La lettre juridique n°589 du 6 novembre 2014 : Éditorial

Contrat de travail unique : entre certitude et doute, navigation en eaux troubles

Lecture: 4 min

N4408BUS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Contrat de travail unique : entre certitude et doute, navigation en eaux troubles. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/21440008-contrat-de-travail-unique-entre-certitude-et-doute-navigation-en-eaux-troubles
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 06 Novembre 2014


"Si on commence avec des certitudes, on finit avec des doutes. Si on commence avec des doutes, on finit avec des certitudes" (Francis Bacon). Tel est le paradigme du contrat de travail, aujourd'hui, en France.

Il est certain que, si le contrat à durée indéterminée (CDI) semble offrir une certaine sécurité à travers l'incertitude de sa fin, le contrat à durée déterminée (CDD) pêche, lui, auprès des salariés, par sa caractéristique première : la certitude de son terme (ou presque). Finalement, savoir, dès le début de l'exécution du contrat, quand il finira, emporte paradoxalement plus de doutes pour le salarié, quant à son avenir professionnel, que s'il avait l'opportunité -le privilège, croirait-on désormais- de signer une CDI au terme incertain. "Non moins que savoir, douter m'est agréable", confiait encore Montaigne dans ses Essais.

On pensait naïvement, à la suite de Zola, qu'"aucun bonheur n'est possible dans l'ignorance, la certitude seule fait la vie calme" ; ce qui s'explique, aussi, dans sa vision du droit du travail à travers Germinal, par le fait que le salariat soit une "nouvelle forme d'esclavage". Aussi, si le terme du contrat de travail dans la mine n'est pas la mort, c'est que la mine est revenue au mineur, comme la mer au pêcheur et la terre au paysan ! En clair, l'incertitude du terme du contrat de travail conduirait Etienne à l'esclavage de l'ère industrielle ; un état honni, mais indispensable au bonheur, puisque pour être heureux, encore faut-il être vivant.

Alors, bien évidemment, à la suite des garanties offertes par le droit social, sous le soleil du XXème siècle, nombreux sont ceux qui se satisferaient grandement d'un lien perpétuel avec leur employeur : l'incertitude du terme entraînant l'absence de doute quant à l'organisation de leur vie professionnelle et, par voie de conséquence, de leur vie familiale.

"Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule" écrivait Voltaire : on voit bien là le goût pour la provocation du jeune Arouet qui aura préféré la carrière incertaine d'homme de lettres à celle d'avocat ou de conseiller au Parlement qui lui était promise.

Et, voilà que ressurgit des fonds baptismaux libéraux l'idée d'un contrat unique. Le CDI serait un carcan trop rigide pour les employeurs, une armure trop imperméable pour le salarié, pour qu'il puisse faire des émules en ces temps de crise. Le CDD, lui, par sa précarité inhérente, de même que l'intérim, répondent mieux à la crise de confiance que traverse l'économie française actuelle. Cela s'explique prosaïquement : l'employeur, en pleine méfiance, doute ; et, pour conjurer ce doute, cherche des certitudes que lui offre le CDD et autres contrats précaires.

Sur 17,8 millions de salariés, 15,4 millions sont en CDI, et 1,8 million en CDD. Le fait majoritaire devrait l'emporter. Mais, bien entendu, si harmonisation il doit y avoir, cela se fera sur le plus petit dénominateur commun. Pour 2012, 49 % des intentions d'embauche concernaient des CDD ; l'intérim représentait 43 % et les CDI, 9 %. Alors, hors de question de hisser les droits des contrats précaires vers ceux du CDI ; cela n'aurait aucun sens économique... du moins à court terme.

On pourrait alors penser à caler au moins les "accessoires" du CDD sur ceux du CDI... Mais c'est déjà fait : mutuelle, intéressement, etc., profitent déjà aux travailleurs à durée déterminée. Non, on sait que la seule vraie différence demeure dans les conditions de rupture : un terme certain et une prime de précarité de 10 % pour l'un ; une procédure tortueuse et formaliste au coût parfois prohibitif pour l'autre. Du moins le pense-t-on ! Parce que, étonnamment, l'indice de protection de l'emploi calculé par l'OCDE, basé sur le coût et les procédures qu'impliquent un licenciement collectif ou individuel, classe la France au 7ème rang de l'Organisation, avec une note de 2,82 sur 6, bien loin derrière l'Allemagne. De là à penser que la théorie insiders/outsiders de Lindbeck et Snower ne serait qu'un épouvantail pour culpabiliser les titulaires d'un CDI d'empêcher, par leurs droits légaux et acquis, un turn over et l'embauche des jeunes sur le marché concurrentiel, il n'y a qu'un pas que nombre d'économistes franchissent aisément. Cette théorie prône une flexibilité du marché de l'emploi, jugée plus juste pour tout le monde, car égalitaire -si tant est que la justice puisse émaner du doute perpétuel sur son avenir professionnel-. C'est la condamnation des fameuses "rentes de situation" des professions réglementées décriées par le projet de loi "pour libérer l'activité". Tout cela participe finalement du même modèle théorique de la Nouvelle économie keynésienne.

On comprend, dès lors, que pour favoriser l'embauche, il faut faciliter la rupture ; un peu comme si les familles se formaient plus aisément sous l'égide du Pacs que sous celui du mariage, à la rupture encore souvent traumatique.

Comme "la seule certitude, c'est que rien n'est certain" écrivait Pline l'Ancien, prévoir le contrat de travail serait avant tout prévoir sa rupture. On comprend le désarroi dans lequel se situe le marché de l'emploi en France : accepter l'incertitude ou l'inégalité, voilà une étrange perspective pour fabriquer une croissance !

Le droit, un frein à l'emploi ? Quand on pense que c'est à contre coeur qu'Emile Acollas, juriste communard, signifiait, dans son Manuel de droit civil, en 1869, que bien que déséquilibré, le contrat de travail, en ce qu'il permet au salarié d'échapper à une mort certaine à court terme, tout en lui laissant espérer une mort plus que probable à moyen terme, favorise l'autonomie et doit être accepté par le salarié. C'est, bien évidemment, la méfiance et le doute, mère et père de la rupture du contrat de travail, qui plombent l'emploi.

L'adage populaire veut que le doute profite aux innocents ; et aux innocents les mains pleines. Le doute quant au terme du contrat de travail ou à la carrière professionnelle du salarié précaire : l'équilibre contractuel en droit social se satisferait tant d'un retour... de la confiance.

newsid:444408

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus