La lettre juridique n°589 du 6 novembre 2014 : Impôts locaux

[Questions à...] Plafonnement de la contribution économique territoriale - Questions à Maître Eric Meier, Associé, et Maître Edouard de Rancher, Avocat, Cabinet Baker & McKenzie SCP

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-413 QPC, du 19 septembre 2014 (N° Lexbase : A6204MWP)

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N4391BU8

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[Questions à...] Plafonnement de la contribution économique territoriale - Questions à Maître Eric Meier, Associé, et Maître Edouard de Rancher, Avocat, Cabinet Baker & McKenzie SCP. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/21478379-questions-a-plafonnement-de-la-contribution-economique-territoriale-questions-a-b-maitre-eric-meier-
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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 06 Novembre 2014

La différence de traitement entre les entreprises redevables de la cotisation foncière des entreprises ne peut être justifiée par une différence de situation entre elles en rapport avec l'objectif poursuivi. Telle est le décision rendue par le Conseil constitutionnel le 19 septembre 2014, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit au titre du dernier alinéa du paragraphe II de l'article 1647 B sexies du CGI (N° Lexbase : L9358IZM), qui évoque le plafonnement de la contribution économique territoriale en fonction de la valeur ajoutée (Cons. const., décision n° 2014-413 QPC, du 19 septembre 2014). Pour les Sages de la rue Montpensier, en adoptant les dispositions litigieuses, le législateur a entendu éviter l'optimisation fiscale du mécanisme du plafonnement afin que le montant du dégrèvement en résultant ne dépende plus de la date de l'opération de restructuration. Néanmoins, plus l'opération de restructuration intervenait à une date proche du début de l'exercice fiscal, plus le montant de la contribution économique territoriale dû était important par rapport à celui qui aurait été versé en l'absence de restructuration. De ce fait, le dernier alinéa du paragraphe II de l'article 1647 B sexies du CGI a été déclaré contraire à la Constitution. Pour en savoir plus sur cet arrêt rendu par le Conseil constitutionnel, Lexbase Hebdo-édition fiscale a interrogé Maître Eric Meier, Associé, et Maître Edouard de Rancher, Avocat, Cabinet Baker & McKenzie SCP, qui ont été, en l'occurrence, conseillers de la société requérante.

Lexbase : Pouvez-vous nous développer vos arguments qui ont permis au Conseil constitutionnel de statuer en votre faveur ?

Eric Meier et Edouard de Rancher : La question que nous avons posée au Conseil constitutionnel portait sur la conformité à la Constitution d'une disposition légale, l'article 1647 B sexies II dernier alinéa du CGI. Celui-ci avait pour effet de pénaliser les contribuables éligibles au système de plafonnement de la contribution économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée qui réalisaient une opération de réorganisation en cours d'année.

Nous considérions en effet que cette disposition contrevenait aux principes constitutionnels d'égalité devant la loi (DDHC, art. 6 N° Lexbase : L1370A9M) et d'égalité devant les charges publiques (DDHC, art. 13 N° Lexbase : L1360A9A).

Afin de prouver la non-conformité à la Constitution de cet article, il était tout d'abord primordial de déterminer quels étaient les buts que s'était fixé le législateur en adoptant cette disposition. La conformité d'une disposition étant notamment appréciée, en ce qui concerne ces deux principes, au regard de son objet d'après la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

A cet égard, le législateur entendait lutter contre les opérations d'optimisation qui permettaient de réduire artificiellement la charge annuelle de CET d'un contribuable. En effet, en application des règles de droit commun de plafonnement de la CET applicables avant l'intervention de la disposition incriminée, plus l'opération intervenait tôt dans l'année, plus la valeur ajoutée produite était faible et donc plus le montant maximal de CET supportée par le contribuable (égal à 3 % de la valeur ajoutée) était faible.

Il ressortait très clairement des travaux parlementaires que la loi avait pour objectif de "neutraliser" un tel avantage tiré de restructurations. Le législateur n'avait, en revanche, pas entendu pénaliser les contribuables qui réalisaient de telles opérations.

Sur la base de ce constat, notre argumentation visant à démontrer la non-conformité de cette disposition au regard de la Constitution était construite en trois points.

Il s'agissait tout d'abord de démontrer que le mécanisme prévu par la loi n'était pas fondé sur un critère objectif et rationnel au regard du but recherché par le législateur (1), puis, que la disposition en cause ne tenait pas compte des capacités contributives du contribuable (2). La non-conformité à l'article 13 de la DDHC était donc caractérisée. Il s'agissait enfin de démontrer l'existence d'une différence de traitement entre contribuables placés dans une situation identique et que cette différence n'était pas justifiée par l'objet de la loi (3). La non-conformité de la disposition au regard de l'article 6 de la DDHC était ainsi également caractérisée.

1/ L'absence de critère objectif et rationnel au regard du but recherché par le législateur

L'article 1647 B sexies II dernier alinéa du CGI disposait qu'en cas de réalisation d'une opération de réorganisation au cours d'un exercice (cession, cessation d'entreprise, transmission universelle de patrimoine) l'assiette du plafonnement de la CET en fonction de la valeur ajoutée ne devait inclure qu'une fraction de la CFE de l'année supportée par le cédant : il s'agissait de la CFE correspondant à la période écoulée entre le premier jour de l'exercice et la date de l'opération ; la fraction restante de la CFE acquittée au titre de l'année en cause n'était pas comprise dans le calcul du plafonnement et devenait une charge définitive pour le contribuable qui avait transféré l'activité concernée.

Plus l'opération était réalisée tôt au cours de l'exercice par le redevable, plus la CFE restant à sa charge, après application du dispositif de plafonnement, était importante. Tandis que si l'opération était réalisée le dernier jour de l'exercice du cédant, l'intégralité de sa CFE pouvait entrer dans le calcul du plafonnement de la CET.

Selon nous, il y avait donc une présomption irréfragable de volonté d'optimisation du mécanisme de plafonnement lorsque l'opération n'était pas réalisée le dernier jour de l'exercice. Le contribuable réalisant une opération plus tôt dans l'année étant dans ce cas sanctionné puisqu'il conservait à sa charge une fraction de CFE non plafonnée et définitive, correspondant à la période postérieure à la date de l'opération.

Or, il est irrationnel de considérer que toutes les opérations de restructurations réalisées au cours d'un exercice sont destinées à optimiser fiscalement le plafonnement de la CET en fonction de la valeur ajoutée. Il est d'autant plus irrationnel que la charge définitive de l'impôt s'alourdisse à mesure que l'opération est réalisée plus tôt durant l'année.

Rappelons que l'objectif du législateur était de "neutraliser" les effets des opérations de réorganisation et non d'alourdir l'imposition des contribuables qui les réalisaient. Le critère choisi ne permettait donc pas d'atteindre l'objectif fixé par le législateur

2/ La non prise en compte des capacités contributives du contribuable

Les dispositions en cause ont eu pour effet d'annihiler la progressivité de la CET à hauteur de la CFE correspondant à la période restant à courir après la date de réalisation des opérations qu'elles visent.

L'article 1647 B sexies, paragraphe II dernier alinéa, avait donc pour effet, dans certains cas, d'entraîner une imposition sans commune mesure avec les facultés contributives de la société concernée ; le contribuable avait au cas d'espèce calculé que sa CET était égale à 161 % de la valeur ajoutée produite entre la date d'ouverture de l'exercice et la date de réalisation de l'opération en cause, tandis que le plafond résultant des règles de droit commun est de 3 %.

Les sociétés ayant la disposition d'un patrimoine immobilier important (secteur du tourisme, de l'hôtellerie ou de l'industrie automobile par exemple) et faisant l'objet d'opérations de réorganisation ou de cessions d'actifs étaient particulièrement concernées. Ces sociétés sont en effet redevables de CFE substantielles du fait de la nature des actifs dont elles ont la disposition et la valeur ajoutée qu'elles produisent peut être conjoncturellement ou structurellement faible.

L'article 1647 sexies B, paragraphe II dernier alinéa, du CGI était donc non conforme au principe d'égalité devant les charges publiques.

3/ Une différence de traitement sans rapport direct avec l'objet de la loi l'ayant instaurée

Nous avons enfin argué du fait que ce dispositif créait une différence de traitement entre contribuables placés dans une situation identique : ainsi, deux contribuables qui auraient réalisé la même opération mais à deux dates différentes au cours d'un même exercice auraient été traités différemment, et de manière potentiellement très significative alors qu'ils auraient été dans une situation identique (le contribuable réalisant son opération à la date la plus proche de la fin de l'exercice étant avantagé car minimisant la fraction de CFE exclue du plafonnement de la CET).

Deux contribuables placés dans des situations différentes (l'un réalisant une opération de réorganisation au cours de l'année, l'autre pas) étaient également traités différemment.

Ceci était dans tous les cas sans rapport direct avec l'objectif de la loi qui consistait uniquement à neutraliser les effets des opérations de réorganisation au regard de la CET et non à alourdir l'imposition en fonction de la date de l'opération de réorganisation, ou même du simple fait de sa réalisation (par rapport aux situations de droit commun).

L'article 1647 sexies B paragraphe II dernier alinéa du CGI aboutissait par conséquent à créer une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur, de sorte que ses dispositions devaient être regardées comme contraires au principe d'égalité devant la loi garanti par la Constitution (DDHC, art. 6).

Lexbase : Cette décision crée une opportunité de remboursement de CET trop versée. La partie que vous avez défendue pourra-t-elle en bénéficier et qu'en est-il des sociétés qui ont déjà versées la CET dans le cadre défini à l'article 1647 B sexies, II, dernier alinéa, du CGI ?

Eric Meier et Edouard de Rancher : En vertu de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), le Conseil constitutionnel détient un pouvoir de modulation des effets de ses décisions, pouvoir qu'il a utilisé de manière très intéressante au cas présent puisque sa décision est susceptible de bénéficier aux procédures en cours (position traditionnelle), mais également aux procédures à venir, dont l'issue dépend des dispositions annulées.

La société que nous représentions pourra naturellement bénéficier de la décision du Conseil constitutionnel, comme tous les autres contribuables ayant des instances en cours au 19 septembre 2014 dont l'issue dépendait de l'application des dispositions en cause.

Les contribuables qui n'auraient pas encore engagés d'instance au 19 septembre 2014 (date de la décision du Conseil) pourraient le faire à l'avenir et bénéficier des effets de l'abrogation du texte. Il conviendra pour ceux-ci de vérifier que leur délai de réclamation est encore ouvert, en application notamment des dispositions de l'article R. 196-2 du LPF (N° Lexbase : L4379IXH).

En ce qui concerne le montant du dégrèvement que pourront obtenir les contribuables, cela dépendra largement des dispositions du nouveau texte qui entrerait en vigueur le 1er janvier 2015, ou, de l'absence d'entrée en vigueur d'un nouveau texte à cette date (les dispositions de droit commun pouvant alors trouver à s'appliquer à nouveau).

Il est donc sans doute encore un peu tôt pour que nous puissions tirer toutes les conclusions des effets de la décision du Conseil constitutionnel pour l'ensemble des situations dans lesquelles se trouvent contribuables, mais il est, en tout état de cause, intéressant de souligner le rôle croissant joué par le Conseil constitutionnel en faveur de la protection des contribuables.

Lexbase : En adoptant les dispositions contestées, le législateur avait pour objectif d'éviter l'optimisation fiscale du mécanisme du plafonnement afin que le montant du dégrèvement en résultant ne dépende plus de la date de l'opération de restructuration. Après cette décision, pensez-vous que le législateur va devoir revenir sur son objectif principal ou existe-t-il d'autres solutions selon vous ?

Eric Meier et Edouard de Rancher : Il nous semble que le législateur souhaitera conserver son objectif consistant à neutraliser les effets des opérations de réorganisation au regard de la CET (comme il l'a fait avec succès en matière d'impôt sur les sociétés par exemple avec le régime de faveur des fusions).

Les moyens pour y parvenir ou s'en approcher au maximum ne seront pas nécessairement aisés à trouver dans le laps de temps imparti par le Conseil constitutionnel (1er janvier 2015).

Plusieurs hypothèses sont envisageables telle que la répartition prorata temporis de la charge annuelle de CFE sur chacune des parties à l'opération de réorganisation (en fonction de la durée pendant laquelle chacune à la disposition des actifs immobiliers concernés au cours de l'exercice).

L'annualisation de la valeur ajoutée de la société cédante (absorbée/apporteuse) est également potentiellement une piste à creuser mais qui n'est pas sans poser de difficultés compte tenu de la saisonnalité de certaines activités.

Mais la piste la plus rationnelle serait d'en revenir purement et simplement au régime antérieur. En effet, l'administration n'est pas dépourvue de moyens lui permettant de rectifier les conséquences fiscales d'une opération qui lui paraîtrait abusive. Il ne nous semble dès lors pas nécessaire d'instituer un dispositif complémentaire spécifique pour les opérations visées par la disposition déclarée inconstitutionnelle.

Lexbase : Pourrait-on voir cette décision s'étendre sur d'autres mesures de ce type ou est-ce un cas particulier qu'il fallait résoudre en raison des enjeux financiers ?

Eric Meier et Edouard de Rancher : Le caractère totalement disproportionné des impositions qu'étaient susceptibles de subir les contribuables en l'espèce a pu conforter la décision de non conformité ainsi que l'extension de ses effets aux procédures à venir (et non seulement aux instances en cours).

Il n'est toutefois pas toujours aisé en pratique de pouvoir caractériser l'inégalité de traitement subie par un contribuable ou d'apprécier le poids d'un prélèvement au regard des facultés contributives du contribuable. Or, ce sont ces démonstrations qui seules peuvent convaincre le Conseil constitutionnel.

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