La lettre juridique n°236 du 16 novembre 2006 : Sociétés

[Questions à...] Optimiser la cession d'entreprise : Questions à Gérard Picovschi, avocat au Barreau de Paris

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le 07 Octobre 2010

La cession et transmission d'entreprise de taille petite et moyenne est aujourd'hui en France un enjeu majeur tant pour l'économie du pays que pour l'emploi. Or, chaque année, des milliers d'entreprises disparaissent faute de repreneurs. En effet, selon une étude récente de l'IFOP, sur les 450 000 entreprises françaises qui vont changer de main au cours des dix prochaines années, environ 150 000 pourraient déposer le bilan et entraîner la suppression de 400 000 emplois du seul fait d'une préparation insuffisante de la succession. Simultanément, des milliers de repreneurs "déclarés" ou qui pourraient trouver leur plein épanouissement dans cette voie cherchent à entrer en contact avec l'entreprise de leur rêve ; cette même étude démontre que cela se fait de façon encore trop aléatoire puisque 66 % des dirigeants ayant "trouvé l'entreprise" l'ont fait grâce à leurs relations professionnelles et/ou amicales (69 % d'entre eux), même s'ils considèrent en majorité que cette "reprise s'est déroulée facilement". Afin de faire le point sur la meilleure façon d'optimiser une cession d'entreprise, Lexbase Hebdo a rencontré Maître Gérard Picovschi (1), avocat associé du cabinet éponyme. Lexbase : Quel est le rôle de l'avocat dans la mise en place d'une cession d'entreprise ?

Maître Gérard Picovschi : Notre métier d'avocat d'affaires consiste, grâce à des savoir-faire innovants, à optimiser socialement et fiscalement l'entreprise, à mettre en oeuvre et à sécuriser juridiquement l'opération de cession.

Nous préconisons aux chefs d'entreprise une démarche logique en sept points, fondée essentiellement sur l'expérience du traitement de ce type de dossiers et des principaux risques d'échecs :

1) se préparer psychologiquement ;
2) préparer son entreprise en optimisant ses résultats, la toilettant juridiquement et en la faisant auditer ;
3) la mettre en vente ;
4) assister le repreneur dans la définition de son mode de financement et de son business plan ;
5) rédiger les actes ;
6) optimiser fiscalement (plus-value et droits de succession) les capitaux résultant de la cession ;
7) les réinvestir dans le cadre d'une stratégie patrimoniale globale.

Lexbase : En quoi consiste la préparation psychologique du dirigeant d'entreprise ?

Maître Gérard Picovschi : Cette première étape dans la préparation à la transmission d'entreprise consiste, pour le dirigeant d'entreprise, à prendre le temps de méditer sur les conséquences juridiques, fiscales, sociales, économiques, ainsi qu'humaines, d'un tel acte.

Transmettre une entreprise, en effet, est une étape longue et délicate d'autant plus que pour le dirigeant d'entreprise, le plus souvent fondateur de l'entreprise, cette dernière représente une forte valeur affective.

Cette décision doit être prise suffisamment tôt de manière à mener à bien la reprise sans aucune difficulté. L'idéal est de s'y prendre au moins deux à trois ans avant le passage à l'acte.

Intégrer la notion de transmission-cession d'entreprise dans sa réflexion, c'est non seulement assurer la pérennité de son entreprise ainsi que le maintien de l'emploi, mais c'est également assurer son avenir personnel "post cession-transmission". Souvent, le produit de la vente de l'entreprise va constituer, notamment, pour son fondateur un complément de revenus aux pensions de retraite tout à fait essentiel.

Une fois cette première étape franchie, va se poser de façon cruciale le choix de l'interlocuteur fiable et compétent pour vous assister et vous mener à bon port sans embûche.

Cet interlocuteur doit être un avocat spécialisé rompu à l'exercice du management et au carrefour de plusieurs types de compétences ; il doit parfaitement maîtriser le droit, la comptabilité voire l'analyse financière, avoir un carnet d'adresses conséquent et être un professionnel de la négociation.

Lexbase : Vous soulignez l'importance de la préparation de l'entreprise. Comment doit-elle se faire ?

Maître Gérard Picovschi : La préparation de l'entreprise s'entend de son audit et de la recherche d'optimisation de sa valeur.

Concernant l'audit, il s'agit d'une étape essentielle à la transmission : son évaluation. Or, il existe autant de modes d'évaluation que de spécialistes de cette question.

Un bon nombre de facteurs concourt à sa valeur et à la détermination exacte de son prix de vente.

Parmi les méthodes existantes, on peut, notamment, retenir :

- l'évaluation par l'actif net corrigé,
- l'évaluation par un multiple de résultat,
- l'évaluation par les flux de trésorerie prévisionnels.

Concernant la recherche d'optimisation de la valeur, il faut savoir que, pour qu'une entreprise intéresse un repreneur, elle doit être, avant tout, viable et donc la plus profitable.

Or, la pression exercée par les charges sociales sur les bénéfices des entreprises en France grève de façon considérable la rentabilité du poste du dirigeant et réduit d'autant plus son attractivité car le regard du repreneur (ainsi que son banquier) va immédiatement se porter sur le montant du salaire net versé au dirigeant qu'il peut devenir.

Il convient de s'interroger sur la possibilité d'agir sur le volume des charges sociales.

Il existe un moyen parfaitement légal d'agir sur ce point : le transfert de statut social du dirigeant (c'est également envisageable pour d'autres personnes dans l'entreprise, par exemple, la force de vente) permet de réduire le taux de charges sociales de 60 % à 20 %, tout en maintenant la couverture sociale octroyée par la Sécurité sociale.

Ainsi, par exemple, pour un salaire représentant pour une société un "coût global entreprise" (CGE) de 136 000 euros, l'économie de charges sociales s'élèverait annuellement à environ 25 000 euros. Cette augmentation mécanique de la rentabilité du poste de dirigeant va se répercuter tout aussi mécaniquement sur la valorisation de l'entreprise et la rendre beaucoup plus attrayante pour un repreneur ou un investisseur.

Grâce à l'économie de charges sociales réalisée, non seulement sur le poste du dirigeant mais également sur celui des associés, collaborateurs privilégiés, force de vente, etc., le repreneur disposera de nouvelles ressources financières favorisant le financement de la reprise.

En outre, cette opération d'optimisation sociale va donner lieu au toilettage juridique de l'entreprise, voire à la réorganisation de son management afin d'optimiser le calcul des cash-flow futurs, argument essentiel pour sa cession.

Lexbase : Quel est le bon moment, pour un dirigeant, pour mettre en vente son entreprise ?

Maître Gérard Picovschi : Le bon moment c'est souvent l'approche de l'age de 55 ans à 58 ans par le créateur de l'entreprise ; néanmoins, rien n'interdit d'anticiper ce moment.

Celle-ci est à l'apogée de ses résultats, le dirigeant est en pleine possession de ses moyens. C'est souvent le "bon moment". Il est constaté statistiquement que les résultats de l'entreprise décroissent avec le temps, une fois passé ce cap.

Il est essentiel de sélectionner avec le plus grand soin les intermédiaires assurant la mise en relation et de n'en retenir qu'un petit nombre.

Lexbase : Quel rôle jouez-vous auprès d'un repreneur dans l'acquisition d'une entreprise ?

Maître Gérard Picovschi : Notre rôle consiste normalement à assister le repreneur dans la définition de son mode de financement et de son business plan, mais nous allons aussi jusqu'à bâtir et optimiser la structure juridique du repreneur...

Là encore, l'expérience démontre, lorsque le repreneur est une personne physique, l'importance pour le cédant d'assister activement celui-ci dans sa recherche de financement. Les banquiers sont souvent frileux, surtout dans certains secteurs économiques, et vous aurez besoin d'aider le repreneur à bien vendre son projet via un business plan intelligent et "normé", et de le présenter éventuellement au banquier de l'entreprise.

Evidemment, être racheté par une entreprise facilite beaucoup les choses à ce niveau et peut représenter un critère de sélection.

L'expérience et le savoir-faire d'un avocat d'affaires pourront être apprécié lorsqu'il s'agira d'élaborer un montage permettant d'optimiser, notamment, d'un point de vue financier, le rachat de la société.

A ce titre diverses techniques existent. Une des plus courantes est celle appelée : le LBO ("Leverage Buy Out") (2). Derrière ce terme se cache, en fait, un mécanisme qui consiste à racheter une entreprise avec effet de levier, c'est-à-dire avec endettement bancaire. Le principal avantage de ce montage est de permettre à des cadres dirigeants ou à des investisseurs de prendre le contrôle d'une société cible avec un apport personnel minimum puisque l'acquisition est largement financée par un emprunt bancaire dont le coût est inférieur au taux de rentabilité attendu de la cible.

Lexbase : Comment se concrétise la cession ?

Maître Gérard Picovschi : Une fois le repreneur trouvé et le prix fixé, il s'agit de concrétiser et de formaliser l'accord de volonté des parties.

Le cédant exige souvent de son repreneur qu'il s'engage vis-à-vis de lui. Dans un premier temps, cela peut se faire au moyen d'une lettre d'intention. Si elle est bien faite, cette lettre devra non seulement proposer les conditions de la cession (comme le prix), mais également le calendrier des opérations.

Notre expérience prouve qu'elle est quasi-systématiquement réclamée par l'acquéreur. D'ailleurs, rare sont les cas où le vendeur la refuse car ce dernier a conscience que cet élément peut faciliter le déroulement de la transaction.

Son aboutissement logique est alors l'établissement d'un protocole d'accord global entre les parties.

Le choix de l'avocat spécialisé est, ici, essentiel car il ne faut pas confondre la rédaction d'un protocole d'accord global et indivisible avec un ensemble d'actes distincts reliés entre eux par de vagues liens juridiques qui en rendraient inapplicable une partie en cas de problème.

Nous pensons vraiment qu'il faut intégrer intellectuellement et juridiquement l'intégralité de l'opération dans la rédaction d'un protocole global.

En effet, la rédaction juridique d'un ensemble d'actes séparés génère des failles susceptibles de requalification par le juge.

Un des éléments essentiels de la rédaction juridique est ce que l'on appelle "la garantie d'actif et de passif" (3).

De quoi s'agit-il ?

Il s'agit, le plus souvent, d'un engagement du cédant négocié entre l'acheteur et le vendeur, garantissant l'authenticité des éléments comptables qui ont permis de valoriser la société lors des négociations.

Si dans la phase "post cession-transmission", des différences devaient apparaître à l'actif ou au passif (insuffisance d'actif ou passif non déclaré), le vendeur serait contraint d'indemniser l'acquéreur à hauteur du poste non révélé.

En conséquence, le cédant a tout intérêt à dévoiler, lors des négociations, tous les éléments dont il a connaissance, même si ces révélations se font en contrepartie d'une réduction de la valorisation de la société.

A cet égard, il est très important que les bénéficiaires de cette garantie soient expressément stipulés. Ainsi, on peut tout à fait envisager que la garantie soit faîte au bénéfice de la société cédée (sous forme d'indemnisation), ou au bénéfice de l'acquéreur (sous forme d'indemnisation ou de réduction de prix).

Le choix du mode d'indemnisation n'est pas anodin et pourra dépendre de considérations fiscales.

En contrepartie de cette garantie, et fort logiquement, le cédant exige souvent d'y inclure une obligation d'information. Par ce biais, il pourra être informé d'un événement susceptible de déclencher l'application de la garantie.

Ce droit à l'information peut, notamment, inclure un délai maximal pour prévenir le cédant de l'apparition d'un passif supplémentaire et/ou la communication, dans un certain délai, des documents afférents à ce passif non déclaré.

La durée de la garantie est librement fixée entre les parties au moment de son élaboration. Le cédant a, bien entendu, intérêt à limiter au maximum cette durée. Généralement, la garantie porte sur l'année en cours plus les trois années suivantes, correspondant au délai de reprise de l'administration fiscale.

De la même manière, le montant de la garantie est souvent plafonné. Pour éviter tout abus ou toute procédure indélicate, le cédant a, également, intérêt à stipuler un montant plancher en deçà duquel la garantie ne se déclenchera pas.

Il convient de signaler qu'il n'est pas rare que dans les accords d'une certaine importance, l'acquéreur exige la mise en place de ce que l'on appelle en pratique "la garantie de la garantie".

Il s'agit pour le cessionnaire de s'assurer que le cédant pourra, le cas échéant, faire face à l'étendue du passif réclamé.C'est-à-dire, en d'autres termes, pour le cessionnaire, de s'assurer de l'efficacité de cette garantie et de la solvabilité de son cédant. Les parties doivent alors se mettre d'accord sur le type de garantie : cautions bancaires, garantie à première demande...

Enfin, rien n'interdit au cédant d'exclure certains éléments de la garantie, ce qui reviendra dans les faits, à en limiter la portée.

Lexbase : Une fois la cession opérée, quelle est votre priorité ?

Maître Gérard Picovschi : Il s'agit, en premier lieu, pour le cédant d'optimiser fiscalement les capitaux résultant de la cession.

La taxe sur les plus-values s'applique statistiquement très souvent dès le 1er euro car les cédants sont fréquemment créateurs de l'entreprise cédée. L'impôt sur les plus-values devient alors un frein et conduit parfois le cédant à renoncer à son projet, suivant ainsi l'adage "trop d'impôt tue l'impôt".

Des mécanismes fiscaux parfaitement légaux permettent d'alléger dans certains cas sensiblement cette facture. Il ne faut donc surtout pas renoncer...

En second lieu pour le cédant et son entourage, il faut réinvestir les sommes.

L'objectif consiste à assister le cédant et sa famille de manière à leur garantir un niveau de vie et une consistance patrimoniale équivalente, ou mieux supérieure, à celle antérieure à la cession.

Les répercussions, certes globalement positives sur le patrimoine du cédant, sont à examiner, notamment, au regard du droit des successions et du droit fiscal (par exemple : gestion de l'impôt de solidarité sur la fortune).

Là encore, nombre de possibilités d'améliorer sa situation de contribuable existent (notamment, au travers de modifications des régimes matrimoniaux, de montages financiers ad hoc développés par des établissements financiers compétents...).

En ce qui concerne l'entreprise cédée et le repreneur, ayant à coeur le succès de l'opération de reprise et la pérennisation de l'entreprise, il faut instaurer un suivi post-cession de l'entreprise cédée.

Le cédant et ses conseils ont forcément, de par l'antériorité de la relation qu'ils ont eu avec l'entreprise, une précieuse connaissance de cette dernière qu'ils doivent, et c'est souvent convenu comme tel (accompagnement du cédant), mettre à disposition du repreneur.

Propos recueillis par Anne-Laure Blouet-Patin
Rédactrice en chef du Pôle Presse


(1) Gérard Picovschi est avocat au Barreau de Paris, formé à la Sorbonne. Il a créé son cabinet d'avocat d'affaires en 1988 en le constituant autour de pôles de compétences comme le droit des affaires, le droit social, le droit fiscal, le droit de la propriété intellectuelle et, bien évidement, le droit des sociétés. Son but est d'apporter assistance et conseils à ses clients dirigeants d'entreprises. Dans cet esprit, il développe des concepts juridiques destinés à appuyer l'action de ses clients dans le management de leurs entreprises. La réduction des charges sociales en est un exemple, tout comme l'est son approche de l'optimisation de la cession d'entreprises. Il a mis en ligne un site internet : http://www.avocats-picovschi.com/.
(2) A propos des LBO, voir, Le financement d'une acquisition par LBO, Guilain Hippolyte, Lexbase Hebdo n° 124 du 10 juin 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N1834ABK) ; LBO : action de préférence ou pacte d'actionnaires ?, Renee Kaddouch, Lexbase Hebdo n° 205 du 9 mars 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N5515AKH).
(3) Sur ce point voir, Les garanties conventionnelles (N° Lexbase : E7055AGE).

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