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N7483BUP
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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)
le 21 Mai 2015
La question du droit de retrait des associés dans les sociétés civiles donne lieu à un contentieux abondant, tournant principalement autour du remboursement des droits sociaux et, plus généralement, de la date à laquelle l'associé concerné perd sa qualité d'associé, ainsi que les droits et obligations y attachés. Nombre d'arrêts ont ainsi été adoptés ces derniers, confirmant tous soit que la perte de la qualité d'associé ne peut, en cas de retrait d'une société civile, être antérieure au remboursement de la valeur des droits sociaux (2), soit que l'associé retrayant -d'une SCP, par exemple- conserve ses droits à percevoir des dividendes tant qu'il n'a pas obtenu le remboursement intégral de la valeur de ses droits sociaux (3). Les sociétés civiles de moyens (SCM), qui sont de véritables sociétés contrairement à ce qu'il est parfois pensé, n'échappent pas au contentieux, étant précisé qu'en matière de retrait les SCM sont soumises au même régime juridique que les sociétés civiles de droit commun (4), à savoir l'article 1869 du Code civil (N° Lexbase : L2066AB7), selon lequel "sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice" (al. 1er). Par ailleurs, il est précisé qu'à moins qu'il ne soit fait application de l'article 1844-9 (N° Lexbase : L2029ABR) (al. 3), l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d'accord amiable, conformément à l'article 1843-4 (N° Lexbase : L8956I34) (al. 2). Ce texte, il est vrai, n'a que très peu de lien avec la qualité d'associé et la perte de qualité consécutive au remboursement de droits sociaux, contrairement à l'article 1860 du Code civil (N° Lexbase : L2057ABS) disposant que "s'il y a déconfiture, faillite personnelle, liquidation de biens ou règlement judiciaire atteignant l'un des associés, à moins que les autres unanimes ne décident de dissoudre la société par anticipation ou que cette dissolution ne soit prévue par les statuts, il est procédé, dans les conditions énoncées à l'article 1843-4, au remboursement des droits sociaux de l'intéressé, lequel perdra alors la qualité d'associé".
Dans un arrêt du 31 mars 2015, non publié au Bulletin (5), il s'agissait d'un associé de SCM qui avait manifesté sa volonté de se retirer de la société. Les statuts de ladite société prévoyaient que lorsqu'un associé le demanderait, la société serait tenue de faire acquérir ses parts sociales par d'autres associés ou par des tiers, ou de les acquérir elle-même. L'associé retrayant a alors informé ses coassociés de son intention de se retirer de la société, par une première lettre de janvier 2008. Sa demande a été confirmée par une seconde lettre, y ajoutant sa volonté de partir au 1er juin 2008. Par la suite, invoquant le climat conflictuel, il a demandé en justice la désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du Code civil. Le tiers estimateur a rendu son rapport le 29 mai 2009. Toutefois, l'associé retrayant a cédé ses parts à l'un de ses coassociés le 7 octobre 2009, au prix d'un euro symbolique. Assigné par la société en paiement des charges dues jusqu'à la date de son départ définitif, il a prétendu que la société avait manqué aux obligations mises à sa charge, résultant de l'exercice de son droit de retrait, sollicitant en retour, des dommages-intérêts. La Cour de cassation rejette logiquement son pourvoi.
En effet, comme précédemment indiqué, sauf exceptions (6), l'associé retrayant ne perd sa qualité qu'à compter du jour où il a été remboursé de la valeur de ses droits sociaux. Bien que contestée car fort contestable, la solution est acquise depuis longtemps (7). L'associé d'une SCM est donc tenu de régler la quote-part de charges jusqu'à cette date, en conséquence de quoi, en l'espèce, la cession de parts étant intervenue en octobre 2009, l'associé devait régler cette dette à la société. Si toutefois la société avait racheté les parts à la valeur fixée par le tiers estimateur, une compensation entre les créances et les dettes réciproques aurait pu être possible (8). Mais cela n'était pas le cas ici. Comme notre collègue Christine Lebel le relève, cet arrêt doit surtout attirer l'attention des rédacteurs des clauses statutaires relatives à l'exercice du droit de retrait car, en l'occurrence, les statuts ne prévoyaient aucun délai pour la procédure statutaire de la mise en oeuvre du droit de retrait. L'associé retrayant prétendait que la société n'avait pas respecté la procédure de retrait, l'absence de délai conventionnellement prévu ne la dispensant pas de son obligation d'acquérir ses parts sociales en l'absence de toute possibilité de céder celles-ci, à un associé ou à un tiers. Souhaitant partir au 1er juin 2008, et n'ayant toujours aucune nouvelle de la société, il a fini par céder ses parts en octobre 2009, soit plus de dix-huit mois après avoir manifesté sa volonté de quitter la société, faute de procédure plus précise prévue par le contrat (9).
Même si l'arrêt n'est pas d'une importance essentielle, on le retiendra en ce qu'il pose une question particulièrement intéressante : des associés peuvent-ils décider de ne pas participer à une augmentation de capital, puis de contester ensuite la régularité de cette opération, et des suivantes, décidées et adoptées sans leur consentement ?
En l'espèce, deux associés ayant créé une SARL ont ouvert le capital social à des investisseurs, devenus majoritaires, avec lesquels ils avaient signé une convention prévoyant notamment qu'en cas de vente du fonds de commerce de la société, la moitié de la fraction du prix dépassant la somme de 300 000 euros reviendrait aux associés fondateurs. Une assemblée des associés, réunie le 17 décembre 2009, à l'initiative des majoritaires, cogérants qui plus est, a décidé de réduire le capital à zéro et de l'augmenter corrélativement par la création de nouvelles parts d'une valeur nominale de 4 000 euros, la souscription de huit parts nouvelles, dont l'une par un nouvel associé, étant constatée par une assemblée du 16 janvier 2010 à laquelle les fondateurs désormais minoritaires, qui n'avaient pas participé à l'augmentation du capital social, n'ont pas été convoqués. Ils ont alors fait valoir que les décisions prises le 17 décembre 2009 l'avaient été de manière irrégulière, faute d'avoir été adoptées à la majorité requise, sans eux. Une nouvelle assemblée des associés réunie le 19 avril 2011, à laquelle ils n'avaient pas participé, alors qu'ils y avaient bien été conviés, a de nouveau voté la réduction du capital à zéro et son augmentation par la création de nouvelles parts d'une valeur nominale de 4 000 euros. Fidèles à leur position, les fondateurs minoritaires n'ont pas non plus souscrit à la nouvelle augmentation du capital social. Le 22 novembre 2011, la société a vendu son fonds de commerce pour le prix de 420 000 euros.
La Cour de cassation rejette sèchement leur pourvoi car l'augmentation de capital à laquelle ils avaient refusé de participer n'était pas contraire à l'intérêt social ("dès lors que la société présentait au 19 avril 2011 une perte cumulée de 340 000 euros et des fonds propres négatifs de 189 860 euros") (10), du moins ils ne rapportaient pas la preuve de ce que la manoeuvre avait eu pour but de les évincer de la société.
Le rejet est sévère certes, surtout lorsque la Cour de cassation estime qu'ils "se sont exclus eux-mêmes de la société et du bénéfice des droits qu'ils détenaient comme associés et signataires du pacte d'actionnaires". Mais il nous paraît justifié au regard de la situation : en faisant entrer des majoritaires au capital de la société qu'ils avaient créée, ils avaient inévitablement perdu le pouvoir, faute de l'avoir sécurisé, les majoritaires ayant pu sans difficulté contourner la convention prévoyant qu'en cas de vente du fonds de commerce de la société, la moitié de la fraction du prix dépassant la somme de 300 000 euros reviendrait aux associés fondateurs, par le simple jeu d'un coup d'accordéon. Peut-être les fondateurs auraient-ils dû participer à l'augmentation de capital pour pouvoir mieux la contester ensuite. Mais certainement qu'ils ne le pouvaient pas (ou qu'ils ont été mal ou pas conseillés). D'autant qu'il est très difficile en pratique de contester une augmentation de capital, même lorsqu'elle n'est que de confort. La SAS avec des actions de préférence aurait pu, bien mieux que la SARL, leur offrir la sécurité recherchée dans le contrôle de l'actionnariat, tout en ouvrant le capital social à des investisseurs. La SARL aurait pu néanmoins prévoir des parts dites "privilégiées" pour les fondateurs.
Pour engager la responsabilité civile personnelle d'un gérant de société, il faut démontrer qu'il a commis une faute détachable, définie comme étant intentionnelle, d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales (11). La solution vaut tant pour les sociétés commerciales que pour les sociétés civiles (12).
Dans l'arrêt rapporté du 31 mars 2015, il s'agissait en l'occurrence d'une SARL qui avait commandé à une société, par l'intermédiaire de son gérant, des balises destinées à la localisation des animaux qui en seraient porteurs, leur livraison devant être échelonnée sur une période de quatorze mois. La SARL ayant mis fin au contrat au cours de son exécution, le fournisseur l'a assignée pour obtenir le paiement des livraisons impayées et l'allocation de dommages-intérêts, faisant en outre valoir que le gérant avait engagé sa responsabilité à son égard pour lui avoir fait croire qu'il bénéficierait de la garantie d'un tiers alors qu'il savait que cette garantie, donnée par une association insolvable, était illusoire. Les juges d'appel ne retiennent pas la responsabilité du gérant, son attitude s'étant inscrite, selon eux, dans le cadre des relations commerciales de négociation de contrats, sans qu'il puisse être considéré qu'elle n'était pas conforme à l'objet social et à l'intérêt de la société (13). De plus, le cocontractant du fournisseur est la SARL, et non personnellement le gérant. Ce raisonnement est toutefois cassé au visa de l'article L. 223-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5847AIE), relatif à la responsabilité du gérant envers la société ou envers les tiers : "en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, sans rechercher, comme elle y était invitée, si [le gérant] n'avait pas commis une faute séparable de ses fonctions sociales, engageant sa responsabilité personnelle, en trompant volontairement [le fournisseur] sur la solvabilité de la [SARL] qu'il dirigeait, afin de permettre à celle-ci de bénéficier de livraisons que, sans de telles manoeuvres, elle n'aurait pu obtenir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".
Voilà rappelé aux juges du fond qu'un gérant de société peut parfaitement engager sa responsabilité personnelle s'il commet une faute séparable de ses fonctions, dont les trois critères doivent être rigoureusement appréciés. S'il est vrai que le principe est celui d'une responsabilité principale des sociétés, les gérants n'étant que des "exécutants", abrités normalement derrière l'écran -visiblement affaibli ici- de la personnalité morale, ces derniers pouvant néanmoins engager leur responsabilité en interne, vis-à-vis de la société et des associés (14), il est tout aussi vrai, par exception, qu'une responsabilité personnelle des gérants est également possible, soumise en tant que telle à la preuve rapportée des trois éléments constituant la faute séparable, à défaut de quoi tout arrêt d'appel se verra censuré pour défaut de base légale. Sous couvert de ce rappel, la Cour de cassation semble laisser entendre le caractère presque systématique de l'appréciation de la faute séparable des fonctions, ce qui, si cette interprétation se confirme, tendrait à inverser le principe de l'exception, à savoir que le gérant engage par principe sa responsabilité personnelle dans toute décision de gestion, sous réserve du moins de démontrer la faute séparable des fonctions, demande de la part du cocontractant qui ne pouvait être ici passée sous silence par les juges d'appel, celui-ci leur ayant demandé la condamnation in solidum de la SARL et du gérant.
La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 31 mars 2015, que, sauf clause contraire, l'apport partiel d'actif (APA), soumis au régime des scissions, transmet toutes les créances dépendant de la branche apportée, y compris les créances litigieuses, même s'il stipule que les créances sont transmises pour une valeur brute et nette identique. Les faits étaient assez complexes, à tel point qu'ils avaient déjà donné lieu à un précédent arrêt de la Cour de cassation aux termes duquel il avait été jugé, aux visas des L. 236-3 (N° Lexbase : L6353AI7), L. 236-20 (N° Lexbase : L6370AIR) et L. 236-22 (N° Lexbase : L6372AIT) du Code de commerce, "qu'il résulte de ces textes que sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle, de la société apporteuse à la société bénéficiaire, de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport" (15). La même solution, ici rappelée.
En l'occurrence, par acte du 20 janvier 1998, une société (la débitrice) a conclu un contrat de dépôt et de coopération logistique avec une autre société (la créancière). La débitrice a été mise en redressement, puis liquidation judiciaires. La créancière a déclaré sa créance au passif de la procédure. Le 25 juin 2002, le juge-commissaire a ordonné la vente aux enchères publiques du stock de marchandises dépendant de l'actif de la liquidation judiciaire de la débitrice. Mais, la créancière, invoquant son droit de rétention sur les marchandises, a demandé au liquidateur que le prix de vente soit bloqué entre les mains du commissaire-priseur à due concurrence de sa créance et qu'il lui soit ensuite reversé. Le stock de marchandises ayant été vendu aux enchères publiques, et le liquidateur ayant refusé de reverser le prix de vente, une société holding, se présentant comme venant aux droits de la créancière, l'a assigné en paiement. Le liquidateur a alors soulevé l'irrecevabilité de cette action, tirée du défaut de qualité pour agir de la holding, en faisant valoir que, suivant traité d'apport partiel d'actif du 27 octobre 2004, la créancière avait transmis à une autre société (la bénéficiaire de l'APA) l'intégralité de sa branche d'activité de plate-forme logistique. La holding fait grief à l'arrêt d'appel de déclarer ses demandes irrecevables (16). Son pourvoi est, toutefois, rejeté selon l'attendu de principe précité.
Si l'on recentre les faits sur le problème particulier de l'APA soumis au régime des scissions et la TUP qui en découle, on comprend qu'une société fait un apport partiel d'actif portant sur l'une de ses branches d'activité, que cet apport est soumis au régime des scissions, que le traité d'apport stipule qu'il emporte transmission universelle de tous les actifs se rapportant à la branche apportée, qu'il stipule également que les créances sont transmises pour une valeur brute et nette identique, qu'il évalue à une somme déterminée. Invoquant cette dernière précision, l'apporteur soutient que l'apport n'a pas pu porter sur les créances litigieuses ou douteuses, la valeur nette de ces dernières, résultant des provisions passées, ne pouvant être identique à leur valeur brute. C'est cette interprétation qui n'est pas retenue : sauf dérogation expressément convenue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions emporte transmission universelle de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport. En l'espèce donc, aucune dérogation expresse n'a été stipulée dans le traité d'apport, restreignant sa portée. L'apport a, par conséquent, transmis toutes les créances dépendant de la branche apportée, y compris les créances douteuses ou litigieuses.
La solution est de prime abord logique. Mise à part l'interprétation différente qui pourrait être faite des stipulations du traité d'apport, tendant à reconnaître, au contraire, les créances querellées comme non transmises, mais l'ambiguïté des termes n'y était pas propice, on sait que, sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité de scission ou d'apport, communauté ou confusion d'intérêts ou fraude, dans le cas d'un apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions, il s'opère de la société apporteuse à la société bénéficiaire, laquelle est substituée à la première, une transmission universelle de tous ses droits, biens et obligations pour la branche d'activité faisant l'objet de l'apport (17). Et cette transmission universelle s'opère de plein droit, même sur les biens, droits et obligations de la société absorbée qui, par la suite d'une erreur, d'un oubli ou de toute autre cause, ne figureraient pas dans le traité d'apport ou de fusion (18). Mais on sait aussi, d'une part, que les contrats conclus intuitu personae, tels que par exemple le contrat d'agent commercial, ne peuvent être transmis qu'avec l'accord du cocontractant (19), d'autre part, que si le contrat auquel est attachée l'action n'est pas transmis, l'action elle-même ne saurait être transmise (20), ce qui explique par exemple qu'une SAS, bénéficiaire d'un APA, se voit dénier la qualité d'interjeter appel dans une procédure née de la rupture d'un contrat non transmis : si le contrat n'est pas transmis, la procédure et les actions y attachées ne le sont pas non plus (21).
Cela précisé, le principe posé par l'arrêt du 31 mars 2015 se démarque, à la réflexion, de ce raisonnement. Alors que par l'effet de la TUP tout se transmet, sauf les contrats teintés d'un trop fort intuitus personae, le présent arrêt confirme que tout se transmet, sauf ce qui est expressément exclu par le traité d'apport. Voilà qui fragilise les relations contractuelles, et qui donne plein effet à la TUP, puisque si le traité d'apport n'est pas assez précis, ou pas assez explicite, comme cela était le cas dans cette affaire, il faut considérer que, par défaut, peut-être du moins dans la limite des contrats éminemment personnels, tout l'actif et tout le passif présent au jour de l'APA est automatiquement transmis, presque indépendamment du contenu du traité. Cela pose le problème des actif et passif, pour reprendre un terme des procédures collectives, isolés, c'est-à-dire des actif et passif non identifiés comme faisant partie d'une branche autonome d'activité (22). Plus fondamentalement, et comme notre collègue Bruno Dondero l'a relevé (23), cette jurisprudence, assez mal connue de la pratique, doit être connue et surtout maîtrisée, maîtrise qui passe par une rédaction méticuleuse du traité d'apport pour éviter toute interprétation divergente. Sinon, faute d'être expressément exclues, toutes les créances seront incluses dans le patrimoine du bénéficiaire de l'apport, et exclues en conséquence du patrimoine de l'absorbée.
La révocation du dirigeant social est toujours une question épineuse tellement il est difficile de s'y retrouver entre la révocation ad nutum, la révocation avec motif, la révocation avec juste motif. Le principe du contradictoire (24), que l'on a du mal à situer ici, perturbe plus qu'il ne sécurise la procédure. Le principe en matière de révocation des dirigeants sociaux est relativement simple. Il est celui de la libre révocabilité : tous les dirigeants sont librement révocables, même les gérants de SARL et SNC. Simplement, pour ceux-ci, il faut un juste motif ou un motif légitime, voire une cause légitime en cas de révocation judiciaire. Pour les administrateurs de SA, il faut, depuis l'arrêt du 14 mai 2013 un motif (mais elle est toujours ad nutum), sans qu'il ne soit pour autant légitime (25). Toutes les révocations ayant lieu dans des conditions vexatoires ou discriminatoires, quelle que soit la forme de la société, pouvant donner lieu à des dommages et intérêts au profit de l'intéressé. La tendance dans la révocation est à la loyauté, ce qui passe par un respect plus fort du contradictoire, la théorie des incidents de séance et l'ordre du jour très vague étant cependant toujours fonctionnels. Quant à la révocation du président de SAS, sur laquelle la Cour de cassation a déjà statué à plusieurs reprises (26), la liberté contractuelle, caractéristique d'une telle société, peut permettre de simplifier la problématique.
Tel est le cas dans un arrêt du 14 avril 2015 dans lequel une dame exerçait les fonctions de présidente d'une SAS, ayant pour associée unique une société, elle-même contrôlée par une autre société (27). Les statuts de la SAS prévoyaient que la révocation du président ne pouvait intervenir que pour faute grave. Ayant été révoquée de son mandat social par décision de la SAS du 4 octobre 2010, ladite présidente avait assigné cette dernière ainsi que son associée unique, aux droits de laquelle se trouve la société qui la contrôlait, en paiement de dommages-intérêts. Sans succès. En effet relève la Cour de cassation, outre le désaccord opposant la présidente à l'associée unique, "l'arrêt retient que [la présidente] a manifesté, par courrier du 6 juin 2010, sa volonté d'abandonner ses fonctions de présidente de la [SAS] et qu'elle s'en était entretenue avec les dirigeants du groupe, notamment le 8 juillet 2010 ; que de ces seules constatations, desquelles il résulte que [la présidente] avait elle-même posé la question de la continuation de ses fonctions sociales et y avait apporté une réponse négative, de sorte que la [SAS] n'avait pas l'obligation d'ouvrir une discussion préalable à la décision de révocation du 4 octobre 2010, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire d'autre recherche, a pu déduire que cette décision ne revêtait pas un caractère brutal".
Sauf à ce que les statuts, eux-mêmes, viennent expressément prévoir un devoir de loyauté (28), en expliquant concrètement sa mise en oeuvre, la révocation du président de SAS est libre, liberté qui, au demeurant, peut encore être accentuée (29). On regrettera simplement le manque de précision sur la notion de faute grave. Faire référence à une faute, d'une certaine intensité, est opportun en effet. La révocation n'est déclenchée qu'en cas de faute grave et non simple. Mais qu'est-ce la faute grave ? Elle correspondait, vraisemblablement en l'espèce, au désaccord, ce qui n'est guère convaincant. La référence aurait pu être plus précise, comme par exemple une faute grave au sens du droit social. Tel a été le cas récemment pour une clause de bad leaver, parfaitement valable (30).
(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) Cass. civ. 3, 9 septembre 2014, n° 13-19.345, F-D (N° Lexbase : A4322MWY), JCP éd. N, 2014, act. 996 ; JCP éd. E, 2015, 1186, n° 2, obs. M. Buchberger. V. déjà, Cass. civ. 3, 9 décembre 1998, n° 97-10.478 (N° Lexbase : A5430A4U), Bull. civ. III, n° 243, Defrénois, art. 36991-4, note H. Hovasse, D., 2000, pan. 237, obs. J.-C. Hallouin, D. Affaires, 1999, 298, obs. M. B., Cass. com., 13 décembre 2011, n° 11-11.667, F-D (N° Lexbase : A4913H8H), Dalloz actualité, 3 janvier 2012, obs. A. Lienhard, Rev. sociétés, 2012. 376, note N. Morelli. V. plus récemment, Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-10.913, F-P+B (N° Lexbase : A7094NH9), Dalloz actualité, 13 mai 2015, obs. A. Lienhard ; D. Gibirila, à paraître Lexbase Hebdo - édition affaires.
(3) Cass. civ. 1, 10 septembre 2014, n° 13-13.957, F-D (N° Lexbase : A4367MWN), Rev. sociétés, 2015, p. 115, note J.-F. Barbiéri, JCP éd. E, 2015, 1186, n° 4, obs. M. Buchberger ; Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 13-24.931, FS-P+B (N° Lexbase : A9230NGX), nos obs., Forces et faiblesses de l'avocat associé retrayant de SCP, Lexbase Hebdo n° 194 du 21 mai 2015 - édition professions (N° Lexbase : N7346BUM).
(4) D. Gibirila, Le retrait d'un associé d'une société civile de moyen, Lexbase Hebdo n° 423 du 14 mai 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7286BUE), note sous Cass. com., 14 avril 2015, n° 14-11.605, F-D (N° Lexbase : A9490NGL) (conflits sur les conditions du droit de retrait dans une SCM),
(5) Journ. Sociétés, avril 2015, p. 47, obs. Ch. Lebel.
(6) Sur lesquelles v., M. Buchberger, précit..
(7) Cass. com., 17 juin 2008, deux arrêts, n° 06-15.045, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2140D97) et n° 07-14.965, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2228D9E). Sur ces arrêts, D., 2008, p. 1818, note A. Lienhard ; JCP éd. E, 2008, 1980 ; Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 967, note F.-X. Lucas ; Dr. sociétés, 2008, comm. 176, Note R. Mortier ; JCP éd. N, 2008, 1306, note Ch. Lebel ; J.-B. Lenhof, Perte de la qualité d'associé et remboursement des droits sociaux dans les sociétés civiles, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée (N° Lexbase : N6457BGA).
(8) Note Ch. Lebel, précit.
(9) Note Ch. Lebel, précit.
(10) Les minoritaires estimaient, au contraire, que le coup d'accordéon permettait de détourner de l'actif en remboursant les comptes courants des majoritaires.
(11) Cass. com., 20 mai 2003, n° 99-17.092, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1619B9T), Dr. sociétés, 2003, comm. 148, note J. Monnet ; JCP éd. E, 2003, 1203, obs. J.-J.Caussin, Fl. Deboissy et G. Wicker. J.-F. Barbiéri, Responsabilité de la personne morale ou responsabilité des dirigeants ? La responsabilité personnelle à la dérive, Mel. J. Guyon, Dalloz, 2003, p. 41.
(12) Pour un arrêt de la Cour de cassation retenant que les juges d'appel ont bien caractérisé ces trois éléments : Cass. com., 31 mars 2015, n° 13-19.432, F-D (N° Lexbase : A0990NGR), Ch. Lebel, Responsabilité individuelle du gérant de société civile en liquidation judiciaire, Lexbase Hebdo n° 421 du 23 avril 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N7143BU4).
(13) CA Aix-en-Provence, 3 octobre 2013, n° 12/15945 (N° Lexbase : A2362KMG).
(14) Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-27.189, F-D (N° Lexbase : A2774NAY) ; nos obs. in Chronique de droit des sociétés - Février 2015 (1er comm.) Lexbase Hebdo n° 412 du 12 février 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N5905BUA).
(15) Cass. com., 12 février 2013, n° 11-23.895, F-D (N° Lexbase : A0682I8R), Rev. sociétés, 2014, p. 27, note V. Thomas ; Bull. Joly Sociétés, septembre 2013, p. 575, note B. Dondero ; Gaz. Pal., 29 juin 2013, p. 33, note B. Dondero, Dr. sociétés, 2013, comm. n° 101, note D. Gallois-Cochet.
(16) CA Rouen, 19 février 2014, n° 13/03014 (N° Lexbase : A5686MEC).
(17) Cass. com., 5 mars 1991, n° 88-19.629, publié (N° Lexbase : A1185ABI), Bull. civ. IV, n° 100 ; Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 500, note M. Jeantin, D., 1991, p. 441, note J. Honorat, Defrénois, 1991, p. 880, obs. P. Le Cannu, Rev. sociétés, 1991, p. 545, note Bolze, Dr. sociétés, 1991, n° 341, note Marteau-Petit, RTDCom., 1992, p. 189 et p. 385, obs. C. Champaud et D. Danet ; Cass. com., 23 juin 2004, n° 02-13.115, F-D (N° Lexbase : A7983DCN), JCP éd. E, 2004, n° 49, p. 1936, note A. Viandier, Dr. sociétés, 2004, n° 219, note H. Hovasse ; Cass. com., 12 février 2013, n° 11-23.895, F-D (N° Lexbase : A0682I8R), Dr. sociétés, 2013, comm. n° 101, note D. Gallois-Cochet, Rev. sociétés, 2014, p. 27, note V. Thomas, Bull. Joly. Sociétés, 2013, p. 575, note B. Dondero.
(18) Cass. com., 4 février 2004, n° 00-13.501, F-D (N° Lexbase : A2637DBB), D., 2004, Somm. p.2929, obs. J.-C. Hallouin ; Dr. et patr., mai 2004, p. 85, obs. D. Poracchia ; Bull. Joly Sociétés, 2004, p. 649, note P. Le Cannu.
(19) Cass. com., 29 octobre 2002, n° 01-03.987, F-D (N° Lexbase : A4127A3A), RJDA, 2003, n° 263, Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 192, note D. Krajeski, RTDCiv., 2003, p. 295, obs. J. Mestre et B. Fages, D., 2003, p. 2231, note J. -P. Brill et C. Koering ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-16.878, F-P+B (N° Lexbase : A9814DL3), Bull. civ. IV, n° 255, RTDCiv., 2006, p. 310, obs. J. Mestre et B. Fages, JCP éd. E, 2006, 1669 et JCP éd. G, 2006, II, 10 013, note H. Hovasse, Dr. sociétés, 2006, comm. 23, obs. J. Monnet, RLDC, 2006/24, n° 980, obs. S. Doireau, Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 591, note X. Vamparys, LPA, 2007, n° 120, p. 11, obs. D. Poracchia, R. Kaddouch, La fusion face aux contrats intuitu personae, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N4162AKD) ; Cass. com., 3 juin 2008, deux arrêts, n° 06-18.007, FS-P+B (N° Lexbase : A9219D8X) et n° 06-13.761, FSP+B (N° Lexbase : A9213D8Q), JCP éd. E, 2008, Act. n° 317 ; JCP éd. G, 2008, II, 10 154, note C. Maréchal, JCP éd. E, 2008, 2210, note H. Hovasse, G. de Foresta, La transmission de contrats de franchise dans le cadre d'une fusion-absorption et d'opérations assimilées : le problème de l'intuitu personae, Lexbase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2008 - édition privée (N° Lexbase : N7030BGH) ; Cass. com., 29 janvier 2013, n° 11-23.676, F-P+B (N° Lexbase : A6180I4N), D., 2013, p. 361, Gaz. Pal., 14 février 2013, n° 45, p. 28, JCP éd. E, 2013, act. 115, nos obs., La brutalité de la rupture de relations commerciales établies à l'épreuve de l'autonomie de la personne morale, Lexbase Hebdo n° 333 du 4 avril 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N6336BTT), JCP éd. E, 2013, 1225, note F. Buy.
(20) V. Thomas, Société et procédure civile, LexisNexis, 2014, n° 194.
(21) Cass. com., 20 janvier 2015, n° 14-10.010, F-D (N° Lexbase : A2630NAN) ; nos obs. in Chronique de droit des sociétés - Février 2015 (2ème comm.), préc..
(22) Notre collègue par Ronan Raffray les qualifie d'épars : R. Raffray, La transmission universelle du patrimoine des personnes morales, F. Deboissy (préf.), Dalloz, 2011, n° 242-244.
(23) Note B. Dondero sous Cass. com., 12 février 2013, n° 11-23.895 F-D (N° Lexbase : A0682I8R), Bull. Joly Sociétés, septembre 2013, p. 575.
(24) F.-X. Lucas, Le principe du contradictoire en droit des sociétés, in R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche et Th. Revet (dir.), Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 10ème éd., n° 916
(25) Cass. com., 14 mai 2013, n°11-22.845, FS-P+B (N° Lexbase : A4983KDW), Bulletin Joly Sociétés, octobre 2013, p. 634 droits, note A. Gaudemet ; D., 2013, p. 2319, note B. Dondero ; D., 2013, p. 2729, obs. E. Lamazerolles ; Bull. Joly Sociétés, 2013, p. 634, note A. Gaudemet ; Rev. sociétés, 2013, p. 566, note B. Saintourens ; JCP éd. E, 2013, 1491, obs. M. Roussille ; Dr. et patrim., n° 236 mai 2014, obs. D. Poracchia ; D. Gibirila, Abus de droit de révocation et libre révocabilité d'un administrateur de société anonyme, Lexbase Hebdo n° 341 du 6 juin 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N7335BTT).
(26) Par exemple, Cass. com., 8 avril 2014, n° 13-11650, F-D (N° Lexbase : A0960MKR), Bulletin Joly Sociétés, juillet 2014, p 452, note P.-L. Périn ; Rev. sociétés, 2014, p. 725, note C. Tabourot-Hyest : "lorsque les statuts d'une SAS prévoient que le dirigeant est révocable à tout moment par l'associé unique, ce dernier apprécie seul les motifs justifiant une révocation. Dès lors que les désaccords sont connus et que l'associé a recueilli les observations du dirigeant, la société a respecté son devoir de loyauté. La convention stipulant qu'une indemnisation est due si les fautes ne sont pas telles qu'elles rendent le maintien du mandat social impossible doit être interprétée strictement". Cass. com., 10 juillet 2012, n° 11-19.563, F-D (N° Lexbase : A8335IQR), Bulletin Joly Sociétés, octobre 2012, p. 712, note M. Germain et P.-L. Périn. Adde B. Saintourens, Révocation d'un dirigeant de SAS : attractivité et danger de la liberté contractuelle, Bulletin Joly Sociétés, 1er juin 2011 n° 6, p. 536.
(27) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch. 29 juin 2010, n° 08/07998 (N° Lexbase : A3584E4I), Bulletin Joly Sociétés, novembre 2010, p. 879, note D. Poracchia : "lorsque les statuts d'une SAS stipulent que la révocation du président peut intervenir à tout moment le juge n'a pas à contrôler les motifs de la révocation, ni à se prononcer sur la valeur ou la pertinence des griefs formulés par la société à l'encontre du dirigeant. Il doit limiter son examen aux circonstances dans lesquelles la révocation est intervenue, et dire si elles ont été vexatoires, ont porté atteinte à l'honneur du dirigeant, ou si la révocation a été décidée brutalement sans respect du principe de la contradiction et des droits de la défense".
(28) La déloyauté à l'inverse pourrait-elle être stipulée ? Pas en ces termes en tout cas...
(29) CA Versailles, 12ème ch., sect. B, 5 juin 2003, n° 01/01923 (N° Lexbase : A0258DAS), Bulletin Joly Sociétés, novembre 2003, p. 1131, note P. Le Cannu : "il appartient au président d'une SAS qui allègue le caractère abusif de sa révocation de le prouver. En l'espèce, les statuts prévoyaient une révocation sans juste motif. Le demandeur, eu égard à sa compétence et à ses fonctions, ne pouvait pas ignorer le caractère précaire de son mandat social, qu'il a d'ailleurs accepté en toute connaissance de cause et qui se trouvait assorti d'une rémunération conséquente, d'avantages personnels importants, du bénéfice d'un contrat de retraite par capitalisation et d'un contrat d'assurance perte d'emploi ainsi que d'une large indemnité contractuelle de nature à en compenser les effets. Par ailleurs, aucun procédé vexatoire ou injurieux ne peut être reproché à la société".
(30) Cass. com., 3 février 2015, n° 13-28.164, F-D (N° Lexbase : A2468NBZ) ; Bull Joly Sociétés, avril 2015, p. 188, note S. Schiller.
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