La lettre juridique n°237 du 23 novembre 2006 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Précisions (complémentaires) relatives au jeu de l'exception de nullité

Réf. : Cass. civ. 1, 7 novembre 2006, n° 05-12.080, M. André Robache, FS-P+B (N° Lexbase : A2984DSC)

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N0360A99

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le 07 Octobre 2010

L'occasion était donnée, voici deux semaines, de revenir sur les conditions du jeu de l'exception de nullité à la faveur d'un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 19 octobre dernier, à paraître au Bulletin, rappelant le principe selon lequel "l'exception de nullité peut seulement jouer pour fait échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté totalement ou en partie" (1). On avait alors relevé que la solution paraissait parfaitement conforme aux solutions aujourd'hui acquises de la jurisprudence, d'ailleurs semble-t-il approuvée par une partie importante de la doctrine, qui considère depuis quelques années déjà que l'exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté (2). Cette solution se recommande du reste, relève-t-on généralement, de la justification traditionnellement donnée au mécanisme de l'exception de nullité : si la prescription de l'action fait, en effet, obstacle à la remise en cause de la situation née de l'exécution du contrat, la perpétuité de l'exception s'oppose à la remise en cause de la situation qui est résultée de l'inexécution prolongée du contrat entaché d'une cause de nullité. Et l'on avait insisté sur le fait que, par l'affirmation sans détour de l'arrêt, la Cour de cassation n'entendait semble-t-il pas se laisser convaincre par l'argumentation avancée par certains auteurs qui se sont parfois demandés si la solution, qui conduit à exclure le jeu de l'exception de nullité dans le cas dans lequel le contrat a été exécuté, ne devait pas se voir reconnaître une portée moins absolue afin d'en nuancer le principe dans le cas dans lequel l'exécution du contrat ne serait que partielle (3). Un autre arrêt de la première chambre civile, cette fois, en date du 7 novembre dernier, à paraître au Bulletin lui aussi, permettant d'apporter quelques précisions complémentaires dans le cas particulier du contrat de cautionnement souscrit en garantie d'un prêt consenti au débiteur principal, mérite d'être, ne serait-ce que rapidement, évoqué.

En l'espèce, en effet, et assez classiquement d'ailleurs, une banque avait consenti un prêt à des époux et avait obtenu, en garantie, l'engagement de cautions solidaires. Or, en raison de la défaillance des emprunteurs, la banque avait assigné les cautions en exécution de leur engagement, lesquelles s'étaient alors prévalues de la nullité du cautionnement et avaient formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts.

Les juges du fond, statuant sur renvoi après cassation, pour déclarer les cautions irrecevables à invoquer l'exception de nullité du cautionnement qu'elles avaient souscrit, avaient fait valoir que cette exception ne peut être opposée au prêteur postérieurement à l'expiration du délai de prescription de cinq ans "dès lors que le contrat de prêt a été exécuté comme en l'espèce".

Fort logiquement, la Cour de cassation exerce, ici, sa censure : après avoir rappelé, sous le visa de l'article 1304 du Code civil (N° Lexbase : L1415ABZ), que "l'exception de nullité peut être invoquée à l'effet de faire échec à la demande d'exécution de l'acte juridique qui n'a pas encore été exécuté", elle énonce "qu'en se déterminant ainsi alors que l'acte juridique en exécution duquel [la banque] agissait à l'encontre [des cautions] était non pas le contrat de prêt mais le cautionnement garantissant celui-ci, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé".

Il faut, ici, rappeler que si l'exception de nullité, qui permet, lorsqu'un contrat n'a pas été exécuté et que l'une des parties en exige l'exécution ou demande réparation pour sa non-exécution, après l'expiration de l'action en nullité, que l'autre partie puisse invoquer cette nullité comme moyen de défense, suppose que l'acte juridique n'ait pas déjà été exécuté, encore faut-il qu'il s'agisse bien de l'acte irrégulier pour lequel la nullité est invoquée. Or, en l'espèce, le contrat qui avait reçu exécution était le contrat de prêt, et non pas le contrat de cautionnement le garantissant qui, lui, par hypothèse, n'avait pas encore été exécuté. C'est cette évidence que les juges du fond avaient méconnue, et le fait que le contrat de cautionnement soit accessoire au contrat principal de prêt n'y pouvait fondamentalement rien changer.

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. civ. 2, 19 octobre 2006, n° 05-17.599, M. Lucien Pique, F-P+B (N° Lexbase : A9671DRM) et nos obs., Obligations : retour sur les conditions du jeu de l'exception de nullité, Lexbase Hebdo n° 235 du 9 novembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N4881ALD).
(2) Cass. civ. 1, 1er décembre 1998, n° 96-17.761, Epoux Maggiani c/ Crédit lyonnais, publié (N° Lexbase : A8935AHE), Bull. civ. I, n° 338 ; Cass. civ. 1., 9 novembre 1999, n° 97-16.454, Epoux Bert c/ M. Marie et autre (N° Lexbase : A5221AWB), Bull. civ. I, n° 298 ; Cass. civ. 1, 13 mars 2001, n° 98-19.691, Mme Gaudin c/ Crédit foncier de France (N° Lexbase : A0131ATZ), Bull. civ. I, n° 70 ; Cass. civ. 1, 6 novembre 2001, n° 99-10.335, Comité interprofessionnel de logement de l'Oise et de la Vallée de l'Aisne c/ M. Francis Debril, FS-P (N° Lexbase : A0610AXU), Bull. civ. I, n° 268 ; Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-18.682, Mme Annie Jarret, épouse Boisquillon c/ Société Union pour le financement d'immeubles de sociétés (UIS), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8860AXG), Bull. civ. III, n° 24.
(3) Voir, sur cette question, J.-L. Aubert, Brèves réflexions sur le jeu de l'exception de nullité, in Mél. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 20 et s.

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