Lecture: 6 min
N7520BU3
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 28 Mai 2015
Le 12 mai 2015, le Conseil d'Etat entendait publier au recueil un arrêt faisant, à notre sens, figure d'une bombe fiscale, mais surtout politique, en décidant, pour droit, qu'en ce qui concerne l'exercice, y compris par le moyen de stipulations d'une convention bilatérale, du pouvoir d'imposition réparti conformément à une telle convention, les Etats membres ne peuvent s'affranchir du respect des règles communautaires ; et à cet égard, le respect du principe de non-discrimination implique que l'octroi, dans l'exercice de ce pouvoir d'imposition, d'un avantage qui serait détachable du reste de la convention puisse être revendiqué par un résident d'un Etat membre n'ayant pas la qualité d'Etat partie à la convention. C'est ce que l'on appelle communément une application du principe de "traitement de la Nation la plus favorisée (NPF)" ; et certains, comme l'avocat blogueur parisien Patrick Michaud, ne s'y sont, très rapidement, pas trompés.
Concrètement, le Haut conseil justifie, sous certaines conditions toutefois, l'application d'une clause favorable issue d'un traité internationale bilatérale au bénéfice d'un contribuable qui n'est citoyen d'aucun des Etats signataires ; la clause, figurant dans la convention fiscale internationale qui lui est normalement applicable, lui étant, elle, plus défavorable. Etant entendu, que cette jurisprudence ne prévaudrait qu'entre citoyens de l'Union, puisque le fondement en est le respect des règles communautaires et, plus précisément, le principe de non-discrimination.
Ce faisant, et sans faire un commentaire de cette décision qu'il appartient à d'autres plus quaifiés de faire, on s'étonnera de l'envolée du Conseil d'Etat en faveur d'une application détournée de la clause NPF, alors même que la Cour justice de l'Union européenne s'était refusée à le faire. Plus "royaliste que le roi", loin des atermoiements de "Jacques Vabre", le Haut conseil précède sans doute l'Histoire en réalisant le rêve fédéraliste des juges luxembourgeois, reléguant, au sein de l'Union, le concept de "nationalité" aux reliques juridiques contrariant la construction et l'harmonisation économique européenne. Est-ce la proclamation rampante d'une citoyenneté européenne permettant le bénéfice à chacun de toutes les nationalités constitutives de l'Union ?
D'abord, et pour mémoire, aux termes des Accords de l'OMC, les pays ne peuvent pas, en principe, établir de discrimination entre leurs partenaires commerciaux. Si l'on accorde à quelqu'un une faveur spéciale (en abaissant, par exemple, le droit de douane perçu sur un de ses produits), on doit le faire pour tous les autres membres de l'OMC. C'est cela le traitement de la Nation la plus favorisée ! Il s'agit donc d'un principe consacré uniquement dans les règles OMC, et qui se trouve limité, dans ce cadre, aux dispositions relatives aux droits de douane et impositions perçues à l'importation ou à l'exportation ainsi qu'aux mesures relatives à la fiscalité intérieure sur les produits importées et à la commercialisation de ces produits. Ce principe n'est reconnu dans l'ordre juridique communautaire que dans le cadre du respect des règles OMC par l'Union. Son champ d'application ne recouvre pas, en principe, la fiscalité directe des contribuables.
On notera, toutefois, que ce principe NPF n'est pas tout à fait étranger à la matière fiscale, autre que douanière, puisque l'article 19 de la Directive 2011/16/UE, par exemple, prévoit la possibilité d'une coopération étendue en fonction de l'évolution de la situation internationale et plus particulièrement de l'application de la loi "FATCA". Cette clause NPF permettrait à tout Etat membre de l'Union européenne d'en assigner un autre à procéder à un échange automatique d'informations plus étendu que sur la base de la Directive. Mais, là encore, ce sont les Etats eux-mêmes qui peuvent revendiquer le bénéfice de ce principe de faveur, non les contribuables directement.
Dans son arrêt fondateur, le 5 juillet 2005, la Cour de justice faisait observer que le droit communautaire ne s'oppose pas à ce qu'une règle prévue par une convention bilatérale visant à prévenir la double imposition ne soit pas étendue au ressortissant d'un Etat membre non partie à ladite convention ; pour autant que le litige en cause n'ait pas pour objet les conséquences d'une répartition des compétences fiscales à l'égard des ressortissants ou des résidents d'Etats membres parties à une même convention, mais vise à établir une comparaison entre la situation d'une personne résidente d'un Etat tiers à une telle convention et celle d'une personne couverte par cette convention. La Cour fermait ainsi le ban à l'assimilation entre principe de non-discrimination entre ressortissants de l'Union au regard des quatre Libertés fondamentales et principe du traitement NPF. La Cour va même plus loin dans son refus d'appliquer ce principe commercial au bénéfice du contribuable européen en estimant que le fait que ces droits et obligations réciproques ne s'appliquent qu'à des personnes résidentes de l'un des deux Etats membres contractants est une conséquence inhérente aux conventions bilatérales préventives de la double imposition. Autrement dit, l'application du traitement NPF en droit fiscal revient à nier l'intérêt, voire l'existence, d'une bilatéralisation des conventions fiscales. Mais, il est à noter, toutefois, que la Cour statuait, ici, contre l'avis de l'Avocat général Damaso Ruiz-Jarabo Colomer pour lequel la transposition en matière fiscale de la clause NPF découlait naturellement du principe de non-discrimination.
Mais ce dernier principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée. Pour le Haut conseil, la nationalité n'est plus une différenciation objective justifiant un traitement différencié. Elle l'est d'autant moins que c'est la résidence fiscale qui conditionne, pour l'essentiel, l'imposition française. Et, pour le juge administratif, deux résidents en France ayant des intérêts dans deux autres Etats membres différents doivent bénéficier du même régime d'imposition, faisant fi de l'Histoire entre les Etats, des raisons diplomatiques ayant conduit à favoriser les ressortissants d'un Etat plutôt qu'un autre -certaines conventions étant très anciennes- ; pourvu que l'égalitarisme triomphe. Et ce n'est pas la circonscription de ce nouveau principe jurisprudentiel aux seuls avantages détachables qui pourra en limiter la portée... du moins politique.
La formule est lourde de sens. Il s'agit ici d'emboîter le pas à la Commission et au Parlement européen ; voire de les précéder, puisque faute d'accélération de l'harmonisation fiscale au sein de l'Union, il est certain que le fait d'estomper le concept de nationalité au bénéfice du seul critère de résidence pour une application indifférenciée des conventions fiscales bilatérales, quelle que soit la nationalité du contribuable européen, entraîne un appauvrissement du réseau conventionnel bilatéral -quand bien même la grande majorité des conventions sont-elles alignées sur un seul modèle, celui de l'OCDE-, et force à la conclusion d'un accord communautaire essentiellement en matière de fiscalité directe (IR, ISF, droits de successions).
On rappellera que s'il s'agissait de poursuivre la transposition du principe d'un traitement NPF en matière fiscale, quelques exceptions, en matière commerciale, sont autorisées. Par exemple, des pays peuvent conclure un accord de libre-échange qui s'applique uniquement aux marchandises échangées à l'intérieur du groupe, établissant dès lors une discrimination contre les marchandises provenant de l'extérieur. Mais surtout, ils peuvent accorder un accès spécial à leurs marchés aux pays en développement. De même, un pays peut élever des obstacles à l'encontre de produits provenant de tel ou tel pays, qui font l'objet, à son avis, d'un commerce inéquitable. En clair, le traitement NPF n'oblige pas à faire table rase des spécificités relationnelles entre Etats. C'est sans doute ce qui oblige le juge administratif à ne réserver son application qu'aux clauses détachables ; c'est-à-dire ne participant pas d'une économie générale de la convention qui, le cas échéant, serait empreinte de cette spécificité dans les relations internationales bilatérales, de cette histoire diplomatique chère, encore, à la France...
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:447520