la lettre et celle de sa réception. Dans la décision commentée, les juges du fond avaient arrêté la mise à pied à la date d'envoi de la lettre et les juges de cassation l'ont prolongée jusqu'au point de départ du préavis. D'un point de vue salarial, rien ne change pour le salarié. Le seul changement concerne le décompte de l'ancienneté, pouvant léser certains salariés.

En second lieu, les salariés voient leurs droits à ancienneté arrêtés à cette date. Si, dans l'espèce commentée, cela était favorable au salarié puisqu'il s'est vu allouer 13 jours supplémentaires de salaire au titre de la mise à pied, tel n'était pas le cas dans la décision du 26 septembre 2006. Dans cette décision, en effet, ce nouveau décompte de l'ancienneté a fait perdre au salarié les droits auxquels il pouvait prétendre en tant que salarié ayant plus de 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise. Le fait de prendre comme date de rupture celle de l'envoi de la lettre ayant réduit son ancienneté en-deça de 2 ans, il ne pouvait prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'au minimum 6 mois de salaires (C. trav., art. L. 122-14-4 N° Lexbase : L8990G74) mais simplement à des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi (C. trav., art. L. 122-14-5 N° Lexbase : L5570ACB).

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