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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 18 Juin 2015
Maître Martinaud : [Il fait non de la tête]
Inspecteur Gallien : "C'est ça, oui. Eh bien vous êtes là parce que vous êtes soupçonné. Oui c'est comme ça : de témoin vous êtes devenu suspect. De fil en aiguille. Il y a eu quelque part comme un glissement, voyez-vous ? D'ailleurs je suis sûr que ça vous a pas échappé".
Maître Martinaud : "Pas vraiment. C'est la raison du glissement qui m'échappe".
Dans le film Garde à vue, écrit par Michel Audiard et sorti sur les écrans en 1981, Lino Ventura et Michel Serrault campent admirablement bien la scène, selon les canons même du théâtre classique.
Mais cette règle des trois unités, chère à Boileau ("Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli") s'applique-t-elle à l'infraction pénale elle-même ?
Le Code pénal définit chaque infraction et la sanction afférente. Cette définition permet la caractérisation de l'infraction, mais rares, voire inexistantes, sont celles dont l'un des éléments constitutifs dépend étroitement du lieu de sa commission. Tout au plus, faut-il s'extraire dudit code pour emprunter à celui de la route qui recense, lui, bien entendu, en grande majorité des "infractions localisées". L'exemple le plus courant, donnant lieu à contestation régulière d'ailleurs, est l'infraction d'excès de vitesse. En effet, le procès-verbal doit préciser le P.K (point kilométrique), le P.R (point routier), le positionnement d'un lampadaire du lieu exact de l'infraction. A défaut, le procès-verbal est nul, un doute subsistant sur la preuve de l'excès de vitesse.
Finalement, hors infraction routière, le lieu n'a d'incidence que sur l'application de la loi pénale dans l'espace. La loi française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République, qu'elles aient été consommées entièrement ou partiellement, d'ailleurs, sur le territoire national. Et, il existe là encore des exceptions, donnant compétence à la justice française même lorsque l'infraction est commise à l'étranger, selon la personnalité de l'auteur de l'infraction, de la victime, et encore des dérogations conventionnelles : l'universalité de l'infraction pénale française ne fait guère de doute, en fait ; encore fut-elle contrainte dans le temps, par la prescription, mais assez peu finalement par le lieu de sa consommation.
C'est pourquoi on ne s'étonnera guère de cette décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendue le 27 mai 2015, aux termes de laquelle, si la personne gardée à vue est immédiatement informée, par un officier de police judiciaire, du lieu présumé de l'infraction qu'elle est soupçonnée d'avoir commise ou tenté de commettre, l'omission de cette précision lors de la notification de la garde à vue ne peut entraîner le prononcé d'une nullité que si elle a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie concernée. L'affaire concernait le conducteur d'un véhicule automobile ayant refusé d'obtempérer à l'injonction de s'arrêter aux fins de contrôle, des agents des douanes, qui l'ont poursuivi pendant une quarantaine de kilomètres sans le perdre de vue et ont perçu qu'il jetait sur la chaussée deux sacs contenant la somme de 77 300 euros en petites coupures, sur lesquelles un chien spécialisé dans la détection de stupéfiants marquera l'arrêt. Interpellé, un officier de la police judiciaire lui a notifié son placement en garde à vue en ne mentionnant pas le lieu de commission du blanchiment reproché. Bien entendu, in fine le lieu de l'infraction fut déterminé, grâce au flair canin ; c'est seulement qu'au moment du placement en garde à vue, la localisation du blanchiment n'était pas possible. Mais, en l'absence d'atteinte aux intérêts du gardé à vue, par la suite, inculpé, il ne s'agit pas là d'une irrégularité entraînant la nullité de la procédure.
Peu de cas est donc fait du lieu de l'infraction : les acteurs, le temps, la caractérisation des éléments constitutifs de la drama sont, de loin, les trois unités les plus importantes de l'infraction pénale.
Souvent simple, l'infraction pénale est parfois complexe ou d'habitude, selon que la consommation suppose l'accomplissement de deux actes ou que l'exécution se déroule plusieurs fois dans le temps : c'est là encore une entorse à l'unité de temps qui permet de se rapprocher de celui de la représentation ou à l'unité d'action pour laquelle l'action principale doit être développée du début à la fin de la pièce, et les actions accessoires doivent contribuer à l'action principale et ne peuvent être supprimées sans lui faire perdre son sens. L'infraction pénale suppose des méandres labyrinthiques, parfois même un faisceau d'infractions secondaires, bref des intrigues dans l'intrigue.
La garde à vue, elle, ne dépassera pas, classiquement, les 24 heures, dans un décor unique, parfois même filmé donc théâtralisé, pour une même action dramatique, la découverte de la vérité : c'est à elle seule, désormais, que Boileau commande, à titre posthume, dans son Art Poétique, les facétieuses contraintes. Le sujet de la pièce, l'objet de la garde à vue en somme, lui, n'a point besoin d'être circonscrit : c'est là toute la liberté de l'auteur... de l'infraction.
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