La lettre juridique n°237 du 23 novembre 2006 : Procédure administrative

[Jurisprudence] Le juge du référé précontractuel peut statuer ultra petita : commentaire de la décision "Commune d'Andeville" rendue le 20 octobre 2006

Réf. : CE, 20 octobre 2006, n° 289234, Commune d'Andeville (N° Lexbase : A9555DRC), à paraître au Recueil Lebon

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N5225AL4

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[Jurisprudence] Le juge du référé précontractuel peut statuer ultra petita : commentaire de la décision "Commune d'Andeville" rendue le 20 octobre 2006. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208686-jurisprudencelejugedurefereprecontractuelpeutstatueriultrapetitaicommentairedeladecis
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le 07 Octobre 2010

Par une décision en date du 20 octobre 2006, le Conseil d'Etat, saisi d'un recours en cassation contre une ordonnance rendue le 2 janvier 2006 par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, a jugé que le juge des référés précontractuels pouvait annuler la procédure de passation d'une délégation de service public même s'il n'avait pas été saisi de conclusions en ce sens de la part du requérant qui avait seulement demandé la suspension de cette procédure. Le juge des référés précontractuels peut ainsi statuer ultra petita, c'est-à-dire au-delà de la demande présentée par le requérant.
Par ailleurs, dans la même décision, le Conseil d'Etat a précisé les conditions applicables à la procédure simplifiée de passation des délégations de service public prévue par les dispositions de l'article L. 1411-12 c) du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8325AAL) en définissant, en particulier, le mode de calcul du seuil en-deçà duquel la passation d'une délégation de service public est seulement soumise à une procédure de publicité préalable.
Extension considérable des pouvoirs du juge des référés précontractuels et souci de limiter le champ d'application de la procédure simplifiée de passation des délégations de service public : tels nous semblent être les deux principaux apports de la décision "Commune d'Andeville".

I. Le pouvoir du juge des référés précontractuels de statuer au-delà de la demande qui lui est présentée

A. Selon le Conseil d'Etat, le référé précontractuel, qui sanctionne des manquements objectifs aux obligations de publicité et de mise en concurrence, oblige le juge des référés à exercer pleinement son pouvoir de qualification et d'analyse du contrat qui lui est soumis


1) Le référé précontractuel sanctionne de manière objective les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence

Rappelons, d'abord, les dispositions de l'article L. 551-1 du CJA relatives au référé précontractuel (N° Lexbase : L6369G9R). Aux termes de cet article : "Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics [...] et des conventions de délégation de service public. Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l'Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. Le président du tribunal administratif [...] peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. [...] Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés" [nous soulignons].

Pour être recevable à agir, le requérant doit avoir participé à la procédure ou avoir été empêché de le faire (1) (par exemple, du fait de son exclusion à tort ou d'un défaut de publicité). A contrario, faute d'avoir présenté une candidature recevable, il n'a pas intérêt à agir contre la décision d'attribution du marché (2). Le requérant doit (seulement) également être susceptible d'être lésé par le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence : il n'est donc pas nécessaire que l'irrégularité dont il fait état lui ait effectivement porté préjudice (3). Le référé précontractuel est ainsi largement ouvert puisque le juge n'a pas à pousser son contrôle jusqu'à rechercher si le demandeur est ou non lésé en fait par l'irrégularité alléguée (4).

La jurisprudence consacre donc une conception objective de la notion de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence : "il ne s'agit pas de rechercher si la personne publique a été animée par la préoccupation d'éluder [...] ses obligations [...] mais de constater que étant donné les modalités de la mise au concours du projet de marché ou de convention, l'organisation de la publicité et de la concurrence n'a pas été ce qu'elle devait être" (5). A cet égard, la décision rendue par le Conseil d'Etat le 20 octobre 2006 est intéressante en ce que, dans la ligne de cette conception objective, elle considère que le requérant peut invoquer devant le juge des référés précontractuels "tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation de cette délégation de service public, même si un tel manquement n'a pas été commis à son détriment" [nous soulignons]. Cette rédaction, déjà adoptée dans un précédent arrêt (6), confirme donc le caractère hybride du référé précontractuel, à la fois subjectif en ce qui concerne la situation ou la position du requérant (puisque ce requérant doit avoir présenté une candidature recevable ou avoir été empêché de le faire) et objectif en ce qui concerne le "manquement" commis par l'autorité délégante : sur ce second point, en effet, le requérant n'a nul préjudice à prouver puisque le manquement est apprécié au seul regard du respect des règles de publicité et de mise en concurrence.

2) La décision du Conseil d'Etat sanctionne l'absence d'exercice par le juge des référés précontractuels de son pouvoir de qualification et d'analyse du contrat qui lui est soumis

Le Conseil d'Etat annule, en effet, pour défaut de motivation l'ordonnance rendue le 2 janvier 2006 par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens en relevant qu'en application des dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT (N° Lexbase : L2050G9S), "pour qualifier un contrat de délégation de service public et en déduire les règles qui s'appliquent à sa passation, il appartient au juge, non seulement de déterminer l'objet du contrat envisagé, mais aussi d'apprécier si les modalités de rémunération du cocontractant sont substantiellement liées aux résultats de l'exploitation de l'activité". Or, dans son ordonnance, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a omis de se prononcer sur le point de savoir si la rémunération du cocontractant était substantiellement liée aux résultats de l'exploitation ou assurée au moyen d'un prix payé par la commune (7), alors que cette différence permet de distinguer une convention de délégation de service public d'un marché public.

Il résulte donc de la décision du Conseil d'Etat que le juge des référés précontractuels dispose d'un pouvoir et d'une obligation identiques au juge du contrat, juge du fond lorsqu'il s'agit de qualifier un contrat au regard des critères posés par des dispositions législatives. Précisons à cet égard que le Conseil d'Etat avait, déjà, eu l'occasion de se prononcer sur la qualification d'un contrat dans le cadre d'un recours en cassation contre une ordonnance de référé précontractuel (7).

La nécessité pour le juge des référés précontractuels de s'assurer que les deux critères prévus par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT pour qualifier un contrat de délégation de service public (critère matériel -objet du contrat- + critère financier -mode de rémunération du cocontractant-) sont bien remplis, cette nécessité donc est justifiée par la fonction principale du référé précontractuel qui est de corriger les irrégularités intervenant tout en amont de la procédure de passation du contrat. Or, il est bien évident que la qualification d'un contrat de délégation de service public ou de marché ou encore de délégation de service public "de droit commun" ou de délégation de service public faisant l'objet d'une procédure de passation simplifiée est déterminante en ce qui concerne le choix de la procédure de publicité. En d'autres termes, il appartient au juge des référés précontractuels de contrôler le respect des deux critères prévus par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT pour qualifier un contrat de délégation de service public afin, éventuellement, de sanctionner le choix d'une procédure inadaptée.

B. La décision du Conseil d'Etat du 20 octobre 2006 étend la solution retenue par les juridictions de fond au sujet des mesures provisoires que peut décider le juge des référés précontractuels aux mesures définitives qu'il peut également prononcer

1) Les juridictions de fond et la doctrine ont déjà considéré que le juge des référés précontractuels disposait d'un pouvoir de suspension d'office

Rappelons d'abord qu'il y a lieu de distinguer, parmi les mesures qui peuvent être prises par le juge des référés précontractuels, les mesures provisoires (injonction à l'auteur du manquement (9) de se conformer à ses obligations, suspension de la passation du contrat ou de l'exécution des décisions s'y rapportant) des mesures définitives (annulation des décisions se rapportant à la passation du contrat, suppression des clauses destinées à figurer dans le contrat).

S'agissant des mesures provisoires, plusieurs tribunaux administratifs ont eu l'occasion, dans l'attente du résultat d'une expertise, par un jugement avant-dire droit, de suspendre la passation du contrat alors même que les requérants n'avaient présenté aucune demande en ce sens (10). Le juge des référés précontractuels a donc estimé qu'il disposait d'un pouvoir de suspension d'office du contrat et statué ultra petita, au-delà de la demande présentée. Ce pouvoir de suspension d'office est en fait justifié par le souci de faire produire au référé précontractuel son plein effet, en particulier en matière de prévention : en effet, si la mesure contestée intervient dans la phase finale de passation du marché, la suspension ordonnée d'office peut éviter une accélération de la conclusion du marché destinée à faire obstacle au jugement au fond du litige et, par là-même, au respect des règles de publicité ou de mise en concurrence.

Par ailleurs, la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 sur le référé devant les juridictions administratives (N° Lexbase : L0703AIU) a modifié le troisième alinéa de l'article L. 551-1 du CJA afin d'attribuer au juge des référés précontractuels la faculté d'enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximale de vingt jours. L'exercice de ce pouvoir, qui permet au juge d'éviter d'être dessaisi de sa compétence par la conclusion du contrat avant même d'avoir instruit l'affaire, est laissé à l'appréciation du juge, ce qui signifie que l'injonction demandée n'est pas automatiquement accordée. En revanche, selon la doctrine, il "devrait pouvoir être exercé d'office par le juge, c'est-à-dire indépendamment de toute demande en ce sens du requérant" (11). Il nous semble d'ailleurs que le texte de l'article L. 551-1 du CJA autorise une telle interprétation puisque le début de la disposition ("dès qu'il est saisi, [le juge] peut enjoindre de différer la signature du contrat"), laisse entendre qu'il n'a pas à être saisi de conclusions spécifiques. Sa seule saisine d'une requête à fin de référé semble lui ouvrir ce pouvoir. Bien entendu, les demandeurs peuvent également présenter des conclusions spécifiques en ce sens.

Au total, selon la jurisprudence des juridictions de fond et la doctrine, le juge des référés précontractuels peut donc, d'office, suspendre la passation du contrat, dès lors qu'il ordonne une mesure d'instruction qui ne pouvait avoir été prévue par le requérant (12) et enjoindre de différer sa signature jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours.

2) La possibilité pour le juge des référés précontractuels de prononcer d'office des mesures définitives

Dans sa décision du 20 octobre 2006, le Conseil d'Etat a considéré que, "dès lors qu'il est régulièrement saisi, le juge des référés précontractuels dispose [...] de l'intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés pour mettre fin, s'il en constate l'existence, aux manquements de l'administration à ses obligations de publicité et de mise en concurrence". En conséquence, le Conseil d'Etat a jugé que, dans le cas où la passation du contrat a été réalisée selon une procédure inadaptée, en particulier lorsque cette procédure était moins contraignante que la procédure qui s'imposait (13), le juge peut, "sans qu'y fasse obstacle la circonstance que [le requérant] se borne à demander la suspension de la procédure [...] prononcer l'annulation de cette dernière".

Il faut d'abord souligner que le Conseil d'Etat estime que la locution "dès lors qu'il est saisi", qui pourtant figure seulement au début de la disposition relative à la possibilité d'enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat, vaut en fait pour l'ensemble des pouvoirs conférés au juge des référés précontractuels par le troisième alinéa des dispositions de l'article L. 551-1 du CJA. Le Conseil d'Etat étend ainsi la rédaction et la solution retenues pour la possibilité d'enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat à l'ensemble des mesures, provisoires et définitives, que le juge des référés précontractuels est susceptible de prendre. En d'autres termes, il résulte de la décision du Conseil d'Etat que ce juge peut désormais, d'office, c'est-à-dire sans qu'il soit saisi d'une demande en ce sens, ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations, suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations et enfin, et bien sûr, enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat.

Surtout, en accordant au juge des référés précontractuels le pouvoir de prononcer d'office des mesures définitives qui ont donc l'autorité de la chose jugée, le Conseil d'Etat confère à ce juge de l'urgence, qui est juge de plein contentieux (14), des pouvoirs dont le juge du principal lui-même ne dispose pas. "Canalis[ant] désormais toutes les contestations qui mettent en cause la régularité de la passation des contrats de commande publique, les recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables devenant rarissimes et le mécanisme du référé suspension n'ayant pas réussi à supplanter le référé précontractuel" (15), le caractère "attractif" du référé précontractuel s'en trouve, ainsi, renforcé.

Or, au nombre des règles générales de procédure applicables à toutes les juridictions administratives à moins de disposition législative contraire, figure celle en vertu de laquelle "le juge ne peut statuer que sur les conclusions dont il est saisi par les parties en cause" (16). Cette règle est également applicable aux juridictions civiles en vertu des dispositions de l'article 5 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2632ADT) (17), la "victime" d'un tel comportement pouvant présenter une requête au juge qui a statué afin qu'il retranche de sa décision le chef du dispositif constitutif de l'ultra petita (NCPC, art. 464 N° Lexbase : L2703ADH). C'est pourquoi le juge méconnaît l'interdiction de statuer ultra petita s'il décide de son propre mouvement l'annulation d'une décision (18).

Toutefois, il nous semble que la décision du Conseil d'Etat doit être interprétée en ce sens que la Haute Juridiction a estimé qu'elle tenait des dispositions mêmes de l'article L. 551-1 du CJA le pouvoir de prononcer d'office l'annulation de la procédure de passation d'un contrat. C'est le sens qu'il faut donner selon nous à la mention, dans la décision du 20 octobre 2006, de la locution "dès lors qu'il est régulièrement saisi" qui figure, à peu de choses près (19), au troisième alinéa des dispositions de l'article L. 551-1 du CJA. La possibilité pour le juge des référés précontractuels de statuer ultra petita n'a donc pas pour origine une décision purement prétorienne du Conseil d'Etat même s'il faut, cependant, reconnaître que l'interprétation des dispositions de l'article L. 551-1 du CJA présente ce caractère prétorien et "constructif".

II. Les conditions applicables à la procédure simplifiée de passation des délégations de service public prévue par les dispositions de l'article L. 1411-12 c) du CGCT

A. Contrairement à la procédure habituelle de passation des délégations de service public, la procédure simplifiée prévoit seulement une obligation de publicité préalable

1) La procédure habituelle de passation des délégations de service public

Cette procédure est prévue par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT selon lesquelles : "Les délégations de service public [...] sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes. [...] La commission mentionnée à l'article L. 1411-5 [N° Lexbase : L8319AAD] dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières [...] et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations ainsi que, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager. Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire".

Il résulte donc de ces dispositions que la procédure de passation d'une délégation de service public se déroule, de même que la procédure des marchés publics, en deux temps. Le premier temps est consacré à l'examen de la recevabilité de la candidature, en particulier, au regard des garanties professionnelles et financières du candidat délégataire et de son aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. Le second temps est, quant à lui, consacré à l'examen de l'offre présentée par le candidat dont la candidature a été jugée recevable par la commission de délégation de service public de l'autorité délégante. Les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT soumettent donc la passation d'une délégation de service public à une procédure de publicité et de mise en concurrence.

2) La procédure simplifiée de passation des délégations de service public

Cette procédure, introduite par la loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L1138ATC), a été codifiée à l'article L. 1411-12 c) du CGCT. Aux termes de cet article, les dispositions des articles L. 1411-1 à L. 1411-11 ne s'appliquent pas aux délégations de service public : "c) Lorsque le montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention n'excède pas 106 000 euros ou que la convention couvre une durée non supérieure à trois ans et porte sur un montant n'excédant pas 68 000 euros par an. Toutefois, dans ce cas, le projet de délégation est soumis à une publicité préalable ainsi qu'aux dispositions de l'article L. 1411-2 [N° Lexbase : L8316AAA]. Les modalités de cette publicité sont fixées par décret en Conseil d'Etat".

Cette procédure simplifiée a été créée afin de ne pas imposer un formalisme trop contraignant aux conventions de délégation de service public d'un faible montant pratiquées, notamment, dans le secteur du transport de voyageurs. Toutefois, nonobstant ce faible montant, ces conventions doivent faire l'objet d'une publicité "soit par insertion dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales, soit par une insertion dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné" (20).

Il n'en demeure pas moins que les conventions de délégation de service public d'un faible montant ne sont pas soumises à la procédure en deux temps prévue par les dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT. Elles ne sont donc pas soumises à l'obligation d'adopter une délibération de principe sur la délégation, à la remise préalable des candidatures, à la consultation de la commission de délégation de service public ou encore à la transmission du rapport d'analyse des offres à l'assemblée délibérante.

Au total, la procédure simplifiée de passation des conventions de délégation de service public permet donc à l'autorité délégante d'échapper en grande partie aux règles habituelles de publicité et de mise en concurrence. C'est pourquoi, selon le Conseil d'Etat, il appartient au juge des référés précontractuels de s'assurer que les conditions présidant à la mise en oeuvre de cette procédure sont bien remplies : en effet, dans le cas contraire, il y aura forcément un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

B. Confirmant la solution rendue par une juridiction de fond, le Conseil d'Etat considère que le seuil en deçà duquel l'autorité délégante peut avoir recours à la procédure simplifiée doit être calculé par référence à l'ensemble des recettes susceptibles d'êtres perçues par le délégataire

1) Un jugement de tribunal administratif et plusieurs réponses ministérielles avaient déjà estimé que le seuil prévu à l'article L. 1411-12 c) du CGCT devait être calculé à partir du chiffre d'affaires du délégataire

Par un jugement du 4 novembre 1998 (21), le tribunal administratif de Lyon a implicitement retenu cette solution en examinant "les recettes annuelles" de la délégation pour déterminer si le seuil prévu à l'article L. 1411-12 c) était applicable. Selon le tribunal, ce seuil doit être calculé par référence, non pas aux résultats de l'exploitation, mais à l'ensemble des recettes susceptibles d'être perçues par le délégataire.

Cette solution a été reprise par deux réponses ministérielles (rép. min. n° 35268, JO Sénat Q., 24 janvier 2002, p. 218, CMP 2002 commentaire 76 ; rép. min. n° 45347, JOAN Q., 14 décembre 2004, p. 9990). La lecture des travaux parlementaires indique, en effet, que le législateur a eu l'intention de faire référence au chiffre d'affaires pour le calcul du seuil figurant à cet article. Ainsi, l'avis du Sénat n° 539, présenté par M. Dailly au nom de la commission des lois de cette assemblée, précise que l'introduction d'un seuil avait été préconisée par un rapport de l'inspection générale des finances qui proposait "par exemple, sept cent mille francs de chiffre d'affaires annuel" (soit environ 106 000 euros). Les discussions ont par la suite porté exclusivement sur le montant du seuil, mais non sur ses éléments de référence. La formule retenue en 1994 ("le montant total estimé des sommes perçues par le délégataire") se rapportait aux recettes perçues par le délégataire, et donc au chiffre d'affaires. C'est donc bien le chiffre d'affaires, c'est-à-dire l'examen des recettes liées à l'exploitation, qui est l'élément de référence.

2) Le Conseil d'Etat confirme la notion de "montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention" et la notion de "rémunération substantielle par les résultats de l'exploitation"

Dans sa décision, le Conseil d'Etat considère ainsi qu'une délégation de service public entre dans le champ des dispositions précitées du c) de l'article L. 1411-12 du CGCT lorsque, "soit le montant prévisionnel de l'ensemble des sommes à percevoir par le délégataire, qu'elles soient liées ou non au résultat de l'exploitation du service, et quelle que soit leur origine, n'excède pas 106 000 euros pour toute la durée de la convention, soit ce montant n'excède pas 68 000 euros par an et la durée de la convention ne dépasse pas trois ans" [nous soulignons]. Ce faisant, le Conseil confirme donc la distinction entre la notion de "montant des sommes dues au délégataire pour toute la durée de la convention", issue de l'article L. 1411-12 c) du CGCT et équivalente au chiffre d'affaires du délégataire, et la notion de "rémunération substantielle par les résultats de l'exploitation", issue de l'article L. 1411-1 du même code et équivalente aux seules recettes dont la perception est aléatoire et le montant variable compte tenu du risque d'exploitation auquel est soumis le délégataire. En d'autres termes, alors que seul le résultat d'exploitation est pris en compte pour déterminer si le contrat est bien une délégation de service public soumise à la procédure "habituelle" de mise en concurrence applicable à ce type de contrat, c'est l'ensemble des recettes susceptibles d'être perçues par le délégataire qui est pris en compte pour calculer le seuil en deçà duquel l'autorité délégante peut avoir recours à la procédure simplifiée de passation de la convention, laquelle exige seulement une publicité préalable.

La prise en compte d'éléments de référence distincts est parfaitement explicable : c'est la notion de risque d'exploitation qui est retenue pour distinguer les délégations de service public des marchés publics, ce qui suppose l'examen du résultat d'exploitation et non du seul chiffre d'affaires. En revanche, le critère du risque d'exploitation n'est pas pertinent pour la fixation du seuil indiqué à l'article L. 1411-12 c) du CGCT.

Par ailleurs, la solution consacrée par le Conseil d'Etat a également pour intérêt (et probablement pour vocation) de limiter les possibilités de recours à la procédure simplifiée, puisque la prise en compte de l'ensemble des recettes susceptibles d'être perçues conduira plus facilement à dépasser le seuil prévu à l'article L. 1411-12 c) du CGCT (et donc à rendre impossible le recours à la procédure simplifiée) que la prise en compte du seul résultat d'exploitation.

Conclusion

La décision du 20 octobre 2006 marque un élargissement considérable des pouvoirs du juge des référés précontractuels qui est, désormais, totalement libre d'utiliser ou non ces pouvoirs. Elle confirme, également, que le jugement rendu par ce juge, par l'ampleur des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés et l'importance des questions qu'il a à trancher, est souvent un véritable jugement au fond, ce que laissaient d'ailleurs entendre les travaux préparatoires de la loi du 4 janvier 1992 (22). Ce caractère de jugement au fond du jugement de référé précontractuel vaut particulièrement lorsque le juge prononce, comme l'a fait le Conseil d'Etat dans la décision du 20 octobre 2006, l'annulation de la procédure de passation du marché. Bien plus, cette décision, en lui permettant de prononcer d'office cette annulation, lui accorde un pouvoir que n'a pas le juge du fond. Rapidité de la saisine et du jugement, importance des pouvoirs conférés au juge : ces deux caractéristiques du référé précontractuel lui assureront très probablement une place essentielle dans le contentieux des contrats administratifs.

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) Dans l'espèce soumise au juge des référés précontractuels du tribunal administratif d'Amiens qui a donné lieu à la décision du Conseil d'Etat, la requérante était candidate à l'attribution de la délégation de service public.
(2) TA Toulouse 27 septembre 1993, Société Stentofon (N° Lexbase : A8315BQZ), aux Tables p. 886, JCP 1994 IV 748 : absence de candidature. TA Lyon 25 avril 1995, SCR c/ Communauté de communes du Pays d'Amplepuis Thisy, Gazette des communes 12 mai 1997 p. 34 : entreprise dont la candidature a été rejetée lors de l'ouverture de la première enveloppe.
(3) CE 16 octobre 2000, n° 213958 (N° Lexbase : A1398B8B), aux Tables p. 1103, CMP décembre 2000 n° 48, BJCP 15/2001 p. 170, RDI 2001 p. 62 observations Llorens et Soler-Couteaux ; CE 19 octobre 2001, n° 233173 (N° Lexbase : A1532AXZ), BJCP 20/2002 p. 39 conclusions Piveteau, CMP janvier 2002 n° 7 note Llorens ; CE 28 mai 2003, n° 248429, AP-HP (N° Lexbase : A0376DA8), BJCP 30/2003 p. 385 conclusions Piveteau.
(4) Cf. TA Cermont-Ferrand 6 février 1998, GEC Alstom Transport SA, DA 1998 n° 132, au sujet d'une délégation de service public : "les personnes habilitées à agir sont celles qui ont intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par un manquement aux obligations de publicité ou de mise en concurrence ; [...] pour l'appréciation de cette condition, le juge n'a pas à rechercher si le demandeur est ou non réellement lésé par l'irrégularité alléguée [...] il suffit que ce dernier soit susceptible de l'être".
(5) R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 2006, Montchrestien, § 1658 2° p. 1440.
(6) CE, 8 avril 2005, n° 270476 (N° Lexbase : A8537DHN), DA 2005 n° 128.
(7) Le juge des référés s'est, en effet, borné à relever que la convention avait pour objet l'organisation et la gestion d'un service public : il n'a donc pas fait une pleine application des dispositions de l'article L. 1411-1 du CGCT.
(8) CE Section 20 mai 1998, n° 188239 (N° Lexbase : A7764ASD), au Recueil p. 201, AJDA 1998 p. 553, chronique Raynaud et Fombeur, RFDA 1998 p. 609 conclusions Savoie : à propos d'une qualification de marché public pour une convention conclue entre établissements publics et relative à la gestion d'un service public.
(9) En général la personne publique.
(10) TA Nancy 12 août 1993, n° 930750, SARL Norit France (N° Lexbase : A8056BQG) ; TA Grenoble, 11 janvier 1994, Société routière Chambard (N° Lexbase : A8026BQC), au Recueil p. 687, RFDA 1994 p. 741 note M.B..
(11) Droit des marchés publics, sous la direction de C. Bréchon-Moulènes, 2003, Editions Le Moniteur, La passation des marchés publics, III.651.2.
(12) Condition qui, il est vrai, semble réduire quelque peu la portée de ce pouvoir de suspension d'office.
(13) En l'espèce, en effet, la procédure choisie à tort, la procédure simplifiée prévue par les dispositions de l'article L. 1411-12 c) du CGCT, était moins contraignante que la procédure qui s'imposait, à savoir la procédure habituelle prévue par les dispositions de l'article L. 1411-1 du même code, dans la mesure où, à la différence de cette dernière, elle n'exigeait pas une mise en concurrence mais seulement une publicité préalable.
(14) CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 206749 (N° Lexbase : A3384AXM), au Recueil p. 266, CJEG 1999 p. 377, conclusions Bergeal, BJCP 07/1999 p. 620 conclusions Bergeal, RDI 1999 p. 647, observations Llorens et Soler-Couteaux.
(15) R. Vandermeeren, Le renforcement du référé précontractuel, Contrats Publics n° 53, mars 2006, p. 26.
(16) CE, 8 août 1918, Delacour, au Recueil p. 739, Dalloz 1922, 3.62.
(17) Aux termes de cet article d'un remarquable laconisme : "Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé".
(18) CE Section, 17 juillet 1950, Mathieu, au Recueil p. 439.
(19) Le troisième alinéa de l'article L. 551-1 indique, en effet, "dès lors qu'il est saisi" et non "dès lors qu'il est régulièrement saisi". L'ajout du Conseil relève, toutefois, du bon sens dans la mesure où le juge des référés précontractuels ne saurait se prononcer au fond lorsque la requête est irrecevable, c'est-à-dire lorsqu'il n'a pas été régulièrement saisi.
(20) Article 1er du décret n° 95-225 du 1er mars 1995, codifié à l'article R. 1411-2 du CGCT (N° Lexbase : L0942ALH).
(21) TA Lyon, 4 novembre 1998, Préfet de l'Ardèche c/ Commune de Vernoux-en-Vivarais (N° Lexbase : A0923DHN), BJCP 1999 p. 479.
(22) Cf. par exemple M. Sapin : "Le projet recourt à une procédure calquée sur celle du référé bien que, dans certains cas, le juge puisse être amené à statuer sur le fond" (JOAN Débats, 1ère séance du 17 décembre 1991 p. 8006).

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