La lettre juridique n°613 du 21 mai 2015 : Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Mai 2015

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"

le 21 Mai 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, agrégé des facultés de droit et Professeur à l'Université de Grenoble II, membre de l'Institut universitaire de France. Au sommaire de cette chronique, l'estoppel (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-28.262, FS-P+B), l'interruption de la prescription par la demande en justice (Cass. civ. 3, 11 mars 2015, n° 14-15.198, FS-P+B), les demandes reconventionnelles dans le cadre d'une procédure orale (Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n° 14-15.740, F-P+B), le régime de la révocation de l'ordonnance de clôture (Cass. civ. 1, 11 février 2015, n° 13-28.054, F-P+B et CA Paris, 7 mai 2015, n° 14/13979) et enfin la compétence judiciaire pour prononcer l'irrecevabilité des conclusions en appel après révocation de l'ordonnance de clôture (Cass. civ. 2, 9 avril 2015, n° 13-28.707, F-P+B et CA Paris, 3 mars 2015, n° 14/18730). 1 - Principes de la procédure : estoppel et évolution du litige, la difficile conciliation
  • L'estoppel n'interdit pas les moyens nouveaux devant la cour d'appel, même s'ils contredisent les moyens présentés en première instance (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-28.262, FS-P+B N° Lexbase : A4345NBK ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9904ETY)

L'estoppel est un principe récemment consacré par la Cour de cassation consistant dans l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui (1). Reconnu par l'Assemblée plénière en 2009 (2), son régime juridique fait l'objet d'une élaboration progressive, qui nécessite une conciliation avec les autres principes de la procédure.

Dans l'espèce étudiée, un contrat dénommé "contrat d'agent commercial" a été conclu entre une société et une personne privée. La résiliation du contrat par la société a donné lieu à un litige porté devant une juridiction commerciale. En première instance, cette dernière a invoqué la faute grave du mandataire pour justifier la rupture du contrat d'agent commercial et revendiquer l'application de ce statut. Toutefois, en appel, elle a pris le contrepied de cette stratégie de défense et a contesté la nature du contrat, alléguant qu'il ne s'agissait pas d'un contrat d'agent commercial.

La cour d'appel a déclaré le second moyen irrecevable en affirmant que "le droit pour une partie d'invoquer un moyen nouveau ne l'autorise cependant pas à se contredire". Elle a constaté que le changement de position adopté par la société avait causé un préjudice à son adversaire, qui avait été contraint d'agir en fonction de la position adoptée initialement.

Le raisonnement semblait conforme à la jurisprudence établie sur l'estoppel, mais il n'a pas convaincu la Cour de cassation. Cette dernière a estimé que la possibilité d'invoquer une défense au fond en tout état de cause et le droit d'invoquer des moyens nouveaux en cause d'appel empêchaient de faire application de l'estoppel dans une telle circonstance.

Cet arrêt semble apporter une réponse simple à la question de la conciliation entre estoppel et évolution du litige en appel. Toutefois, il soulève plus de questions qu'il n'en résout. En effet, l'estoppel a été défini par la première chambre civile comme le changement de position de nature à induire son adversaire en erreur (3). En l'espèce, la cour d'appel avait bien caractérisé une telle attitude. Le fait de développer en appel une argumentation contradictoire à celle invoquée en première instance avait bien pour résultat d'induire l'adversaire en erreur. L'attitude de la société pouvait, dès lors, s'analyser en une contradiction au détriment de son adversaire.

Pourtant, la Chambre commerciale, en écartant une telle interprétation, ne s'explique pas sur le fait que le comportement de la société n'ait pas constitué un procédé déloyal. Elle s'inscrit simplement dans la logique du Code de procédure civile qui autorise les parties à soulever des moyens nouveaux en appel et à présenter des défenses au fond en tout état de cause. On peut trouver un rattachement lointain de cette décision avec une autre rendue par la deuxième chambre civile à propos des fins de non-recevoir. Celle-ci a jugé que les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause et qu'elles ne peuvent être écartées, même si elles sont soulevées tardivement et qu'elles contredisent une défense au fond invoquée antérieurement (4).

Le régime de l'estoppel manque encore de clarté. Il est vrai que son immixtion dans la procédure civile française est susceptible de provoquer de nombreux remous et de remettre en cause certains piliers du Code de procédure civile. Cependant, l'absence de clarté dans la ligne jurisprudentielle de la Cour de cassation est dérangeante. Les décisions qui rejettent ou admettent l'estoppel se multiplient sans que l'on comprenne bien la finalité de ce principe. Sans clarification, il a tout lieu de penser que le contentieux de l'estoppel va continuer à se développer.

2 - Prescription : l'effet interruptif de l'acte vicié

  • Une demande en justice interrompt le délai de prescription bien qu'elle soit entachée d'une irrégularité de fond (Cass. civ. 3, 11 mars 2015, n° 14-15.198, FS-P+B N° Lexbase : A3293NDC)

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, relative à la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I) est venue préciser les conditions de l'interruption de la prescription par l'effet d'une demande en justice. L'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9) prévoit désormais que la prescription est interrompue même lorsque "l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure". La formule est apparemment claire, mais elle comporte, en réalité, une ambiguïté. La notion de vice de procédure ne figure pas dans le Code de procédure civile. Ce texte distingue les nullités pour "vice de forme" et celle pour "irrégularité de fond". On pouvait, dès lors, se poser la question de savoir si le vice de procédure devait s'entendre au sens strict du vice de forme, ou plus généralement de toute irrégularité de l'acte, qu'elle soit de forme ou de fond (5).

L'arrêt commenté concernait une assignation qui ne comportait pas de constitution d'avocat au barreau du tribunal devant lequel l'affaire était portée. Un avocat avait été désigné, mais il ne pouvait pas postuler dans le ressort du tribunal saisi, ce qui constituait une irrégularité de fond visée par l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q) in fine. L'assignation devait donc être frappée de nullité. La question qui se posait était de savoir si cette assignation possédait tout de même un effet interruptif de la prescription.

La cour d'appel a jugé que l'irrégularité de fond "ne constituait pas un simple vice de procédure", car elle empêchait tout débat contradictoire, les avocats n'ayant pas la possibilité de notifier leurs conclusions et leurs pièces. L'article 117 incite à une telle interprétation. Les défauts de capacité et de pouvoir visés par ce texte concernent une impossibilité d'agir en justice. Comme son nom l'indique, l'irrégularité de fond ne se limite pas à une défaillance dans le formalisme procédural.

Cette solution n'a pourtant pas été retenue par la Cour de cassation. Celle-ci affirme clairement que "l'article 2241 du Code civil ne distinguant pas dans son alinéa 2 entre le vice de forme et l'irrégularité de fond, l'assignation même affectée d'un vice de fond a un effet interruptif". La solution se comprend au regard de l'esprit de la prescription. Si l'acte irrégulier possède un effet interruptif, c'est en raison de la volonté d'agir en justice exprimée par son auteur. En d'autres termes, ce n'est pas l'acte de procédure qui interrompt la prescription, mais l'acte juridique au sens du droit des obligations ; c'est-à-dire la manifestation d'une volonté destinée à produire des effets de droit. En effet, si prescription éteint l'action en justice en raison de la carence de celui qui bénéficie du droit substantiel, il n'y a donc aucune raison de priver du droit d'agir celui qui a fait preuve de diligence en exerçant l'action. Le vice de forme ou de fond est une source d'annulation de l'acte de procédure, mais il ne peut atteindre le droit d'agir.

3 - Procédure orale : tout se joue à l'audience

  • Les demandes reconventionnelles formulées à l'audience sont recevables, même lorsqu'elles n'ont pas été communiquées à l'adversaire non comparant (Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n° 14-15.740, F-P+B N° Lexbase : A1916NEP ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1585EUA)

La procédure orale, bien qu'elle soit applicable devant de nombreuses juridictions civiles, présente une dimension atypique qui s'accorde mal avec les pratiques contemporaines de l'exercice de l'action en justice. L'arrêt commenté en est une nouvelle illustration.

En l'espèce, une société exploitant des HLM a agi contre des locataires devant le tribunal d'instance selon la procédure d'injonction de payer. La procédure s'est poursuivie devant le tribunal à la suite d'une opposition des débiteurs. Devant le tribunal, ces derniers ont formulé oralement et par voie de conclusions, des demandes reconventionnelles visant à obtenir de leur bailleur le remboursement de charges indues. Le tribunal d'instance a déclaré ces demandes irrecevables, au motif que les conclusions déposées devant lui n'avaient pas été signifiées à l'adversaire non comparaissant et que le principe du contradictoire n'avait pas été respecté.

Le jugement a été cassé au motif que "devant le tribunal d'instance, la procédure est orale et que les prétentions des parties doivent être formulées au cours de l'audience". La Cour de cassation en a déduit que le tribunal d'instance était régulièrement saisi des demandes soutenues oralement devant lui. En constatant le défaut de comparution de l'adversaire, il appartenait à la juridiction de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure pour assurer le respect du contradictoire.

Une telle solution s'imposait. Elle correspond à l'esprit de la procédure orale, et s'inscrit dans une jurisprudence constante. Elle est également riche en enseignements sur l'attitude que le juge doit adopter dans une situation qui est loin d'être inhabituelle. Lorsque le montant d'une créance est faible, les parties peuvent être tentées de ne pas comparaître à l'audience, car cette comparution est plus coûteuse que le montant des sommes réclamées. Cette situation est d'autant plus compréhensible lorsque la procédure a débuté par une requête en injonction de payer, qui ne nécessite aucun débat contradictoire dans sa première phase. Tel était le cas en l'espèce. La société bailleresse avait formé une requête dans le but d'obtenir un titre exécutoire. Mais la procédure avait évolué avec l'opposition des débiteurs.

La situation devient alors paradoxale pour l'auteur de l'injonction de payer. La procédure est trop coûteuse pour justifier une comparution, mais le défaut de comparution du demandeur rend caduque l'ordonnance d'injonction de payer, car ce dernier ne soutient pas sa demande à l'oral. Plus encore, il risque de s'exposer à des demandes reconventionnelles, comme ce fut le cas en l'espèce.

Se pose alors la question du respect du contradictoire. Lorsqu'une partie n'est pas présente ou représentée à l'audience, le juge ne peut se fonder sur ses prétentions qui ont été exprimées par écrit (6). Plus précisément, la Cour de cassation affirme que le dépôt par une partie d'observations écrites ne peut suppléer le défaut de comparution. La partie qui ne comparaît pas n'est donc pas en mesure de défendre sa cause. La solution s'impose s'agissant de la demande initiale. Le défaut de comparution du demandeur conduit le juge à considérer que le demandeur ne soutient plus sa demande et à la rejeter. La solution est plus discutable s'agissant d'une demande reconventionnelle présentée à l'audience. La partie non-comparante n'a pas été informée de cette demande et elle n'a pas été en mesure de se défendre. C'est sur ce point que l'arrêt est le plus intéressant. En affirmant qu'il appartenait au tribunal d'instance de renvoyer l'affaire à une prochaine audience, la Cour de cassation interdit au juge du fond de statuer sur le champ. Certes, la demande reconventionnelle a été régulièrement présentée devant le juge et elle n'a pas à être signifiée à l'adversaire. Toutefois, ce dernier doit être informé de cette demande et appelé à l'audience pour y répondre.

On mesure ici la difficulté engendrée par l'oralité. La procédure orale est censée être plus simple et moins formelle. Toutefois, en imposant aux parties de comparaître, elle s'avère coûteuse et, finalement, peu adaptée aux litiges d'un faible montant. C'est pour cette raison que l'article 446-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1138INH) prévoit, depuis le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010, relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale (N° Lexbase : L0992IN3), que les parties peuvent être dispensées de se présenter à l 'audience. Encore faut-il qu'elles en fassent la demande et que le juge les autorise à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit.

4 - Procédure écrite : le régime de la révocation de l'ordonnance de clôture

  • Le juge ne peut révoquer l'ordonnance de clôture pour admettre des conclusions sans rouvrir les débats (Cass. civ. 1, 11 février 2015, n° 13-28.054, F-P+B N° Lexbase : A4355NBW et CA Paris, 7 mai 2015, n° 14/13979 N° Lexbase : A6617NHK ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E3958EU7)

La révocation de l'ordonnance de clôture suscite un contentieux toujours aussi sensible, notamment pour arbitrer le sort des conclusions tardives et de leur réponse. Dans l'espèce étudiée, une partie a déposé des conclusions la veille de la clôture. Après la clôture, son adversaire a alors sollicité la révocation de l'ordonnance et a déposé dans le même temps des conclusions en réponses. Le jour de l'audience, la cour d'appel a révoqué l'ordonnance de clôture, admis les conclusions responsives et clôturé à nouveau la mise en état. L'auteur du pourvoi a reproché à la cour d'appel de n'avoir pas rouvert les débats après la révocation. Cet argument a convaincu la Cour de cassation qui a affirmé "lorsque le juge révoque l'ordonnance de clôture, cette décision, qui doit être motivée par une cause grave, doit intervenir avant la clôture des débats, ou sinon, s'accompagner d'une réouverture de ceux-ci".

La solution posée dans cet arrêt n'est pas nouvelle, mais elle est importante, car elle sanctionne l'attitude des cours d'appel qui révoquent l'ordonnance de clôture et procèdent simultanément à une nouvelle clôture dans le seul but d'admettre des conclusions ou des pièces produites hors délai. De surcroît, la Cour de cassation l'applique avec une particulière rigueur, même dans une situation où la réouverture des débats ne s'imposait pas avec évidence.

La révocation de l'ordonnance de clôture est prévue par l'article 784 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7022H79). Elle peut être ordonnée uniquement dans l'hypothèse de la révélation d'une "cause grave" postérieure à la clôture, soit par le juge de la mise en état, soit par la juridiction de jugement après l'ouverture des débats. Cette révocation est essentielle, car la procédure étant écrite, seules les conclusions et pièces échangées avant la clôture peuvent être prises en compte par la juridiction (8).

Lorsque des pièces ou des conclusions sont échangées postérieurement à la clôture, le juge a le choix entre plusieurs options et sous-options. D'un côté, il peut déclarer les conclusions irrecevables même d'office (9). D'une autre côté, il peut ordonner la réouverture des débats (10). Cette réouverture prend deux formes distinctes. Le juge peut la prononcer sans renvoi à la mise en état et admettre de nouvelles écritures pour permettre aux parties de conclure sur une question précisée (11). A l'inverse, il peut révoquer l'ordonnance de clôture et renvoyer l'affaire à la mise en état.

C'est cette seconde option qui posait problème en l'espèce. La révocation de l'ordonnance de clôture avait été ordonnée dans le seul but d'admettre aux débats des conclusions produites hors délai. L'attitude de la juridiction du fond était justifiée par les faits de l'espèce. En effet, dans cette affaire, l'appelant avait déposé des conclusions la veille de l'ordonnance de clôture dans lesquelles il invoquait pour la première fois le moyen tiré de la prescription de l'action de son adversaire. Cette attitude, pour le moins déloyale, soulevait une question déterminante pour l'issue du litige et appelait une réponse de la part de l'autre partie. En révoquant l'ordonnance de clôture, la cour d'appel se contentait de rétablir le contradictoire. Elle permettait à l'adversaire de débattre du moyen tiré de la prescription de l'action. C'est cette attitude qui a été sanctionnée par la Cour de cassation. Selon la haute juridiction, la révocation de l'ordonnance de clôture au moment des débats doit s'accompagner d'une réouverture de ceux-ci. Le juge ne peut se contenter d'autoriser l'adversaire à répondre. Il doit ouvrir une nouvelle phase d'échanges de conclusions.

La rigidité de la solution ainsi adoptée est justifiée par la volonté de sanctionner certaines pratiques des juridictions du fond. Elle est exprimée avec beaucoup de clarté dans un arrêt rendu en 2013 : la cour d'appel qui révoque l'ordonnance de clôture et clôture aussitôt l'instruction avant de statuer au fond viole l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q) (12). Ainsi, la révocation de l'ordonnance de clôture n'est pas un acte formel, qui permet de corriger le jour de l'audience un vice dans le déroulement de la mise en état. Il s'agit d'un acte fonctionnel, dont la finalité et de permettre le débat contradictoire, c'est-à-dire l'échange de pièces et d'écritures.

Le caractère automatique de la réouverture des débats à la suite de la révocation de l'ordonnance de clôture est le résultat d'une jurisprudence constante (13). Plus précisément, la Cour de cassation distingue deux situations (14). Soit la révocation a lieu par anticipation, c'est-à-dire avant la clôture de la mise en état. Dans cette hypothèse, les débats (écrits) sont simplement prolongés. Il s'agit d'un simple décalage dans le temps de la clôture. Soit, la révocation a lieu après la date de la clôture. La réouverture des débats s'impose alors de façon systématique. Cette solution impose un respect du contradictoire un peu rigide. En effet, dans l'espèce étudiée, on pouvait imaginer que les parties avaient suffisamment échangé sur la question de la prescription. L'attitude de la cour d'appel n'était donc pas irrespectueuse du contradictoire. A l'inverse, la solution de la Cour de cassation impose une plus grande lourdeur et un rallongement des délais. Une solution laissant plus de souplesse aux juridictions du fond serait sans doute préférable.

5 - Irrecevabilité des conclusions en appel : quel juge pour les prononcer après révocation de l'ordonnance de clôture ?

  • Le Conseiller de la mise en état demeure compétent pour statuer sur l'irrecevabilité des conclusions hors délai lorsque la révocation de l'ordonnance de clôture a été ordonnée par la cour d'appel avant l'ouverture des débats devant la juridiction du fond (Cass. civ. 2, 9 avril 2015, n° 13-28.707 N° Lexbase : A5277NGK et CA Paris, 3 mars 2015, n° 14/18730 N° Lexbase : A0183ND7 ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E1479EUC)

L'arrêt commenté répond à une question importante générée par une situation complexe liée à l'article 914 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0168IPW). Cette disposition prévoit que le conseiller de la mise en état (CME) est, lorsqu'il est désigné et jusqu'à son dessaisissement, seul compétent pour déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) et 910 (N° Lexbase : L0412IGD). Lorsque l'intimé conclut au-delà du délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant, c'est à ce magistrat qu'il revient de relever d'office l'irrecevabilité des conclusions. Cette règle, habituellement simple à mettre en oeuvre, s'avère plus délicate à appliquer lorsque l'instruction a été close, puis rouverte par la cour d'appel.

Tel était le cas dans l'espèce étudiée. La procédure en appel avait débuté normalement et la clôture de l'instruction avait été prononcée deux semaines avant la date fixée pour l'audience des plaidoiries. Toutefois, au cours de la mise en état, l'intimé avait conclu tardivement et l'irrecevabilité de ces conclusions avait été soulevée par l'appelant dans ses dernières conclusions. La question n'avait pas été tranchée par le CME et la cour d'appel se trouvait confrontée à une difficulté procédurale évidente : l'intimé n'avait pas eu l'occasion de se défendre sur le grief d'irrecevabilité. Avant d'ouvrir les débats en audience, la cour d'appel décida de révoquer l'ordonnance de clôture et de renvoyer l'affaire devant le CME afin que ce magistrat statue sur la recevabilité des conclusions.

Cette situation complexe devait être conciliée avec les prescriptions de l'article 914 du Code de procédure civile. En effet, le CME avait été dessaisi de l'affaire, puis saisi à nouveau. Selon le pourvoi, le CME ne pouvait valablement être saisi de la question de la recevabilité des conclusions hors délai, même après révocation de l'ordonnance de clôture par la cour d'appel.

La Cour de cassation n'a pas été convaincue par cette argumentation. Elle a affirmé que le CME n'était pas dessaisi dans la mesure où l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé avait été soulevée avant l'ordonnance de clôture et que la révocation de cette ordonnance avait été prononcée par la Cour d'appel avant l'ouverture des débats à l'audience des plaidoiries. En d'autres termes, il existait une forme de continuum qui n'avait été rompu ni par l'ordonnance de clôture ni par la décision de la cour d'appel.

Cette décision importante permet de déterminer les différents régimes dans lesquels les sanctions des décrets "Magendie" (caducité / irrecevabilité) doivent être mises en oeuvre :

1/ lorsque les sanctions sont soulevées par l'adversaire avant la clôture de l'instruction, le CME est seul compétent pour statuer sur cette question jusqu'à l'ouverture des débats devant la juridiction du fond. La cour d'appel qui statue sur cette question excède ses pouvoirs et encourt la cassation (15) ;

2/ après le dessaisissement du CME, c'est-à-dire lorsque les débats à l'audience ont débuté, les parties ne sont plus recevables, par principe, à invoquer la caducité ou l'irrecevabilité (16) ;

3/ par exception, si la cause d'irrecevabilité ou de caducité intervient après le dessaisissement du CME, la sanction peut être invoquée directement devant la cour d'appel (17).


(1) Sur ce principe et ses applications, cf. nos obs., in Chronique de procédure civile - mars 2009, Lexbase Hebdo n° 344 du 2 avril 2009 - édition privée (N° Lexbase : N9948BIB) ; Chronique de procédure civile - septembre 2010, Lexbase Hebdo n°409 du 23 septembre 2010 - édition privée (N° Lexbase : N0930BQI) et Chronique de procédure civile - février 2014, Lexbase Hebdo n° 558 du 13 février 2014 - édition privée (N° Lexbase : N0783BUK).
(2) Ass. plén., 27 février 2009, n° 07-19.841, P+B+R+I ([LXB=A3925EDQ ]).
(3) Cass. civ. 1, 3 février 2010, n° 08-21.288, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2062ERS).
(4) Cass. civ. 2, 14 novembre 2013, n° 12-25.835, F-P+B (N° Lexbase : A6124KPI).
(5 ) Cf. C. Bléry, Acte nul pour vice de procédure : notion et portée, obs. sous 2 arrêts RLDC, 2015, n° 126, p. 69.
(6) Cass. civ. 2, 27 septembre 2012, n° 11 -18.322, F-P+B (N° Lexbase : A6246ITI).
(7) Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-17.968, F-D (N° Lexbase : A9575KL9).
(8) C. proc. civ., art 783 (N° Lexbase : L7021H78).
(9) Même article.
(10) C. proc. civ., art. 444 (N° Lexbase : L1120INS).
(11) Sur cette solution jurisprudentielle, cf. nos obs. in Chronique de procédure civile, Lexbase n° 344 du 2 avril 2009 - édition privée (N° Lexbase : N9948BIB).
(12) Cass. civ. 2, 26 mai 2011, n° 10-18.416, F-D (N° Lexbase : A8908HSQ).
(13) Cf. par ex. Cass. civ. 3, 3 mai 1984, n° 82-13.281 (N° Lexbase : A0224AAK).
(14) Cf. déjà Cass. civ. 2, 10 mai 1989, n° 88-10.137 (N° Lexbase : A3416AHY).
(15) Cass. civ. 3, 24 septembre 2014, n° 13-21.524, FS-P+B (N° Lexbase : A3037MXR).
(16) C. proc. civ., art. 914 (N° Lexbase : L0168IPW).
(17) Même article.

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