Réf. : CA Paris, 25ème ch., sect. B, 2 juin 2006, n° 04/15934, SA Immopar Antilles c/ SARL ACIHT (N° Lexbase : A0959DRX)
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le 07 Octobre 2010
On comprend, dès lors, que malgré l'importance de ce contrôle, le législateur -tout en l'élargissant sans cesse- a également veillé à ce que des litiges ne puissent survenir à contretemps et, notamment, à éviter que les délais d'action s'alignent sur le droit commun, risquant ainsi de paralyser la vie de la société. Au surplus, le législateur a cherché à fermer la porte à la survenance de conflits inutiles -inutiles, du moins sous ce prisme particulier qu'est celui des affaires-.
Les dispositions de l'article L. 225-42 du Code de commerce (N° Lexbase : L5913AIT), dans sa rédaction issue de la loi NRE du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ), sont ainsi révélatrices de l'économie des textes. L'information doit demeurer la priorité du mécanisme et la société doit disposer du pouvoir de moduler la sanction et d'éviter la nullité des actes dans l'ordre sociétaire interne, à partir du moment où le contrôle a été réalisé. C'est pourquoi l'annulation des conventions passées sans contrôle préalable du conseil d'administration, alors que cette procédure était requise, n'est possible que si les actes en cause ont eu des conséquences dommageables pour la société. La nullité, par ailleurs, peut être "couverte" par un vote de l'assemblée générale statuant sur rapport spécial des commissaires aux comptes. Enfin, l'article précité dispose que l'action en nullité se prescrit par trois ans à compter de la date de la convention, sauf au cas de dissimulation, le point de départ du délai de recours débutant à la date de sa révélation.
C'est ce type de paradoxe : contrôle versus sécurité, qui était en jeu dans une affaire jugée par la 25ème chambre de la cour d'appel de Paris le 2 juin 2006, une société ayant résilié, à la suite de diverses restructurations, un "contrat de mission" dont était titulaire une autre personne morale, avec effet immédiat, et sur le fondement de la nullité de la convention. Elle affirmait, en particulier, en défense, que cette nullité résultait de l'application des dispositions de l'article L. 225-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L5909AIP), la convention étant intervenue initialement entre la société et son directeur général de l'époque, sans que la procédure relative aux conventions réglementées n'ait été respectée.
Outre l'appréciation du caractère courant ou non de la convention, susceptible de faire échapper celle-ci au champ d'application du régime des conventions réglementées, la question posée au juge portait, de la sorte, sur l'appréciation d'une résiliation d'un contrat, conclu depuis plus de vingt ans, résiliation fondée sur le non-respect de l'article L. 225-38 du Code de commerce.
En l'espèce, l'arrêt est instructif à plus d'un titre puisqu'il éclaire sur l'appréciation que le juge fait de la résiliation d'un contrat, qui n'avait pas été conclu dans les formes requises pour l'adoption des conventions réglementées, et de l'exception de nullité invoquée pour en justifier la résiliation. La réponse du juge, rigoureuse au plan du rejet de l'action en nullité, sera plus nuancée s'agissant de la résiliation.
La nullité était invoquée en défense pour justifier la résiliation de la convention (I) mais en tant qu'exception. Le juge rejettera cette solution en appliquant strictement les dispositions relatives à l'action (II), tout en ouvrant largement la faculté de résiliation.
I - La nullité de l'article L. 225-38 du Code de commerce invoquée en tant que cause de résiliation
C'est à la suite d'un changement dans l'actionnariat d'un groupe, que l'actionnaire de référence, s'avisant qu'une des sociétés avait conclu, une dizaine d'années auparavant, une convention avec un de ses dirigeants, résilie celle-ci (A). Poursuivie par l'autre partie, la société qui avait résilié invoquait la nullité, en tant qu'exception, pour justifier de sa position (B).
A - La résiliation
Les faits de l'espèce débutent le 17 janvier 1989, lorsque la société Immopar Antilles (Immopar) conclut une convention avec la société représentant les copropriétaires d'une résidence située dans l'île de Saint-Martin, convention en vertu de laquelle la gestion de la résidence sera réalisée par Immopar, en collaboration avec le groupe Accor. Le 18 novembre 1992, un autre contrat est signé pour la gestion d'un hôtel à Kourou, en Guyane.
Le 28 janvier 1989, Immopar confie un mandat de gestion à la société Accor pour 20 ans, avec tacite reconduction, une part des revenus de l'exploitation étant rétrocédée à Immopar. Le 11 décembre 1991, Immopar conclut une convention de même type avec la société Accor, pour l'hôtel de Kourou et pour une durée de douze ans. Les engagements pris par la société Accor sont réputés l'être au nom des copropriétaires ayant mandaté la société.
En octobre 1993, le Consortium de Réalisation (CDR) prend le contrôle du groupe Immopar à la suite de la mise en oeuvre d'une procédure de règlement amiable.
Le 17 novembre 1993, Immopar, à la suite d'une restructuration causée par la réorganisation du groupe, conclut un "contrat de mission" (relevant donc du droit commun) avec M. Beyrat, ancien cadre du groupe Accor et alors directeur général d'Immopar -ou avec toute société qu'il constituerait à cet effet-. Ce contrat visait la réalisation d'une mission d'assistance dans la gestion des deux hôtels pour la durée des contrats de gestion dont elle bénéficiait elle-même. En 1994, M. Beyrat se substitue dans ce contrat la société ACIHT dont il avait le contrôle, ce contrat étant résilié en 1997 pour la part revenant à l'hôtel de Kourou en raison de sa cession.
Le 27 août 2002, à la suite d'un changement dans le capital et la direction d'Immopar, celle-ci résilie le contrat de mission, avec effet immédiat, en invoquant sa nullité.
La société ACIHT assigne, alors, la société Immopar devant le tribunal de commerce de Paris, invoquant la validité du contrat et demandant le règlement d'impayés, ainsi que des dommages-intérêts pour rupture abusive. La nouvelle direction de la société Immopar invoque, en défense, la nullité du contrat, en application des dispositions de l'article L. 225-38 du Code de commerce relatives aux conventions réglementées.
Le tribunal de commerce, dans un jugement du 28 mai 2004, retiendra que la convention visée constitue une opération courante qui n'est pas soumise au régime de contrôle préalable de l'article L. 225-38 et qui, en l'espèce, ne pouvait se voir appliquer la sanction de la nullité (2). Le juge ajoutera, par ailleurs, que l'article L. 225-42 du Code de commerce dispose que l'action en question se prescrit par trois ans, sauf dissimulation, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire examinée. Ainsi, le tribunal conclura à la rupture abusive du contrat et à la condamnation de la société Immopar. Cette dernière interjette appel.
B - L'exception de nullité
Immopar faisait valoir, devant le second degré de juridiction, que la convention en question n'était en aucun cas courante ni normale. D'une part, ce type de convention était insusceptible d'être conclu dans un cadre usuel et, au surplus, -selon la requérante- elle l'avait été sans nécessité et cet acte constituait ainsi un véritable acte de disposition. Elle soutenait, d'autre part, que l'acte n'avait pas été conclu à des conditions normales puisque rien, toujours selon sa thèse, ne permettait de justifier des services rendus en contrepartie de la rétrocession considérable d'un pourcentage des résultats d'exploitation. Immopar soutenait, enfin, que le contrat avait eu des conséquences dommageables pour la société puisque l'exécution du contrat aurait multiplié ses coûts par huit.
Ces différents arguments lui permettaient de conclure à la nullité de la convention au motif que cette dernière aurait dû être autorisée au préalable par le conseil d'administration. La société demandait, donc, la restitution de l'intégralité des sommes versées en exécution du contrat litigieux. Elle ajoutait que la révocation, subsidiairement, n'était pas abusive car le mandant est libre de révoquer le contrat a tout moment et le mandat conclu en l'espèce, même s'il était à durée déterminée, pouvait être révoqué de façon anticipée pour des motifs légitimes.
On le voit, la qualification de "convention réglementée" conditionnait l'ensemble de l'argumentation relative à la cessation du contrat. La résiliation opérée à l'origine pouvait exclusivement trouver, selon la requérante, sa justification dans l'existence d'un conflit d'intérêts entre ceux du dirigeant et ceux de la société. La procédure relative à la conclusion de ce type de conventions n'ayant pas été respectée, la nullité aurait été encourue en raison du préjudice subi par la personne morale. La nullité a donc été utilisée en tant qu'exception, pour justifier de la résiliation de la convention réglementée.
S'agissant de la réponse du juge, la portée de cet arrêt doit être relativisée au niveau théorique mais, au plan factuel, il présente le mérite de rejeter une construction logique fondée sur une interprétation extensive de l'exception de nullité. Ce point est d'autant plus remarquable que le juge, en dépit de la sévérité -justifiée à nos yeux- de son raisonnement va heureusement dépasser l'analyse purement formelle et procédurale de la situation pour valider la résiliation ; mais sur un autre fondement.
II - La résiliation dans le cadre de l'appréciation stricte des conditions de l'action en nullité
Les arguments invoqués en appel par la société requérante, certes étayés en droit, ne pouvaient aboutir en raison de l'existence d'une prescription spécifique à l'action en nullité des conventions réglementées (A). La convention litigieuse, toutefois, présentait des caractéristiques susceptibles de donner lieu à une résiliation, résiliation que le juge va justifier (B) par une substitution de motif, en considération de l'aspect dérogatoire de la convention analysée.
A - Une prescription spécifique
La première question relative à la nullité portait, en l'espèce, sur la nature de la convention, et sa qualité ou non de convention réglementée, le juge du fond ayant analysé le contrat comme étant constitutif d'une convention courante et conclue à des conditions normales, c'est-à-dire, in fine, insusceptible d'être annulée.
En l'espèce, l'appréciation était aisée compte tenu des circonstances : le juge d'appel rappellera que, même si on peut considérer que la sous-traitance d'un mandat de gestion administrative et financière est courante dans ce secteur, ce n'était pas le cas pour les conventions conclues entre une société et son directeur général. Que, par ailleurs, s'agissant des conditions de sa conclusion, il apparaissait que la convention était conclue pour 20 ans minimum, sans possibilité de sortie anticipée, et ce, sans aucune justification. Ces caractéristiques ne pouvaient que conduire le juge d'appel à conclure à la soumission de l'acte au contrôle préalable applicable aux conventions réglementées. Ainsi, sur ce point, la cour d'appel ne peut qu'être vigoureusement approuvée quant à sa décision de réformer le jugement du fond qui avait conclu à la nature courante et normale d'une convention que les seules circonstances, ayant entouré sa conclusion, auraient suffi à qualifier d'exceptionnelle.
Le contrat se trouve donc, ipso facto, placé dans le champ d'application des conventions réglementées, et aucun des requérants ne contestant l'absence de contrôle préalable, la nullité était, en principe, susceptible d'être encourue.
Encore fallait-il, et c'était là la seconde question, établir si l'action pouvait encore être exercée et, sur ce point, les motifs de la cour d'appel sont décomposés en deux volets.
S'agissant, en premier lieu, de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 225-42 du Code de commerce, qui établit une prescription triennale, la solution, déjà retenue en première instance, est reprise. L'action en nullité était "largement" prescrite, en l'absence de dissimulation de la convention qui aurait pu empêcher le délai de courir.
Il demeure, toutefois, qu'en second lieu, les requérants s'appuyaient sur une logique plus complexe : le contrat litigieux avait été résilié mais la nullité était invoquée en justification de cette résiliation. Indépendamment de la demande de remboursement des sommes versées au titre de la rétroactivité, qui ne pouvait aboutir en l'espèce, c'est l'exception de nullité sur laquelle l'appelant s'appuyait pour faire échec à la demande d'indemnisation. Sur ce point, la cour d'appel répondra que celle-ci bien qu'étant "perpétuelle", ne peut jouer que pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas été exécuté, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire considérée
B - La solution en matière de résiliation
Restait à apprécier les conditions de la résiliation opérée par Immopar. A ce titre, le juge apporte un éclairage particulier sur la nature du contrat. En effet, le mandat consenti l'avait été pour une durée anormalement longue, durée qui interdisait, selon lui, de faire jouer la rétroactivité compte tenu de l'importance de l'exécution déjà réalisée. Toutefois, l'ancienneté même de la conclusion de la convention lui permettait de tirer une autre conséquence : l'assimilation du mandant à un contrat à duré indéterminée, solution permettant à chacune des parties de le résilier.
La cour d'appel place, ainsi, sa décision sous l'égide de textes particulièrement élevés dans la hiérarchie des normes. Il faut, en effet, considérer, depuis la décision du Conseil constitutionnel du 9 novembre 1999 (3), que ce principe de résiliation unilatérale constitue, selon cette décision, une application directe de la liberté établie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. La fixation d'un préavis est, par ailleurs, selon le Conseil constitutionnel, de la compétence du législateur en raison de la nécessité d'assurer, pour certains contrats, la protection de l'une des parties.
Sur ce point, toutefois, une jurisprudence s'était déjà développée en matière de contrat de droit commun. A maintes reprises, et, notamment, en matière de concession, le juge avait, en effet, décidé, avant 1999, que la partie qui n'avertit pas son cocontractant suffisamment à l'avance pour lui permettre de trouver un nouveau partenaire se trouvait en situation de rupture abusive (4). C'est pourquoi la cour d'appel décidera qu'Immopar ne pouvait exercer cette faculté de résiliation, "sans l'assortir d'un préavis permettant à son mandataire de réorganiser ses activités", fixant la durée à "au moins un an". Elle décidera, donc, de condamner Immopar à verser à la société ACIHT les dommages-intérêts correspondant au préjudice né de l'absence de préavis.
Ainsi, le raisonnement juridique peut être retracé de la façon suivante. En premier lieu, la cour d'appel ne pouvait pas annuler le contrat pour des raisons de prescription évidentes, la nullité étant en elle-même difficilement envisageable, compte tenu des conséquences d'une remise en l'état rétroactive d'un contrat exécuté depuis plus de 10 ans. Par ailleurs, il était, également, impossible de permettre la révocation au titre de l'application de l'article 2004 du Code civil (N° Lexbase : L2239ABK), qui prévoit que le mandat est révocable à tout moment, puisque le contrat en question, contrairement à ce que prétendait Immopar, n'était pas un mandat mais un "contrat de mission" relevant du droit commun.
Pourtant, le non-respect de la procédure relative aux conventions réglementées était patent et la convention, en elle-même, paraissait largement suspecte, notamment, en raison de sa durée exceptionnelle, ce qui militait en faveur de la solution de la résiliation (5). C'est sans doute pourquoi celle-ci sera retenue, le juge tirant argument de cette durée pour décider d'appliquer à la convention le régime des contrats à durée indéterminée, ce qui permettait à Immopar de bénéficier de la possibilité d'opérer une résiliation unilatérale.
Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
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