La lettre juridique n°578 du 10 juillet 2014 : Éditorial

Justice : merci de ne pas confondre impartialité et subjectivité !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 10 Juillet 2014


Chacun connaît le mot de Platon, "la perversion de la cité commence avec la fraude des mots" ; une fois encore, il y a lieu de s'inquiéter d'une dérive commune qui tend à travestir une idée sous l'apparente vertu d'une autre. Celle de l'impartialité de la justice est de celle-là.

D'abord, si la justice peut être aveugle, ce n'est pas quand elle est rendue qu'elle est atteinte de cécité, mais par ses effets, induits de l'application de la loi et de la jurisprudence constante. Ensuite, si le procès équitable oblige à une impartialité des juges, cela ne signifie en rien qu'il est ôté à ces derniers toute subjectivité. La justice de l'Homme est rendue par les hommes et son essence est l'appréciation subjective d'une situation de fait au regard du droit : on ne peut pas faire plus personnelle comme institution humaine que la justice. Et, vouloir interdire qu'y soit véhiculée tout idée politique, au sens platonicien justement, toute morale républicaine par exemple, voire toute conception des droits de l'Homme si singulière aux pays occidentaux, c'est confondre l'impartialité avec la dictature de la loi : ce concept fondamental, indépassable, presque transcendant du machiavélisme qui réapparaît actuellement auprès des théoriciens du Kremlin face aux oligarques effrontés.

L'impartialité tant invoquée, ces derniers temps, ce n'est pas l'absence de subjectivité du juge ou de la justice ; mais la recherche d'un équilibre entre cette même subjectivité inhérente donc aux juges et l'application abstraite, et sans détour, d'une loi qui, même si elle tend à défendre, parfois, les intérêts du justiciable, est trop absconse ou éloignée de la réalité sociale, économique ou culturelle, du pays de son adoption pour que, justement, justice soit rendue.

Et, finalement, en matière d'impartialité, la justice sait, elle-même, reconnaître lorsque cet équilibre est rompu et que la subjectivité submerge le procès. Il n'est point besoin d'affaire médiatique ou de justiciable cathodique pour s'en convaincre. La matière prud'homale est sans doute la plus encline à cette autorégulation nécessaire à la crédibilité de la justice échevinale.

Dernièrement, la Cour de cassation a eu l'occasion de rappeler que le fait qu'une partie exerce habituellement les fonctions de défenseur syndical devant une juridiction prud'homale est de nature à créer un doute sur l'impartialité objective de cette juridiction, alors qu'à la suite du dépôt par la salariée, d'une requête devant le conseil de prud'hommes, aux fins d'obtenir l'annulation d'une sanction disciplinaire prononcée à son encontre, l'employeur avait demandé le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction en invoquant la suspicion légitime liée aux fonctions de défenseur syndical occupées par la salariée devant ce conseil de prud'hommes. De la même manière, si toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, on sait que cela implique qu'un conseiller prud'homal n'exerce pas de mission d'assistance ou de représentation devant le conseil de prud'hommes dont il est membre. Et, un arrêt d'appel doit être censuré lorsque sa motivation fait ressortir l'hostilité du juge envers les activités syndicales du salarié. Egalement, n'est pas compatible avec l'exigence d'impartialité le fait pour une cour d'appel de qualifier d'indécentes les prétentions du demandeur.

Mais, la participation de représentants d'organismes d'Assurance maladie dans une section d'un conseil de l'Ordre ne remet pas en cause l'impartialité de cette section, même lorsque l'affaire examinée porte sur un litige avec une caisse d'Assurance maladie. Et, la circonstance qu'un membre du conseil de prud'hommes, ne figurant pas dans la composition de la section appelée à statuer sur l'affaire, ait donné publiquement son opinion sur le litige n'est pas de nature à mettre en cause l'impartialité de l'ensemble de ses membres. La cour d'appel, qui a constaté que l'auteur des propos tenus à l'encontre de l'employeur n'appartenait pas à la section saisie du litige, a pu décider qu'il n'existait aucune raison objective de douter de l'indépendance et de l'impartialité du conseil de prud'hommes justifiant le renvoi de l'affaire devant une autre juridiction pour cause de suspicion légitime.

La rupture d'équilibre entre la subjectivité des juges et la dictature de la loi relève donc d'une appréciation in concreto. Le simple fait qu'un juge ait une activité syndicale, qu'une juridiction soit par essence paritaire, que certains de ses membres aient le verbe haut dans les médias, n'induit pas nécessairement que la section chargée d'instruire le procès et, plus singulièrement, le juge chargé de rendre une décision impartiale dévie de ce savant équilibre qui lui incombe de réaliser pour sauvegarder la légitimité de l'institution dont il est l'officier.

Certes, ne nous voilons pas la face, cet équilibre n'est pas toujours au rendez-vous et l'impartialité de la justice aura tôt fait de passer pour un mythe.

Mais, la balance ne penche pas toujours dans le sens de la concussion. Et, il arrive même, parfois, que la loi et la subjectivité échevinale concourent sinon à la même... injustice, du moins à la même incompréhension des justiciables pour leur justice.

Ainsi, pour la Haute juridiction, le refus d'une partie du personnel de travailler à nouveau avec le salarié investi d'un mandat représentatif pour des motifs écartés par l'autorité administrative ne peut suffire à caractériser une impossibilité absolue de réintégrer celui-ci dans son poste. La Cour de cassation valide ainsi une anomalie sociale et économique : le retour à son poste d'un représentant du personnel mis à pied pour fait de harcèlement, avec lequel une partie du personnel sous son encadrement refusait de travailler à nouveau. Le salarié qui avait été réintégré, son poste étant cependant aménagé pour lui retirer la gestion du personnel de l'atelier où étaient affectées les personnes à l'origine de la mise en oeuvre de la procédure tendant à son licenciement, contestait cet aménagement.

Cette décision s'inscrit en dehors de tout réalisme social, de toute réalité de l'entreprise ; or le réalisme n'est pas affaire d'impartialité, mais de volonté, selon la philosophie schopenhauerienne, notamment. Il est des fois où la subjectivité des juges pourrait conduire, justement, à une meilleure justice... non au regard de la loi absolue, mais pour les justiciables.

"La justice de l'intelligence est la sagesse. Le sage n'est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui voit leur juste mesure" ; pour en revenir, toujours et encore, à Platon.

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