La lettre juridique n°599 du 29 janvier 2015 : Transport

[Chronique] Chronique de droit des transports - Janvier 2015

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des transports de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en la matière. L'auteur revient, tout d'abord, sur un arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 novembre 2014, qui est la première décision de la Haute juridiction en matière faute inexcusable, à la suite de la loi du 8 décembre 2009 (Cass. com., 18 novembre 2014, n° 13-23.194, F-P+B). Il aborde ensuite la question récurrente de la charge des opérations accessoires en matière de transports à travers deux arrêts de la Chambre commerciale du 16 décembre 2014 (Cass. com., 16 décembre 2014, deux arrêts n° 13-23.342, F-D et n° 13-25.929, F-D). Est ensuite mentionné un nouvel arrêt de la Cour de la cassation du 13 janvier 2015 mettant aux prises les sociétés Gefco et Frigo 7 et qui apporte une précisions sur les personnes pouvant se porter parties civiles dans le cadre de l'action fondée sur l'article L. 3241-5, alinéa 2, du Code des transports (Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-21.886, F-D. Enfin, est commenté dans cette chronique un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 15 janvier 2015 qui, en matière de transports aériens de voyageurs, fait application de la jurisprudence communautaire (Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-25.351, F-P+B)
  • Faute inexcusable : première décision (Cass. com., 18 novembre 2014, n° 13-23.194, F-P+B [LXB=A9318M3] ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E0490EXG)

La responsabilité du transporteur de marchandise obéit à un régime spécifique, puisqu'il bénéficie d'une limitation légale de réparation, qui peut être écartée par la commission d'une faute spécifique. Il s'agit de la faute intentionnelle et, généralement, de la faute inexcusable. Jusqu'à la loi du 8 décembre 2009 (loi n° 2009-1503, relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports N° Lexbase : L0264IGU), la faute lourde du transporteur le privait, pour les transports terrestres nationaux, de la limitation d'indemnisation. L'article L. 133-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L0524IGI) dispose, désormais, que "seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport". La faute inexcusable succède donc à la faute lourde, ce qui devrait atténuer le contentieux en la matière. En effet, autant les arrêts portant sur la faute lourde sont nombreux, autant son rares ceux concernant la faute inexcusable, qui constitue pourtant une cause générale de déchéance du transporteur.

Aussi doit on souligner la première application faite par l'arrêt rapporté, publié au Bulletin, rendu par la Chambre commerciale le 18 novembre 2014, qui, si elle n'apporte pas de précision déterminante sur cette notion, en rappelle néanmoins l'appréciation rigoureuse. En l'espèce, la réponse à un appel d'offres, confié à un expressiste, est arrivée en retard. La faute inexcusable du transporteur était invoquée pour échapper à la limitation d'indemnisation établie par le contrat type général. Les juges d'appel retenaient, pour caractériser la faute lourde, le manquement du prestataire à une obligation essentielle, d'autant plus avéré qu'il n'avait rien fait pour procéder à la livraison dans les temps (CA Poitiers, 14 mai 2013, n° 12/03567 N° Lexbase : A2372KD9).

L'arrêt est cassé, au visa des articles 1150 du Code civil (N° Lexbase : L1251ABX sur le principe de prévisibilité du dommage) et L. 133-8 du Code de commerce, de tels motifs ne suffisant pas à caractériser une faute inexcusable. La Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle ainsi que, exigeant un comportement délibéré impliquant la conscience du dommage et son acceptation téméraire, la faute inexcusable doit être précisément caractérisée par les juges du fond.

C'est une question récurrente dans le contrat de transport que de déterminer qui a la charge d'une opération accessoire au déplacement de la marchandise. Deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 décembre 2014 démontrent la permanence de ce type de litige.

Dans la première affaire (n° 13-23.342), un moteur d'avion est confié à un transporteur. Le destinataire refuse de le réceptionner, au motif que le défaut d'arrimage de l'appareil a provoqué des lésions. D'où la question de savoir si l'arrimage incombait à l'expéditeur ou au transporteur.

Dans la seconde affaire (n° 13-25.929), une marchandise est endommagée par un préposé du transporteur alors qu'il l'a remet au destinataire venu en prendre livraison. La responsabilité du transporteur est-elle soumise au contrat type régissant l'opération de transport ?

Dans les deux cas, il s'agit de définir le périmètre du contrat de transport, au regard des obligations qui y sont rattachées. On rappellera, d'abord, que les contrats types contiennent des dispositions qui permettent souvent de régler cette difficulté. Par exemple, le contrat type général attribue les opérations accessoires de chargement, déchargement, calage, arrimage à l'expéditeur ou au transporteur en fonction du poids de l'envoi. Pour diverses raisons, cependant, le contrat type peut n'être d'aucun secours. Par exemple, alors qu'il règle les relations entre le donneur d'ordre et le transporteur, le litige peut concerner, comme dans la première espèce (n° 13-23.342), l'expéditeur et le client de celui-ci, qui lui avait confié la préparation et le conditionnement de la marchandise. Il revient alors aux juges de trancher, comme le font ici les juges du fond (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 7 juin 2013, n° 11/21591 N° Lexbase : A2748KGU) avec l'approbation de la Cour de cassation : "ayant retenu que la société [T.] était chargée du conditionnement du moteur pour son transport, sa manutention et son chargement, l'arrêt en déduit exactement que la société [T.] était chargée de l'arrimage des marchandises". Naturellement, lorsqu'il est applicable, le contrat type ne donne qu'une solution abstraite qu'il faudra concrétiser en se référant à l'accord des parties. Ainsi, comme l'énonce la Cour dans le second arrêt rapporté (n° 13-25.929), lorsqu'elles ont prévu que la livraison se ferait dans les locaux du transporteur, la remise de la marchandise au destinataire par un préposé de celui-ci entre bien dans l'exécution du contrat de transport, de sorte que le contrat type régit tant le principe de responsabilité du transporteur que la limitation de celle-ci.

Dans les bonnes séries, une nouvelle année commence avec une nouvelle saison. La saga "Gefco c/ Frigo 7 Locatex" a débuté en 2009, alors que le tribunal de commerce de Nanterre condamnait le commissionnaire Gefco à payer 1, 5 million d'euros au transporteur Frigo 7 au titre de l'indexation du prix du transport sur le coût du carburant. L'intrigue est nouée, les personnages sont posés. Les rebondissements s'enchaînent au fil des épisodes : appel, condamnation supplémentaire de 9 millions d'euros au titre de la rupture brutale (CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 6 mai 2010, n° 09/05024 N° Lexbase : A5929E84), cassation, deus ex machina (le contrat type sous traitance). Haletants, nous avions laissés nos héros en septembre 2014, face à l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui rejetait l'ultime tentative de Frigo 7 d'obtenir satisfaction (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 12-27.387, FS-P+B N° Lexbase : A3394MXY ; cf. nos obs. in Chronique de droit des transports - Octobre 2014, Lexbase Hebdo n° 396 du 2 octobre 2014 N° Lexbase : N3910BUD). Comme dans toute bonne intrigue, tous les personnages étaient attachants et l'on regrettait que la dernière saison soit sans doute l'ultime, Frigo 7 ayant manifestement épuisé toutes les solutions et finissant, comme il se doit dans les grandes sagas, liquidé par un funeste destin...

Quelle heureuse surprise alors pour l'afficionado de voir 2015 débuter par un nouvel épisode, certes bref mais intense, de son feuilleton judiciaire préféré, à travers l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 janvier 2015. Frigo 7 résiste et attaque encore. Tel est le thème. Son arme ? La prohibition du prix abusivement bas en matière de transport. Il est vrai que la réglementation du transport lui offre tout un arsenal, un peu comme dans Matrix. Un mouvement de cape et il s'empare de l'article 23-I de la loi du 1er février 1995 (loi n° 95-96, concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d'ordre économique et commercial N° Lexbase : L2605DY7), qui interdit tant au transporteur qu'au donneur d'ordre de rémunérer la prestation de transport par un prix qui ne correspond pas au coût de l'opération (devenu C. transports, art. L. 3241-5, al. 2 N° Lexbase : L7621INL). Texte d'application délicate, eu égard à sa médiocre rédaction, mais, on le voit bien dans les jeux vidéo, les armes d'expert infligent les plus graves dégâts. Ici, c'est 90 000 points de vie en moins, d'aucun dirons 90 000 euros d'amende.

Bien menée, l'attaque a pourtant échouée, principalement sur des questions de preuve. Le scénariste ajoute, cependant, une explication peu convaincante, estimant que, si les transporteurs évincés en raison du prix sont habilités à user de l'arme en question, il n'en va pas de même du transporteur retenu. La Cour confirmant l'arrêt d'appel (CA Versailles, 11 juin 2013, n° 12/05017 N° Lexbase : A4365KGR), énonce, en effet, que l'action pénale fondée sur l'article 23-I de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, devenu L. 3241-5, alinéa 2, du Code des transports, étant engagée par le ministère public, le ministre chargé de l'Economie ou son représentant, le transporteur public routier de marchandises évincé en raison d'un prix trop bas peut se porter partie civile, ce texte de nature pénale n'autorise pas le transporteur retenu à se porter partie civile. Admettons, mais le spectateur n'est guère convaincu par cette affirmation qui revient à ce que la victime d'une pratique ne peut la dénoncer. Ne boudons pas notre plaisir de voir ce nouvel épisode et bonne année à tous ses héros !

  • Transport aérien de voyageurs : application par la France de la jurisprudence communautaire (Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-25.351, F-P+B N° Lexbase : A4661M9I ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E0498EXQ)

Les droits des voyageurs aériens ont été considérablement renforcés par le Règlement européen n° 261/2004 du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol (N° Lexbase : L0330DYU). Le texte est inspiré par une philosophie nettement consumériste. Il confère aux passagers des vols au départ ou à destination d'un Etat membre divers droits à assistance et indemnisation, en cas d'annulation d'un vol, de retard ou de "surbooking".

La jurisprudence communautaire et nationale a largement contribué à préciser et enrichir le texte, qu'il s'agisse de son domaine ou des conditions d'existence et d'exercice des droits des passagers. Parmi ces nombreuses décisions, deux arrêts de la CJUE sont particulièrement notables, par l'application extensive qu'ils adoptent du texte : les arrêts "Sturgeon" (CJCE, 19 novembre 2009, aff. C-402/07 N° Lexbase : A6589END) et "Nelson" (CJUE, 23 octobre 2012, aff. C-581/10 N° Lexbase : A7627IUZ), dont la première chambre civile de la Cour de cassation fait application dans son arrêt rendu le 15 janvier 2015.

En l'espèce, un couple effectue un trajet Paris-Miami, réalisé par la société Corsair. Le vol accusant un retard de 6 heures à l'arrivée, les passagers assignent le transporteur en réparation, sur le fondement de l'article 7 § 1 du Règlement du 11 février 2004. L'article en question précise le montant des différents droits à indemnisation et se lit donc par référence aux textes établissant le principe même d'une indemnité. Faisant alors une application littérale du texte, la juridiction de proximité se référait à l'article 6 du Règlement, visant le retard. Cet article ne prévoyant pas de droit à indemnisation, le juge déboutait les époux de leur demande.

La référence à l'article 6 du Règlement était cependant inexacte : il ne concerne, en effet, que le retard du vol au départ et non le retard à l'arrivée, qui n'est pas traité par le règlement. En tout état de cause, il ne pouvait établir ni l'existence, ni l'absence d'un droit à indemnisation des passagers.

C'était en effet sur l'audacieuse jurisprudence de la Cour de justice qu'il fallait se fonder. Le 19 novembre 2009, la CJUE rend l'arrêt "Sturgeon", précité, concernant l'interprétation de la notion d'annulation d'un vol au sens du Règlement. En effet, outre le retard au départ, le texte communautaire traite, dans l'article 5, de l'annulation d'un vol et établit en cette hypothèse un droit du passager à indemnisation, en renvoyant à l'article 7. La Cour dit alors pour droit que "Les articles 5, 6 et 7 du Règlement n° 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés aux fins de l'application du droit à indemnisation et qu'ils peuvent ainsi invoquer le droit à indemnisation prévu à l'article 7 de ce Règlement lorsqu'ils subissent, en raison d'un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heure".

Cette position est ultérieurement confirmée par l'arrêt "Nelson" du 23 octobre 2012.

Pour la Cour de cassation, il aurait donc fallu que le juge de proximité fasse application de cette jurisprudence et non de l'article du Règlement visant le retard. En l'espèce, toutefois, les faits ne permettent pas de déterminer si l'application de la jurisprudence communautaire était pertinente. En effet, aux termes de celle-ci, l'assimilation d'un retard à l'arrivée à une annulation de vol suppose que la personne subisse à l'origine un vol retardé au sens du Règlement, c'est-à-dire que le retard à l'arrivé soit consécutif à un retard au départ, visé par le Règlement. Telle était la situation des arrêts "Sturgeon" et "Nelson". A défaut d'un retard au départ, l'indemnisation n'avait pas lieu d'être fondée sur le Règlement européen, par assimilation à une annulation de vol, mais uniquement sur les dispositions de la Convention internationale régissant la responsabilité du transporteur aérien, en l'occurrence la Convention de Montréal du 28 mai 1999 (N° Lexbase : L1209IUC).

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