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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 10 Juillet 2014
Lexbase : Qu'est-ce que le crowdfunding et quelles sont les différentes formes de crowdfunding en France ?
Isabelle Vendeville : Le financement participatif, appelé également crowdfunding, est un mode de financement de projets ou sociétés "par la foule", donc par un nombre important de personnes.
Les plateformes de crowdfunding utilisent internet comme vecteur de mise en relation entre les porteurs de projet et les personnes souhaitant investir dans ces derniers.
Le développement que connaît actuellement ce mode de financement s'explique par la réunion de plusieurs facteurs :
- la nécessité de trouver des solutions à la pénurie de financement bancaire dont souffrent les start-up et les PME ;
- face à la médiatisation des plans sociaux engagés dans les grandes entreprises, l'entrepreneuriat est mis en avant, comme l'une des solutions possibles à la crise ;
- basé initialement et encore assez largement sur le don, le crowdfunding comporte une dimension sociale et humaine ;
- le financement participatif, parce qu'il est accessible, permet aujourd'hui à chacun, et en fonction de ses moyens, de s'associer à un projet ;
- l'objectif de l'investisseur n'est plus seulement financier, il souhaite également participer à une aventure entrepreneuriale.
Le financement participatif est un concept protéiforme qui se décline en plusieurs actions : don, prêt, en capital,... et leurs dérivés.
(i) Le don : l'épargnant verse une somme d'argent pour permettre au projet de se développer et reçoit une contrepartie non financière, comme la prévente (l'internaute participe au financement d'un produit high tech dont il pourra recevoir un exemplaire en avant-première), l'affichage de son nom au générique si c'est un film, la distribution de goodies...
(ii) Une participation aux fonds propres de la société : l'épargnant devient actionnaire de la start-up. Il est rémunéré sous forme de dividendes et/ou par la plus-value réalisée lors de la cession des titres.
(iii) Le prêt : l'épargnant perçoit alors un intérêt (ou consent un prêt sans intérêt).
Le rôle des plateformes de crowdfunding est à la fois (i) d'identifier des projets prometteurs, et de vérifier leur viabilité, (ii) trouver les investisseurs, (iii) les mettre en relation avec les porteurs de projets et, enfin, (iv) faciliter leurs relations futures (dématérialisation des relations actionnaire/société).
Lexbase : Quels sont les dispositifs fiscaux de faveur dont peut bénéficier l'investisseur ?
Isabelle Vendeville : S'agissant du don et du prêt, il n'existe pas de dispositif fiscal incitatif, sous réserve des réductions d'impôt accordées dans le cadre du mécénat. Ainsi, les dons aux oeuvres ou organismes d'intérêt général (limitativement énumérés) bénéficient d'une réduction d'impôt sur le revenu de 75 % du don, plafonnée, pour 2014 à 526 euros (CGI, art. 200 N° Lexbase : L3983I3W), ou une réduction d'ISF de 75 %, plafonnée à 50 000 euros (45 000 euros si le contribuable sollicite cumulativement la réduction ISF-Don et ISF-PME) (CGI, art. 885-0 V bis A N° Lexbase : L1125ITT).
Pour le don "avec contrepartie" versé à une société ou une plateforme, il est largement admis aujourd'hui en pratique, bien qu'aucun texte ne le prévoie expressément, qu'un épargnant particulier ne déclare pas l'opération, s'agissant de sommes "mineures". Ainsi, l'épargnant ne déduit pas la somme versée et n'impose pas la contrepartie à l'impôt sur le revenu.
S'agissant de l'investissement en capital, il existe deux grands types d'incitatifs fiscaux :
- la réduction d'impôt sur le revenu ou d'impôt de solidarité sur la fortune "à l'entrée", lors de la souscription au capital ;
- l'exonération "à la sortie", dans le cadre d'un PEA ;
étant précisé que les deux avantages ne sont pas cumulables.
Il existe également un régime favorable applicable aux plus-values de cession de valeurs mobilières.
(i) ISF-PME (CGI, art. 199 terdecies-0 A N° Lexbase : L2867IXH) : la réduction d'impôt est de 50 %, plafonnée à 45 000 euros (soit un investissement de 90 000 euros). Cet avantage n'entre pas dans le plafond dit des "niches fiscales" (10 000 euros par an).
(ii) IR-PME (CGI, art. 885-0 V bis N° Lexbase : L0205IWI) : la réduction d'impôt est de 18 % jusqu'à 9 000 euros par personne (18 000 euros pour un foyer fiscal). Cet avantage entre dans le plafond ci-dessus.
Afin d'ouvrir droit aux réductions ISF et IR, la PME cible doit remplir certaines conditions. En particulier :
- la PME doit, pour la réduction IR, avoir moins de 50 salariés et moins de 10 millions d'euros de CA ou total de bilan (au moment de la souscription). Pour la réduction ISF, les seuils sont plus élevés (moins de 250 salariés, 50 millions d'euros de CA et 43 millions d'euros de bilan) ;
- avoir pour objet exclusif l'exercice d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ; ce qui exclut les activités immobilières ou de gestion de patrimoine, par exemple ;
- comporter au moins deux salariés à la clôture de l'exercice suivant celui de la souscription ;
- elle doit être en phase d'amorçage, de démarrage ou d'expansion ; et être créée depuis moins de 5 ans (pour le bénéfice de la réduction IR seulement) ;
- les versements reçus par la société (bénéficiant d'un avantage IR ou ISF) ne peuvent excéder 2,5 millions d'euros par an ;
- les souscriptions/souscripteurs ne doivent bénéficier d'aucune garantie en capital et/ou avantages directs ou indirects (par exemple, des tarifs préférentiels) ;
- les titres souscrits doivent être conservés au moins 5 ans.
Des conditions particulières s'appliquent en cas de souscription par l'intermédiaire d'une holding.
(iii) PEA
Le PEA prévoit une exonération des dividendes et plus-values de cession de titres, sous réserve que le plan ait été conservé 5 ans au moins (CGI, art. 157 N° Lexbase : L1411IZB). Les prélèvements sociaux (15,5 % aujourd'hui) demeurent applicables. Depuis le 1er janvier 2014, il existe deux types de plans : le PEA "classique", dont le plafond de versements est de 150 000 euros (300 000 euros pour un couple) et le PEA "PME-ETI", dont le plafond est de 75 000 euros (150 000 euros pour un couple).
(iv) Plus-value de cession de valeurs mobilières
Les plus-values de cession de valeurs mobilières sont imposées au barème progressif de l'impôt sur le revenu, mais bénéficient d'abattement pour durée de détention de 50 % entre 2 et 8 ans de détention et 65 % après 8 ans (CGI, art. 150-0 D, 1° ter N° Lexbase : L3995I3D). Un abattement dérogatoire (qui peut aller jusqu'à 85 % au-delà de 8 ans) s'applique en cas de cession de titres de PME, sous certaines conditions (CGI, art. 150-0 D, 1° quater).
L'abattement ne s'applique pas aux prélèvements sociaux (15,5 % à ce jour).
(v) Incitatif dédié aux entreprises investisseurs dans des PME "innovantes"
Le Gouvernement a souhaité favoriser le financement des PME innovantes par la mise en place d'un dispositif d'incitation au capital investissement d'entreprises.
Les sociétés soumises à l'IS qui investissent, directement ou par l'intermédiaire d'un fonds ou d'une société d'investissement (FCPR ou FCPI ou SCR), dans des PME innovantes pourront amortir leur investissement sur 5 ans, sous certaines conditions (CGI, art. 217 octies N° Lexbase : L3977I3P).
Cette mesure étant constitutive d'une aide d'Etat, son application est soumise à sa validation par la Commission européenne.
Lexbase : Quel est le régime fiscal des sommes reçues par le porteur de projet, au regard de l'impôt sur le revenu et de la TVA ?
Isabelle Vendeville : S'agissant du prêt ou de la souscription au capital, les règles "standard" s'appliquent. Les souscriptions sont comptabilisées au passif, en capital et primes d'émission de la société bénéficiaire et les prêts en dette (et en trésorerie à l'actif). La TVA n'est pas applicable.
S'agissant du don : (i) à défaut de contrepartie, il s'agit d'une libéralité pure et simple, soumise à impôt sur le revenu/sociétés pour le bénéficiaire personne physique ou morale.
(ii) S'il existe une contrepartie, en revanche, la somme perçue doit en principe être soumise à TVA. Encore faut-il -selon la jurisprudence- qu'il y ait une "relation nécessaire" entre le niveau des avantages retirés par le bénéficiaire du service et la contre-valeur qu'il verse au prestataire. Ainsi, dans le cadre d'une prévente, la somme versée devrait en principe être soumise à TVA, à l'inverse de contreparties "indirectes" (par exemple, le nom du donateur au générique d'un film financé).
Une clarification du régime serait opportune, d'autant que certaines plateformes font preuve de créativité quant aux "contreparties" proposées.
Lexbase : Pensez-vous qu'un régime fiscal spécifique au crowdfunding serait opportun ?
Isabelle Vendeville : On peut regretter que la réduction d'impôt sur le revenu ne soit pas plus importante, dans la mesure où il est souhaité d'ouvrir le financement à un plus grand nombre de personnes, et non plus uniquement à la famille et les amis ("love money") ou à des financiers avertis.
En Grande-Bretagne par exemple, la réduction d'impôt est plus importante : 50 % sur les investissements n'excédant pas 100 000 livres sterling (environ 125 000 euros). Les gains retirés (dividendes, plus-values) sont, en outre, exonérés d'impôt.
L'investissement dans les start-up est, par définition, risqué. Afin d'inciter les investisseurs, il pourrait être utile de permettre une déduction -partielle- de l'investissement en cas de perte/liquidation de la société.
Un des inconvénients majeurs du crowdfunding en capital est la multiplication des actionnaires au sein d'une start-up. Outre la complexité que cela entraîne en termes de gestion (que les plateformes traitent partiellement), le fondateur peut parfois perdre le contrôle de sa société. Les intérêts des fondateurs, d'une part, et des investisseurs, d'autre part, peuvent être très divergents, même s'ils convergent nécessairement, à long terme, vers le développement de l'entreprise, sa rentabilité et sa pérennité. Le pacte d'actionnaires assure en principe l'équilibre des relations financières, de pouvoir et de contrôle entre les parties. Il serait utile de pouvoir adapter les outils existants au fonctionnement des start-up.
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