Réf. : Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-10.058, F-P+B+I (N° Lexbase : A2531NGT)
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N7525BUA
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par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque à l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire"
le 28 Mai 2015
2. L'arrêt de la Cour de cassation qui fait braquer le projecteur sur le PEA sera publié au Bulletin de la Cour, ce que l'on comprend car il suggère divers points fondamentaux de cette institution de l'épargne dite réglementée ou administrée. On le reprend de façon linéaire en suivant pas à pas la décision qui commence par exposer les faits. Le 23 novembre 1995, M. X, le client (2), a souscrit auprès de la Société générale (la banque) un PEA, et l'arrêt précise : "sans lui confier de mandat de gestion". Cette dernière mention appelle une première explication. L'activité de gestion "pour le compte de tiers" consiste à gérer, de façon discrétionnaire et individualisée, des portefeuilles incluant un ou plusieurs instruments financiers en vertu du "mandat donné par un tiers" (C. mon. fin., art. D. 321-1, 4 N° Lexbase : L7534I4S). Il s'agit d'une gestion pour autrui : le professionnel s'assimile à un mandataire, le client à un mandant -non un tiers comme le dit le code-. L'activité repose sur ce "mandat de gestion" ou "mandat de gestion de portefeuille". Seules les sociétés de gestion de portefeuille (SGP), agréées par l'AMF (C. mon. fin., art. L. 532-9, II N° Lexbase : L1458IZZ) peuvent exercer la gestion de portefeuille (C. mon. fin., art. L. 532-1, al. 2 N° Lexbase : L7185IZ7) dont c'est l'activité exclusive. La banque ne peut pas se voir confier un tel mandat (v. infra n° 10). L'arrêt veut donc dire que le client n'a pas choisi une SGP, filiale ou partenaire de la banque, ce que d'usage les banques proposent généralement et que le client accepte ou non.
3. Le 19 octobre 2007, le client a demandé de transférer le PEA vers un autre établissement bancaire. Malgré son usage fréquent, l'idée de transfert n'est pas manifeste, mais on passe sur ce point, car l'essentiel est ici le reproche que le client fait à la banque. Il soutient avoir reçu une information erronée de la part du conseiller financier quant à l'impossibilité de souscrire, avec les fonds conservés sur le compte espèces, adossé au PEA, des parts du fonds commun de placement (FCP) "SGAM AI Actions Sérénité". Il faut ici préciser qu'un plan comporte deux comptes qui sont liés, la loi dit "associés" : un compte espèces, c'est un compte de dépôt affecté au second, qui est le compte de titres financiers (3). Le PEA se compose donc inévitablement de ces deux comptes, l'un fonctionnant pour l'autre : l'argent versé permettra d'acheter des titres (et seul le premier versement vaut ouverture du plan), en retour les ventes de titres alimentent le compte en espèces. Les versements et apports en titres s'additionnent pour vérifier si le plafond précité (150 000 euros) n'est pas dépassé. On doit ajouter, tant sa pratique est importante, ce qui dépasse le présent arrêt, que le PEA ouvert par les entreprises d'assurance a une forme juridique autre (C. mon. fin., art. L. 221-30, al. 4 N° Lexbase : L1415IZG, et L. 221-31, 3° N° Lexbase : L4751I74) (4).
4. Le client reproche à la banque de l'avoir informé de ce qu'il ne pourrait pas, avec les sommes conservées sur le compte espèces, souscrire des parts du FCP "SGAM AI Actions Sérénité", pour les placer sur le compte de titres du PEA comprend-on ; et la Cour de cassation précise que le client faisait cette opération "habituellement pour obtenir une rémunération des fonds en attente sur ce compte". Le FCP en question est connu par son prospectus d'émission qui est public, les parts qu'il émet y étant mentionnées comme étant éligibles au PEA. Le client achetait donc habituellement des parts de FCP, peut-être dans l'attente de meilleurs placements ? On se demande, en revanche, pourquoi ces parts n'auraient plus pu être souscrites comme auparavant, mais c'était justement l'erreur que le client reprochait à la banque. On ne s'attarde pas davantage sur ce point essentiel. La décision ne le permet guère pour une raison très spéciale : un manque de preuve de ce fait (v. infra n° 7).
5. Le client prétend avoir ainsi subi, en 2006 et 2007, un défaut de "valorisation de ces fonds" ; c'est le préjudice allégué pour lequel le client a recherché la responsabilité de la banque. On ne discute pas ce point qui n'a pas eu à être jugé. On relèvera que, bien que l'on soit en présence d'un établissement de crédit, ce n'est pas, si l'on peut dire, le droit bancaire qui s'applique. C'est ce que l'on pourrait appeler le "droit des services d'investissement" pour la pédagogie. Malgré la nuance, c'est finalement le droit bancaire et financier consacré par l'ensemble des dispositions du Code monétaire et financier qui est appliqué. Dans ce vaste cadre, l'arrêt apprend que l'investisseur fonde sa demande sur une faute originale, et peut-être même inédite : ne pas avoir pu investir.
6. Plus précisément, le client fonde son action en responsabilité contractuelle, en premier lieu, sur la violation de "l'obligation d'information et de conseil" de la banque, laquelle est, selon le client, incontestable ; le reproche est soutenu par un moyen invoquant la charge de la preuve qui, s'agissant d'une obligation particulière, pèse de principe sur le professionnel, règle que la cour d'appel n'aurait pas respectée. La demande est en second lieu fondée, le second moyen du pourvoi en atteste, par un argument plus précis et technique. Le client invoque l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2557DKW), dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, ce qui lui permet de soutenir l'existence d'autres obligations. Utilisant les mots de cet article, le demandeur soutient que la banque avait l'obligation d'agir avec équité au mieux des intérêts du client et d'exercer son activité, auprès de lui, avec la diligence qui s'imposait au mieux de ses intérêts. Cela revenait à invoquer ce que le Code monétaire et financier désigne comme "les règles de bonne conduite", au sein duquel elles se sont multipliées. L'arrêt comporte une motivation divisée en deux attendus, lesquels appellent chacun des observations qui sont en partie de nature différente.
7. En premier lieu, la Haute juridiction rejette la première branche du moyen fondée sur l'obligation d'information et de conseil (5). Elle motive sa décision en soulignant, quant aux faits, que les demandes formulées à partir de 2005-2006 auprès de la banque, pour souscrire des parts de FCP, et les refus qu'elle lui aurait opposés, ne sont pas prouvés. La Cour de cassation poursuit que ni le contenu de l'ordre de transfert du PEA, du 19 octobre 2007, ni la proposition faite à titre commercial par la banque (une proposition de 1 500 euros, indique le pourvoi du demandeur), n'établit la réalité de l'information erronée sur l'éligibilité des parts de FCP au PEA. Ces circonstances ne prouvent pas la faute de la banque, avait jugé la cour d'appel. On éprouve alors le sentiment que c'est un peu comme si le litige était vide de toute substance. L'attendu peut conclure que, par ces motifs non critiqués, "faisant ressortir", à défaut de le dire dans une motivation plus nette, qu'il n'est pas établi que la banque a communiqué l'information litigieuse. L'information sur l'impossibilité de souscrire ces parts pour le PEA n'a donc pas été prouvée devant les juges du fond. Le moyen est alors purgé par l'observation que la cour d'appel n'a pas dit que M. et Mme X ne rapportaient pas la preuve de l'existence d'un conseil erroné. Par hypothèse même, le défaut de preuve précité l'en empêchait de le dire et de le juger.
8. En second lieu, la Cour de cassation répond cette fois plus directement, si l'on peut dire, à l'invocation de l'article L. 533-4 précité (issu de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 N° Lexbase : L3556BLB applicable en l'espèce). Il faut signaler que la tenue de compte de titres, simple ou constitutif d'un PEA, donne un contentieux significatif dans lequel cet article importe. Elle est notamment marquée par une obligation de mise en garde pour les clients non-avertis qui réalisent des opérations spéculatives (6), mise en garde dont la forme est parfois originale (7). La mise en garde n'était toutefois pas en cause en l'espèce : au contraire d'investissements malheureux, l'auteur du pourvoi reprochait au professionnel de n'avoir pas pu réaliser des investissements en titres ; cette référence fait signaler que l'article L. 533-4 précité a été appliqué par la Cour de cassation, ces dernières années, à de multiples reprises. La stratégie juridique du plaideur était donc pertinente, et ce quelle que soit l'analyse faite de la mise en garde précitée : elle est de la famille des "obligations d'information et de conseil" ; or le client reprochait un défaut d'information. On commente en deux temps l'instructive motivation du juge du droit, laquelle se déporte de cet aspect.
9. La réponse de la Cour de cassation au pourvoi est simple : "ce texte [l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier] n'impose pas à une banque de proposer à son client d'investir les fonds conservés sur l'un de ses comptes". Aucune faute de la banque en rapport avec le préjudice allégué n'étant établie, la Cour de cassation ne peut que rejeter le moyen. L'article L. 533-4 ne semblait effectivement pas pouvoir s'appliquer de façon à faire prospérer la demande. L'espèce est très particulière puisque la faute invoquée (avoir délivrée une information erronée) n'est pas prouvée. Partant de là, la faute étant écartée, le défaut d'information ne posant plus question, la demande d'appliquer l'article L. 533-4 tend alors à faire juger que le prestataire de services d'investissement aurait dû inviter le client à ne pas laisser ses espèces sans emploi. Or cela pose un problème. Cela revient à dire que le professionnel doit conseiller le client pour déterminer les titres financiers qu'il doit acheter, conserver ou vendre. Cette obligation-là est contraire aux règles du PEA qui, fondamentalement, est un compte de dépôt de titres (ce que la troisième branche du pourvoi semble dénier à tort en invoquant des "règles propres au fonctionnement du PEA" -v. n° 7, in limine- ; le PEA a certes des règles propres mais, sauf disposition contraire expresse, les principes de fonctionnement du compte de titres s'y appliquent). En soi seul, le PEA appelle donc la gestion de son titulaire et non du professionnel teneur de compte, lequel n'a ni à conseiller des acquisitions ou ventes de titres, ni et encore moins à les diligenter lui-même sans ordre du client, la Cour de cassation l'a encore jugé il y a quelques semaines (8).
10. La réponse de la Cour de cassation appelle un approfondissement. Pour qu'il en soit autrement, et que le professionnel ait une mission de gestion du compte de titres, il faut que des conventions spéciales soient passées. Ce peut-être une convention de gestion assistée que la jurisprudence n'a pas eu l'occasion d'examiner, ou sinon une convention de gestion de portefeuille qui, elle, est à la fois bien réglementée et cadrée en jurisprudence. Mais, pour cette dernière convention, qui peut s'appliquer à un PEA (9), ou à un ensemble de comptes de titres, le mandat de gestion doit nécessairement être confié à une société de gestion de portefeuille, non à une banque. Aussi peut-on ajouter que l'arrêt, qui se justifie sur le terrain contractuel, trouve un confort institutionnel puisqu'une banque ne peut pas pratiquer la gestion, ce à quoi poussait à reconnaître en filigrane le pourvoi.
Le plaideur intéressé par une telle situation devra en tirer la conséquence utile : il devra plaider l'existence d'une obligation tirée d'une convention de gestion assistée ; le client, lui, demandera à signer une telle convention de gestion assistée pour s'assurer que le professionnel le conseille.
(1) Principe légal que tout investisseur doit connaître sans obligation spéciale de la banque : Cass. com., 26 mai 2009, n° 08-15.115, F-D (N° Lexbase : A3881EH9), nos obs., LPA, 25-26 août 2009, n° 169-170, entretien réalisé par A. Pando.
(2) On retient cette formulation bien que la demande ait été ensuite soutenue avec l'épouse.
(3) Compte qui est parfois mal cerné par les professionnels eux-mêmes : une clause d'unité de compte stipulée ne peut pas jouer entre un compte de titres et un compte de dépôt d'espèces -ton péremptoire comme inspiré par l'évidence- ; l'opération est refusée au motif que les articles de comptes en cause sont de nature différentes et ne sont pas fongibles (Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-17.046, F-P+B (N° Lexbase : A2986M84), nos obs. in Panorama de droit bancaire et financier - Première partie (institutions, institutions de régulation et monnaies ; comptes, paiements et instruments de paiement) (n° 8) Lexbase Hebdo n° 407 du 8 janvier 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N5318BUI).
(4) Il a alors la forme d'un contrat de capitalisation (C. mon. fin., art. L. 221-30, al. 4 N° Lexbase : L1415IZG), même si sa première qualification est d'être un PEA ; l'analyse doit alors être adaptée pour faire respecter les règles relatives aux services d'investissements que les entreprises d'assurance peuvent rendre à raison d'une habilitation législative.
(5) Elle était indirectement soutenue par la troisième branche du moyen invoquant un défaut de base légale tiré de la position de la cour d'appel sur la qualité du client, qui avait exercé une activité d'expert-comptable et de commissaire aux comptes et sur son âge avancé au moment des faits.
(6) Voyez par exemple une décision assez récente qui rappelle cette obligation en s'inspirant des termes de la jurisprudence dite "Buon" (Cass. com., 5 novembre 1991, n° 89-18.005, publié N° Lexbase : A3967ABK, Bull. civ. IV, n° 327) : Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-69.638, F-D (N° Lexbase : A6891E4Y) : le PSI "est tenu, dès l'origine des relations contractuelles et quelle que soit la nature de celles-ci, de mettre en garde son client contre les risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme, hors le cas où ce dernier en a connaissance" (avec dans cet attendu une reprise, qui n'est pas selon nous idéale, de l'idée ancienne de "marché à terme").
(7) Mise en garde dont la forme est parfois particulière, ainsi de celle constituée par l'information alertant d'un ordre atypique (achat de 13 000 droits préférentiels de souscription) que le client confirme : Cass. com., 13 septembre 2011, n° 10-19.907, F-D (N° Lexbase : A7510HXG).
(8) Le compte ne doit être "mouvementer" que sur l'ordre de son titulaire : obligation de restitution du banquier et régularité des ordres sur un compte bancaire et sur un compte de titres, cf. commentaire de Cass. com., 10 mars 2015, n° 14-11.046, F-D ([LXB=A3237NDA), nos obs., Obligation de restitution du banquier et régularité des ordres sur un compte bancaire et sur un compte de titres, Lexbase Hebdo n° 421 du 23 avril 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7027BUS).
(9) Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-14.865, F-D (N° Lexbase : A2525HQL) : rejet d'une demande de réparation au motif que les investisseurs avaient connu et accepté les risques d'un PEA ; la cassation intervient pour violation de la charge de la preuve et de l'article 58 (loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 N° Lexbase : L5893A4Z, ancien article L. 533-4 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L9379DYZ) et 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) et d'un règlement de la COB : à la souscription du mandat, le professionnel n'avait pas évalué la compétence des investisseurs pour les opérations spéculatives ni fourni une information adaptée (adde Cass. com., 16 décembre 2008, n° 07-21.663, F-D N° Lexbase : A9115EB9, première cassation de ce dossier). En marge de la question, on note l'application entre les parties d'un règlement COB, ce qui rappelle que le règlement général de l'AMF peut être invoqué par les parties et leur être appliqué.
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