Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 4 août 2006, n° 278274, SA Warsemann automobiles (N° Lexbase : A7997DQA)
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le 07 Octobre 2010
Surtout, selon cette décision, il n'appartient pas, en principe, à l'entreprise française en cause de vérifier que l'entreprise "communautaire" auprès de laquelle elle a acquis ces biens avait la qualité d'assujetti-revendeur et était, ainsi, en droit d'appliquer le régime de la taxation sur marge. Ce faisant, le Conseil d'Etat a transposé à ce régime l'appréciation subjective des droits du contribuable qui prévaut, pour le juge de l'impôt, en matière de droit de déduction.
En l'espèce, c'est donc en quelque sorte la théorie de l'apparence qui est appliquée, l'entreprise française ayant toutes les raisons de se fier à la teneur de la facture qui lui est adressée par l'entreprise "communautaire" auprès de laquelle elle a acquis des biens d'occasion.
1. La plupart des juridictions de fond s'étaient déjà prononcées sur l'applicabilité du régime de TVA sur marge aux assujettis-revendeurs ayant effectué des acquisitions intracommunautaires de véhicules d'occasion
1.1. L'administration fiscale s'est toujours livrée à une appréciation strictement objective du droit de bénéficier du régime dérogatoire de la TVA sur marge
1.1.1. Le régime de la marge constitue le régime de droit commun pour les transactions de biens d'occasion, d'oeuvres d'art et d'objets d'antiquité ou de collection
Le régime de la marge a été consacré comme régime de droit commun pour les transactions de biens d'occasion, d'oeuvres d'art et d'objets d'antiquité ou de collection par la 7ème Directive 94/5/CE, adoptée par le Conseil des communautés européennes le 14 février 1994, et entrée en vigueur depuis le 1er janvier 1995 (N° Lexbase : L8136AUU). Cette Directive a été transposée dans le droit français par l'article 16 de la loi n° 94-1163 du 29 décembre 1994, dont est issu l'article 256 bis, I-2° bis du CGI (N° Lexbase : L5154HLH), aux termes duquel : "Les acquisitions intracommunautaires de biens d'occasion, d'oeuvres d'art, d'objets de collection ou d'antiquité effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie ne sont pas soumises à la TVA lorsque le vendeur ou l'assujetti est un assujetti revendeur qui a appliqué dans l'Etat membre de départ de l'expédition ou du transport du bien les dispositions de la législation de cet Etat prises pour la mise en oeuvre des B ou C de l'article 26 bis de la Directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 (N° Lexbase : L9279AU9)".
Il résulte donc de ces dispositions que, quelle que soit la qualité de l'acquéreur en France (assujetti ou particulier par exemple), l'achat du bien ne constitue pas une acquisition intracommunautaire dès lors que les biens ont été livrés par un assujetti-revendeur identifié à la taxe dans un autre Etat membre et qui a soumis sa livraison à la TVA selon le régime particulier de la marge bénéficiaire. La taxe étrangère incluse dans le prix des biens taxés dans ces conditions ne peut faire l'objet d'aucune déduction.
En outre, en vertu de l'article 297 A du CGI (N° Lexbase : L5697HLL) (2), les livraisons de biens d'occasion effectuées par des assujettis-revendeurs sont soumises de plein droit au régime de la TVA sur marge, consistant comme son nom l'indique à asseoir la taxe, non pas sur le prix de vente total, mais sur la différence entre ce prix de vente et le prix d'achat, lorsque les biens en question leur ont été livrés par un non-redevable de la TVA ou par une personne qui n'est pas autorisée à facturer la TVA au titre de cette livraison. Par conséquent, dans les autres cas, et donc si le vendeur est un redevable de la TVA et qu'il est autorisé à la facturer à l'assujetti-revendeur, c'est le régime normal de TVA qui s'applique, imposant à l'assujetti-revendeur de facturer, et d'acquitter auprès du Trésor, la TVA sur le prix de vente total.
Enfin, l'article 256 du CGI (N° Lexbase : L5148HLA), qui dispose au 1° que les acquisitions intracommunautaires de biens meubles corporels sont soumises à la TVA, réserve au 2° le cas des acquisitions de biens d'occasion, en prévoyant qu'elles ne sont pas soumises à la TVA lorsque le vendeur a lui-même fait application du régime de TVA sur la marge.
1.1.2. La question essentielle posée par ce régime était de savoir quelle était la portée du contrôle que pouvait exercer l'administration fiscale sur les contribuables en revendiquant le bénéfice
Cette question a fait l'objet d'une attention particulière de l'administration fiscale, et a suscité en conséquence de nombreux contentieux, compte tenu des soupçons de l'administration quant à l'existence de circuits de fraude organisée en ce qui concernait la revente par un assujetti français de véhicules d'occasion acquis auprès de fournisseurs situés dans d'autres Etats de l'Union européenne.
L'argumentation de principe de l'administration fiscale reposait sur l'idée que le droit de bénéficier d'un régime dérogatoire devait être apprécié de manière objective, au regard des éléments apportés par l'administration, et non pas en fonction de ce que le contribuable pouvait raisonnablement ou manifestement savoir de la situation de son fournisseur. L'administration fiscale estimait ainsi qu'il fallait opérer une distinction entre le droit à bénéficier d'un régime dérogatoire et le droit à bénéficier d'une déduction de crédit de TVA.
La question posée au juge était donc de savoir de quel degré d'exigence l'administration était fondée à faire preuve à l'égard d'un contribuable ayant appliqué le régime de la TVA sur marge. Plus précisément, il s'agissait de déterminer l'étendue du contrôle de l'administration fiscale sur les justifications à apporter par les contribuables bénéficiaires de ce régime particulier, notamment, lorsque était en cause une transaction intracommunautaire.
1.2. La plupart des juridictions de fond se sont prononcées sur l'applicabilité du régime de TVA sur marge aux assujettis-revendeurs qui ont effectué des acquisitions intracommunautaires de véhicules d'occasion
1.2.1. A l'exception du tribunal administratif d'Orléans, tous les tribunaux administratifs saisis de cette question ont jugé qu'il n'incombait pas en principe à l'acheteur de vérifier la régularité de l'application en amont du régime de la 7ème Directive
Saisi le premier de cette question, le tribunal administratif de Poitiers a jugé qu'un assujetti-revendeur qui avait effectué des acquisitions intracommunautaires de véhicules d'occasion était en droit de bénéficier pour ces acquisitions du régime de non-taxation prévu par l'article 256 bis, I-2° bis, du CGI et de faire application du régime particulier de TVA sur la marge lors de la revente, dès lors que les factures établies par les vendeurs mentionnaient que ces derniers avaient fait application du régime de la marge dans l'Etat membre de départ des biens. Hormis le cas de collusion frauduleuse entre l'acquéreur et le vendeur, l'administration ne pouvait donc s'y opposer en invoquant le fait que les vendeurs n'avaient pu effectuer les ventes selon le régime particulier de TVA sur la marge au motif qu'ils avaient acquis les véhicules auprès d'assujettis-utilisateurs (3). Ainsi, selon le tribunal, si l'assujetti effectuant une acquisition intracommunautaire de biens d'occasion doit être en mesure de prouver que les biens d'occasion ainsi acquis lui ont été livrés dans le cadre du régime particulier de la 7ème Directive, cette preuve est apportée, hormis dans le cas de collusion frauduleuse, par la mention spécifique apposée sur la facture établie par le fournisseur étranger.
Saisi d'une semblable affaire, le tribunal administratif de Pau a retenu une solution similaire bien qu'un peu moins libérale pour l'acheteur dans la mesure où elle réservait l'hypothèse, plus large que l'hypothèse de la collusion frauduleuse, où il était manifeste que la mention de l'application du régime de la marge avait été portée à tort sur la facture (4).
En revanche, le tribunal administratif de Besançon a retenu une solution très favorable aux acheteurs de biens d'occasion en jugeant que le revendeur n'avait pas à vérifier si son fournisseur était autorisé à appliquer le régime de TVA sur marge mentionné sur les factures (5). Ce faisant, le tribunal a donc exclu toute réserve et toute exception à ce principe général, contrairement aux solutions rendues par les tribunaux administratifs de Poitiers et de Pau.
Seul le tribunal administratif d'Orléans s'est, en fait, démarqué de cette jurisprudence dominante en se fondant sur les dispositions des articles 242 terdecies (N° Lexbase : L1050HN9) et 242 quaterdecies (N° Lexbase : L1052HNB) de l'Annexe II au CGI qui imposent aux redevables de demander au centre des impôts la délivrance d'un certificat permettant de vérifier, au vu des renseignements communiqués par eux, que le véhicule est neuf ou d'occasion et que l'opération d'acquisition intracommunautaire est ou non soumise à la TVA et, par voie de conséquence, que la revente du véhicule entre ou non dans le champ d'application de l'article 297 A du CGI. Le tribunal en a déduit qu'à défaut pour un redevable, qui n'a pas produit le certificat susvisé, d'avoir satisfait à ses obligations fiscales, l'administration peut, à bon droit, refuser d'appliquer le régime de taxation sur la marge bénéficiaire prévu à l'article 297 A du CGI lors de la revente de ces véhicules et assujettir le redevable à la taxe sur le montant total du prix de vente des véhicules (6). Cette solution est, toutefois, critiquable dans la mesure où les certificats d'immatriculation ne permettent pas nécessairement de démontrer que ne s'est pas interposé dans la chaîne un particulier qui pourrait revendre le véhicule sans l'avoir fait immatriculer, mais dont l'intervention légitimerait l'application du régime de TVA sur la marge.
Au total, la plupart des tribunaux administratifs ont donc jugé qu'il n'incombait pas, en principe, à l'acheteur de vérifier la régularité de l'application en amont du régime de la 7ème Directive.
1.2.2. Toutes les cours administratives d'appel saisies de la même question ont confirmé cette solution
La cour administrative d'appel de Nantes, dont la solution vient d'être confirmée par le Conseil d'Etat, a jugé qu'une société qui avait acquis des véhicules automobiles d'occasion auprès de fournisseurs situés dans des Etats membres de l'Union européenne, qui lui avaient remis des factures mentionnant explicitement qu'ils avaient appliqué la TVA selon le régime de la marge en application de la 7ème Directive, n'avait pas à vérifier la régularité de l'application de ce régime, dès lors que ces fournisseurs s'étaient présentés comme ayant la qualité d'assujettis-revendeurs et qu'il n'était pas manifeste qu'ils n'eussent pas été autorisés à revendiquer cette qualité (7). Ainsi, même si la société avait eu connaissance des documents d'immatriculation qui indiquaient que les véhicules avaient été à l'origine la propriété de professionnels de l'automobile, cela ne suffisait pas à rendre manifeste l'erreur éventuellement commise par les fournisseurs, cette circonstance ne permettant pas de déterminer avec certitude si l'opération en cause avait ou non ouvert un droit à déduction à ces propriétaires. La société était donc en droit de bénéficier, pour l'acquisition intracommunautaire de ces véhicules, du régime de non-taxation prévu par l'article 256 bis, I-2°, du CGI et d'appliquer elle-même le régime de TVA sur la marge lors de la revente desdits véhicules.
La solution retenue par la cour administrative d'appel de Nantes, qui réserve donc seulement le cas où il est manifeste que le fournisseur ne pouvait légalement appliquer le régime de la TVA sur marge, rejoint ainsi celle de la plupart des juridictions de fond qui se sont prononcées sur des litiges équivalents. Ajoutons que deux autres cours administratives ont retenu récemment la même solution (8).
2. La solution rendue par le Conseil d'Etat s'inspire du raisonnement tenu en matière de droit a déduction de la TVA et consacre ainsi le caractère subjectif du contrôle de l'assujettissement au régime de la taxation sur la marge
2.1. La solution rendue par le Conseil d'Etat s'inspire du raisonnement tenu en matière de droit à déduction de la TVA
2.1.1. Le contrôle du juge en matière de droit à déduction
Selon les dispositions de l'article 223-1 de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L0874HNP), la taxe déductible est "celle qui figure sur les factures d'achat qui leur sont délivrées par leurs fournisseurs dans la mesure où ces derniers étaient légalement autorisés à la faire figurer sur lesdites factures". Il résulte de ces dispositions que le droit à déduction est objectivement subordonné, en principe, au fait que la TVA ait été légalement facturée.
La jurisprudence relative au droit à déduction, prévu par les dispositions de l'article 271-II du CGI (N° Lexbase : L1812HNG), considère qu'il n'incombe pas à l'acheteur, dès lors que le fournisseur se présente comme assujetti à la TVA et qu'il n'est pas manifeste qu'il n'a pas rempli les obligations l'autorisant à la faire figurer sur ses factures, de vérifier la réalité de cet assujettissement (9). Cette position a été, dans les deux cas, ardemment défendue par les commissaires du Gouvernement qui soulignaient l'incohérence qu'il y aurait à faire rejaillir sur le client les conséquences des irrégularités fiscales commises par son fournisseur, ainsi qu'à faire dépendre le droit à déduction d'un contribuable de l'issue d'un débat relatif à la situation d'un autre contribuable, réserve faite des cas de collusion (10). Dans ses conclusions, sous l'arrêt "Semeillon", D. Fabre écrivait ainsi : "d'une part [...] on voit mal comment, en pratique, l'acheteur pourrait s'ériger en contrôleur de la situation fiscale affichée de son fournisseur ; d'autre part, et surtout, on ne peut pas faire dépendre le droit à déduction d'un contribuable de l'issue d'un débat relatif à la situation d'un autre contribuable" (11). Cette double justification ne peut s'effacer que lorsque la situation fiscale du fournisseur est manifestement connue de l'acheteur, et, notamment, lorsque est établie une collusion entre le premier et le second.
Le juge de l'impôt ne refuse donc le droit à déduction à l'acheteur que lorsqu'il est manifeste que le vendeur n'a pas rempli les obligations permettant de faire figurer la TVA sur la facture (12). L'appréciation du caractère manifeste ou non de l'irrégularité de la situation du fournisseur obéit, ainsi, à un régime de preuve objective dans lequel il appartient à l'administration de fournir des indices précis de la collusion des parties, et ce au cas par cas, les soupçons pesant sur un secteur dans son ensemble ne pouvant tenir lieu de la démonstration propre à l'entreprise concernée (13).
2.1.2. L'application de ce raisonnement au commerce intracommunautaire des véhicules
Dans sa décision du 4 août 2006, le Conseil d'Etat a considéré que l'administration ne pouvait remettre en cause l'application du régime de la taxation sur marge que "lorsque l'entreprise française ne pouvait ignorer la circonstance que son fournisseur n'avait pas la qualité d'assujetti revendeur et n'était pas autorisé à [l']appliquer". Or, dans l'espèce qui lui a été soumise, le Conseil d'Etat a relevé qu'il "n'était pas manifeste" que les fournisseurs n'avaient "pas été autorisés à revendiquer la qualité d'assujetti-revendeur" (14).
Le Conseil d'Etat a ainsi estimé que les dispositions spécifiquement applicables au commerce des véhicules ne modifiaient pas fondamentalement ce raisonnement. En effet, les dispositions de l'article 242 quaterdecies prévoient que les personnes bénéficiant du régime dérogatoire, prévu au 2° du l de l'article 256 bis, doivent indiquer sur le certificat d'immatriculation prévu par les dispositions de l'article 242 terdecies, "selon le cas, que la TVA exigible a été acquittée ou qu'au vu des renseignements communiqués aucune taxe n'est due au titre de cette opération". Ces dispositions renvoient ainsi aux "renseignements communiqués", sans exiger d'autre démarche de la part de l'acheteur.
Il est vrai qu'en l'espèce étaient en cause des transactions intracommunautaires et que, par rapport au contrôle habituel du droit à déduction, le contrôle de l'ensemble de la chaîne des transactions s'en trouvait compliqué. Cette caractéristique plaide, toutefois, pour une certaine indulgence vis-à-vis de l'acheteur. En effet, il est encore moins simple pour l'acheteur, dans le cadre d'une telle transaction, de vérifier si son fournisseur était autorisé à pratiquer la TVA sur la marge.
Soulignons, enfin, que la solution rendue par le Conseil d'Etat s'inspire de la jurisprudence communautaire relative au droit à déduction pour des participants à un circuit de fraude carrousel, lequel suppose par définition des transactions intracommunautaires. La CJCE a ainsi jugé, d'une part, que le droit à déduction ne peut s'apprécier qu'au vu de la situation de l'assujetti concerné lui-même et, d'autre part, que ce droit ne peut être affecté par le fait que dans la chaîne de livraisons dans laquelle s'inscrivent les opérations réalisées par l'assujetti concerné, une autre opération serait entachée de fraude à la TVA "sans que cet assujetti le sache ou puisse le savoir" (15).
2.2. S'il est favorable à l'acheteur, le caractère subjectif du contrôle de l'assujettissement au régime de taxation sur la marge laisse, toutefois, à l'administration fiscale la possibilité de recourir à l'assistance administrative internationale afin de vérifier la régularité de l'application en amont du régime de la 7ème Directive
2.2.1. Le caractère subjectif du contrôle de l'assujettissement au régime de taxation sur la marge est favorable à l'acheteur
En premier lieu, d'un point de vue formel, les justifications exigées dans le cadre de la 7ème Directive ne sont pas plus importantes que celles prévalant pour l'application de la 6ème Directive. La seule obligation spécifique imposée à l'assujetti-revendeur est qu'il lui est interdit de faire apparaître sur la facture qu'il délivre, ou sur tout autre document, la taxe afférente aux livraisons de biens qu'il soumet au régime de la TVA sur la marge (CGI, art. 297 E N° Lexbase : L5702HLR). Concrètement, le fournisseur doit donc mentionner sur la facture un prix TTC, mais sans identification de la TVA facturée, et ajouter, le plus souvent sur la facture elle-même, qu'il applique le régime de la TVA sur la marge. Toutefois, ni la 7ème Directive, ni les dispositions du CGI prises pour son application, n'exigent que cette mention soit assortie de justificatifs particuliers concernant l'amont de l'opération.
En d'autres termes, c'est essentiellement au regard de la facture d'achat qu'un opérateur saura s'il est en droit de pratiquer, pour la revente, une TVA sur la marge. Bien que le lien entre facture et droit au régime spécifique ne soit pas aussi fermement établi que celui entre TVA facturée et droit à déduction, il n'en demeure pas moins que ce lien existe et que ni les autorités communautaires, ni le législateur français, n'ont prévu d'autre référence permettant à l'acheteur-revendeur de s'assurer qu'il est en droit de pratiquer une TVA sur la marge.
Au total, la production par l'assujetti de la facture que son fournisseur lui a délivrée et qui est conforme à l'article 297 E du CGI constitue une présomption de ce que son fournisseur a la qualité d'assujetti-revendeur, mais l'administration peut combattre cette présomption en établissant l'erreur manifeste commise par le revendeur en appliquant le régime d'imposition sur la marge.
En second lieu, et plus généralement, en matière de taxation sur marge comme en matière de droit à déduction (16), se retrouve la caractéristique fondamentale conduisant, de la part du juge de l'impôt, à admettre l'appréciation subjective des droits du contribuable. Cette appréciation subjective signifie que le juge se prononce sur les droits du contribuable en fonction de l'information qui était la sienne au moment de la transaction, plutôt qu'en fonction, objectivement, du bien-fondé de cette information, tel que le juge peut éventuellement, et a posteriori, l'apprécier.
Cette appréciation subjective est directement liée à la spécificité de cet impôt indirect qu'est la TVA : en effet, en matière de TVA, contrairement à ce qu'il en est en matière d'impôts directs (17), la pratique du contribuable est largement tributaire de celle des autres opérateurs de la chaîne de transactions, notamment, en amont. Ainsi, en matière de droit au régime de taxation sur marge, de même qu'en matière de droit à déduction, l'on se situe dans un cas où le comportement du contribuable est, de bonne foi, dicté par les agissements des opérateurs économiques l'ayant précédé dans la chaîne des transactions. Il ne serait donc pas réaliste d'exiger du contribuable, sauf évidence manifeste, qu'il vérifie la teneur de l'opération effectuée par son fournisseur, et donc le droit de celui-ci d'appliquer, lui-même, le régime de la TVA sur la marge. En conséquence, comme en matière de droit à déduction, il serait inéquitable de faire supporter au contribuable les conséquences du comportement éventuellement erroné, voire frauduleux, de ces autres opérateurs, sauf à ce qu'il en ait eu manifestement connaissance.
2.2.2. La possibilité pour l'administration fiscale de recourir à la coopération administrative
Soulignons, d'abord, qu'il serait paradoxal de reprocher à l'acheteur de ne pas avoir exercé un quelconque contrôle sur la régularité de la situation de son fournisseur étranger à l'égard de la TVA, alors que l'administration, elle-même, ignore souvent sous quel régime ce fournisseur a effectué une partie des acquisitions litigieuses. En effet, que pourrait-on exiger en la matière de l'entreprise française alors que l'administration doit, pour être sûre du régime applicable, avoir recours à l'assistance administrative et attendre plusieurs mois une réponse de l'administration fiscale de l'autre Etat membre ? Il va de soi que l'on ne saurait en particulier exiger de l'entreprise française qu'elle se renseigne, à chacune de ses acquisitions dans un autre Etat membre de l'Union européenne, auprès des services fiscaux de cet Etat membre.
De fait, en matière de vérification du droit à l'application du régime de taxation sur marge, seule la coopération administrative paraît en mesure de produire des résultats. Si l'administration française saisit son homologue d'un autre Etat membre, cette dernière doit être en mesure de vérifier comment le revendeur de ce second Etat a lui-même retracé l'opération. En admettant qu'il soit établi que ce revendeur n'avait pas le droit de pratiquer une TVA sur marge (18), deux hypothèses sont envisageables. En effet, ainsi que l'écrit le commissaire du Gouvernement S. Verclytte, dans ses conclusions sous la décision du 4 août 2006 (19) : "Soit ce revendeur n'a émis qu'une facture, celle adressée au contribuable français : son administration fiscale ne pourra le redresser en droits (puisqu'il s'agit d'une livraison intra-communautaire, taxée en principe à taux zéro) [...] mais elle pourra lui infliger les pénalités sanctionnant cette irrégularité dans l'application du régime TVA, et en tout état de cause mettre fin aux opérations irrégulières. Soit le revendeur a émis deux factures : une facture correspondant à une livraison intra-communautaire, d'une part, et la facture invoquée par le contribuable français, d'autre part: dans une telle hypothèse, c'est en principe la première qui doit accompagner le transport ; il ne sera alors guère difficile de démontrer que le contribuable français, en brandissant la seconde, ne pouvait manifestement pas ignorer son caractère frauduleux".
Conclusion
La décision du Conseil d'Etat du 4 août 2006 fait de la condition d'assujettissement au régime de la taxation sur marge une condition subjective et non une condition objective. Cette solution est, à la fois, réaliste et juste dans la mesure où, en droit fiscal plus encore que dans les autres branches du droit administratif, il n'y pas d'égalité des armes entre le contribuable et l'administration, celle-ci disposant de l'information et de moyens d'investigation et de contrôle qu'aucune entreprise, fût-elle très importante, n'a la possibilité et la vocation de mettre en oeuvre.
Pour autant, le même réalisme qui justifie cette solution oblige à tenir compte des risques de fraude existant en matière d'achat-revente de biens d'occasion acquis auprès d'un assujetti-revendeur établi dans un autre Etat membre et appliquant le régime de la taxation sur marge. Sur ce point, la décision du Conseil d'Etat rend plus nécessaire encore le renforcement, en matière fiscale, des procédures d'échanges d'informations entre les administrations des différents Etats membres de l'Union européenne. L'on peut en particulier se demander s'il ne serait pas opportun de substituer à une procédure qui reste ponctuelle et lourde une procédure qui soit systématique et donc plus rapide.
Frédéric Dieu,
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
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