La lettre juridique n°236 du 16 novembre 2006 : Éditorial

L'égalité salariale : une illusion perdue dans un relativisme salutaire

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N5153ALG

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L'égalité salariale : une illusion perdue dans un relativisme salutaire. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208672-legalite-salariale-une-illusion-perdue-dans-un-relativisme-salutaire
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


"L'équitable, tout en étant juste, n'est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison en est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu'il y a des cas d'espèce pour lesquels il est impossible de poser un énoncé général qui s'y applique avec rectitude" (Aristote, Ethique à Nicomaque, livre V, chapitre 14). Il n'y a aucun doute sur le rôle fondamental que ce texte a pu jouer dans la conception même de la doctrine de l'interprétation de la loi des magistrats français. La plus haute juridiction se fait, d'ailleurs, l'écho des nécessités de l'équité, lorsque le législateur, dans sa grandeur d'âme, proclame l'égalité, notamment salariale, instituée sur les fondements du Préambule de 1946 à l'utopie avérée, bien que salutaire, par la loi du 22 décembre 1973, premier jalon législatif du tentaculaire principe "A travail égal, salaire égal" consacré par nos juges, en 1996, dans l'affaire "Ponsolle". Depuis l'affirmation "des bons principes", il faut reconnaître que les Hauts magistrats n'ont eu de cesse de le relativiser, faisant leur la formule d'Ernest Jaubert "L'égalité entre les hommes est une règle qui ne compte que des exceptions". Pour ces seules dernières années, la Cour de cassation reconnaîtra, notamment, :
- que ne méconnaît pas le principe "A travail égal, salaire égal" l'employeur qui justifie par des raisons objectives et matériellement vérifiables la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. Constitue une telle raison le fait pour un employeur, confronté à la nécessité, pour éviter la fermeture de la crèche par l'autorité de tutelle, de recruter de toute urgence une directrice qualifiée pour remplacer la directrice en congé-maladie (Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, Mme Claude Pichery c/ Association gestionnaire de la crèche Coste-Belle) ;
- qu'est justifiée la différence de traitement introduite entre des salariés ayant un travail égal, dans la mesure où la perception par certains d'entre eux d'une garantie mensuelle de rémunération conventionnelle était destinée à éviter la réduction de leur rémunération (Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, Société Transports de tourisme de l'océan, OCECARS c/ M. Jean-Pierre Gandon) ;
- qu'un accord d'entreprise peut prévoir qu'au sein de certains de ses établissements, compte tenu de leurs caractéristiques, des modalités de rémunération spécifiques seront déterminées par voie d'accords d'établissement, sans introduire de discrimination entre les salariés (Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, Société Sogara France c/ Mme Lasoy Agion) ;
- ou encore, qu'une convention collective peut valablement prendre en compte des parcours professionnels spécifiques donnant lieu à des promotions particulières pour établir des différences de rémunérations entre salariés exerçant un même travail (Cass. soc., 3 mai 2006, n° 03-42.920, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (Cramif) c/ Mme Catherine Lefebvre).
Dernièrement, la Chambre sociale a ajouté une nouvelle pierre à la cathédrale des exceptions au principe "A travail égal, salaire égal", en estimant qu'un salarié, engagé postérieurement à la mise en oeuvre d'un accord collectif organisant le passage d'une rémunération au pourcentage à une rémunération au fixe, ne se trouve pas dans une situation identique à celle des salariés présents dans l'entreprise à la date de conclusion de l'accord et subissant, en raison de la modification de la structure de leur rémunération, une diminution de leur salaire de base que l'attribution de l'indemnité différentielle a pour objet de compenser. Il existe, dès lors, une justification objective à la différence des rémunérations (Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 03-42.641, Société Sodemp). Ce principe, dont l'universalité sonnait l'achèvement de la Révolution française, paraît alors être bien fragile et connaître l'achoppement... mais à juste titre, puisque "la première égalité, c'est l'équité "(Victor Hugo, Les Misérables).
Les éditions juridiques Lexbase vous invitent, cette semaine, à lire la chronique de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, La volonté d'empêcher une baisse de rémunération justifie une inégalité salariale.

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