Lexbase Droit privé - Archive n°623 du 3 septembre 2015 : Droit rural

[Jurisprudence] Droit de reprise du bailleur et franchissement du seuil de déclenchement du contrôle des structures

Réf. : Cass. civ. 3, 24 juin 2015, n° 14-14.772, FS-P+B (N° Lexbase : A9954NLA)

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N8806BUP

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté), Membre du conseil d'administration de l'Association française de droit rural

le 08 Septembre 2015

Dans quelles conditions le congé pour reprise au profit d'un descendant majeur est-il valable ? Telle est la question au coeur du litige à l'origine de l'arrêt rendu le 24 juin 2015 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. En l'espèce, un couple d'agriculteurs en retraite, propriétaires de parcelles foncières, les ont données à bail rural, respectivement par un bail écrit et au moyen d'un bail verbal du même jour. Une première tentative de reprise des biens loués a échoué. Puis, par acte d'huissier du 29 avril 2011, les bailleurs ont signifié au preneur ainsi qu'au GAEC exploitant les terres, deux congés pour reprise à compter du 31 août 2012 au profit de leur fille majeure. Le preneur et le GAEC ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins de contestation des congés en sollicitant le sursis à statuer dans l'attente de l'obtention par la fille des bailleurs, d'une autorisation administrative d'exploiter les terres, objet des congés, au motif que leur reprise portait atteinte à l'équilibre économique du GAEC. Ils ont également invoqué la violation de l'article L. 411-49 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L4010AEA). Considérant que la reprise des terres louées, d'une superficie totale d'environ 28 hectares, ne pouvait pas directement porter atteinte à l'équilibre économique du GAEC dont le site principal de son exploitation a une superficie de plus de 260 hectares, le tribunal a validé les congés pour reprise des bailleurs. Le preneur et le GAEC ont fait appel. Par un arrêt du 19 novembre 2013, la cour d'appel d'Angers (1), sur le fondement de l'article L. 331-2 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L4559I4M), a considéré que la reprise des terres louées ne nécessitait pas d'autorisation administrative car elle ne portait pas atteinte à la structure foncière ou économique du GAEC et n'était pas de nature à atteindre le seuil de remembrement de son unité de production puisqu'il exploitait, avant reprise, 260 hectares soit 52 hectares par associé, alors que la bénéficiaire de la reprise n'exploitait que 19,56 hectares. Pour cette raison, elle a rejeté la demande de sursis à statuer fondée sur l'article L. 411-58 du code précité (N° Lexbase : L4470I4C). De plus, elle rejette les arguments du preneur, en ce qu'il considérait que la production hors-sol de la bénéficiaire du droit de reprise devait être prise en compte pour la détermination de la dimension économique de son entreprise. Par ailleurs, la cour d'appel considère que le preneur ne tire aucune conclusion de nature à prouver que l'atteinte à la structure foncière du GAEC nécessitait de renvoyer l'affaire devant la CDOA. Enfin, la bénéficiaire du droit de reprise, sur le fondement de l'article L. 331-2, I, 3° du Code rural et de la pêche maritime, justifie remplir les conditions de capacité ou d'expérience professionnelle. Pour cette raison, la cour d'appel affirme qu'elle n'est pas soumise à autorisation d'exploiter. Sur le pourvoi du GAEC et du preneur, la Cour de cassation, par un arrêt du 24 juin 2015 censure la décision des juges du second degré pour défaut de base légale. Sur le visa des articles L. 331-2-I et des articles L. 411-58 et L. 411-59 (N° Lexbase : L0866HPR) du Code rural et de la pêche maritime, la Haute juridiction rappelle que la cour d'appel doit rechercher, au besoin d'office, si la reprise des terres louées n'a pas pour conséquence de faire dépasser à la société, dont la gérante est la fille des bailleurs, à disposition de laquelle les terres seraient mises, le seuil de déclenchement du contrôle des structures fixé par le schéma directeur départemental. Ainsi, la procédure judiciaire à l'origine de l'arrêt rendu le 24 juin 2015 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation permet de rappeler les conditions de déclenchement du contrôle des structures tant à l'égard du preneur à bail lorsque la reprise met en péril son exploitation agricole (I), qu'à l'égard du bénéficiaire de cette reprise (II).

I - Les conditions de déclenchement du contrôle des structures à l'égard du preneur

Pour être juridiquement valable, le droit de reprise du bailleur doit être exercé conformément à la réglementation du contrôle des structures et tout spécialement l'article L. 331-2 du Code rural et de la pêche maritime. Selon cette disposition légale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 (N° Lexbase : L4151I4I), applicable aux faits de l'espèce, sont soumis à autorisation préalable les installations, agrandissements et les réunions d'exploitations agricoles ayant pour conséquence de supprimer une exploitation agricole dont la superficie excède le seuil de déclenchement de l'obtention de l'autorisation préalable en matière d'installation, d'agrandissement ou de réunion d'exploitations agricoles (2) ou bien de priver une exploitation agricole d'un bâtiment essentiel à son fonctionnement (3).

En l'espèce, le GAEC et son associé, preneur à bail, prétendaient que les congés avaient pour effet de changer la structure foncière du GAEC compromettant ainsi son équilibre économique puisque les terres reprises étaient situées à proximité immédiate des sièges principaux de l'exploitation agricole gérée par la société dont les 5 associés exploitaient, à la date du congé, environ 260 hectares. En outre, et chose pour le moins surprenante dans le cadre d'une procédure judiciaire, la cour d'appel relève que le GAEC et le preneur déplorent "qu'il n'existe plus, actuellement, de contrôle préalable au congé pour reprise de l'atteinte à l'équilibre économique de l'exploitation" (4) ! Un tel procédé est regrettable, car indirectement, on pourrait penser que ces derniers cherchent à influencer la juridiction du second degré dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits. Or, il est difficile d'admettre que la "privation" de moins de 20 hectares compromette l'équilibre économique d'une exploitation ayant une structure foncière au jour du congé de 260 hectares. Ainsi, la reprise des terres louées par les bailleurs provoque une diminution de moins de 8 % de la surface foncière exploitée par le GAEC comportant 5 associés. Certes, la mise en oeuvre du droit de reprise, si les bailleurs obtiennent gain de cause, va contraindre les associés exploitants à prendre des décisions en matière de gestion pour prendre en compte les conséquences de la diminution de la surface foncière exploitée. Elle peut impacter aussi bien les pratiques culturales que les résultats financiers de la société d'exploitation. Pour autant, la cour d'appel ne doit pas prendre en compte une disposition légale qui ne figure plus au palmarès des opérations soumises à autorisation préalable du droit positif du contrôle des structures !

Par ailleurs, la reprise des terres louées n'entraîne pas la suppression d'une exploitation agricole dont la superficie excède le seuil de déclenchement de l'obtention de l'autorisation préalable en matière d'installation, d'agrandissement ou de réunion d'exploitations agricoles, dans la région considérée. Ainsi, la reprise de la vingtaine d'hectares n'est pas soumise à obtention d'une autorisation préalable de la CDOA (5), ce qui explique pourquoi la cour d'appel a rejeté les prétentions du GAEC exploitant et de son associé, preneur à bail, car ce seul motif ne permet pas d'entraîner l'annulation des congés pour reprise contestés. La solution n'est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant considéré que le démembrement de l'exploitation du preneur est soumis à autorisation préalable du contrôle des structures lorsque la superficie du preneur passe en deçà du seuil de viabilité fixé par cette réglementation (6). Pour apprécier cette situation, il convient de prendre en compte la totalité des biens réellement exploités (7) par la société exploitante (8). Plus spécialement, lorsque l'exploitation des terres louées est faite par une société, la Cour de cassation considère qu'il convient de prendre en compte, non pas les terres exploitées par le preneur à bail, mais la superficie exploitée par la société bénéficiaire d'une mise à disposition des terres louées (9). Telle est bien la situation en l'espèce, peu importe la superficie exploitée par l'associé-preneur du GAEC dans la mesure où celle-ci exploite encore plus de deux cents hectares après la reprise des terres litigieuses.

Le premier point rappelle la solution applicable en la matière, au regard de la situation du preneur, ayant mis les terres louées à disposition d'un GAEC. Toutefois, l'obtention de l'autorisation administrative préalable d'exploiter peut être imposée par la situation du bénéficiaire de la reprise des terres louées.

II - Les conditions de déclenchement du contrôle des structures à l'égard du bénéficiaire de la reprise des terres louées

L'article L. 411-58 du Code rural et de la pêche maritime énonce indirectement la nécessité, pour le bénéficiaire de la reprise des terres louées, d'être en conformité avec la réglementation du contrôle des structures, autrement dit d'avoir obtenu une autorisation administrative préalable d'exploiter dans les cas prévus par la loi. Celle-ci doit être obtenue au jour de la prise d'effet de la reprise des terres. Il n'est pas nécessaire que celle-ci soit antérieure (10) ce qui explique pourquoi l'article L. 411-58 envisage la possibilité de surseoir à statuer dans l'attente de l'obtention définitive de cette autorisation.

En l'espèce, un tel sursis à statuer avait été sollicité devant les juges du fond. Toutefois, cette demande avait été rejetée dans la mesure où ces derniers avaient considéré que le bénéficiaire de la reprise n'avait pas à obtenir une telle autorisation administrative.

La reprise était réalisée au profit d'un descendant des bailleurs. L'autorisation d'exploiter doit être obtenue par ce dernier et non par les propriétaires des parcelles louées (11). Le litige portait sur l'autorisation d'exploiter du descendant majeur des bailleurs, bénéficiaire du droit de reprise et gérant d'une société d'exploitation au profit de laquelle les parcelles devaient être mises à disposition.

Les auteurs du pourvoi critiquaient la cour d'appel de ne pas avoir tenu compte de la situation de la société d'exploitation pour considérer que le bénéficiaire de la reprise, gérant de la personne morale, n'avait pas besoin d'obtenir une autorisation d'exploiter. Ils indiquaient qu'il fallait inclure les ateliers de production hors-sol et tout spécialement un "atelier canards d'une capacité totale de 42 720 équivalent animaux" (12). En effet, la cour d'appel avait considéré, à l'appui d'un courrier du préfet indiquant que la constitution de la société d'exploitation dont le bénéficiaire du droit de reprise était gérant n'était pas soumise à autorisation, que ce dernier, n'avait pas besoin d'une telle autorisation pour l'exercice du droit de reprise. Cette analyse est critiquée par la Cour de cassation qui rappelle que la cour d'appel, doit, au besoin d'office, rechercher si la reprise des terres louées au profit du gérant n'avait pas pour conséquence de faire dépasser le seuil de déclenchement du contrôle des structures fixé par le schéma directeur départemental.

Ainsi, le bénéficiaire de la reprise doit se conformer à ce contrôle administratif. Il doit obtenir une autorisation d'exploiter lorsqu'il n'en est pas encore titulaire lors de la reprise des terres louées. Lorsque ces dernières sont exploitées par une société, cette autorisation doit être obtenue par la société. En tout état de cause, les juges du fond doivent vérifier, au besoin d'office, si la reprise n'a pas pour effet le franchissement du seuil de déclenchement du contrôle des structures fixé par le schéma directeur départemental pour la société exploitante. Peu importe que le seuil soit ou non franchi, cette vérification est obligatoire et s'impose aux juges du fond. A défaut de procéder à un tel contrôle, leur décision encourt la censure de la Cour de cassation pour défaut de base légale. Par conséquent, les magistrats doivent être particulièrement vigilants sur ce point. L'importance de cette solution explique la publication au Bulletin de l'arrêt du 24 juin 2015. D'un point de vue pratique, elle a d'autant plus d'importance que les cas d'obtention d'une autorisation préalable d'exploiter ont été augmentés au détriment des hypothèses de simples déclarations préalables auprès de l'autorité administrative par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, dite Loi d'Avenir.

Enfin, la modification de la formulation de l'article L. 331-2 du Code rural et de la pêche maritime, afin de renforcer le contrôle des structures n'a pas une influence directe dans cette affaire. Par conséquent, la solution énoncée par la Cour de cassation par l'arrêt du 24 juin 2015, demeure d'actualité pour les procédures régies par la nouvelle rédaction de cette disposition légale.


(1) CA Angers, ch. A, 19 novembre 2013, n° 12/02686 (N° Lexbase : A7966KPQ).
(2) C. rur., art. L. 331-2 I,.2°, a.
(3) C. rur., art. L. 331-2 I,.2°, b.
(4) CA Angers, ch. A, 19 novembre 2013, n° 12/02686, préc..
(5) Commission départementale d'orientation agricole. Avec la mise en oeuvre de la carte des "nouvelles régions" de France, cette commission aura une compétence régionale.
(6) Cass. civ. 3, 16 décembre 1998, n° 96-20.810 (N° Lexbase : A8005CHX), JCP éd. N, 1999, p. 727, obs. J.-P. Moreau.
(7) Cass. civ. 3, 26 novembre 2008, n° 07-16.679, FS-P+B (N° Lexbase : A4589EBL), Bull. civ. III, n° 187, RD rur., 2009, comm.. 6, obs. S. Crevel, JCP éd. N, 2009, 1349, note F. Roussel.
(8) C. rur., art. L. 331-1 (N° Lexbase : L4556I4I), selon lequel le contrôle s'applique quelque soit le titre juridique en vertu duquel la mise en valeur est assurée.
(9) Cass. civ. 3, 21 septembre 2005, n° 04-16.122, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5224DKP), Bull. civ. III, n° 171.
(10) Cass. civ. 3, 21 janvier 1987, n° 85-16.353 (N° Lexbase : A9058CXR), Defrénois, 1987, p. 500, note G. Vermelle, JCP éd. N, 1987, II, p. 235, obs. J.-P. Moreau.
(11) Cass. civ. 3, 9 octobre 1973, n° 72-12.812 (N° Lexbase : A8065CGS), Bull. civ. III, n° 514 ; Cass. civ. 3, 9 mars 1994, n° 91-22.305 (N° Lexbase : A1726CQY), RD rur., 1004, p. 390.
(12) CA Angers, ch. A, 19 novembre 2013, n° 12/02686, préc..

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