Lexbase Social n°608 du 9 avril 2015 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Les règles protectrices de la maternité inapplicables à la rupture conventionnelle

Réf. : Cass. soc., 25 mars 2015, n° 14-10.149, FS-P+B (N° Lexbase : A6728NEW)

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N6832BUL

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 09 Avril 2015

La solution, quoiqu'attendue, ne surprendra guère les observateurs de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation. Par un arrêt rendu le 25 mars 2015, la Haute juridiction juge, en effet, que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, les règles relatives à la rupture du contrat de travail d'une salariée dont le contrat de travail est suspendu en raison de sa grossesse ne s'appliquent pas à la rupture conventionnelle du contrat de travail. Comme elle l'avait fait à propos de la suspension du contrat de travail pour accident du travail ou maladie professionnelle, la Chambre sociale confirme donc la forte autonomie de la rupture conventionnelle (I) et ne laisse plus subsister que de rares doutes quant à l'articulation entre ce mode de rupture et les différents types de protection de la santé organisés par le législateur (II).
Résumé

Sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, non invoqués en l'espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI) au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé de maternité, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Commentaire

I - Confirmation de l'autonomie de la rupture conventionnelle du contrat de travail

Rupture conventionnelle et suspension du contrat en raison de l'état de santé du salarié. Le contrat de travail peut-il être rompu par la conclusion d'une rupture conventionnelle alors qu'il est suspendu en raison de l'état de santé du salarié ?

A cette question, la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), n'apportait guère de réponse, interdisant seulement les ruptures conventionnelles incluses dans un accord de GPEC ou dans un plan de sauvegarde de l'emploi (1). Pour tenter de combler ces lacunes, une circulaire du ministère du travail interprétait le silence du législateur en suggérant que "dans les cas où la rupture du contrat de travail est rigoureusement encadrée durant certaines périodes de suspension du contrat [par exemple durant le congé de maternité en vertu de l'article L. 1225-4 (N° Lexbase : L0854H9I), ou pendant l'arrêt imputable à un accident du travail ou une maladie professionnelle en vertu de l'article L. 1226-9 (N° Lexbase : L1024H9S), etc...], la rupture conventionnelle ne peut, en revanche, être signée pendant cette période" (2). La valeur normative de ce type de circulaire étant relativement faible, les dispositions législatives pouvaient être différemment interprétées.

Les dispositions légales protégeant les salariés durant ces périodes de suspension, introduites antérieurement à la création de la rupture conventionnelle, permettent justement l'interprétation. Ainsi, qu'il s'agisse de l'article L. 1225-4 du Code du travail, relatif à la rupture du contrat de travail de la salariée dont le contrat est suspendu en raison de sa grossesse, ou de l'article L. 1226-9, organisant la rupture du contrat au cours d'une suspension résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, chacun encadre le fait, pour "l'employeur", de "rompre" le contrat de travail. Cette formulation peut tout aussi bien permettre d'inclure ou d'exclure la rupture conventionnelle du contrat de travail du champ des dispositions protectrices.

Elle aurait pu être incluse dans ces formules si l'on avait retenu que, lors de la conclusion de la rupture conventionnelle, il faut bien que l'employeur consente à la rupture du contrat de travail, si bien que, s'il ne rompt pas le contrat seul, il rompt tout de même le contrat (3). Elle pouvait aussi être exclue si l'on considérait, avec Christophe Radé, que "contrairement à la formulation de la règle protégeant les victimes de harcèlements ou de discriminations, [...] les dispositions protégeant les salariés victimes d'AT/MP visent expressément la rupture par l'employeur du contrat de travail [ l'employeur ne peut rompre'], ce qui suggère fortement que le texte ne prohibe que la rupture unilatérale et ne concerne donc pas la rupture conventionnelle" (4).

La Chambre sociale a récemment tranché, à propos de la suspension consécutive à un accident ou à une maladie professionnelle : sauf fraude ou vice du consentement, les parties au contrat de travail peuvent conclure une rupture conventionnelle durant ces périodes (5). La position de la Chambre sociale de la Cour de cassation, à propos de la suspension résultant de la maternité, était donc attendue, même s'il ne demeurait qu'un faible suspens.

Espèce. Une salariée, en congé de maternité du 18 avril au 7 août 2009, conclut, avec son employeur, une convention de rupture le 10 août suivant. La convention fut homologuée par l'administration du travail. La salariée saisit le juge prud'homal pour obtenir l'annulation de la convention de rupture. Déboutée par la cour d'appel de Lyon qui jugea que l'article L. 1225-4 du Code du travail est relatif "au seul licenciement" et "n'exclut pas l'application [des dispositions] relatives à la rupture conventionnelle du contrat de travail" (6), la salariée forma pourvoi en cassation.

Le pourvoi est rejeté par la Chambre sociale par un arrêt rendu le 25 mars 2015 (7). Reprenant une motivation presque identique à celle retenue pour les suspensions résultant d'un accident du travail (8), la Cour juge que "sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, non invoqués en l'espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l'article L. 1237-11 du Code du travail au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé de maternité, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes".

On relèvera que, lors de la signature de la rupture conventionnelle, le contrat de travail n'était plus suspendu, la rupture intervenant dans la période de quatre semaines qui suit le congé de maternité et durant laquelle le licenciement reste interdit. La Chambre sociale saisit toutefois l'occasion de trancher simultanément les deux questions : la rupture conventionnelle est permise tout aussi bien pendant ces quatre semaines que durant la suspension du contrat de travail.

L'autonomie de la rupture conventionnelle : une jurisprudence cohérente. Il n'est pas nécessaire de s'attarder trop longtemps sur la justification de cette décision qui semble identique à celle relative aux accidents du travail ou aux maladies professionnelles. A la rigueur, on peut ajouter que cette solution est encore moins surprenante s'agissant des suspensions liées à la maternité, puisque deux arguments plaidaient plus clairement en faveur de la validité de la convention de rupture.

D'abord, parce que les dispositions du Code du travail, relative à la rupture en cas d'accident du travail ou en cas de maternité, si elles sont rédigées de manière similaire ("l'employeur" ne peut "rompre"), sont placées dans des parties du Code dont les intitulés diffèrent. En effet, l'article L. 1225-4 du Code du travail, applicable à la maternité, est placé dans une sous-section qui vise le seul cas du "licenciement". Au contraire, l'article L. 1226-9 du Code du travail prend place dans une sous-section plus largement consacrée à la "protection contre la rupture". S'il est possible de recourir à la rupture conventionnelle quand des restrictions sont imposées à la "rupture" d'une manière générale, il l'est encore davantage si les restrictions sont posées pour le seul "licenciement".

Ensuite, parce que la Chambre sociale a parfois adopté une position ferme à l'égard des dispositions protectrices de la maternité, en particulier s'agissant de la rupture de la période d'essai à l'initiative de l'employeur. A la condition que la décision de rompre ne repose pas sur un motif discriminatoire, la rupture d'essai intervenant pendant le congé maternité ou pendant les quatre semaines qui le suivent est permise (9). Une fois encore, seul le licenciement semble être concerné par les dispositions protectrices de l'article L. 1225-4 du Code du travail.

Il est peut-être plus intéressant de s'interroger sur les interactions qui peuvent demeurer entre protections de la santé au travail et rupture conventionnelle.

II - Bilan des interactions entre protections de la santé et rupture conventionnelle

Les garde-fous : fraude et vice du consentement. Dans cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation réserve, à nouveau, les hypothèses de fraude et de vice du consentement. Ces dernières ne sont pas théoriques, et il arrive, en effet, que la fraude ou l'altération du consentement soient en lien avec l'état de santé du salarié.

S'agissant, d'abord, de l'altération du consentement, on peut rappeler que la rupture conventionnelle conclue dans un contexte de harcèlement moral ou sexuel à toutes les chances d'être jugée comme reposant sur un consentement altéré (10). Le lien entre l'altération de l'état de santé et le harcèlement n'est plus à démontrer, quand bien même la Chambre sociale de la Cour de cassation tend à en délimiter plus strictement les effets (11). Certaines décisions des juridictions du fond vont plus loin, comme cela était le cas dans une affaire jugée en 2012 par la cour d'Aix-en-Provence s'agissant d'une salariée dont le contrat de travail était suspendu en raison de son hospitalisation pour dépression et qui avait néanmoins conclu une rupture conventionnelle pendant cette période. Refusant la qualification de harcèlement moral, les juges d'appel considéraient, toutefois, que le consentement de la salariée était altéré et que la rupture conventionnelle devait, par conséquent, être annulée (12).

S'agissant de la fraude, les cas sont plus rares et l'on ne pense pas spontanément à un lien entre la fraude et l'état de santé du salarié (13). La fraude de l'employeur a toutefois été retenue dans une affaire jugée par la cour d'appel de Poitiers dans laquelle il était démontré que l'employeur avait cherché à contourner les règles protectrices relatives à l'inaptitude médicalement constatée du salarié (14).

Une question en suspens : l'inaptitude médicalement constatée. Le cas le plus intéressant n'ayant pas encore été soumis à la Chambre sociale de la Cour de cassation, reste précisément celui du sort réservé à une rupture conventionnelle conclue avec un salarié médicalement inapte.

Il est probable que la solution ira, là encore, dans le sens de l'autonomie de la rupture conventionnelle : il importe, finalement, assez peu, de savoir pour quelle raison le salarié et l'employeur concluent un accord de rupture, à la condition que leur consentement soit intègre. La rupture d'un commun accord ne pouvait être conclue avec un salarié déclaré inapte par les services de santé au travail, que l'inaptitude soit d'origine professionnelle (15) ou non (16). Toutefois, l'autonomie de la rupture conventionnelle ne devrait pas permettre de se contenter d'un raisonnement par analogie, comme l'a d'ailleurs démontré la Chambre sociale à propos des ruptures conventionnelles des salariés dont le contrat de travail est suspendu (17).

Un premier indice a été donné par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a jugé qu'il était permis de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié déclaré apte avec réserve (18). L'aptitude ou l'inaptitude n'aurait donc pas d'influence sur la validité de la rupture conventionnelle. Un autre indice peut être trouvé dans la volonté des partenaires sociaux et du législateur, en 2008, d'exclure la rupture conventionnelle du champ du licenciement pour motif économique (19). Si une convention de rupture peut être conclue en situation de difficultés économiques, sans que l'obligation de reclassement qui caractérise le licenciement pour motif économique ait à être respectée, pourquoi en irait-il autrement de la rupture conventionnelle conclue avec un salarié médicalement inapte ?

A nouveau, la fraude pourrait servir de frêle garde-fou. Sous réserve des difficultés probatoires inhérentes à cette technique, une rupture conventionnelle pourrait, par exemple, être annulée si l'employeur cherchait à contourner l'obligation de reclassement que lui imposent les textes, en cas de licenciement pour inaptitude (20). On peut également penser que l'indemnité spécifique devrait être calculée en fonction de la situation et être doublée, comme cela est le cas de l'indemnité de licenciement versée au salarié inapte (21).

Enfin, tout du moins en théorie, les règles prohibant les discriminations en raison de l'état de santé devraient pouvoir être invoquées. En théorie, car on peine à voir comment la décision de rompre pourrait être appréciée comme étant partagée s'agissant des protections contre les suspensions du contrat de travail mais perçue comme étant unilatérale en matière de discrimination. La validité du consentement du salarié ne serait-elle pas de nature à "couvrir" le motif illicite de l'employeur ?


(1) C. trav., art. L. 1237-16 (N° Lexbase : L8479IAB).
(2) Circ. DGT, n° 2009-04, du 17 mars 2009, relative à la rupture conventionnelle d'un contrat à durée indéterminée (N° Lexbase : L0486IDD), point 1. 2, p. 3.
(3) Favorables à l'application des dispositions protectrices à la rupture conventionnelle, v. S. Chassagnard-Pinet et P.-Y. Verkindt, La rupture conventionnelle du contrat de travail, JCP éd. S, 2008, n° 1365, p. 25.
(4) Ch. Radé, Consécration de l'autonomie du régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 587 du 16 octobre 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N4104BUK). Egalement en faveur du refoulement des règles protectrices spéciales, v. M. Patin, La rupture conventionnelle du contrat suspendu, JCP éd. S, 2011, n° 1022, p. 17.
(5) Cass. soc., 30 septembre 2014, n° 13-16.297, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7882MX9) et les obs. de Ch. Radé, Consécration de l'autonomie du régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail, préc. ; JCP éd. S, 2014, 1436, note G. Loiseau ; RDT, 2014, p. 684, obs. B. Lardy-Pélissier.
(6) Les juridictions du fond semblaient partagées puisque d'autres cours avaient au contraire pris position en faveur de l'annulation de la rupture conventionnelle, v. par ex. CA Rennes, 8 février 2013, n° 11/05356 N° Lexbase : A6044I7Y).
(7) La cassation s'est en revanche prononcée sur le premier moyen, les juges du fond n'ayant pas convenablement comparé la situation de cette salariée avec celle d'un collègue masculin afin d'identifier s'il existait une discrimination salariale.
(8) Cass. soc., 30 septembre 2014, n° 13-16.297, FS-P+B+R, préc..
(9) Cass. soc., 15 janvier 1997, n° 94-43.755 (N° Lexbase : A1145AAN) ; Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-44.806, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3625DTG) et les obs. de Ch. Radé, Maternité et période d'essai, Lexbase Hebdo n° 244 du 18 janvier 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N7497A9K) ; JCP éd. E, 2007, 1424, note F. Duquesne.
(10) Cass. soc., 30 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase Hebdo n° 516 du 14 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5793BTQ).
(11) Cass. soc., 11 mars 2015, n° 13-18.603, FS-P+B (N° Lexbase : A3150NDZ) et nos obs., Le nouveau régime de la prise d'acte appliqué aux harcèlements, Lexbase Hebdo n° 606 du 26 mars 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N6589BUL).
(12) CA Aix-en-Provence, 13 septembre 2012, n° 10/23184 (N° Lexbase : A0684ITI).
(13) Ex. rupture conventionnelle antidatée, v. CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 27 juin 2013, n° 11/03173 (N° Lexbase : A9727KHQ).
(14) CA Poitiers, 28 mars 2012, n° 10/02441 (N° Lexbase : A6204IGU). La reconnaissance d'une fraude liée à l'état de santé est envisageable comme on peut le déduire d'une interprétation a contrario d'un arrêt rendu par la Chambre sociale le 28 mai 2014, v. Cass. soc., 28 mai 2014, n° 12-28.082, FS-P+B (N° Lexbase : A6192MPZ) et les obs. de Ch. Radé, Rupture conventionnelle du contrat de travail et report des congés payés, Lexbase Hebdo n° 574 du 12 juin 2014 - édition sociale (N° Lexbase : N2581BU7).
(15) Cass. soc., 4 décembre 2001, n° 99-44.160, FS-D (N° Lexbase : A5730AXI).
(16) Cass. soc., 12 février 2002, n° 99-41.698, FS-P (N° Lexbase : A9892AXN).
(17) Sur cette autonomie, G. Couturier, Il n'est de résiliation d'un commun accord que la rupture conventionnelle, Dr. soc., 2015, p. 32.
(18) Cass. soc., 28 mai 2014, n° 12-28.082, FS-P+B, préc..
(19) A. Fabre, Rupture conventionnelle et champ du licenciement pour motif économique : une exclusion troublante, RDT, 2008, p. 653.
(20) V. CA Poitiers, 28 mars 2012, n° 10/02441, préc..
(21) C. trav., art. L. 1226-14 (N° Lexbase : L1033H97).

Décision

Cass. soc., 25 mars 2015, n° 14-10.149, FS-P+B (N° Lexbase : A6728NEW).

Cassation partielle (CA Lyon, 6 novembre 2013).

Textes concernés : C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et L. 1225-4 (N° Lexbase : L0854H9I).

Mots-clés : rupture conventionnelle ; protection de la maternité.

Lien base : (N° Lexbase : E0218E79).

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