Réf. : Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-20.452, FS-P+B (N° Lexbase : A1937NEH)
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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
le 09 Avril 2015
Résumé
Ayant constaté, sans dénaturation, qu'aux termes de l'article 14 des statuts de l'AIST 83, le conseil d'administration, sur proposition du président, désigne le directeur, la cour d'appel en a déduit à bon droit que celui-ci ne pouvait être démis de ses fonctions que sur décision du conseil d'administration et que le manquement à cette règle, insusceptible de régularisation, rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse. |
Observations
I - L'organe compétent pour licencier
L'importance des statuts. Ne serait-ce que parce qu'il est partie au contrat de travail conclu avec le salarié, l'employeur dispose du pouvoir d'y mettre un terme en prononçant un licenciement (1). Juridiquement fondée, cette affirmation n'en reste pas moins insuffisante dès lors que l'employeur est une personne morale. Dans ce cas, en effet, il lui est matériellement impossible de décider d'un licenciement qui ne peut qu'être le fait d'une personne physique (2). Mais encore faut-il que cette dernière ait le pouvoir d'agir au nom et pour le compte de la personne morale employeur.
Dans les sociétés, l'attribution d'un tel pouvoir procède de la loi. Ainsi, et pour ne prendre que quelques exemples, dans la société anonyme à conseil d'administration, le directeur général "est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société" (C. com., art. L. 225-56, I, al. 1er N° Lexbase : L5927AID). De même, dans la société anonyme avec directoire et conseil de surveillance, ce même pouvoir est attribué au premier de ces organes (C. com., art. L. 225-64, al. 1er N° Lexbase : L5935AIN). Il est dévolu au gérant dans la société à responsabilité limitée (C. com., art. L. 223-18, al. 5 N° Lexbase : L0906I7P) et dans la société en nom collectif (C. com., art. L. 221-6 N° Lexbase : L5802AIQ). Enfin, au sein de la société par actions simplifiée, c'est le président, seul organe obligatoire de cette forme sociétaire, qui représente la société à l'égard des tiers et est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social (C. com., art. L. 227-6, al. 1er N° Lexbase : L6161AIZ).
Investis par la loi du pouvoir de gestion, ces organes sont habilités à conclure, au nom et pour le compte de la personne morale, les contrats de travail avec les salariés appelés à oeuvrer au sein de l'entreprise que vient juridiquement structurer la forme sociale choisie. Ils sont, dans le même temps, les seuls à même de rompre ces contrats et donc d'exercer le pouvoir de licencier (3).
Une telle organisation du pouvoir n'existe pas au sein des associations, la loi du 1er juillet 1901 ne précisant pas les organes dont elles doivent se doter et, a fortiori, leurs pouvoirs. Cette lacune ne doit pas nécessairement être dénoncée, étant observé qu'elle peut être aisément corrigée par les stipulations de statuts ; ce qui confère une liberté certaine aux membres de l'association. Mais encore faut-il que ces derniers aient, d'abord, envisagé la question et, ensuite, rédigé les statuts de manière précise. Il faut malheureusement constater qu'il n'en va toujours ainsi. Le problème est fréquemment révélé lors du licenciement d'un salarié contractuellement lié à l'association ; ainsi qu'en témoigne l'arrêt sous examen.
L'affaire. En l'espèce, Mme X, nommée à compter du 21 juin 1999 au poste de directeur de l'association interprofessionnelle de médecine du travail du Var, devenue association interprofessionnelle de santé au travail du Var (AIST 83), avait été licenciée pour faute grave par lettre recommandée du 3 novembre 2008 signée par le président de l'association. Contestant la régularité et le bien-fondé de son licenciement, la salariée avait saisi la juridiction prud'homale.
L'employeur reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamné à verser à la salariée certaines sommes. Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, qui affirme qu'"ayant constaté, sans dénaturation, qu'aux termes de l'article 14 des statuts de l'AIST 83, le conseil d'administration, sur proposition du président, désigne le directeur, la cour d'appel en a déduit à bon droit que celui-ci ne pouvait être démis de ses fonctions que sur décision du conseil d'administration et que le manquement à cette règle, insusceptible de régularisation, rendait le licenciement sans cause réelle et sérieuse".
L'interprétation des statuts. S'agissant de la détermination du titulaire du pouvoir de licencier, la Cour de cassation vient donc approuver l'interprétation des statuts à laquelle s'étaient livrés les juges du fond. A n'en point douter, il y avait, en l'espèce, matière en interprétation, pour cette simple raison que les statuts n'attribuaient pas explicitement le pouvoir de licencier à un organe en particulier. Il reste maintenant à déterminer si l'interprétation retenue est la bonne.
Dans un arrêt rendu le 29 septembre 2004 (4), la Cour de cassation a pu affirmer "qu'il entre dans les attributions du président d'une association, sauf disposition statutaire attribuant cette compétence à un autre organe, de mettre en oeuvre la procédure de licenciement d'un salarié". L'employeur n'avait pas manqué d'invoquer cette solution à l'appui de son pourvoi (5), ajoutant que l'article 14 des statuts de l'AIST 83 prévoit que "sur proposition du président, le conseil d'administration désigne le directeur" et qu'en se fondant sur cette stipulation pour affirmer que le conseil d'administration était, statutairement, seul compétent pour licencier le directeur de l'association, quand ladite disposition ne prévoyait aucune dérogation à la compétence de principe qui est attribuée, à cet égard, au président de l'association, la cour d'appel qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé l'article 1134 du Code civil.
Ainsi qu'il a été observé, le grief de dénaturation "oblige le plus souvent le juge de cassation à se demander, en premier lieu, si la lettre de l'acte est aussi claire que prétendu par l'auteur du pourvoi et, dans l'affirmative, en second lieu, si le juge du fond l'a, sous couvert d'interprétation, altérée au point de la dénaturer" (6). De notre point de vue, la lettre de l'article 14 des statuts était des plus claires, ne visant que le pouvoir de désigner le directeur. On ne saurait, pour autant, dire que les juges du fond l'avaient, sous couvert d'interprétation, dénaturée. Il n'est, en effet, pas complètement illogique de considérer que l'organe statutairement habilité pour embaucher un salarié, qui plus est destiné à occuper des fonctions sensibles, ait aussi le pouvoir de le démettre de ses fonctions (7), dès lors que ce dernier pouvoir n'a pas été expressément confié à un autre organe.
II - La sanction de la méconnaissance des stipulations statutaires
Le rejet de toute faculté de régularisation. A l'appui de son pourvoi, l'association employeur avait également soutenu qu'en cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié, expressément ou tacitement. En conséquence, en jugeant le licenciement de Mme X sans cause réelle et sérieuse, au motif que la lettre de licenciement aurait été signée par le président qui n'aurait pas eu la compétence pour en décider, quand l'association AIST 83 avait soutenu, devant elle, la validité et le bien-fondé du licenciement de Mme X, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que le président de l'association avait, à tout le moins, reçu mandat implicite de licencier sa directrice, a violé les articles L. 1232-6 (N° Lexbase : L1084H9Z), L. 1235-1 (N° Lexbase : L0733IXG) du Code du travail et 1998 du Code civil (N° Lexbase : L2221ABU).
La Cour de cassation n'a pas été sensible à cet argumentation puisque, cela a déjà été indiqué, elle considère que le manquement à la règle prescrite par les statuts était "insusceptible de régularisation".
Cette solution n'est pas de nature à surprendre dans la mesure où, par le passé, la Chambre sociale l'a déjà énoncée (8). Cela étant, les décisions auxquelles il est fait référence sont antérieures aux fameux arrêts de Chambre mixte en date du 19 novembre 2010, dans lesquels, on s'en souvient, la Cour de cassation était venue régler le problème de la délégation du pouvoir de licencier dans les SAS (9). Dans l'une de ces deux décisions, la Cour de cassation avait indiqué qu' "en cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement", affirmant, ensuite, pour censurer l'arrêt attaqué, "que la société, en la personne de son représentant légal, reprenait oralement ses conclusions aux termes desquelles elle soutenait la validité et le bien-fondé du licenciement dont M. X avait fait l'objet et réclamait le rejet de toutes les prétentions de ce dernier, ce dont il résultait la volonté claire et non équivoque de cette société de ratifier la mesure prise par ses préposés" (10).
Si l'on comprend ainsi mieux l'argumentation soutenue par l'association dans l'arrêt présentement commenté, on en vient surtout à se demander si la Chambre sociale, en maintenant sa jurisprudence antérieure, n'entend pas prendre ses distances avec la solution retenue en 2010 en Chambre mixte (11). Il nous semble toutefois permis de considérer que tel n'est pas le cas.
Pour qu'un acte accompli par un mandataire en dépassement de ses pouvoirs puisse être ratifié par le mandant, encore faut-il que le second soit en droit de déléguer au premier le pouvoir dont l'acte procède. Or, lorsque les statuts d'un groupement personnifié réservent à un organe particulier un pouvoir déterminé, tel celui d'engager ou de licencier les salariés du groupement, ils lui interdisent, par-là même, de déléguer ce pouvoir à autrui. Admettre le contraire reviendrait à méconnaître les stipulations des statuts et, ce faisant, la volonté des fondateurs du groupement (12).
Le rejet de la nullité du licenciement. L'arrêt commenté porte, une nouvelle fois (13), témoignage du fait que la Cour de cassation entend sanctionner le licenciement prononcé par une personne qui n'en a pas le pouvoir par l'absence de cause réelle et sérieuse. Nous persistons à penser que c'est plutôt la nullité du licenciement qui devrait être retenue (14), pour au moins deux raisons.
En premier lieu, ce n'est pas parce qu'un licenciement a été prononcé par une personne qui n'en avait pas le pouvoir qu'il est, en fait, dépourvu de cause réelle et sérieuse. Au contraire, celui-ci peut être parfaitement justifié. Ce faisant, le salarié peut, si l'on peut dire, s'en tirer à bon compte, notamment dans le cas où il a commis une faute particulièrement grave.
En second lieu, retenir que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse revient, par hypothèse, à admettre que le contrat de travail a été rompu. Or, si la personne qui l'a prononcé n'avait pas, en la matière, le pouvoir d'agir au nom et pour le compte de la personne morale employeur, il faut se rendre à l'évidence et considérer que celle-ci est toujours liée par le contrat. Cela est d'autant plus vrai lorsque, comme en l'espèce, toute faculté de régularisation est exclue.
(1) Sous réserve, évidemment que le contrat de travail soit à durée indéterminée.
(2) V., sur la question, G. Auzero, L'exercice du pouvoir de licencier, Dr. soc., 2010, p. 289.
(3) Deux précisions doivent encore être ajoutées. En premier lieu, il convient d'avoir égard pour les statuts de la société, qui peuvent venir limiter le pouvoir conféré par la loi aux organes sociaux. En second lieu, ces derniers peuvent déléguer leur pouvoir à un mandataire. Sur ces questions, v. notre art. préc..
(4) Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-43.771, publié (N° Lexbase : A4764DDS) : Bull. Joly Sociétés, 2005, p. 290, note C. Bénard.
(5) Argumentation d'autant plus compréhensible que l'on apprend, au détour du pourvoi, que l'article 16 des statuts de l'association confère les pouvoirs les plus étendus au président pour représenter l'association en justice et dans tous les actes de la vie civile.
(6) Rapp. annuel de la Cour de cassation pour 2012, Livre 3 : Etude, La preuve, Partie 1, Titre 2, chap. 2.
(7) V. déjà en ce sens, Cass. soc., 4 mars 2003, n° 00-45.193, publié (N° Lexbase : A3708A7H) ; Dr. soc., 2003, p. 543.
(8) Cass. soc., 4 avril 2006, n° 04-47.677, F-P+B (N° Lexbase : A9737DNX), Bull. civ. V, n° 134 ; Cass. soc., 8 juillet 2010, n° 08-45.592, F-D (N° Lexbase : A2219E4X) et nos obs., L'exercice du pouvoir de licencier au sein des associations et autres personnes morales, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0950BQA).
(9) Cass. mixte, 19 novembre 2010, deux arrêts, n° 10-10.095, P+B+R+I (N° Lexbase : A9890GI7) et n° 10-30.215, P+B+R+I (N° Lexbase : A9891GI8) ; RJS, 2/11, p. 83, chron. N. Ferrier et G. Auzero.
(10) Cass. mixte, 19 novembre 2010, n° 10-30.215, P+B+R+I, préc..
(11) Nous avions pu, nous même, douter du maintien de la jurisprudence en cause (v. notre art. préc., p. 88).
(12) Ces mêmes fondateurs peuvent tout à fait autoriser la délégation ou la soumettre à des conditions qui doivent alors être respectées.
(13) V., antérieurement, Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-17.015, FS-P+B (N° Lexbase : A9351HZD) ; JCP éd. S, 2012, 1057, note S. Brissy ; Cass. soc., 18 janvier 2012, n° 10-23.713, F-D (N° Lexbase : A1310IB7) ; Dr. soc., 2012, p. 325, obs. F. Duquesne.
(14) Solution que la Cour de cassation avait, par le passé, retenue : Cass. soc., 13 septembre 2005, n° 02-47.619, F-D (N° Lexbase : A4399DK7) ; Cass. soc., 29 avril 2009, n° 08-40.128, F-D (N° Lexbase : A6564EG9).
Décision
Cass. soc., 17 mars 2015, n° 13-20.452, FS-P+B (N° Lexbase : A1937NEH). Rejet (CA Aix-en-Provence, 2 mai 2013, n° 12/13473 N° Lexbase : A9481KC7). Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et art. 1998 (N° Lexbase : L2221ABU). Mots-clefs : licenciement ; pouvoir ; association ; non respect des stipulations statutaires ; régularisation (non) ; absence de cause réelle et sérieuse. Lien base : . |
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