Réf. : Cass. civ. 2, 8 janvier 2015, n° 14-10.205, F-P+B (N° Lexbase : A0756M9U)
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N5730BUR
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par Guillaume Lécuyer, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, docteur en droit
le 17 Mars 2015
L'exercice des voies de recours contre le jugement d'orientation de la procédure de saisie immobilière a donné lieu récemment à plusieurs précisions de la part de la Cour de cassation.
On sait que cette question avait fait l'objet du décret n° 2009-160 du 12 février 2009 (N° Lexbase : L9187ICA), modifiant l'article 52 du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, relatif aux procédures de saisie immobilière et de distribution du prix de l'immeuble (N° Lexbase : L3872HKM), aujourd'hui codifié à l'article R. 322-19 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2438ITH).
Jusqu'alors, la voie de recours était l'appel, jugé dans les conditions de droit commun.
Ce dispositif avait soulevé des objections compte tenu de ce que les parties pouvaient se retrouver à l'audience d'adjudication sans que l'appel ait été tranché, le requérant ayant à choisir entre deux maux : solliciter la vente avec le risque que le jugement d'orientation soit infirmé ; attendre et être confronté à la caducité du commandement de payer (sur ce point, A. Leborgne in Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2012/2013, n° 1364, 114).
Désormais, cette voie de recours est formée, instruite et jugée selon la procédure à jour fixe (C. proc. civ. exécution, art. R. 322-19, al. 1er). Gare donc à bien suivre cette procédure !
Après avoir déclaré irrecevable l'appel formé selon la procédure ordinaire (Cass. civ. 2, 22 février 2012, n° 10-24.410, FS-P+B N° Lexbase : A3205ID3, Bull. civ. II, n° 37 ; Procédures 2012, Comm. 146, obs. Perrot ; RD banc. fin., 2012, Comm. 94, obs. Piedelièvre), la Cour de cassation vient de sanctionner une cour d'appel qui avait jugé l'appel selon la procédure à bref délai (Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-24.634, F-P+B N° Lexbase : A6634MYD), procédure applicable aux appels des jugements rendus sur saisie immobilière à l'exception des appels des jugements d'orientation (C. proc. civ. exécution, art. R. 311-7 [LXB= L2393ITS]).
Autre apport de la réforme de 2009, l'institution d'une procédure de renvoi ad hoc en cas d'appel du jugement d'orientation.
Afin de neutraliser le risque lié à l'appel du jugement d'orientation, ordonnant la vente par adjudication, il est désormais prévu un délai d'un mois pour statuer, délai qui n'est cependant qu'une invitation du juge à la célérité (Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, n° 09-15.051, F-P+B N° Lexbase : A6779E4T, Bull. civ. II, n° 139). L'article R. 322-19, alinéa 2, du Code des procédures civiles d'exécution ajoute que, dans l'hypothèse où il n'aurait pas été statué sur l'appel dans ce délai, le juge de l'exécution peut, à la demande du créancier poursuivant, reporter la date de l'audience de vente forcée. Mais cette fois-ci l'appel n'est pas ouvert (pour une application : Cass. civ., 2, 22 septembre 2011, n° 11-10.119, F-P+B N° Lexbase : A1214HYM, Bull. civ. II, n° 172, D., 2012, 1509, obs. Leborgne ; D., 2012, 644, obs. O.-L. Bouvier.)
Serait-ce alors le pourvoi en cassation ? Il faut distinguer.
Lorsque le jugement se borne à ordonner le report de l'audience d'adjudication, il apparaît que le pourvoi en cassation est recevable, faute d'appel (Cass. civ. 2, 22 septembre 2011, précité).
Mais lorsque le juge de l'exécution, après avoir reporté l'audience d'adjudication, fixe, une fois intervenue en appel la confirmation de son jugement d'orientation, la date de l'audience d'adjudication, le pourvoi n'est pas recevable.
Deux raisons pouvaient faire douter de l'ouverture du recours en cassation.
Nul n'ignore que la circonstance que les textes ne prévoient pas expressément de recours en cassation n'est pas un obstacle à sa reconnaissance, bien au contraire. Mais encore faut-il que le jugement considéré relève de la classe des décisions juridictionnelles susceptibles d'un pourvoi. Si la fermeture de l'appel confère au jugement de report d'audience d'adjudication la qualité de décision en dernier ressort, celui-ci doit revêtir d'autres qualités.
Parmi celles-ci, le jugement doit avoir un caractère juridictionnel et être susceptible d'un pourvoi immédiat.
En premier lieu, le jugement fixant l'audience d'adjudication a-t-il un caractère juridictionnel ?
On peut s'interroger légitimement sur ce point. En effet, une telle décision s'apparente à une mesure d'administration judiciaire, insusceptible de tout recours (C. pr. civ., art. 537 N° Lexbase : L6687H7S), puisqu'elle relève de la bonne administration de la justice.
De ce point de vue, elle n'apparaît pas distincte d'une mesure de réouverture des débats ou d'une décision de fixation d'audience pour lesquelles la Cour de cassation estime qu'il n'y a pas de recours ouvert (par ex. : respectivement Cass. civ. 2, 5 janvier 1972, n° 70-11471 N° Lexbase : A1196CGE, Bull. civ. II, n° 2 ; Cass. civ. 2, 22 juin 1988, N° Lexbase : A6590CYQ, Bull. civ. II, n° 150). Or, la décision commentée évoque très fortement cette analyse du jugement de fixation d'audience de l'adjudication dont il est dit qu'il est pris dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. D'autant que, il faut insister, la question de l'adjudication n'a pas été tranchée par elle, seule l'ayant été la date à laquelle elle interviendra.
En second lieu, le jugement de report d'audience d'adjudication met-il fin à l'instance ou tranche-t-il une partie du principal ?
Le pourvoi, comme l'appel, n'est pas ouvert contre les jugements qui, statuant sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir, ne mettent pas fin à l'instance ou qui ne tranchent pas une partie du principal, ainsi que le prévoient les articles 606 (N° Lexbase : L6763H7M) et 607 (N° Lexbase : L6764H7N) du Code de procédure civile. Dans ce cas, le pourvoi est ouvert mais il est différé : la déclaration de pourvoi doit intervenir avec celle dirigée contre la décision sur le fond ou en tout cas dans le délai du dépôt du mémoire ampliatif (C. pr. civ., art. 608 N° Lexbase : L7850I4I).
Même s'il ne vise pas ces dispositions du Code de procédure civile, l'arrêt commenté indique toutefois clairement que "le jugement par lequel le juge de l'exécution, après avoir reporté, en vue d'une bonne administration de la justice, la date de l'audience d'adjudication dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel, se borne à fixer la date de l'audience à laquelle il sera procédé à la vente forcée du bien confirmée en appel, [...] ne met pas fin à l'instance et ne tranche aucune partie du principal".
Cette solution doit être rapprochée de deux décisions d'irrecevabilité de pourvois, dirigés contre des jugements du juge de l'exécution qui, ayant refusé de constater la vente amiable, avaient décidé la poursuite de la procédure d'exécution (Cass. civ. 2, 6 décembre 2012, n° 11-26.683, FS-P+B N° Lexbase : A5575IY7, Bull. civ. II, n° 199 ; Procédures 2013, comm. 42, obs. Perrot, D., 2013, 1574, obs. Leborgne ; Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-19.703, F-D N° Lexbase : A8851KIN). La Cour de cassation a estimé au visa des articles 606, 607 et 608 du Code de procédure civile que "le jugement, qui a ordonné la poursuite de la procédure d'exécution, n'a pas tranché une partie du principal ni mis fin à l'instance". Ainsi motivée, la position de la Cour de cassation apparaît, comme le relevait le regretté Perrot, parfaitement orthodoxe. Et elle revient à admettre, en creux, le caractère juridictionnel du jugement.
L'arrêt commenté suscite dès lors deux interrogations.
D'une part, l'ambivalence sur la cause d'irrecevabilité du pourvoi est loin d'être neutre. Si le jugement est analysé comme une simple mesure d'administration judiciaire, aucun pourvoi n'est recevable à quel que stade que ce soit de la procédure. Dans l'hypothèse où son caractère juridictionnel est reconnu, le pourvoi est simplement différé et devra être formé avec le jugement sur le fond. Reste que, dans les hypothèses entrevues, ce pourvoi différé risque de rester un voeux pieu s'il doit être formé avec le pourvoi dirigé contre le jugement d'adjudication qui, ont le sait, n'est, en principe, pas recevable dès lors qu'il n'a pas de caractère juridictionnel (Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-70.024, P+B N° Lexbase : A7596ENN, Bull. civ. II, n° 266).
D'autre part, la motivation de l'arrêt commenté, bien que rendue dans un cas de figure où le jugement d'adjudication avait été confirmé, ne conduit-elle pas, mutatis mutandis à faire douter de la recevabilité du pourvoi contre le jugement de report de l'audience d'adjudication ?
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