Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC)
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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole
le 08 Septembre 2015
La loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 (loi n° 82-1153 N° Lexbase : L6771AGU) a formalisé les principes d'organisation des transports de personnes en distinguant essentiellement les services réguliers et les services occasionnels (C. transports, art. L. 1221-1 N° Lexbase : L8208INC et L. 1221-3 N° Lexbase : L2404KG7). Les services réguliers consistent dans l'offre au public d'un transport régulier, dont les fréquences, les horaires, les itinéraires sont définis, établis selon une planification. Ils sont associés dans l'esprit de l'usager aux transports en communs. Les services occasionnels se définissent par opposition aux premiers : ponctuels, répondant aux besoins d'une catégorie spécifique d'usagers, ils n'ont pas de régularité. Il s'agira notamment des transports à vocation touristique.
3. N'entrant pas dans le cadre d'une planification, les services occasionnels, considérés comme des prestations exclusivement commerciales, sont largement abandonnés à l'initiative privée. Une autorisation et, très rapidement, une simple déclaration suffisent pour qu'une entreprise puisse les offrir à sa clientèle. En revanche, les services réguliers sont prioritairement conçus comme un service public, destinés à satisfaire le besoin général de déplacement. Leur organisation même ne peut alors être laissée à la seule personne privée et par principe même, requiert l'intervention d'une autorité publique, justement appelée autorité organisatrice de transport. Exceptionnellement, certains services réguliers demeurent dans la sphère privée, mais il ne s'agit alors que de transport pour compte propre, tel le déplacement par l'entreprise de ses propres salariés, n'intéressant que le seul organisateur. En revanche, dès lors qu'il s'agit d'un service de transport public, offert à l'ensemble d'une population, son organisation ne peut être qu'une tâche régalienne.
4. Diverses autorités organisatrices de transport interviennent alors, en fonction de diverses considérations. Les transports dits urbains sont organisés par une autorité organisatrice de transport urbain, commun, regroupement de communes ou établissement public spécifique comme le Syndicat des transports d'Ile-de France. La région est organisatrice des services de transports ferroviaires d'intérêt régional et également des services routiers, lorsqu'ils viennent en substitution des transports ferroviaires. Le département organise les transports scolaires... En l'absence d'une autorité déterminée, cette tâche revient à l'Etat.
Il s'agit donc non d'une simple technique d'exécution, mais d'une conception même du transport public de voyageurs. Relevant du service public et d'une fonction régalienne, un transport public régulier de voyageurs est nécessairement organisé par l'autorité publique. Et il s'agit bien d'organisation, non d'exploitation. Celle-ci peut être confiée à une personne privée conformément aux règles de délégation des services publics. En revanche, une entreprise ne saurait créer sa propre ligne de transport régulier de personnes sur le territoire national, qu'elle l'exploite personnellement ou qu'elle confie son exploitation à un transporteur habilité.
L'Union européenne, elle-même, consacre ce dispositif, qui n'est nullement propre à la France. Un Règlement européen reconnaît le rôle directeur des pouvoirs publics dans le transport collectif de voyageurs (Règlement n° 1370/2007 du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transports de voyageurs par chemin de fer et par route N° Lexbase : L4836H3I).
5. Cette construction s'inscrit dans une recherche de rationalité, d'efficacité du transport public. On imagine mal, par exemple, que plusieurs transporteurs urbains puissent créer des lignes de transport concurrentes au sein d'une même ville. La concurrence dans le marché n'est pas toujours réalisable et doit alors s'effacer devant la concurrence pour le marché. Interviennent également des considérations politiques : l'organisation du transport a des conséquences en matière d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement. Organiser le transport routier, c'est également organiser le transport ferroviaire.
6. La loi "Macron" transforme alors brutalement ce paysage paisible, par une simple disposition : "Les entreprises de transport public routier de personnes établies sur le territoire national peuvent assurer des services réguliers interurbains" (art. 5 ; C. transports, art. L. 3111-17 N° Lexbase : L3545KGE), insérée dans une section clairement intitulée : "Services librement organisés". Désormais les services réguliers de transports routiers ne sont plus exclusivement soumis à une organisation publique. Et cette liberté nouvelle profite également aux entreprises étrangères. La loi leur accorde la possibilité d'effectuer des liaisons nationales à l'occasion d'un transport international (C. transports, art. L. 3421-2 N° Lexbase : L2398KGW).
7. La loi s'inscrit dans la ligne d'une libéralisation croissante du transport de personnes. Celle-ci a débuté par le transport aérien avec un tel succès que, désormais, le Code des transports précise que celui-ci ne relève plus en principe du service public (C. transports, art. L. 6412-4 N° Lexbase : L6167INQ). La libéralisation du transport ferroviaire est plus laborieuse et l'on reste dans l'attente du quatrième paquet ferroviaire qui devrait libéraliser les transports nationaux, ouvrant notamment aux régions la possibilité de faire appel à d'autres transporteurs que la SNCF. Déjà, les entreprises ferroviaires étrangères ont accès aux réseaux nationaux pour organiser et réaliser des transports internationaux. En transport routier, cela fait déjà un certain temps que les transporteurs peuvent proposer à une clientèle la desserte de lignes régulières internationales (Règlement n° 1073/2009 du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l'accès au marché international des services de transport par autocar et autobus N° Lexbase : L9124IEN). La liberté d'organisation des transports interurbains s'intègre d'autant mieux dans ce mouvement que ce secteur n'est guère occupé par les transports routiers. Elle instaure, en revanche, une nouvelle forme de concurrence avec les transports ferroviaires, qui pourrait prêter à discussion tant sur un plan écologique qu'économique. Fallait-il opposer de nouveaux concurrents à la SNCF, déjà difficilement confrontée à l'ouverture du transport ferroviaire ? Ce sont des philosophies qui s'opposent, entre la préservation d'un modèle peut-être vieillissant et les perspectives du libéralisme. Alors que le transport ferroviaire de voyageurs continue d'être défini comme un service public, il se trouve concurrencé, non sur le même mode, mais sur le même secteur, par des services commerciaux.
8. La confrontation avec le transport ferroviaire sera d'autant plus marquée que la libéralisation est large, la loi définissant largement les transports interurbains. Tandis qu'en région Ile-de-France, cette définition sera précisée par décret, en province, les transports interurbains sont simplement ceux qui se réalisent en dehors d'un périmètre de transports urbains, domaine de compétence d'une AOT. Une entreprise peut donc librement proposer ses services dans un espace régional, interrégional voire national, ce qui correspond à l'offre existante en transport ferroviaire. La concurrence sera d'autant plus exacerbée qu'on peut difficilement penser, comme le font pourtant les rapporteurs, que le transport routier privilégiera les lignes délaissées par le transport ferroviaire. Il est plus probable qu'ils se disputeront les trajets les plus populaires et donc les plus rentables.
Parmi celles-ci figureront sans doute les transports qui relèvent déjà, en matière ferroviaire, de la compétence des régions. La compétence même de la région en tant qu'organisatrice de transport est alors également concernée. C'est pourquoi le législateur met en place une procédure permettant d'assurer une certaine cohérence entre les services réguliers privatisés qu'il institue et les services publics.
9. Le critère est géographique : la réglementation concerne les liaisons dont deux arrêts sont distants d'au plus 100 km. A contrario, ceci est remarquable, les services assurant des liaisons entre des arrêts distants de plus de 100 km sont totalement libres. Il n'existe guère en effet de concurrence, en ce qui les concerne, avec les services de transports relevant d'une AOT.
Les services visés doivent alors faire l'objet d'une déclaration, permettant à l'autorité organisatrice de transport d'intervenir. Témoignage du libéralisme animant le texte, c'est un mécanisme de déclaration et non d'autorisation qui est institué. L'autorité organisatrice peut alors limiter voire interdire le service, sous des conditions exigeantes et selon une procédure préservant l'objectivité de sa décision.
10. L'intervention de l'AOT suppose en effet que les services concernés "soient exécutés entre des arrêts dont la liaison est assurée sans correspondance par un service régulier de transport qu'elle organise et qu'ils portent, seuls ou dans leur ensemble, une atteinte substantielle à l'équilibre économique de la ligne ou des lignes de service public de transport susceptibles d'être concurrencées ou à l'équilibre économique du contrat de service public de transport concerné". Ce n'est donc qu'en cas d'atteinte directe à un service public de transport existant qu'il est possible de restreindre la liberté de créer un service commercial.
La décision de l'autorité organisatrice est prise après avis de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières. Il s'agit de l'ancienne ARAF, créée pour réguler la concurrence dans le secteur ferroviaire et qui voit désormais sa compétence étendue au transport routier.
11. La question sera sans doute posée dans l'avenir de savoir si l'on peut parler de libéralisation ou de "désorganisation" du transport de personnes. Il est un fait, celui que, dans tous les modes de transport, l'Etat abandonne son rôle d'organisateur pour celui de régulateur, qu'il exerce avec plus ou moins de succès. Le plus remarquable est que, pour la première fois, l'Etat français adopte de son seul gré et de sa seule initiative cette philosophie. On se souviendra que la libéralisation du transport routier national de personnes a été initiée non par une Commission européenne d'un libéralisme échevelé, mais par les législateurs nationaux.
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