La lettre juridique n°565 du 3 avril 2014 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Avril 2014

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N1653BUR

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

le 03 Avril 2014

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de TVA. L'harmonisation de l'application du taux de TVA applicable à l'ensemble de la presse a été une mesure favorablement accueillie par les acteurs de ce domaine économique et de la vie publique au nom de l'égalité fiscale et comme soutien à ce secteur. Cependant, la France s'expose ainsi à une possible sanction de la part des instances européennes, car cette mesure est contraire au droit de l'UE (loi n° 2014-237 du 27 février 2014, harmonisant les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne). Les deux affaires examinées ensuite par notre auteur ont reçu un retentissement bien moindre, néanmoins ce sont des affaires intéressant aussi le droit de l'UE. Plus particulièrement, la CJUE rappelle la nécessaire conciliation entre une large application du droit à déduction et la lutte contre la fraude à la TVA qui devient un enjeu financier de première importance (CJUE, 13 février 2014, aff. C-18/13). Enfin, dans un troisième point, sera abordée une décision complexe qui permet d'évoquer les règles particulières applicables aux livraisons d'électricité dans le cadre d'opérations intracommunautaires (CJUE, 6 février 2014, aff. C-323/11).
  • Extension du taux réduit de 2,1 % à la presse en ligne (loi n° 2014-237 du 27 février 2014, harmonisant les taux de TVA applicables à la presse imprimée et à la presse en ligne N° Lexbase : L5665IZT)

Par la loi du 27 février 2014 (1), applicable à compter du 1er février 2014, il a été procédé à une harmonisation des taux de TVA applicables à la presse ; presse imprimée et en ligne sont soumises au taux unique de 2,1 % (2). Cette mesure a fait l'objet de nombreux débats et elle a été adoptée de manière consensuelle par le Parlement, car elle comporte des enjeux importants pour le secteur de la presse (A). Cependant, cette extension du taux "super réduit" à la presse numérique est contraire au droit de l'Union européenne (B).

A - Le taux de 2,1 % appliqué à la presse fait partie d'un ensemble d'aides directes et indirectes apportées à ce secteur. Ce traitement préférentiel repose sur l'article 11 de la DDHC (3) (N° Lexbase : L1358A98) et le Conseil constitutionnel a reconnu le fondement constitutionnel de la politique publique en vue de préserver et de développer le pluralisme de la presse (4).

L'application du taux super réduit constitue une aide indirecte ancienne à la presse, car déjà la loi du 30 juillet 1920 l'exonérait de la taxe sur le chiffre d'affaires. Ce régime a perduré avec la mise en oeuvre de la TVA. Le bénéfice du taux de 2,1 % est réservé aux publications ayant reçu l'agrément de la commission paritaire des publications et agences de presse (5). Cette aide fiscale n'est pas la seule, la presse est aussi exonérée de la contribution économique territoriale (6).

Malgré l'importance des aides directes et indirectes (7), le secteur de la presse subit une crise sans précédent qui se traduit par "une baisse importante de sa diffusion, une réduction régulière des points de vente, une diminution sensible du chiffre d'affaires malgré la hausse du prix de vente, et enfin une chute significative des recettes publicitaires" (8). Aussi, malgré le soutien massif de l'Etat qui représente près de 395 millions d'euros (9), il apparaît que la presse papier est en fort mauvaise posture, sa situation se dégrade de manière continue et inexorable.

Dans le même temps, s'est développée la presse numérique. Elle est reconnue par l'article 1er de la loi du 1er août 1986 (10), modifiée en 2009 (11), qui dispose qu'outre les publications de presse existent aussi les services de presse en ligne. Cependant, le taux applicable à la presse numérique n'a pas été aligné sur le taux préférentiel valable pour la presse imprimée. Cette différence de traitement est fondée sur le droit de l'Union européenne. Pour autant, l'application du taux super réduit à l'ensemble de toute la presse, imprimée et numérique a fait l'objet d'une demande récurrente dès l'apparition de ce mode de diffusion.

A l'appui de cette demande sont évoquées plusieurs raisons. La première tient au principe de neutralité technologique (12), selon lequel un même service doit être soumis à un taux unique indépendamment de son mode de diffusion. Il s'agirait aussi de mettre fin à une situation contraire au principe d'égalité entraînant une absence de neutralité fiscale. Enfin, l'extension de la TVA au taux de 2,1 % à la presse numérique constituerait un élément essentiel pour permettre une transition technologique, la presse en ligne venant se substituer en tout ou partie à la presse papier.

Au plan budgétaire, l'application du taux de 2,1 % au lieu de 5,5 % à la presse imprimée coûte aux finances de l'Etat entre 190 et 205 millions d'euros, selon les exercices (13). Selon la Direction générale des médias et des industries culturelles, l'harmonisation des taux de TVA entre presse imprimée et presse numérique engendrerait un manque à gagner pour l'Etat de 5millions d'euros (14). L'ensemble des acteurs, comme la plupart des parlementaires, considèrent que cette perte de recette fiscale est peu importante eu égard aux principes en jeu. Elle paraît d'autant plus mineure que cette mesure d'harmonisation pourrait permettre de "relancer" le secteur de la presse. Depuis 2006, le Gouvernement comme le Parlement ont cherché à mettre fin à cette inégalité, mais se sont heurtés à l'incompatibilité de cette extension du taux de 2,1 % avec la législation de l'Union européenne.

B - Aux termes de l'article 98 et de l'annexe III de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (15), les Etats membres peuvent soumettre au taux réduit notamment les livres et produits assimilés tels que les journaux et les périodiques. Cependant, au paragraphe 2 de l'article 98, il est précisé que "les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique", notamment "la fourniture de textes, de musiques ou de films" (16). Enfin, le taux de 2,1 % ne peut plus être appliqué à une nouvelle catégorie de biens ou de services en vertu de l'article 110 de la Directive 2006/112/CE.

Très clairement, en adoptant une mesure permettant l'application du taux de 2,1 % à la presse en ligne, la loi française vient en contradiction avec les dispositions du droit de l'UE. Bien qu'il ne s'agisse pas du taux super réduit mais du taux réduit, la France avait déjà pris une disposition analogue concernant les livres numériques. En dépit du droit de l'UE, la France a décidé d'appliquer le taux réduit non seulement aux livres imprimés mais aussi aux livres numériques (17). La Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction contre la France et le Luxembourg. Aucun des deux Etats n'a modifié sa législation, et en 2013 la Commission a saisi la CJUE de recours contre ces Etats. Dans le même temps, et à côté de la procédure mise en oeuvre par la Commission européenne, la France a été très active sur le plan politique.

La France (18) cherche à convaincre les instances européennes et Etats membres de modifier le droit de l'UE en vue de mettre en oeuvre une convergence des taux applicables aux biens et services similaires fournis par des modes de diffusion différents. Par plusieurs communications (19), la Commission a admis la nécessité de prendre en considération les évolutions technologiques et la convergence des taux qui pouvaient en découler. Néanmoins, elle ne manque pas de rappeler que tout changement ne peut intervenir que dans le cadre d'une modification de la Directive 2006/112/CE. La Commission a continué ses travaux et a livré le 22 mai 2013 les résultats de la consultation publique concernant les taux réduits et plus particulièrement les produits culturels (livres, presse, radio, télévision) (20).

Malgré cette évolution de la Commission, au terme de laquelle il apparaît possible que puissent être modifiés et harmonisés les taux de TVA applicables aux produits fournis sous des formes technologiques différentes, notamment le livre et la presse, actuellement, la loi du 27 février 2014 est en contradiction avec le droit de l'UE et risque d'encourir la même procédure que celle mise en oeuvre pour le taux réduit appliqué au livre numérique. A plus long terme, on peut aussi s'interroger sur la réussite d'une telle harmonisation. Si, pour le livre en ligne, l'alignement peut être effectué du fait de la soumission au taux réduit ; le cas est différent pour la presse, car le taux de 2,1 % est une dérogation du fait de son antériorité au 1er janvier 1991. Si la Commission peut accueillir l'harmonisation au taux réduit, en revanche, il paraît difficile d'étendre le champ d'application d'un taux préférentiel se situant hors du droit commun de l'UE.

  • Fraude à la TVA : la loi nationale ne peut pas imposer de mesures allant au-delà de ce qui est nécessaire pour appliquer les règles communautaires (CJUE, 13 février 2014, aff. C-18/13 N° Lexbase : A1276MEY)

La décision commentée est relative aux moyens de lutte qui peuvent et doivent être mis en oeuvre par les Etats membres en vue de lutter contre la fraude en matière de TVA. Le droit à déduction est à la fois le principe fondamental sur lequel est bâtie la neutralité de la TVA (21) en même temps que la base utilisée dans le cadre de la fraude dite "carrousel". En conséquence, la CJUE est amenée à concilier les deux objectifs, c'est-à-dire de maintenir le droit à déduction pour ne pas mettre en péril la neutralité de la TVA sans que ce droit ne puisse être utilisé frauduleusement ou abusivement. L'arrêt de la CJUE apporte des précisions sur la définition des éléments nécessaires pour définir à quelles conditions le droit à déduction peut être refusé (A) ; la juridiction de l'Union européenne vient aussi encadrer dispositions qui peuvent être prises par les Etats membres en vue de supprimer le droit à déduction en cas de fraude ou d'utilisation abusive (B).

A - Les faits de cette affaire sont relativement simples et les circonstances évoquées peuvent intéresser tous les Etats de l'Union européenne, car aucun n'échappe à la fraude. A l'occasion d'un contrôle fiscal, les autorités bulgares ont constaté qu'une société avait bénéficié du droit à déduction pour certaines opérations. Or, les éléments demandés et recueillis par l'administration fiscale bulgare n'ont pas permis d'établir, selon cette dernière, la réalité des opérations sur lesquelles le droit à déduction est fondé. L'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la TVA basée sur ces opérations et adressé un avis rectificatif à la société.

L'entreprise a contesté cet avis rectificatif, au motif qu'elle détenait les documents contractuels réguliers et les factures justifiant de la TVA déductible. L'administration a maintenu sa position en dénonçant le fait que les factures en cause étaient sans date fiable et dépourvues de force probante. La juridiction de renvoi a posé plusieurs questions préjudicielles ayant toutes trait à la définition des limites à apporter au droit à déduction dans l'hypothèse d'un usage abusif ou frauduleux de ce droit.

Aux termes de l'article 168 de la Directive 2006/112/CE, pour bénéficier du droit à déduction, l'assujetti doit remplir deux conditions : il doit agir en tant que tel et les acquisitions de biens ou services doivent être effectuées en vue de réaliser des opérations elles-mêmes soumises à TVA. Ces conditions doivent suffire à bénéficier du droit à déduction, et dès lors qu'elles sont remplies le droit à déduction ne peut être refusé. Dans la perspective de la garantie de la neutralité de la TVA, le droit à déduction ne peut être, en principe, limité. Ce système de droit à déduction doit permettre de soulager totalement l'entrepreneur de la TVA due ou acquittée dans le cadre de son activité à condition qu'elle soit elle-même soumise à TVA (22).

Eu égard au développement de la fraude en matière de TVA, la Cour de justice a été amenée à se prononcer sur les limites à apporter à ce droit à déduction dans le cas de son utilisation abusive ou frauduleuse. Elle a admis que le droit à déduction pouvait être refusé, au vu d'éléments objectifs, à l'assujetti auquel les opérations servant de base pour fonder le droit à déduction ont été fournis, savait ou aurait dû savoir que par ces opérations il était impliqué dans une fraude commise soit directement par le fournisseur, soit par d'autres opérateurs situés en amont (23). Ce droit à déduction sera refusé indépendamment de la question de savoir si l'assujetti a tiré ou non un bénéfice de sa participation à la fraude (24).

Si aucune question ne se pose véritablement quant aux conséquences de la fraude ou de son utilisation abusive sur le droit à déduction, en revanche la notion "d'éléments objectifs" peut prêter à discussion en fonction des faits de chaque espèce. Dans cette affaire, l'administration fiscale avait estimé que les prestations ne pouvaient avoir été réellement effectuées du fait que le fournisseur -ou son sous-traitant- n'avait pas les moyens nécessaires pour les exécuter, que le coût de ses prestations n'avaient pas été justifié dans leur comptabilité ou encore que l'identité de signataires de documents était inexacte (25). La Cour de justice a considéré que ces éléments ne suffisaient pas à conclure à l'exclusion du droit à déduction. Ils ne peuvent être pris en compte que s'ils sont constitutifs d'un comportement frauduleux et que l'assujetti savait ou ne pouvait ignorer que l'opération invoquée était impliquée dans la fraude. Les différents éléments avancés par les autorités fiscales ne fournissent qu'un faisceau d'indices laissant à penser qu'une fraude pouvait être commise. Cependant, le refus du droit à déduction doit être fondé sur des "éléments objectifs" et non de simples présomptions qui, de manière indirecte, pourraient être révélatrices d'une possible fraude.

B - S'agissant de l'office du juge national en matière de lutte contre la fraude fiscale impliquant le droit à déduction, la CJUE précise deux éléments : le premier porte sur l'articulation entre le droit de l'Union européenne et le droit national ; le second concerne l'obligation pour l'assujetti de tenir une comptabilité suffisamment détaillée.

Lors de la procédure juridictionnelle, l'administration fiscale bulgare a fait état d'éléments nouveaux venant remettre en cause la validité de la signature de certains fournisseurs ainsi que celle des documents comptables présentés par ces derniers. Cependant, la présentation d'éléments nouveaux à ce stade de la procédure n'était pas conforme au droit national. La juridiction de renvoi bulgare a interrogé la CJUE sur l'étendue du contrôle qu'elle doit effectuer : doit-elle contrôler d'office la présence d'une fraude fiscale à la TVA conformément aux exigences du droit de l'Union européenne bien que cet examen soit non conforme au droit interne ?

La CJUE, dans un arrêt du 12 février 2006 (26), a considéré que "le juge national doit opposer d'office les moyens de droit tirés d'une règle contraignante du droit de l'Union européenne lorsque, en vertu du droit national, les juridictions nationales ont l'obligation ou la faculté de le faire par rapport au à une règle contraignante de droit nationale" (27). Cette solution s'applique aussi dans le cadre du refus du droit à déduction consécutif à une fraude ou une utilisation abusive. En l'espèce, la juridiction bulgare est tenue par application du droit national d'examiner d'office s'il existe une fraude fiscale dans le cas où un avis rectificatif remet en cause le droit à déduction. La CJUE précise expressément que cet examen d'office doit être aussi réalisé conformément au droit de l'Union européenne. La juridiction de l'UE conforte sa solution par le rappel d'une décision rendue en Grande chambre (28), par laquelle le juge national doit interpréter le droit interne "dans toute la mesure du possible et à la lumière du texte et de la finalité de la Directive concernée".

Ces décisions rendues ne portaient pas sur la TVA, en faisant référence à ces arrêts, mais la CJUE rappelle que les finalités définies quant à la TVA ne reçoivent pas un régime spécifique mais relèvent aussi du droit de l'Union européenne compris de manière globale. La spécificité de la matière fiscale n'en fait pas un droit à part mais soumis à l'ensemble des principes jurisprudentiels valables pour le droit de l'Union européenne. Les objectifs de la Directive 2006/112 de lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale et l'utilisation abusive des dispositions fiscales doivent être pris en compte par les juridictions nationales dans l'exercice de leur compétence.

Enfin, la CJUE précise que même si, en droit interne, la fraude à la TVA relève d'une catégorie du droit pénal, cette qualification ne fait pas obstacle à ce que le juge chargé de l'appréciation d'un avis rectificatif portant sur le droit à déduction puisse se prononcer sur les éléments objectifs fondant le refus de ce droit en cas de fraude. Par ce considérant, la CJUE énonce que l'objectif de la lutte contre la fraude fiscale ne doit pas être entravé par des éléments de droit national telle que la compétence dévolue au juge pénal. La fraude fiscale ne reçoit pas la même définition d'un droit national à l'autre, et le fait qu'elle soit du ressort du juge pénal ne s'oppose pas à ce qu'un autre juge puisse remettre en cause le droit à déduction utilisé de manière frauduleuse ou abusive.

S'agissant des dispositions comptables, l'article 242 de la Directive 2006/112 dispose que "tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l'application de la TVA et son contrôle par l'administration fiscale". Pour faire respecter cette obligation, les Etats membres disposent d'une certaine marge de manoeuvre quant aux moyens à mettre en oeuvre. Notamment en vue d'éviter la fraude fiscale et en vue d'assurer l'exacte perception de la TVA, l'article 273 de la Directive les autorise à prévoir d'autres obligations (29) que celles prévues par le droit de l'Union européenne. Cependant, ces obligations doivent être prises sous réserve du respect des principes généraux du droit de l'UE et plus particulièrement du principe de proportionnalité (30). Dans ce cadre, le droit de l'UE ne s'oppose pas à ce que soient imposées aux assujettis des règles comptables supplémentaires établies par référence aux normes comptables internationales (31).

Dans l'affaire commentée, il s'agissait de savoir si la règle nationale pouvait prévoir que la prestation de service soit considérée comme fournie dès lors que sont remplies les conditions de reconnaissance de la recette afférente au service. Cette règle a pour effet de rendre la TVA exigible pour le service à la date où les éléments de son coût ont été inscrits dans la comptabilité du fournisseur ou de son sous-traitant. Mais cette règle est contraire au droit de l'Union européenne ; la date de l'exigibilité est déterminée par le moment où est effectuée la prestation de service (32) et elle ne peut l'être en fonction d'accomplissement de formalités réalisées par le fournisseur. La comptabilité constitue un élément essentiel quant à l'établissement et au contrôle de la TVA. Cependant, elle ne peut venir remettre en cause le droit à déduction, ce dernier ne dépend pas de l'accomplissement d'exigences comptables autres que celles inscrites à l'article 226 de la Directive 2006/112.

Cette décision ne comporte pas d'éléments totalement nouveaux quant au droit à déduction mais est exemplaire de la conciliation nécessaire entre le maintien du droit à déduction dans une plénitude nécessaire à la garantie de la neutralité de la TVA et des moyens utiles pour lutter contre la fraude fiscale fondée précisément sur ce droit à déduction. En ces temps de déficit budgétaire, la lutte contre la fraude fiscale, plus particulièrement la fraude "carrousel", s'est accrue. Les Etats membres développent de nouveaux moyens de lutte (33), mais ceux-ci doivent respecter les principes fondamentaux du système commun de TVA dont le droit à déduction est un pilier.

  • Droit au remboursement de TVA - Possibilité pour une entreprise de déduire la TVA dans un Etat membre dans lequel elle n'est pas établie mais a agi par le biais d'un représentant fiscal (CJUE, 6 février 2014, aff. C-323/12 N° Lexbase : A9316MDE)

Bien que considérés comme des biens dans le cadre du système commun de TVA, le gaz et l'électricité posent des difficultés particulières car il peut être "particulièrement ardu de déterminer le lieu de livraison" (34). L'affaire commentée porte précisément sur des opérations concernant l'électricité. Les circonstances de cette affaire sont placées sous l'empire de la Directive 79/1072/CEE (35). Cette Directive a été abrogée et remplacée par la Directive 2008/9/CE (36), cependant les principes invoqués dans cette affaire sont toujours d'actualité et la solution dégagée par la CJUE est valable tant pour la Directive 79/1072/CE que la Directive venant la remplacer.

En l'espèce, une société allemande exerçait sur le territoire roumain une activité de vente d'électricité. Elle a débuté son activité sur le territoire roumain en octobre 2005. A cette date, la Roumanie n'était pas encore membre de l'UE, et par application du droit interne en vigueur à cette époque, l'entreprise allemande avait dû désigner un représentant fiscal. Ce dernier avait, au nom de la société, conclu des contrats et procédé à des opérations qui avaient donné lieu à des "factures fiscales" (37). A compter du 1er janvier 2007, a été supprimée l'obligation de désigner un représentant fiscal, la société exerçant ce rôle pour son client allemand a cessé d'émettre des factures fiscales mais a continué à représenter l'entreprise.

Pour la période de janvier à août 2007, l'entreprise allemande a demandé à bénéficier du droit à déduction pour la TVA acquittée sur la base des factures émises par ses partenaires commerciaux roumains. Ses demandes de déduction ont été présentées par le représentant. L'administration fiscale roumaine a refusé la déduction des sommes demandées au motif que la société n'était plus, depuis le 1er janvier 2007, assujettie à la TVA pour les opérations réalisées en Roumanie ; elle ne pouvait plus ni collecter, ni déduire la TVA afférente. Ces obligations incombaient désormais aux bénéficiaires des livraisons.

Dans un second temps de la procédure, les autorités fiscales roumaines ont maintenu leur décision de refus au motif que la société allemande n'aurait pas respecté les conditions du droit roumain (38). Selon le droit national, seuls les assujettis non identifiés et qui ne sont pas soumis à l'obligation de s'identifier peuvent bénéficier du remboursement de TVA. Or l'entreprise, représentée fiscalement, ne pouvait bénéficier de cette disposition.

A la suite de cette décision, l'entreprise allemande a déposé un recours devant la juridiction roumaine qui a sursis à statuer pour poser une question préjudicielle intéressant l'interprétation de la Directive 79/1072/CEE, à savoir si les dispositions de cette Directive ont pour effet qu'une entreprise assujettie établie dans un Etat membre et ayant effectué des livraisons d'électricité dans un autre Etat membre en ayant désigné un représentant fiscal dans cet Etat ne peut se prévaloir dans l'Etat membre de livraison du droit au remboursement de la TVA acquittée en amont.

Aux termes de l'article 1er de la Directive du 6 décembre 1979 (39), l'assujetti établi dans un autre Etat membre doit remplir deux conditions afin de pouvoir bénéficier du droit au remboursement :
- il ne doit disposer d'aucun établissement stable dans l'Etat membre auquel il demande le remboursement de TVA,
- il ne doit pas avoir effectué des livraisons de biens ou prestations de services réputées se situer dans cet Etat membre, sauf exceptions.

S'agissant de la première condition, la CJUE fait application d'une jurisprudence constante (40) de la définition de l'établissement stable. Pour être qualifié d'établissement stable, l'entité doit présenter "un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue de l'équipement humain et technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services considérées" (41). Au regard de cette définition, la désignation d'un représentant fiscal ne peut constituer un établissement stable, donc l'assimilation du représentant fiscal à l'établissement stable est en contradiction avec le droit de l'UE. Cette décision rappelle ainsi la définition de l'établissement stable par les juges de l'UE dans le cadre de la TVA.

Le second point porte sur la mise en oeuvre du droit au remboursement en l'absence d'opérations réputées avoir lieu dans l'Etat membre auquel est demandé le remboursement. Aux termes du 1 de l'article 15 (42), l'électricité est considérée comme un bien meuble corporel. Néanmoins, eu égard à la nature particulière de cette livraison, des règles spécifiques ont été mises en oeuvre en vue de définir le lieu de livraison. Selon l'article 38 de la Directive 2006/112, il est situé à l'endroit où l'assujetti-revendeur est établi (43). Enfin, la Directive de 2006 (44) dispose que les assujettis qui n'ont effectué que des livraisons de biens pour lesquelles le destinataire a été considéré comme redevable de la taxe par application de l'article 195 de la Directive de 2006 (45), sont également considérés comme des assujettis qui ne sont pas établis dans cet Etat membre par application de la Directive de 1979.

La simple possibilité de réalisation d'opérations imposables dans l'Etat où la demande de remboursement est effectuée ne constitue pas une raison valable de refuser le remboursement. Il faut que les opérations aient été effectivement réalisées. Les autorités fiscales roumaines ne peuvent refuser le droit au remboursement en se fondant sur le fait que la société allemande est représentée fiscalement en Roumanie, car cet élément ne préjuge pas de la réalité des opérations au sens de la Directive de 1979.

Enfin, la CJUE rappelle le caractère essentiel des droits à déduction et au remboursement. Le bénéfice du droit à déduction doit être accordé si les conditions de fond ont été établies et bien que les conditions de forme ne soient pas toutes remplies. Dès lors que la réalité de l'opération n'est pas contestable, le droit à déduction est acquis. Par application du principe de neutralité fiscale, l'absence de respect des conditions formelles est insuffisante, sauf si elle révèle un manquement aux exigences de fond (46).

Depuis le 1er janvier 2010 (47), la procédure de remboursement de TVA est devenue entièrement électronique, elle est plus rapide et moins coûteuse que l'ancienne procédure "papier". Cette nouvelle procédure doit "affermir la position des entreprises" (48), car elles ont droit à des intérêts de retard si le remboursement n'est pas effectué dans les délais. Cependant, la plus grande simplicité pour obtenir le remboursement n'est pas synonyme de plus grande facilité dans l'application des règles particulièrement complexes applicables aux opérations de livraisons d'électricité et de gaz.


(1) I - Le second alinéa de l'article 298 septies du CGI est ainsi rédigé :
"Sont également soumis aux mêmes taux de la taxe sur la valeur ajoutée les ventes, commissions et courtages portant sur les services de presse en ligne reconnus comme tels en application de l'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986, portant réforme du régime juridique de la presse.
II - Le I s'applique aux opérations pour lesquelles la TVA est exigible à compter du 1er février 2014
", JO 28 février 2014, p. 3626.
(2) CGI, art. 298 septies, al. 2 (N° Lexbase : L5680IZE).
(3) "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi".
(4) Rapport de M. le député Patrick Bloche, n° 1735, 29 janvier 2014, p. 3.
(5) CGI, art. 298 septies, al. 1.
(6) CGI, art. 1458 (N° Lexbase : L6056IS4).
(7) Sur l'ensemble de ces aides cf, Cour des comptes, Les aides de l'Etat à la presse écrite, Chapitre 1 - Un secteur économique fortement aidé par l'Etat, juillet 2013, p. 15 et suivantes.
(8) Dominique Antoine et alii, Les aides à la presse, rapport remis à Aurélie Filipetti, ministre de la Culture et de la Communication, avril 2013, p. 4.
(9) Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012, de finances pour 2013 (N° Lexbase : L7971IUR).
(10) Loi n° 86-897, portant réforme du régime juridique de la presse (N° Lexbase : L8952IEB), JO 2 août 1986, p. 9529.
(11) Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, art. 27 (N° Lexbase : L3432IET), JO, 13 juin 2009, p. 9666.
(12) Proposition de loi tendant à harmoniser les taux de TVA applicables à la presse imprimée et la presse en ligne, présentée par M. le sénateur David Assouline, 12 février 2014.
(13) Cour des comptes, Les aides de l'Etat à la presse écrite, op. cit., p. 23.
(14) Cour des comptes, Les aides de l'Etat à la presse écrite, op. cit., p. 86.
(15) Directive relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ) : JOUE, 11 décembre 2006, L 347.
(16) Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, Ann. II, op. cit..
(17) Pascale Carré de Souza, Arnaud Moraine, Et si l'application du taux réduit de TVA au livre numérique était compatible avec le droit de l'UE ?, DF, 2012, n° 8, Etude 167.
(18) Par exemple, cf. le communiqué d'Aurélie Filipetti et Monika Grütters, ministres française et allemande de la Culture du 19 février 2014, défendant la possibilité d'appliquer un taux réduit au livre numérique et à la presse en ligne.
(19) Communication sur l'avenir de la TVA du 6 décembre 2011.
Communication sur le commerce électronique du 11 janvier 2012.
(20) Commission européenne, document de consultation, réexamen de la législation existante sur les taux réduits de TVA,
(21) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, op. cit., p. 1.
(22) CJCE, 22 février 2001, aff. C-408/98, point 24 (N° Lexbase : A1648AWX) : Rec. p. I-1361 ; DF, 2001, n° 10, p. 410.
(23) CJCE, 6 juillet 2006, aff. C-439/04, point 52 (N° Lexbase : A2718DQQ) : RJF, 10/06, n° 1301 ; DF, 2007, n° 9, comm. 235.
(24) CJUE, 6 décembre 2012, aff. C-285/11, points 38 et 39 (N° Lexbase : A3976IYW) : RJF, 3/13, comm. 375 ; CJUE, 6 décembre 2012, aff. C-285/11, points 35 à 37, op. cit..
(25) Point 31.
(26) CJCE, Grande Chambre, aff. C-2/06 (N° Lexbase : A7462D47) : Rec. p. I-411 ; Note F. Kauff-Gazin : Europe, n° 4, 2008, p. 13.
(27) Point 34.
(28) CJCE, aff. C-212/04 (N° Lexbase : A1488DQ8) : Rec. p. I-6057 ; Note Laurence Idot : Europe, 2006, n° 10, comm. 276.
(29) Ces obligations supplémentaires doivent respecter le principe d'égalité entre les opérations intérieures et les opérations effectuées entre Etats membres et ne pas entraîner de formalités liées au passage d'une frontière.
(30) En matière de sanction, cf. point 29, CJUE, 29 juillet 2010, aff. C-188/09 (N° Lexbase : A9471E7W) : Rec. I-7639 ; RJF, 12/10, n° 1244.
(31) Règlement CE n° 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil, 19 juillet 2002 (N° Lexbase : L6959A4I), JOCE 11 septembre 2002, L 243, p. 1. Il a pour but l'adoption et l'application des normes comptables internationales dans l'Union européenne afin d'harmoniser l'information financière présentées par les sociétés.
(32) Directive 2006/112/CE, op. cit, art. 63.
(33) Par exemple en droit français, dans le cadre du renforcement des moyens de lutte cf. loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006, de finances rectificative pour 2006, art. 93 (N° Lexbase : L9270HTI) : JO, 31 déc. 2006, p. 20228 ; DF 2007, n° 5, comm. 130.
(34) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, p. 2, op. cit..
(35) Huitième Directive-TVA du Conseil du 6 décembre 1979, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Modalités de remboursement de la TVA aux assujettis non établis à l'intérieur du pays (N° Lexbase : L9405AUU), JOCE, 27 déc. 1979, n° 331.
(36) Directive du Conseil du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la TVA, prévu par la Directive 2006/112/CE, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l'Etat membre du remboursement, mais dans un autre Etat membre (N° Lexbase : L8140H3U), JOUE, 20 février 2008, L 44.
(37) Point 27.
(38) Art. 147 ter, paragraphe 1, sous a) du Code des impôts.
(39) Ces conditions ont été reprises à l'article 3 de la Directive du 12 février 2008, op. cit..
(40) CJCE , 17 juillet 1997, aff. C-190/95, point 16 (N° Lexbase : A9909AUK) : Rec. p. I-4383.
(41) Point 46.
(42) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, op. cit., p. 12.
(43) Siège, établissement stable ou à défaut domicile ou résidence habituelle.
(44) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, art. 171, § 1, al. 2., p. 36, op. cit..
(45) Directive 2006/112/CE, 28 novembre 2006, p. 39, op. cit., art. 195 : "La TVA est due par les personnes qui sont identifiées à la TVA dans l'Etat membre dans lequel la taxe est due et auxquelles sont livrés les biens dans les conditions prévues aux articles 38 et 39 si les livraisons sont effectuées par un assujetti qui n'est pas établi dans cet Etat membre". Cette disposition est applicable aux livraisons d'électricité à destination d'assujettis revendeurs identifiés à la TVA.
(46) CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-146/05, point 29 (N° Lexbase : A5696DYM) : RJF 12/07, n° 1512. CJCE, 12 juillet 2012, aff. C-284/11 (N° Lexbase : A8483IQA) : RJF, 11/12, n° 1093.
(47) Directive 2008/9/CE, 12 février 2009 (N° Lexbase : L8140H3U) : JOUE, 22 février 2008, L 44.
(48) Directive 2008/9/CE, 12 février 2009, op. cit., p. 1.

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