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N7556BUE
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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université
le 28 Mai 2015
Dans cette affaire la question est de savoir si le contribuable était fondé à contester un procès-verbal de saisie de vente. En effet, un document de cette nature lui a été adressé le 19 mai 1994. A l'appui de sa contestation, il fait valoir devant l'administration, qu'il n'avait pas la propriété des biens visés dans l'acte sans invoquer un autre moyen et notamment pas ceux de l'article L. 281, 2° du LPF (N° Lexbase : L8541AE3).
Pour mémoire, rappelons que le 2° de l'article L. 281 du LPF prévoit que "les contestations ne peuvent porter que : 1° soit la régularité en la forme de l'acte ; 2° soit sur l'existence de l'obligation de payer, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués, sur l'exigibilité de la somme réclamée, ou sur tout autre motif ne remettant pas en cause l'assiette et le calcul de l'impôt".
L'article L. 281 précité vise le contentieux du recouvrement de l'impôt, qui suppose une mesure d'exécution forcée de l'administration en vue de recouvrer l'impôt dû par un contribuable (1).
L'opposition à poursuites doit, sous peine d'irrecevabilité, être formée dans un délai de deux mois à partir de la notification soit de l'acte de poursuite dont la régularité est contestée, soit de tout acte de poursuite si le motif invoqué porte sur l'obligation de payer ou le montant de la dette, soit du premier acte de poursuite permettant d'invoquer tout autre motif (2).
En ne retenant qu'un seul moyen, le contribuable s'est privé du droit de contester le recouvrement des impôts. Ce n'était pas la méthode la plus pertinente pour défendre ses droits.
Au regard de la procédure, la saisie est pratiquée par un huissier de justice qui invite le débiteur à se libérer de sa dette. A défaut, l'huissier procède au procès-verbal de saisie, c'est-à-dire à l'inventaire des biens saisissables. Souvenons-nous que le fait, pour une personne saisie, de détruire ou de détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d'un créancier et confié à sa garde, ou à celle d'un tiers, est un délit (3). Le comptable public, qui agit dans la cadre de l'action en recouvrement (4), est fondé à engager une action visant à obtenir une condamnation pénale de ce délit.
Le principe est que les contribuables peuvent former opposition aux actes de poursuite à condition, toutefois, de ne pas remettre en cause l'assiette et le calcul de l'impôt. L'irrégularité en la forme des actes, la non-exigibilité de la somme réclamée par suite de paiement, notamment, constituent des motifs fondant l'opposition aux actes de poursuite (5). L'article L. 258 A du LPF (N° Lexbase : L4819IRW) donne à la mise en demeure de payer le rôle de commandement.
L'administration peut avoir recours à la saisie-vente (6). Celle-ci se définit comme un acte de poursuite qui permet à tout créancier, muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, de faire procéder à la saisie et à la vente des biens immobiliers corporels appartenant à son débiteur, même s'ils sont détenus par un tiers (7). La saisie-vente peut porter sur tous les biens meubles corporels appartenant au débiteur, à l'exception de ceux que la loi déclare insaisissables notamment ceux nécessaires à la vie et au travail (8).
Il a été jugé que les contestations formées à l'encontre des avis de saisie ne relèvent pas du juge de l'exécution (9). La contestation de l'obligation de payer une dette fiscale à la suite du règlement d'une succession appartient au contentieux du recouvrement (10).
La Cour de cassation a déjà jugé que la contestation d'un contribuable qui affirme ne pas être le propriétaire de biens saisis par l'administration est du domaine du contentieux du recouvrement et s'analyse comme une opposition à poursuites (11). La Cour a précisé que la demande d'annulation d'une saisie-vente au motif qu'un certain nombre d'objets saisis ne sont pas la propriété du redevable et qui ne met pas en cause la créance sur laquelle sont fondées les poursuites dans son existence, son montant ou son exigibilité, doit s'analyser comme une opposition à poursuite entrant dans les prévisions de l'article L. 281 du LPF (12).
En l'espèce, le Conseil d'Etat a jugé que, lorsque la contestation du contribuable n'est pas fondée sur l'un des motifs visés au 2° de l'article L. 281 du LPF, concernant les contestations relatives au recouvrement des impôts, il n'est pas recevable à demander au juge la décharge de l'obligation de payer en invoquant l'un de ces motifs.
Une société a contesté la taxe parafiscale au profit du fonds de soutien à l'expression radiophonique, qui est codifiée sous l'article 365 de l'annexe II du CGI (N° Lexbase : L8145HKU) (13). Elle avait fondé son action sur un arrêt rendu en Grande chambre par le CJCE du 22 décembre 2008 (CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-333/07 N° Lexbase : A9977EB7) qui avait invalidé un décret du 29 décembre 1997 instituant l'article précité.
La Cour de justice a considéré que la décision de la Commission du 10 novembre 1997 déclarant que le régime d'aide institué par le décret 97-1263 du 29 décembre 1997, portant création d'une taxe parafiscale au profit d'un fonds de soutien à l'expression radiophonique, est compatible avec le Traité est invalide, faute pour la Commission d'avoir pris en considération ladite taxe lors de l'examen du régime d'aides concerné (14). Peut-on soutenir que cet arrêt, pour important qu'il soit, n'a pas pour autant révélé directement l'incompatibilité du décret discuté avec le droit communautaire ?
La question est d'importance.
En effet, s'agissant des décisions et avis rendus au contentieux par le Conseil d'Etat, la Cour de cassation, le Tribunal des conflits et la CJCE, seuls ceux qui révèlent directement l'incompatibilité avec une règle de droit supérieure à la règle de droit dont il fait application, pour fonder l'imposition en litige, sont de nature à constituer le point de départ du délai dans lequel sont recevables les réclamations motivées par un événement au sens de l'article R. 196-1-c du LPF (N° Lexbase : L4380IXI).
Ne constituent pas un événement au sens de l'article précité, la connaissance d'une décision rendue par une juridiction administrative (15), une décision juridictionnelle relative à la situation d'un contribuable en matière de sécurité sociale (16), le jugement d'un tribunal de commerce annulant la dissolution d'une société postérieure à la date du fait générateur de l'impôt survenu deux ans plus tôt (17), ou encore la décision par laquelle l'administration estime caduque une transaction passée en matière de pénalités et qui est sans influence sur le bien-fondé des impositions en cause quelle qu'ait été la régularité initiale de cette transaction (18).
La jurisprudence reconnaissant comme événement un certain nombre de décisions est tout aussi abondante. Constitue un événement l'arrêt rendu par la Cour de cassation se prononçant sur la non-conformité des directives de l'administration à l'arrêté du 21 prairial an IX (19). Il en va de même pour un commandement par lequel est mise en cause la responsabilité solidaire du propriétaire d'un fonds de commerce pour le paiement des impositions dues par le gérant (20). La solution est identique à propos d'une décision du Conseil d'Etat par laquelle il annule un décret modifiant les limites territoriales de deux communes en ce qui concerne les impositions locales (21).
Le moyen tiré de la non-conformité du droit interne avec des règles de droit de l'Union européenne doit être soulevé par le contribuable car le juge ne s'autorise pas à la soulever d'office (22).
L'article R. 196-1 du LPF prévoit que les réclamations, pour être recevables, doivent être présentées au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant le "versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement" (23). Il a été jugé que, dès lors que les délais prévus à l'article précité ne sont pas clos, une réclamation n'est en aucun cas tardive (24), sachant qu'une réclamation présentée hors délai est irrecevable (25).
En l'espèce, le Conseil d'Etat a jugé que la société était fondée à soutenir que l'administration ne pouvait pas rejeter sa réclamation en se fondant sur l'économie générale de l'article R. 196-1 du LPF. Elle n'a pas suivi la société sur le terrain selon lequel l'administration aurait méconnu les principes de protection d'un droit patrimonial tels qu'ils découlent des stipulations de l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9) ou en méconnaissance du droit de l'Union européenne. Le Conseil constate simplement que la société requérante n'a pas présenté sa réclamation dans le délai visé à l'article R. 196-1-b précité et ne pourra pas, par conséquent, obtenir la restitution de la taxe contestée.
La transmission d'informations entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale ne va pas sans poser quelques difficultés de procédure. La présente affaire en est une illustration.
Au cas particulier, l'administration s'est fondée sur des pièces, dont elle a eu communication par l'autorité judiciaire, figurant dans le dossier de l'instruction pénale ouverte en Italie et en France concernant une autre société ayant reçu des commissions réintégrées au résultat imposable de la société requérante.
Pour sa défense, la société requérante s'est bornée à faire valoir que l'administration fiscale ne pouvait se fonder sur des pièces provenant d'une saisie réalisée dans le cadre d'une instruction judiciaire en Italie dont ni la date, ni les conditions de réalisation n'étaient justifiées. La société, pour des raisons qui nous échappent, ne fait pas valoir que ses documents auraient été obtenus dans des conditions ultérieurement déclarées illégales par le juge compétent.
Chacun connaît le principe général fixé par l'article L. 81 du LPF (N° Lexbase : L4555I7T) selon lequel, "le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées". Par ailleurs, l'article L. 82 C (N° Lexbase : L9499IYH) du même livre prévoit qu'à "l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances". Le secret de l'instruction, visé à l'article 11 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7022A4T), ne fait pas obstacle à l'exercice du droit de communication régi par l'article L. 82 C du LPF.
Il a été jugé, dans un arrêt de principe, que lorsque l'administration exerce de façon irrégulière son droit de communication, en induisant les personnes en erreur sur l'étendue de leur obligation à l'égard de l'administration, cela entraîne l'irrégularité de la procédure d'imposition (26). Ajoutons qu'en présence d'un détournement de procédure, les redressements effectués sur la base des constations recueillies lors de la procédure détournée sont irréguliers (27).
Ainsi que le fait le Conseil d'Etat, il nous faut rappeler l'article 16 de la DDHC du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), lequel énonce : "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".
Dans l'affaire qui nous occupe, le Conseil d'Etat a jugé que la combinaison de ces dispositions ne permet pas à l'administration de se prévaloir, pour établir une imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge.
Des développements législatifs récents montrent que le sujet est d'importance.
En effet, après qu'un certain nombre de difficultés aient été rencontrées par l'administration fiscale qui voulait exploiter des fichiers volés, le législateur a souhaité que l'administration fiscale puisse utiliser des documents, qui peuvent venir de l'étranger et dont l'origine est parfois illicite (28). Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 4 décembre 2013 (29), a précisé que les documents, pièces et informations devaient être régulièrement portés à la connaissance des administrations fiscale et douanière, soit dans le cadre du droit de communication tel que prévu par le LPF ou le Code des douanes, soit en application des droits de communication prévus par d'autres textes, soit en application des dispositions relatives à l'assistance administrative par les autorités compétentes des Etats étrangers. Il faut que ces pièces et documents n'aient pas été obtenus, par une autorité administrative ou judiciaire, dans des conditions déclarées illégales par le juge.
La position du Conseil constitutionnel est formulée ainsi : "ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l'article 16 de la déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ; que, sous cette réserve, le législateur n'a, en adoptant ces dispositions, ni porté atteinte au droit au respect de la vie privée ni méconnu les droits de la défense" (considérant 33).
Voilà qui a le mérite d'être clairement dit.
(1) Cass. com., 28 novembre 2006, n° 05-13.708, F-D (N° Lexbase : A7772DSN), RJF, 2007, 5,comm. 625.
(2) LPF, art. R. 281-3-1 (N° Lexbase : L1908IR4).
(3) C. pén., art. 314-6 (N° Lexbase : L1918AMY).
(4) LPF, art. L. 252 (N° Lexbase : L3929AL4).
(5) BOI-REC-EVTS-20-10 (N° Lexbase : X7698ALP).
(6) BOI-REC-FORCE-20-30 (N° Lexbase : X6116AL4).
(7) C. proc. civ. ex., art. L. 221-1.
(8) C. proc. civ. ex., art. L.112-2 (N° Lexbase : L5801IRB).
(9) Cass. com., 25 avril 2006, n° 03-19.836, F-P+B (N° Lexbase : A2041DPB).
(10) CE 9° et 10° s-s-r., 27 avril 2001, n° 189856, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3206ATW), RJF, 2001, 7, comm. 1019.
(11) Cass. com., 4 juin 2002, n° 98-19.342, FS-P (N° Lexbase : A8428AYS), DF, 2002, comm. 1030.
(12) Cass. com., 4 juin 2002, n° 98-19.342, FS- P.
(13) Devenu sans objet par l'article 47 de la loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002 (N° Lexbase : L9371A8L).
(14) CJCE, 22 décembre 2008, aff. C-333/07, RJF, 2009, comm. 303.
(15) CE, 29 janvier 1964, DF, 1964, comm. 315.
(16) CE 7°, 8° et 9° s-s-r., 30 janvier 1976, n° 96173, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7629AY9), DF, 1977, comm. 1154, concl. Schmeltz.
(17) CE 7° et 9° s-s-r., 20 mars 1990, n° 50469, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4710AQI), DF, 1990, comm. 2450, concl. Martin.
(18) CE 9° et 10° s-s-r., 19 avril 2000, n° 184502, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3036B8X), DF, 2000, comm. 701, concl. Courtial.
(19) Cass. com., 9 mars 1999, n° 96-22.800, inédit au Bulletin (N° Lexbase : A1921CQ9), DF, 1999, comm. 827.
(20) CE, 6 juillet 1962, DF, 1963, 42, concl. Poussière.
(21) CE, 4 mai 1977, DF, 1978, comm. 230, concl. Lobry.
(22) CE Sect., 11 janvier 1991, n° 90995, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8940AQ8) RJF, 1991, 2, comm. 219 ; Cass. com., 3 mai 1995, n° 92-10.869, inédit (N° Lexbase : A7859CLN), RJF, 1995, 7, comm. 932.
(23) LPF, art. R. 196-1-b.
(24) CE 3° et 8° s-s-r., 5 juillet 2010, n° 310945, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1327E4W), DF, 2010, 44, comm. 547, concl. Cortot-Boucher.
(25) CE 7° s-s., 5 novembre 1980, n° 16213 (N° Lexbase : A7021AIU), RJF, 1981, 1, comm. 44.
(26) CE 7° et 8° s-s-r., 1er juillet 1987, n° 54222, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2364APA), RJF, 1987, 10, comm. 1020, concl. Fouquet.
(27) CE 8° et 9° s-s-r., 8 janvier 1993, n° 79600 et 79601, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7986AMQ), RJF, 1993, 3, comm. 390.
(28) T. Lambert, L'informaticien, la banque et la recevabilité de la preuve illicite dans les procédures fiscales ; J. Lasserre Capdeville, Fraude et évasion fiscales : état des lieux et moyens de lutte, éd. Joly, 2015, pp. 85-97.
(29) Cons. const., 4 décembre 2013, décision n° 2013-679 DC (N° Lexbase : A5483KQ7), RJF, 2014, 2, comm. 173.
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